Base for Music : 1,5 M€ pour hacker l’algorithme du streaming
La startup parisienne convainc LeanSquare et Teads: relier dépenses publicitaires aux algorithmes de streaming pour offrir aux indés un GPS marketing.

Capteurs d’algorithmes, indicateurs de fans et capitaux frais : Base for Music revendique un nouveau statut après avoir sécurisé 1,5 million d’euros auprès d’investisseurs spécialisés. L’annonce confirme l’appétit des fonds pour les solutions qui lient marketing et données dans une industrie musicale sous pression algorithmique.
Une levée de fonds stratégique pour l’écosystème musical
La jeune pousse parisienne, créée en 2020, s’est distinguée par un positionnement clair : corréler chaque euro investi en publicité à l’algorithme de recommandation qui décidera, in fine, du sort d’un single sur Spotify ou Apple Music.
En injectant 1,5 M€, co‑menés par le fonds belge LeanSquare et complétés par Gilles Moncabeig (Teads), la start‑up se donne douze mois pour :
- Accélérer son développement commercial ;
- S’implanter sur de nouveaux territoires ;
- Équiper davantage d’acteurs avec une approche marketing centrée sur les fans ;
- Aller encore plus loin dans l’exploitation de la donnée et la monétisation de la relation fan-artiste.
Chiffres clés de l’opération
Montant : 1,5 M€ (1,73 M$)
Ticket moyen : 300 k€
Maturité : Seed + Bridge
Valorisation (post‑money) : ~10 M€ (estimation marché)
Objectif de cash burn : 18 mois
Au cœur de la proposition : la donnée d’engagement fan
Contrairement aux plates‑formes d’analytics « link‑in‑bio », Base for Music aspire à devenir l’ERP des micro‑signaux : lectures partielles, ajouts en playlist personnelle, partages privés… Autant d’événements faiblement monétisés mais décisifs pour la courbe de recommandation. L’outil collecte ces signaux, les relie aux dépenses Meta Ads ou TikTok Ads et affiche un score de « propension algorithmique » propre à chaque fan segmenté.
Dans le streaming, 70 % des revenus mondiaux proviennent d’abonnements où les écoutes sont commandées par des algorithmes de recommandation. Mesurer seulement les streams revient donc à observer le résultat final sans comprendre le moteur de décision. Suivre les variables d’entrée (saut de piste, like, save, skip rate) offre un avantage concurrentiel auprès des curateurs automatisés.
Les investisseurs : un casting aligné sur la vision
LeanSquare ne se contente pas d’un rôle financier : le fonds dispose d’un réseau de salles et festivals belges pour tester le produit en conditions réelles. Gilles Moncabeig offre son expérience en monétisation publicitaire programmatique après l’aventure Teads.
Profils des investisseurs
LeanSquare : fonds corporate du groupe Pôle Numérique Liège, spécialisé music‑tech.
Gilles Moncabeig : cofondateur de Teads, référence mondiale du out‑stream video advertising.
Décryptage financier : quand 1,5 M€ peuvent tout changer
En 2024, le ticket médian d’une seed française dans la music‑tech plafonnait à 850 k€ (source : France Digitale). Base for Music dépasse donc de 75 % cette moyenne. Au‑delà du montant, l’effet de levier provient de la nature des dépenses :
- R&D algorithmique : 40 % du budget, centré sur la modélisation des signaux faibles pour chaque DSP.
- Data compliance : 15 %, nécessaire pour la mise en conformité RGPD et la validation Privacy by Design.
- Go‑to‑market Europe : 35 %, Berlin et Barcelone en tête de pont.
- Fonds de roulement : 10 %, buffer anti‑crise.
Les start‑ups françaises optent souvent pour le BSA‑Air (Bon de Souscription d’Actions — Accord d’Investissement Rapide) quand la valorisation est incertaine. D’après nos informations, Base for Music a préféré une augmentation de capital classique à prix plafonné, rassurant ainsi les investisseurs sur la gouvernance et évitant la dilution surprise à long terme.
Le modèle Base for Music expliqué
La plate‑forme se greffe sur les API publiques et privées des DSP pour récupérer les métriques « micro » puis applique un moteur d’attribution multi‑touch. Chaque campagne est scorée selon son influence sur :
- l’ajout en playlist personnelle ;
- le passage du mode « random » à « repeat » ;
- la durée moyenne d’écoute par fan.
Le tarif suit un modèle SaaS + marge publicitaire. En clair, l’artiste paie un abonnement mensuel (à partir de 79 €) et un pourcentage (4 à 8 %) des budgets ads gérés. Des modules premium — pilotage TikTok Spark, synchronisation CRM Mailchimp — gonflent l’ARPU à 220 €/mois pour les labels mid‑size.
Panorama concurrentiel et différenciation
Linkfire, Bandsintown, Feature.fm ou Chartmetric : chacun dispose d’un angle (smart links, CRM fan ou benchmark social). Base for Music se distingue sur deux axes :
« Pas un tableau de bord, mais un GPS marketing » — formule de Maxence Bazin lors du Demo Day Techstars 2023.
Concrètement, la plate‑forme injecte le coût publicitaire comme variable « poids » dans l’algorithme. Les concurrents restent focalisés sur le click‑tracking. Résultat : Base for Music peut prédire le moment où un morceau entre dans une playlist algorithmique, là où les autres se contentent de le constater.
Comparatif express
Linkfire : Liens intelligents + retargeting
Feature.fm : Smart links + pré‑sauvegardes
Chartmetric : Data agrégée + score influence
Base for Music : Attribution publicitaire + corrélation algorithmique
Cadre juridique : transformer la data sans franchir la ligne rouge
La collecte d’événements utilisateurs s’inscrit dans la stricte application du RGPD (consentement explicite et stockage dans l’UE). À partir de mars 2025, le Digital Markets Act impose une interopérabilité accrue : Spotify et Apple seront tenus d’ouvrir davantage de points d’accès aux données, mais aussi de garantir la portabilité pour les artistes.
Entré en application le 7 mars 2025, le DMA vise à limiter l’abus de position dominante des « gatekeepers ». Pour les music‑tech, cela signifie : plus d’API publiques, obligation de partage de certaines métriques et contrôle renforcé sur les clauses anti‑compilation de données.
Le marché du streaming : fragmentation et concentration
Avec plus de 120 000 nouveaux titres déposés chaque jour, la rareté ne se situe plus dans l’offre mais dans la visibilité. Si le streaming représente plus de 70 % des revenus discographiques dans les marchés occidentaux, 80 % de ces revenus se concentrent sur 2 % des artistes. La bataille se joue donc dans le micro‑ciblage publicitaire capable d’« allumer » l’algorithme au bon moment.
Les majors disposent d’équipes in‑house. Les indés, eux, sous‑traitent souvent à des agences coûteuses. Base for Music se positionne comme la « tour de contrôle » qui met la puissance data à portée de budgets plus modestes.
Perspectives et feuille de route
D’ici fin 2025, la société prévoit :
- Des dashboards IA : recommandations automatiques sur l’heure de déclenchement d’une campagne selon la courbe de skip‑rate.
- L’ouverture au Web3 : intégration Polygon pour la gestion de digital collectibles reliés aux fans à forte propension d’achat.
- La conformité ISO 27701 (extension RGPD) pour crédibiliser l’approche privacy‑first.
Côté revenus, l’objectif est de franchir le seuil des 2 M€ d’ARR tout en maintenant la marge brute au‑dessus de 65 %. Un partenariat pilote avec Because Music devrait servir de cas d’école cet été.
Réinventer le marketing musical : un pari mesurable
La question n’est plus de savoir si les algorithmes dirigent le destin d’un morceau, mais qui contrôle les leviers d’influence. En fédérant capital, expertise publicitaire et data science, Base for Music tente de transférer ce contrôle vers les artistes eux‑mêmes. Pour l’écosystème français, souvent en retard sur les outils d’attribution, l’initiative pourrait servir de modèle, à condition de gérer la complexité légale et la pression concurrentielle.
Dernier rappel : dans un marché saturé de bits et d’octets, la donnée n’a de valeur que si elle éclaire l’action, et non si elle alourdit un tableau de bord.