VSORA, nouvel acteur majeur dans la conception de puces d’IA en Europe, vient d’annoncer une levée de fonds de 46 millions de dollars pour propulser son projet de puce d’inférence d’IA baptisée Jotunn8. Cette annonce attire déjà l’attention des experts en finance et en technologie, tant pour la performance annoncée du composant que pour son potentiel rôle stratégique en matière de souveraineté européenne.

Une dynamique d'investissement impressionnante

Cette nouvelle levée de fonds, soutenue par Otium, un bureau familial français et plusieurs partenaires comme Omnes Capital et Adélie Capital, est saluée comme l’une des plus importantes du secteur deep tech français pour 2025. Le montant de 46 millions de dollars laisse entrevoir des ambitions de croissance notables, notamment dans un contexte où l’essor de l’IA générative a fait exploser la demande de puces capables de traiter des modèles toujours plus complexes.

Pour beaucoup d’observateurs, cette somme conséquente reflète la volonté de positionner la France et l’Europe sur la carte mondiale de l’intelligence artificielle. Au-delà du financement en lui-même, l’implication de l’European Innovation Council (EIC) confirme l’orientation stratégique prise au niveau de l’Union européenne : faire émerger des champions technologiques sur le continent, capables de concurrencer les leaders historiques américains et asiatiques.

Qui se cache derrière VSORA ?

VSORA n’a pas toujours bénéficié d’une telle visibilité. Fondée en 2015, la société s’appuie sur une équipe d’ingénieurs, d’experts en DSP (Digital Signal Processing) et de scientifiques spécialisés en intelligence artificielle. Son approche repose sur la création de puces axées exclusivement sur l’inférence — c’est-à-dire l’exploitation de modèles d’IA préalablement entraînés — plutôt que sur la phase de formation des modèles. Cet accent sur l’inférence leur permet de proposer une architecture ultra-optimisée pour les environnements où la latence et la consommation d’énergie sont critiques.

La société, dont le siège est en France, a également des bureaux à Taïwan, l’un des pôles clés de l’industrie mondiale des semi-conducteurs. Grâce à une organisation structurée et une expertise bien répartie, VSORA entend faire valoir sa solution comme une alternative souveraine et performante, capable de rivaliser avec les GPU traditionnels, largement dominés par des géants comme Nvidia.

VSORA s’est construite autour d’une vision : répondre aux besoins exponentiels du marché de l’IA en proposant des solutions de calcul massivement parallèles. Dès ses débuts, l’entreprise a concentré ses efforts sur la conception d’architectures innovantes capables de booster l’inférence, tout en réduisant la consommation énergétique. Les fondateurs, issus de laboratoires français et internationaux, ont choisi la France pour développer leurs innovations et lever des fonds dans l’écosystème européen.

L’ambition derrière la puce Jotunn8

Jotunn8 (J8) est au cœur de la proposition technologique de VSORA. Conçue pour répondre aux exigences grandissantes de l’IA générative (type ChatGPT), la puce s’inscrit dans un marché de l’inférence en pleine expansion. Selon certaines estimations, la demande en inférence d’IA devrait connaître un taux de croissance annuel de 16 % entre 2025 et 2030, pour passer de 124 milliards de dollars à 255 milliards.

Cette hausse est portée par l’explosion des usages dans la robotique, les véhicules autonomes, ou encore les centres de données chargés de faire tourner des modèles de plus en plus gourmands. Dans ce cadre, Jotunn8 se distingue sur plusieurs aspects :

  • Performance brute : La puce est créditée de 3 200 téraflops (3 200 000 milliards d’opérations à la seconde), soit une puissance rare dans l’écosystème européen.
  • Consommation énergétique réduite : VSORA revendique une division par deux des besoins en énergie par rapport à d’autres solutions concurrentes.
  • Latence optimisée : L’architecture est spécialement pensée pour l’inférence, réduisant le temps de réponse lors du traitement de données en temps réel.

Aujourd’hui, la majorité des acteurs du marché se concentre sur des GPU ou des accélérateurs développés pour la phase d’entraînement des modèles (où il faut manipuler d’énormes volumes de données). Or, VSORA défend l’idée qu’un composant dédié et optimisé pour la seule inférence offre un coût par requête bien plus faible, un argument décisif pour les exploitants de centres de données.

Bon à savoir : l’inférence, un enjeu stratégique

Pourquoi l’inférence est-elle cruciale ? Quand un modèle d’IA est créé, il nécessite une phase d’entraînement sur d’immenses bases de données. Ensuite, pour l’utiliser, on effectue une inférence, c’est-à-dire le calcul permettant d’obtenir la réponse (traduction automatique, analyse d’image, prédiction…). Optimiser cette inférence est décisif pour abaisser les coûts et améliorer la réactivité d’applications très sollicitées.

Les partenaires financiers en première ligne

Plusieurs investisseurs de renom se sont alignés pour soutenir VSORA dans sa quête de leadership. Aux côtés d’Otium, qui mène la levée, on retrouve notamment Omnes Capital, Adélie Capital, ainsi qu’un cofinancement du Fonds européen du Conseil européen de l’innovation (EIC). Chacun de ces acteurs apporte non seulement du capital, mais également un accompagnement stratégique pour le développement de la jeune pousse.

Otium, créé en 2009, s’est fait connaître par des participations majeures dans des secteurs variés, dont la technologie et l’industrie. Avec un actif de 1,6 milliard d’euros (environ 1,89 milliard de dollars) géré au 31 décembre 2024, il représente un investisseur de poids dans l’écosystème français.

Omnes Capital, pour sa part, se spécialise dans la transition énergétique, tout en soutenant des projets deep tech à fort potentiel. Selon ses derniers rapports, la société gère plus de 6,7 milliards d’euros (7,58 milliards de dollars) et collabore avec des entrepreneurs innovants à travers l’Europe, mettant l’accent sur la durabilité et l’impact social.

Le Fonds EIC, branche d’investissement du Conseil européen de l’innovation, joue un rôle déterminant dans l’alignement des efforts publics et privés en matière d’innovation de rupture. Le fait que l’EIC investisse dans VSORA souligne l’enjeu stratégique : structurer une filière de semi-conducteurs capables de répondre aux besoins européens, et éviter une dépendance totale envers les concepteurs de puces non européens.

L’European Innovation Council (EIC) est une initiative de la Commission européenne visant à repérer et financer les projets technologiques les plus prometteurs. Il soutient spécifiquement les entreprises qui développent des solutions de rupture (deep tech), souvent trop risquées pour les investisseurs traditionnels. Son fonds intervient sous forme de cofinancement, ce qui limite l’exposition au risque et encourage l’émergence de nouveaux champions européens.

Défis et opportunités autour de la souveraineté européenne

Dans un monde dominé par les géants américains (Nvidia, AMD) et asiatiques (notamment taïwanais et sud-coréens) en matière de semiconducteurs, la question de la souveraineté technologique occupe désormais le devant de la scène européenne. L’objectif : garantir la capacité du continent à produire ses propres composants critiques, en particulier pour le calcul haute performance et l’IA.

Afin de soutenir cette ambition, l’Union européenne multiplie les initiatives : adoption du Chips Act pour mobiliser 43 milliards d’euros, programmes de soutien à la recherche, mise en place de partenariats public-privé… Dans cet élan, l’essor de VSORA apparaît comme une opportunité : proposer une alternative européenne dans la conception et la production de puces IA. Si l’entreprise concrétise ses promesses, elle pourrait non seulement stimuler la concurrence face aux GPU établis, mais aussi offrir un levier d’indépendance aux entreprises et administrations européennes, souvent tributaires de technologies extra-continentales.

L’annonce de 46 millions de dollars de financement auprès d’investisseurs majeurs marque donc une étape importante. Il reste néanmoins à relever plusieurs défis, dont la capacité de production à grande échelle, la sécurisation des chaînes d’approvisionnement, ou encore la compétitivité tarifaire face à des acteurs massifs qui disposent d’économies d’échelle considérables.

Pour VSORA, parvenir à produire ses puces en 2025, comme annoncé, sera un indicateur crucial. Cette échéance déterminera la capacité de l’entreprise à s’imposer durablement dans un marché où l’évolution technologique est particulièrement rapide.

Décryptage du marché : IA, croissance et concurrence

Selon les projections partagées par VSORA, le marché de l’inférence d’IA devrait pratiquement doubler sa valeur en l’espace de cinq ans, passant de 124 milliards de dollars en 2025 à 255 milliards en 2030, avec un CAGR d’environ 16 %. Cette évolution s’explique par la progression fulgurante de l’IA générative, des véhicules autonomes, des robots industriels et de multiples applications de vision par ordinateur ou de traitement du langage naturel.

Sur un plan concurrentiel, Nvidia domine largement, fort de son expertise dans le domaine des cartes graphiques et de sa renommée auprès des acteurs du machine learning. Des géants comme AMD ou Intel se positionnent également sur ce créneau, sans oublier des concepteurs spécialisés à l’instar de Graphcore, Cerebras, ou Habana Labs. VSORA entend se distinguer en se focalisant uniquement sur l’inférence, un segment plus précis mais en rapide expansion, où les enjeux de réduction de coûts et de consommation énergétique sont essentiels.

Par ailleurs, la distinction entre l’entraînement et l’inférence tend à s’accentuer : de plus en plus de centres de données cherchent à séparer ces deux processus pour optimiser leurs investissements en hardware. Si l’entraînement d’un gros modèle d’IA nécessite une puissance de calcul massive de manière ponctuelle, l’inférence est souvent continue, ce qui demande une architecture particulièrement efficiente pour des millions de requêtes quotidiennes. C’est précisément là que VSORA veut tirer son épingle du jeu.

Focus sur le coût par requête

Pourquoi parler du coût par requête ? Chaque requête envoyée à un modèle d’IA (par exemple une question posée à un chatbot) consomme de l’énergie et mobilise des ressources matérielles. Or, dans des infrastructures mutualisées, le volume de requêtes peut être colossal. Réduire le coût par requête devient alors un avantage compétitif majeur, surtout pour les entreprises qui déploient l’IA à grande échelle.

Stratégie de production et collaborations industrielles

L’un des points de vigilance majeurs pour les concepteurs de puces reste la capacité à industrialiser leurs innovations. Pour que Jotunn8 ne demeure pas un simple prototype, VSORA a déjà noué des partenariats avec des grands noms de l’industrie des semi-conducteurs. Cette approche garantit d’abord un accès à des procédés de gravure modernes, conformes aux exigences de performance les plus élevées. De plus, la visibilité commerciale de la société française en ressort grandement accrue.

Concrètement, la phase de production devrait s’étendre jusqu’en 2025, avec une mise sur le marché de la puce au cours de la même année. Il faudra suivre de près la mise en place de la chaîne logistique, l’approvisionnement en matières premières (wafer de silicium, etc.) et la disponibilité des unités de tests. En parallèle, VSORA multiplie les discussions avec des acteurs stratégiques pour s’assurer une intégration dans les futurs serveurs de centre de données, les solutions de robotique, voire les flottes de véhicules autonomes.

Avec l’adoption du Chips Act européen, l’UE veut augmenter sa part de production mondiale de semi-conducteurs pour atteindre 20 % d’ici 2030. Cette ambition s’accompagne de multiples soutiens financiers et réglementaires pour encourager la recherche, la formation des ingénieurs et la construction d’usines (fabs). L’émergence d’acteurs comme VSORA participe à cette dynamique, même si la compétitivité mondiale reste féroce.

Décryptage économique : analyse et enjeux pour la France

La France ambitionne depuis plusieurs années de renforcer son pôle deep tech. Les financements d’envergure, tels que ceux obtenus par VSORA, constituent un signal positif pour l’ensemble de l’écosystème : ils montrent aux investisseurs internationaux que l’innovation made in France peut rivaliser sur des segments hautement technologiques.

Sur un plan macroéconomique, la réussite de VSORA pourrait contribuer à la création d’emplois spécialisés, au développement de centres de recherche, et à la constitution d’un écosystème propice à la R&D dans les semi-conducteurs. Ce type de projet encourage aussi la collaboration entre start-up, laboratoires universitaires et grands industriels — un maillage clé pour maintenir la compétitivité à long terme.

En parallèle, cette montée en puissance soulève la question de la commande publique. Les États membres de l’UE, en particulier la France, pourraient être tentés de privilégier des solutions européennes pour certains projets stratégiques (transports intelligents, infrastructures critiques, services administratifs). Si VSORA parvient à confirmer la fiabilité et la performance de ses puces, l’entreprise deviendrait un acteur incontournable pour ces marchés publics.

Toutefois, la concurrence demeure féroce, et la capacité d’innovation des poids lourds étrangers ne doit pas être sous-estimée. Pour éviter un effet “one-shot”, VSORA devra investir massivement en R&D, maintenir son avance technologique et séduire un large panel de clients internationaux.

L’importance des financements deep tech

Pourquoi autant de fonds ? Les projets deep tech (biotechnologies, intelligence artificielle, robotique avancée, semi-conducteurs) exigent des investissements très élevés dès la phase de recherche et développement. Les retours sur investissement sont longs, car il faut du temps pour passer du prototype à la commercialisation. D’où l’importance d’avoir des investisseurs patients (souvent institutionnels ou fonds souverains) qui acceptent de soutenir ces projets à long terme.

Vers un nouveau paysage de l’IA : perspectives et pistes de réflexion

Les changements à venir dans le domaine de l’IA auront des répercussions tant sur les usages que sur l’économie. En améliorant radicalement la vitesse et l’efficacité des calculs, des puces comme Jotunn8 de VSORA peuvent accélérer l’adoption d’innovations majeures : voitures sans conducteur, robots de service, systèmes d’analyse prédictive dans la finance ou l’assurance… Dans ces différents segments, la réduction de la latence et le gain de puissance pourraient déclencher de nouveaux modèles d’affaires.

De plus, la question environnementale n’est pas à négliger. Alors que les datacenters deviennent de gros consommateurs d’électricité, toute avancée visant à réduire la consommation par requête d’IA revêt une importance capitale. L’Union européenne, notamment, s’est fixé des objectifs stricts pour limiter l’empreinte carbone du numérique. VSORA profite d’ailleurs de cette tendance en proposant une puce moins énergivore, ce qui pourrait rallier à sa cause de nombreux opérateurs soucieux de maîtriser leur facture énergétique.

Enfin, le marché de l’IA est caractérisé par une évolution rapide des algorithmes et des modèles : transformer l’essai sur J8 n’est que la première étape pour VSORA. À plus long terme, la société devra probablement innover davantage, repousser les limites de la miniaturisation et s’adapter à de nouvelles approches de calcul — par exemple l’IA neuromorphique ou d’autres paradigmes en pleine émergence.

En somme, l’essor de VSORA incarne la volonté de l’Europe de s’émanciper technologiquement, tout en ouvrant la voie à une future génération de puces d’IA plus puissantes, plus sobres et plus compétitives.