MoEa, jeune marque française spécialisée dans la création de sneakers éco-conçues à partir de rebuts agricoles, continue de tracer sa voie vers une mode plus durable. Aujourd’hui, la start-up se distingue en levant 2,3 millions d’euros auprès de fonds à impact pour renforcer son implantation en Europe et parier sur la croissance d’un segment éco-responsable en plein essor.

De la fibre de cactus à la valorisation des déchets : un concept avant-gardiste

Fondée en 2021 par Achille Gazagnes et Benoît Habfast, MoEa s’est forgé une identité autour d’une idée : concevoir des baskets tendance tout en réduisant au maximum l’utilisation de matières polluantes. Plutôt que d’employer du cuir animal ou des polymères traditionnels, la société transforme des déchets agricoles issus de diverses cultures (cactus, ananas, maïs, raisin, etc.) afin de créer 11 biomatériaux différents.

Ces matières premières sont développées avec le concours de laboratoires européens. L’objectif ? Disposer de substrats solides et confortables, capables de rivaliser avec les matériaux classiques, mais dont l’empreinte environnementale est réduite de manière significative. Selon MoEa, chaque paire de sneakers génère jusqu’à 79 % de CO2 en moins comparée à une chaussure standard.

Un aspect innovant est la capacité de l’entreprise à valoriser ce qui, autrement, aurait été jeté ou brûlé. Cette stratégie circulaire répond à une demande croissante des consommateurs, sensibles à l’origine et à l’impact des produits qu’ils achètent. En faisant le choix de matériaux renouvelables et en réduisant la part de plastiques issus de la pétrochimie, la jeune pousse revendique un engagement fort, à la fois écologique et éthique.

Les biodéchets sont des déchets organiques issus de la biomasse, comme des résidus agricoles, des restes alimentaires ou encore des déchets verts. Leur valorisation consiste à les utiliser comme matières premières dans divers procédés industriels (fabrication de matériaux, compostage, production d’énergie) plutôt que de les incinérer ou de les mettre en décharge.

Si l’usage de fibres végétales dans la mode n’est pas totalement nouveau, MoEa pousse le concept plus loin, notamment grâce à des procédés de transformation industriels éprouvés et à un choix varié de biomatériaux. Entre l’ananas, le maïs, ou encore la fleur de cactus, ces fibres sont explorées pour leur durabilité et leur aspect singulier. Cette approche permet aussi de souligner qu’il est possible de créer du neuf avec de l’existant, sans sacrifier la qualité ni l’esthétique.

Une levée de fonds porteuse d’ambitions

La marque vient d’officialiser un tour de table de 2,3 millions d’euros, une première étape dans sa quête de consolidation. Conduite par Go Capital, Odiem Capital et Ring Capital via leur fonds Generations powered by EDHEC, cette opération mobilise aussi plusieurs business angels sensibles aux enjeux environnementaux. L’enjeu pour MoEa est clair : s’appuyer sur des acteurs partageant des valeurs communes pour accélérer sa percée européenne.

Pour les investisseurs, la performance financière potentielle doit coexister avec l’impact positif. Le segment des sneakers éco-conçues attire une clientèle de plus en plus large, allant des consommateurs soucieux de leur empreinte carbone aux entreprises désireuses d’aligner leurs politiques RSE avec leurs décisions d’approvisionnement. Les fonds à impact trouvent ainsi un terrain fertile dans les start-up qui se revendiquent « sustainability first ».

En outre, cette levée de fonds témoigne de la confiance accordée à MoEa pour sa capacité à croître dans un marché concurrentiel. Au-delà de la technologie biomatériaux, les investisseurs voient également un potentiel de marque : un positionnement haut de gamme, une image responsable et un taux d’export supérieur à 60 % peuvent séduire un public international.

La réglementation française et européenne soutient la transition vers des matériaux plus respectueux de l’environnement. Des réglementations comme la Directive-cadre sur les déchets et la stratégie européenne pour les textiles durables encouragent l’éco-conception et la réduction des déchets. Les entreprises doivent néanmoins prouver que leurs alternatives végétales répondent aux normes de sécurité, de qualité et de traçabilité.

Dans un contexte législatif où l’Europe s’emploie à soutenir l’innovation verte, MoEa capitalise sur cette dynamique pour valider la pertinence de ses choix technologiques. L’accessibilité des financements dédiés à la recherche en éco-conception fait partie des raisons pour lesquelles la jeune pousse a pu mettre au point ses fibres révolutionnaires aux côtés de laboratoires spécialisés.

Un fort ancrage européen au cœur de la stratégie

MoEa n’est pas qu’une start-up française. Depuis ses débuts, la société a mis l’accent sur une expansion rapide en dehors de l’Hexagone. 60 % de son chiffre d’affaires est généré hors de France, notamment en Allemagne, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Cet appétit international se traduit aussi dans la composition même de son équipe, que la direction souhaite encore multiculturaliser pour mieux répondre aux attentes variées des clients à travers l’Europe.

Ce déploiement européen repose sur deux piliers : la vente en boutiques physiques, où les acheteurs peuvent essayer les sneakers et mesurer leur confort, et la vente en ligne, où la marque touche une clientèle connectée, souvent avide de transparence. En 2024, MoEa projette de vendre 60 000 paires, avec l’ambition d’atteindre entre 80 000 et 100 000 paires en 2025. L’entrée de liquidités via la levée de fonds servira à consolider cette trajectoire ascendante.

De surcroît, le recrutement prévu – passer de 7 à une dizaine de salariés – vise à doter l’entreprise de compétences spécialisées, notamment dans la R&D, la logistique et la communication. Cette montée en puissance des effectifs viendra soutenir la montée en charge de l’activité à l’international, tout en renforçant la recherche sur de nouvelles biomatières.

Selon des experts du secteur, cette stratégie multi-pays apporte plusieurs avantages concurrentiels. D’abord, elle permet d’amortir les risques liés à la conjoncture spécifique d’un seul marché. Ensuite, elle ouvre les portes à des partenariats en matière de distribution ou de co-création, puisque MoEa collabore avec divers acteurs européens – qu’il s’agisse de fournisseurs de matières premières végétales ou de revendeurs spécialisés dans la mode responsable.

Bon à savoir : éco-responsabilité vs seconde main

Les stratégies pour rendre la mode plus durable sont multiples. D’un côté, la fabrication éco-responsable consiste à réduire l’impact environnemental dès la conception, grâce à des matériaux recyclés ou d’origine biologique. De l’autre, la seconde main prolonge la durée de vie des produits. Selon l’ADEME, combiner les deux approches permet de maximiser les retombées positives en limitant l’extraction de nouvelles ressources.

E-commerce, points de vente et logistique innovante

La marque, déjà présente dans 170 points de vente, ne compte pas s’arrêter là. MoEa a constaté un fort dynamisme sur le canal numérique. De fait, elle réalise en 2024 environ 50 % de ses ventes en ligne, un bond considérable par rapport à 2023, où cette part ne s’élevait qu’à 30 %. D’ici 2025, la direction table sur 70 % des ventes via le e-commerce, reflétant l’importance croissante du digital dans les habitudes d’achat.

Cette progression repose en partie sur une logistique précise, capable de livrer rapidement les clients dans différents pays européens. MoEa s’appuie sur des partenaires de transport sensibles à la notion de réduction de l’empreinte carbone. Par exemple, certains prestataires optent pour des systèmes de mutualisation des envois ou des flottes de véhicules moins émissifs en CO2.

De plus, une expérience en ligne attractive reste déterminante dans le secteur de la mode, où les acheteurs apprécient de pouvoir visualiser le produit sous tous les angles, lire des avis détaillés ou encore bénéficier d’options de retour pratiques. MoEa l’a compris en proposant des photos haute résolution, des informations de transparence sur l’origine de chaque matériau, ainsi qu’une possibilité de retour gratuit dans certains pays cibles.

Par ailleurs, maintenir une présence en point de vente physique demeure pertinent. Les boutiques partenaires permettent de toucher une clientèle plus traditionnelle, qui souhaite toucher la matière, vérifier la résistance des chaussures ou essayer plusieurs modèles en boutique. Cette double approche (digital + retail) donne à MoEa un équilibre stratégique, évitant de dépendre entièrement d’un seul canal de distribution.

Recherche & développement : de l’ananas à la banane

Au-delà de sa gamme initiale, l’entreprise travaille à étendre sa palette de biomatériaux. En 2024, MoEa a ainsi finalisé une fibre de banane, développée en interne, pour étoffer ses options de conception. Cette initiative marque une évolution notable. Jusqu’à présent, la société s’appuyait majoritairement sur des laboratoires partenaires pour mettre au point ses matières premières. Désormais, elle ambitionne de devenir un véritable laboratoire d’innovation.

La mise au point d’une nouvelle fibre requiert du temps et des moyens considérables. Les équipes R&D de MoEa doivent étudier la structure biologique de la matière, tester sa résistance, son élasticité et son imperméabilité. Chaque propriété est cruciale pour obtenir un produit confortable et durable. La marque explique que la fibre de banane offre une robustesse intéressante, tout en conservant un aspect souple et agréable au toucher.

Le caroubier est un arbre méditerranéen dont les graines et cosses renferment des propriétés épaississantes et gélifiantes. Dans l’industrie alimentaire, on l’utilise souvent en additif. MoEa envisage d’extraire les fibres et résidus post-extraction pour les transformer en un composant potentiellement adapté à la confection de chaussures, offrant une nouvelle opportunité de valorisation des déchets agricoles.

À mesure que l’entreprise grandit, la R&D se positionne comme un facteur clé de différenciation. Sur un marché où de nombreuses marques communiquent sur leurs engagements environnementaux, MoEa veut se distinguer par des innovations concrètes. L’exemple de la fibre de banane en est l’illustration : elle offre une solution plus résiliente face à l’humidité et renforce le confort du porteur.

Signe supplémentaire de cet élan, MoEa projette également d’améliorer sa circularité en explorant des matières recyclées qui pourraient compléter l’usage de fibres végétales. Il s’agirait, par exemple, de réutiliser des chutes issues de la fabrication d’autres produits pour compléter la structure de certaines gammes de sneakers, toujours dans une optique de réduire au maximum les déchets finaux.

Mode responsable : un tournant crucial pour l’industrie

L’essor de MoEa s’inscrit dans un contexte où l’industrie textile représente 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, d’après l’ADEME (Agence de la transition écologique). Cette part notable pousse les entreprises du secteur à revoir leurs méthodes de production et de distribution, et encourage les pouvoirs publics à fixer des objectifs de réduction d’empreinte carbone.

La solution ne repose pas uniquement sur la deuxième main ou le recyclage. L’éco-conception est de plus en plus considérée comme l’un des leviers indispensables pour minimiser l’impact des nouvelles collections. En misant sur des matériaux naturels ou issus de la valorisation de déchets, on agit en amont, évitant l’extraction de ressources vierges et réduisant la dépendance aux plastiques traditionnels à base de pétrole.

MoEa l’illustre via ses baskets : en remplaçant des matières synthétiques ou animales par des biomatériaux, l’entreprise réduit la consommation d’eau, limite le recours aux pesticides (dans la mesure où elle utilise des résidus) et participe, à sa manière, à une plus grande biodiversité agricole. D’autres acteurs suivent la même tendance, qu’ils s’agissent de marques de vêtements, d’accessoires ou même de fabricants de meubles se tournant vers les composites végétaux.

Sur le plan financier, cette orientation répond à une demande claire des consommateurs. Dans une enquête récente, une majorité de répondants en France affirment prêter attention à la provenance des produits et se disent prêts à payer plus cher pour des articles réellement responsables. MoEa s’inscrit dans cet élan, tout en menant une politique tarifaire jugée compétitive par rapport à l’univers du haut de gamme.

Bon à savoir : le financement à impact

Les fonds à impact recherchent des entreprises qui concilient performance économique et avancées sociétales ou environnementales. Les critères d’investissement incluent le respect d’exigences ESG (Environnement, Social, Gouvernance), avec des indicateurs de suivi. Pour MoEa, collaborer avec des partenaires à impact signifie bénéficier d’un accompagnement financier et stratégique aligné sur ses valeurs écologiques.

Du recyclage à la réparation : vers une boucle circulaire

Dès sa création, MoEa souhaitait proposer une alternative éthique. L’étape suivante consiste à s’attaquer au cycle de vie des baskets, en limitant l’enfouissement ou l’incinération en fin d’utilisation. L’entreprise a ainsi lancé un programme de recyclage des sneakers usées, invitant les clients à les renvoyer. Les matériaux récupérés servent à la fabrication de nouveaux modèles, notamment dans la collection Second Life, prévue pour juin.

L’initiative de recyclage implique une logistique adaptée : collecte des chaussures, tri des composants, démantèlement, préparation des matériaux réutilisables, etc. C’est un processus complexe, souvent sous-traité à des partenaires spécialisés dans l’économie circulaire. Toutefois, MoEa se positionne comme chef d’orchestre, en veillant à ce que les opérations respectent la traçabilité et la qualité des produits finis.

Dans le même esprit, la société prévoit également de développer un service de réparation. Cette option offre aux propriétaires de sneakers légèrement endommagées la possibilité de prolonger la durée de vie de leurs chaussures, en remplaçant par exemple une semelle usée ou en réparant une couture défectueuse. Cette démarche illustre la volonté de la marque de s’inscrire dans une logique de durabilité totale, où le cycle de vie du produit est géré de bout en bout.

D’un point de vue plus large, on constate que la réparation ou la remise en état gagnent du terrain dans l’univers de la mode. Certaines entreprises optent pour des solutions modulaires (avec des pièces facilement interchangeables), d’autres mettent en place des ateliers dédiés. Pour MoEa, cette étape s’intègre parfaitement à son modèle d’affaires, en prolongeant la logique de valorisation des ressources, depuis la récolte des déchets agricoles jusqu’à la fin de vie de la sneaker.

Perspectives et élan vers l’innovation continue

Avec son déploiement accéléré en Europe, MoEa compte tirer profit de la croissance du marché de la sneaker responsable, tout en misant sur la diversification de son offre. L’entreprise souhaite également consolider sa présence dans le e-commerce où la marge de progression semble encore immense, en renforçant notamment les moyens publicitaires et le storytelling autour de l’origine de ses matières.

En parallèle, la jeune pousse doit relever plusieurs défis. D’abord, maintenir un niveau de coûts maîtrisé, car produire en Europe à partir de matières agricoles transformées peut s’avérer plus onéreux que de recourir aux méthodes industrielles traditionnelles. Ensuite, s’aligner sur les évolutions réglementaires, par exemple en matière de responsabilité élargie des producteurs. Enfin, poursuivre l’innovation dans une industrie où la concurrence s’accroît et où les grands groupes lancent des gammes « green » pour répondre à la demande des consommateurs.

Plus globalement, le marché de la mode durable évolue rapidement. Les exigences en termes de traçabilité, de réduction des emballages ou de performances environnementales se durcissent. MoEa semble bien décidée à transformer ces exigences en opportunités, forte de son élan actuel et du soutien financier dont elle bénéficie désormais.

En franchissant la barre symbolique de plusieurs millions d’euros levés, la start-up envoie également un signal fort à l’écosystème : la mode éco-responsable n’est pas un simple effet de mode, mais un secteur en plein essor, capable d’attirer des investisseurs institutionnels.

Plusieurs facteurs expliquent l’enthousiasme des fonds à impact : une équipe fondatrice expérimentée, un modèle associant innovation matérielle et respect environnemental, une vision internationale précoce et un positionnement prix cohérent. La pérennité financière à long terme dépendra aussi de la capacité de la marque à élargir sa gamme, à stimuler sa notoriété et à maintenir une avance technologique sur les biomatériaux.

Un horizon plus vert à portée de main

MoEa symbolise la rencontre entre la créativité industrielle et l’exigence environnementale. À mesure que la marque étend son réseau commercial et affine sa R&D, elle contribue à transformer l’avenir de la mode, démontrant qu’innovation et rentabilité peuvent converger vers un objectif commun : une mode plus respectueuse de la planète.