Vous vous demandez si la récente baisse des taux d'intérêt rebat les cartes du jeu financier ? Si c’est une opportunité pour votre entreprise ? Et bien, pas forcément : la prudence doit rester de mise.

En effet, malgré cet assouplissement monétaire qui ouvre la voie à de nouvelles opportunités de financement, la situation économique des entreprises n’en est pas moins préoccupante. L’environnement financier, auparavant prévisible et clément, s'est transformé en un terrain semé d’embûches pour les sociétés françaises qui se confrontent à une accélération des cycles économiques et à une multitude de chocs exogènes. 

Certes, l'inflation, bien que persistante, retrouve depuis peu des niveaux acceptables et proches de la cible de 2%. Mais cette information à elle seule ne doit pas faire pencher la balance. Car entre crises géopolitiques, changement des politiques monétaires et politiques incitatives dans certaines régions du monde qui créent des déséquilibres (Inflation Reduction Act aux USA, subventions dans le secteur automobile en Chine ou encore rééquilibrage fiscal au Portugal), le contexte est plus que jamais incertain. 

Pour preuve : les dernières études sur la santé financière des entreprises du SBF 120, notamment celle du cabinet de conseil Redbridge, font émerger un constat alarmant : un endettement record couplé à une rentabilité en berne. Face à ce double défi, la tentation est grande de se laisser aveugler par la perspective d’une baisse des taux, un pari risqué qui pourrait se transformer bien vite en mirage.

Un endettement abyssal et une rentabilité en chute libre : la quadrature du cercle des grands groupes français ?

Le tableau dressé par les chiffres est sans équivoque, et pour le moins déconcertant. 

La dette nette des entreprises du SBF 120 a atteint des sommets, augmentant de 120 milliards d'euros en seulement 18 mois. Bien que spectaculaire, cette situation était prévisible et anticipée. En effet, le recours massif à l’endettement pour traverser la tempête économique provoquée par la pandémie de COVID-19 a été amplement utilisé par les entreprises. 

Les mécanismes de soutien à l’économie mis en place par les précédents gouvernements, notamment au travers des PGE (Prêt Garanti Par L’État), avaient été un véritable « succès ». Certaines entreprises, désirant, à juste titre, préserver leur trésorerie et maintenir leurs activités opérationnelles à flot, ont alors profité à l’époque des taux d’intérêt historiquement bas pour contracter des emprunts à des conditions avantageuses qui étaient offertes. 

Aujourd’hui, les conséquences de ce recours à un endettement, parfois jugé opportun et excessif, pèsent dans les bilans des entreprises. Cette bouffée d’oxygène artificiel a un coût non négligeable qui se fait dorénavant grandement ressentir. 

L’inflation galopante, alimentée par des tensions sur les chaînes d’approvisionnement, la hausse des prix de l’énergie et, plus récemment, par la guerre en Ukraine et les conflits au Moyen-Orient, érode les marges des entreprises. La hausse des coûts de production, difficilement répercutable sur les prix de vente dans un contexte de concurrence accrue et de chute du pouvoir d’achat, pèse lourdement sur les résultats des entreprises. 

Le repli de l’EBITDA, observé en 2023 et qui semble s’installer dans la durée, en est la manifestation la plus tangible. Face aux risques opérationnels, les entreprises augmentent leur stock tandis que les délais de paiement client s’allongent. Les entreprises se retrouvent alors dans une situation explosive où le BFR (Besoin en Fonds de Roulement) augmente drastiquement. Les besoins de trésorerie augmentent et les charges diverses liées à ce phénomène pèsent dans les comptes de résultat des entreprises. 

 

Astuce

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L’illusion d’une baisse rapide et durable des taux : un piège aux conséquences potentiellement désastreuses

Face à ce double défi de l’endettement et de la rentabilité, le réflexe naturel est d’espérer une baisse rapide des taux d’intérêt, permettant ainsi d’alléger les charges financières de sonP&L et ouvrant la voie à de nouvelles conditions de refinancement. 

Or, si les banques centrales à travers le monde ont entamé des baisses de taux plus ou moins importantes et rapides, la perspective d’un retour rapide à la normale est loin d'être acquise. Plusieurs éléments incitent en effet à la prudence et à la retenue.

Le risque d’une récession mondiale n’est plus à exclure

Les indicateurs macroéconomiques en ce sens se multiplient. 

Que ce soient les indices PMI qui tendent dangereusement vers leur limite de 50,  le taux de création d’emploi aux USA qui ne cesse de décevoir semaine après semaine, ou encore l’alerte créée par la règle de Sahm depuis plusieurs semaines, le risque est dorénavant avéré et ne sera pas sans conséquences pour les entreprises. Sans compter que les derniers chiffres de l’inflation aux USA en septembre sont supérieurs aux attentes (254 000 créations contre 147 000 prévues), jetant à nouveau un doute sur les perspectives de réduction du taux directeur par la FED (Banque Centrale Américaine).

Combiné à des valorisations record, l’atterrissage pourrait être difficile pour les entreprises en cas de ralentissement marqué de leurs activités économiques et la dégradation de leurs agrégats financiers.

Par ailleurs, les acteurs bancaires, craignant toujours une récession mondiale de grande ampleur, restent frileux sur l’octroi de lignes de financement. Aussitôt qu’une entreprise déçoit ou revoit ses objectifs à la baisse, elle est dès lors lourdement sanctionnée par le marché. À ce niveau de valorisation, aucun faux pas n’est toléré et les entreprises se doivent de présenter des comptes et des perspectives irréprochables. Les cas se multiplient à l’image de Stellantis qui a perdu plus de 50% de sa valorisation en l’espace de 6 mois, provoquant par la même occasion le départ à la retraite de son célèbre dirigeant Carlos Tavares.

L’instabilité du contexte économique pèse lourd dans la balance

Le contexte géopolitique, loin de se stabiliser, continue d'alimenter les incertitudes et la volatilité sur les marchés financiers

Outre la guerre en Ukraine, ce sont les tensions sino-américaines et les crises politiques du Moyen-Orient qui secouent certaines régions du globe et créent un climat d'instabilité qui rend les investisseurs frileux et exigeants en termes de rendement. 

Les flux logistiques sont perturbés (transport, processus de fabrication industriel et approvisionnement) et les coûts ne cessent de s'accroître. L'élection américaine de novembre 2024 pourrait également rebattre les cartes selon les résultats et changer à nouveau les rapports de force mondiaux.

L’impact financier d’une nécessaire transition énergétique

La transition énergétique, nécessaire, mais coûteuse, exerce une pression dorénavant structurelle à la hausse sur les taux d’intérêt dans les années à venir. 

Les investissements massifs requis pour décarboner l'économie, développer les énergies renouvelables et adapter les infrastructures aux effets du changement climatique se traduiront inévitablement par une augmentation des besoins de financement, et donc par une pression à la hausse sur les taux d'intérêt.

Le conseil de l'expert

Repenser le rapport au risque et adopter une approche proactive : nouvelles clés de réussite 

Dans cet environnement incertain et volatil, mieux vaut faire preuve de discernement et d’anticipation. Il ne suffit plus de jongler avec les taux d’intérêt et de rechercher le coût de la dette le plus bas pour financer ses investissements à long terme. La prudence est de mise et l'heure est à une gestion proactive du risque, à la diversification des sources de financement et à la construction d'une stratégie financière solide et résiliente.

Voici quelques pistes concrètes pour vous aider à vous adapter à ce nouveau paysage financier !

Anticiper les échéances de votre dette et renégocier les conditions de financement avant qu'il ne soit trop tard

Anticiper demande, dans un premier temps, d’avoir une vision claire de votre situation et d’identifier très précisément vos échéances. 

Établir des prévisionnels de trésorerie le plus précis possible et sur des échéances plus longues permettra d’analyser exhaustivement la situation et d’établir des projections financières réalistes. 

Attendre le dernier moment pour renégocier une ligne de crédit ou refinancer une obligation peut s'avérer risqué et coûteux. Outre le message négatif envoyé aux investisseurs qui risquent de percevoir cela comme une réaction à la panique, attendre le dernier moment réduira considérablement les possibilités et la marge de négociation avec vos créanciers

Vous devez anticiper vos besoins de financement, vous doter d'une vision claire de votre situation financière et de vos perspectives d'évolution et entamer les discussions avec vos partenaires bancaires et investisseurs suffisamment tôt pour obtenir des conditions avantageuses. 

En cas de besoin, il faudra envisager de recourir à des cessions d’actifs afin d’encaisser de l’argent frais et réduire vos dépenses opérationnelles en recentrant votre activité sur le cœur stratégique de votre entreprise. 

Explorer de nouvelles voies de financement et réduire votre dépendance au système bancaire traditionnel

Le marché obligataire, les fonds de dette privée, le crédit-bail, l'affacturage, le financement participatif ou encore la vente et lease-back d'actifs immobiliers constituent autant de solutions à explorer pour diversifier vos sources de financement, renforcer votre flexibilité financière et réduire votre exposition au risque de taux. 

En effet, la situation économique actuelle doit mettre en lumière également la grande dépendance de nos fleurons français aux politiques monétaires. 

Tout choc et crise économique est également une opportunité pour mettre en lumière les défaillances des systèmes actuels. Ainsi, après une période exceptionnelle de taux bas et de conditions de financement avantageuses (notamment dû aux politiques de Quantitative easing mises en place par les banques centrales dans les années 2010 pour relancer l’économie mondiale et les investissements), les entreprises doivent reprendre l’habitude d’être challengées dans leur financement et de reconsidérer le financement comme un risque opérationnel réel, sérieux et pouvant affecter l’entreprise sur le long terme. Bâtir une stratégie de diversification dans votre financement permettra d'accroître votre résilience. 

Renforcer la qualité de l'information financière et la transparence vis-à-vis des investisseurs. 

Dans un contexte de défiance accrue vis-à-vis des entreprises endettées, la transparence et la qualité de l'information financière sont des atouts précieux pour rassurer les investisseurs, maintenir leur confiance envers la direction générale et accéder à des conditions de financement plus favorables. 

En effet, lorsque la situation économique se complique, il est nécessaire de maintenir une transparence envers ses stakeholders. Tout manquement sera durement sanctionné et ne fera qu’amplifier toute situation délicate dans laquelle se trouverait votre entreprise. Dès lors, il sera en effet plus difficile de négocier avec vos créanciers lorsque le marché évalue un risque ou qu’une crise de confiance s’installe.

Baptiste Dellerie, analyste FP&A Senior, Ex-auditeur financier grands comptes chez Mazars Paris.
 

Bon à savoir

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En conclusion, l'environnement financier actuel, marqué par une incertitude persistante et une volatilité accrue, oblige les entreprises du SBF 120 à faire preuve de plus de prudence, d'agilité et de créativité dans votre gestion financière

L'attentisme et le statu quo ne sont plus de mise. Il est temps d'adopter une approche proactive, de repenser le rapport au risque et de construire une stratégie financière solide et résiliente axée sur ses capacités de financement. 

La résilience devient, dès lors, un facteur clé de succès qui doit permettre de se financer sur le long terme, et ce, malgré les aléas de la situation économique et monétaire mondiale. Être capable de résister aux turbulences du marché et d'assurer la pérennité de son entreprise doit devenir un axe majeur de développement pour les entreprises et les directions financières.