Vivendi 2024 : Bilan et perspectives financières
Explorez l’analyse détaillée des résultats 2024 de Vivendi, avec son bilan post-scission, ses défis financiers et les clés pour comprendre cette transformation.

La finance peut sembler opaque lorsqu’on parcourt des états financiers remplis de chiffres, de lignes comptables et d’acronymes. Pourtant, derrière chaque résultat se joue l’évolution stratégique d’une entreprise et sa capacité à créer de la valeur. Avec l’exemple récent des comptes 2024 de Vivendi, examinons ensemble les points clés et les pistes d’amélioration pour éclairer les lecteurs non spécialistes.
Un aperçu global des résultats : changement de cap pour Vivendi
Après une année 2024 marquée par la scission de plusieurs entités (dont Canal+ et Louis Hachette Group) intervenue le 13 décembre 2024, Vivendi se recentre sur son rôle d’acteur des industries de contenus, des médias et du divertissement. La société conserve désormais la majorité de ses parts dans Gameloft et détient diverses participations stratégiques (Universal Music Group, Banijay Group, MediaForEurope, Telefónica, etc.).
Parallèlement, plusieurs effets non récurrents ont bouleversé ses chiffres annuels, notamment la déconsolidation des branches cédées. Les résultats financiers issus de cette réorganisation en profondeur se traduisent par un chiffre d’affaires 2024 de 297 millions d’euros pour les activités poursuivies, en retrait de 4,9 % par rapport à 2023. Sur le plan opérationnel, les charges liées à la scission et aux amortissements ont exercé une pression importante, faisant ressortir un résultat net part du groupe en nette perte, à -6 004 millions d’euros. À l’inverse, une note plus positive se dégage du résultat net ajusté, qui atteint 111 millions d’euros et signale la performance sous-jacente des activités maintenues.
La scission est une opération qui sépare une ou plusieurs activités d’une société mère afin d’en faire des entités indépendantes. Pour Vivendi, elle visait à redéfinir son portefeuille et à donner plus de visibilité à des filiales majeures. Ce type de transformation stratégique impacte lourdement les indicateurs financiers, du fait des déconsolidations et des frais de transaction associés.
Dans cette analyse, nous allons décrypter ces chiffres et proposer une vulgarisation des notions financières clés à travers les états communiqués par Vivendi pour l’exercice 2024.
Décryptage du compte de résultat : entre contraintes et opportunités
Le compte de résultat présente la performance économique de l’entreprise sur une période donnée. Celui de Vivendi pour 2024 affiche :
- Un chiffre d’affaires de 297 millions d’euros, contre 312 millions en 2023 (baisse de 4,9 %)
- Un résultat opérationnel ajusté (EBITA) de -1 million d’euros, en amélioration significative par rapport à -33 millions en 2023
- Un résultat net part du groupe négatif à hauteur de -6 004 millions d’euros
- Un résultat net ajusté de 111 millions d’euros, traduisant la profitabilité des activités conservées, hors conséquences comptables de la scission
Ce contraste met en évidence l’importance de distinguer les performances courantes des éléments exceptionnels. D’un côté, la société a subi d’importantes moins-values de déconsolidation, de l’autre, l’activité poursuivie montre une progression et un espoir de croissance future.
Bon à savoir sur IFRS 5
IFRS 5 est la norme comptable qui régit le traitement des activités abandonnées ou destinées à être vendues. Les revenus et charges de ces activités sont reclassés dans le compte de résultat sur une ligne distincte, offrant une lecture plus claire des activités poursuivies par le groupe.
Pour 2024, le repli du chiffre d’affaires par rapport à 2023 découle principalement d’un léger recul chez Gameloft (passant de 311 à 293 millions), tandis que le solde de 4 millions d’euros émane de divers revenus “Autres”.
Sur le plan des coûts, la maîtrise des charges opérationnelles est à souligner : Gameloft a engagé un plan de réduction des dépenses (environ 11 % de baisse). Ces initiatives se reflètent dans l’EBITA quasi à l’équilibre, un saut encourageant par rapport à l’an dernier. Néanmoins, l’EBIT (résultat opérationnel) reste durement affecté par des postes atypiques tels que la dépréciation des écarts d’acquisition et les conséquences financières de la scission.
Analyse des ratios financiers clés : comprendre l’essentiel
Les ratios financiers permettent de donner une vue synthétique de la performance et de comparer les chiffres d’une année sur l’autre ou avec d’autres entreprises du même secteur.
- Marge brute = (Chiffre d’affaires - Coût des ventes) / Chiffre d’affaires
- Marge d’exploitation (ou marge opérationnelle) = Résultat opérationnel (EBIT) / Chiffre d’affaires
- Rentabilité nette = Résultat net part du groupe / Chiffre d’affaires
- Ratio d’endettement = Endettement financier net / Capitaux propres (pour évaluer la structure de financement)
Sur la base des données de Vivendi en 2024 :
- Marge brute :
Le chiffre d’affaires est de 297 M€, et le coût des ventes s’élève à 211 M€. La marge brute atteint donc (297 - 211) / 297 ≈ 29 %. Elle se maintient à un niveau voisin de celle de 2023 (environ 29,2 %), ce qui traduit une certaine stabilité dans la rentabilité opérationnelle de base. - Marge d’exploitation :
Avec un EBIT à -264 M€ et un chiffre d’affaires de 297 M€, la marge d’exploitation ressort à -264 / 297 ≈ -88,9 %. Ce niveau particulièrement négatif est fortement lié aux amortissements et dépréciations exceptionnelles (dont -140 millions sur l’écart d’acquisition de Gameloft) et aux coûts afférents à la scission. - Rentabilité nette :
Le résultat net part du groupe (pour les activités poursuivies et cédées confondues) étant de -6 004 M€, on obtient -6 004 / 297 ≈ -2 022 %. Ce ratio extrêmement négatif illustre l’ampleur des effets de la scission qui viennent gréver le résultat. - Ratio d’endettement :
Au 31 décembre 2024, la dette financière nette est estimée à 2 072 M€ (ajustée du prêt à Lagardère). Les capitaux propres attribuables aux actionnaires de Vivendi SE, après la scission, s’élèvent à 4 592 M€. Nous obtenons un ratio 2 072 / 4 592 ≈ 0,45. Ce niveau d’endettement reste maîtrisé, quoiqu’en hausse si l’on compare à une période antérieure à la scission.
Le résultat net ajusté exclut les éléments non récurrents et donne une image plus “pure” de la performance opérationnelle et financière. Pour Vivendi, ce résultat se situe à 111 M€, un signe de résilience compte tenu des turbulences stratégiques de l’année 2024.
Éléments marquants et axes d’amélioration
Si le résultat consolidé paraît très dégradé, il n’est pas représentatif de la vigueur sous-jacente du nouveau Vivendi post-scission. Plusieurs atouts et faiblesses ressortent :
Points forts :- Résilience de Gameloft : Avec 14 M€ d’EBITA hors charges de restructuration, l’éditeur de jeux vidéo conforte sa remontée. Il a su diversifier son portefeuille (PC, console, mobile) et maîtriser ses charges.
- Dividendes conséquents reçus des participations : Universal Music Group (93 M€) et d’autres (Banijay Group, MediaForEurope) soutiennent la trésorerie de Vivendi.
- Réduction des coûts de structure : Le siège optimise son fonctionnement, comme en témoigne le passage de -33 M€ à -1 M€ d’EBITA sur les activités poursuivies.
- Positionnement stratégique confirmé : Vivendi reste focalisé sur les contenus, médias et divertissement, des secteurs en mutation où l’entreprise détient des actifs d’envergure mondiale.
- Impact massif de la scission : Les moins-values de déconsolidation (-5 875 M€) plombent lourdement le résultat net.
- Risque de dépréciation supplémentaire : La dépréciation de -140 M€ sur l’écart d’acquisition de Gameloft pourrait appeler d’autres ajustements si l’économie se dégradait ou si la concurrence s’intensifiait.
- Stagnation du chiffre d’affaires : Gameloft a encore des relais de croissance à mobiliser pour sortir d’une relative stagnation (baisse de -4,9 % de CA global pour Vivendi).
- Fluctuations de marché : La valeur des participations (UMG, Banijay, MediaForEurope, etc.) dépend fortement des cours boursiers, introduisant une volatilité future dans l’actif net réévalué.
Pour renforcer la profitabilité et consolider ses positions, la société pourrait :
- Augmenter les investissements ciblés dans le jeu vidéo multiplateformes et l’innovation chez Gameloft, pilier de croissance organique.
- Poursuivre la gestion dynamique de ses participations pour saisir d’éventuelles plus-values sur le marché et réinvestir dans de nouvelles opportunités.
- Optimiser les synergies entre les différentes filiales et participations pour développer des offres communes (promotion croisée de contenus, par exemple).
- Maintenir la discipline financière via une bonne maîtrise de l’endettement, notamment si la conjoncture se durcit.
Le regard sur Gameloft : un éditeur en plein virage
Gameloft, détenu à 100 % par Vivendi, a réalisé un chiffre d’affaires de 293 M€, soit une baisse de 5,7 % par rapport à 2023, mais avec un net rééquilibrage des canaux de distribution. Désormais, 42 % du CA est issu du segment PC/console, signalant un tournant stratégique puisque la filiale a longtemps été cantonnée au mobile.
Plusieurs titres phares soutiennent cette diversification : Disney Dreamlight Valley, Asphalt Legends Unite, Disney Magic Kingdoms ou encore March of Empires. En outre, la politique de réduction des dépenses (charges opérationnelles en recul de 11 %) a permis à Gameloft d’afficher un EBITA de 8 M€ en 2024, en forte hausse.
Cet exemple illustre la volonté du groupe de miser sur des activités à fort potentiel de croissance (le marché mondial du jeu vidéo ne cesse de se consolider et de progresser). Les charges de restructuration ponctuelles ont encore limité l’envolée de la rentabilité, mais le rebond reste visible.
Fondée en 1999, Gameloft s’est fait connaître par des jeux mobiles, bénéficiant rapidement de l’essor des smartphones. Rachetée par Vivendi en 2016, elle amorce une diversification vers d’autres plateformes, tout en développant des licences partenaires telles que Disney, et ses propres franchises comme Asphalt.
Points clés sur l’Actif Net Réévalué et la structure financière
L’Actif Net Réévalué (ANR) est estimé à 4,829 milliards d’euros, soit 4,69 € par action. Il reflète la valorisation totale du portefeuille d’actifs (cotés et non cotés) de Vivendi, déduction faite des passifs financiers.
Derrière ce chiffre de 4,829 milliards d’euros, on retrouve :
- Universal Music Group (UMG) : Participation de 9,94 %, valorisée à 4 494 M€
- Telecom Italia : 17,04 % du capital, évalué à 898 M€
- Banijay Group : Valorisé à 691 M€
- MediaForEurope (ex Mediaset) : 397 M€
- Telefonica : 232 M€
- Lagardère : 136 M€, désormais minoritaire
- Gameloft : 234 M€ (valeur comptable, car non coté)
En contrepartie, Vivendi fait face à :
- Passifs financiers : 2 650 M€ (emprunts obligataires, dettes bancaires)
- Provisions (retraite, risques divers) : 311 M€
Focus sur la scission et l'ANR
La scission de Canal+, Louis Hachette Group et Havas impacte la composition de l’ANR : Vivendi n’inclut plus ces entités au sein de son périmètre, ce qui abaisse le poids des actifs “intégrés” et gonfle éventuellement le poste de moins-values en résultat.
La structure de bilan demeure relativement saine, avec un niveau d’endettement globalement soutenable. La société compte sur les dividendes de ses participations (167 M€ reçus en 2024) pour financer en partie ses nouvelles orientations.
Comparaison de la performance 2024 avec l’année 2023
Si l’on met en miroir les exercices 2023 et 2024, la société affiche :
- Un chiffre d’affaires global en faible recul (-4,9 %), centré désormais sur Gameloft et les revenus résiduels.
- Un EBITA qui passe de -33 M€ à -1 M€, démontrant une nette amélioration opérationnelle.
- Une marge brute relativement stable autour de 29 %.
- Un résultat net ajusté passant de 336 M€ à 111 M€, reflétant l’alourdissement des charges financières et fiscales, même si l’opérationnelle s’améliore.
Le choc principal réside dans la perte nette de -6 004 M€, très éloignée des +405 M€ de 2023. Toutefois, il s’agit d’un effet principalement comptable, lié aux moins-values de déconsolidation et au traitement IFRS 5 des activités cédées. Cette faiblesse doit être relativisée pour apprécier la dynamique future de la “nouvelle” Vivendi.
Recommandations concrètes pour améliorer la performance
Face à ce paysage, voici cinq leviers à actionner pour mieux exploiter les opportunités :
- Renforcer la dynamique de croissance organique : Les investissements dans l’édition de jeux vidéo, par exemple, doivent être amplifiés pour stimuler le chiffre d’affaires et améliorer la rentabilité à moyen terme.
- Accélérer la stratégie multiplateforme : En s’appuyant sur les succès de Gameloft sur PC et console, une montée en puissance sur les nouvelles technologies (cloud gaming, streaming) peut doper les perspectives.
- Encourager les synergies entre participations : Banijay Group (production de contenus audiovisuels) et MediaForEurope (diffusion) offrent potentiellement des complémentarités avec Gameloft (marketing croisé, licences, etc.).
- Poursuivre l’optimisation financière : La réduction des coûts de structure et la gestion rigoureuse de la dette demeurent clés pour limiter l’effet de levier et préserver la notation de crédit.
- Communiquer avec transparence : À l’image de la certification blockchain des communiqués, Vivendi doit continuer à renforcer sa crédibilité auprès des investisseurs, notamment au sujet des déclinaisons stratégiques post-scission.
Zoom sur la politique de distribution aux actionnaires
En 2024, Vivendi a racheté 35,1 millions de ses propres actions pour 342,2 M€. Ce programme de rachat d’actions (share buyback) vise à soutenir le cours de bourse et peut contribuer à créer de la valeur lorsqu’il est fait à bon escient. Parallèlement, un dividende de 0,04 € (4 centimes) par action sera proposé à l’Assemblée générale du 28 avril 2025, pour un rendement estimé autour de 1,5 %.
Cette approche “mesurée” en matière de rémunération des actionnaires, conjuguée au maintien d’un budget dédié au buyback, témoigne d’une volonté de concilier la préservation de la trésorerie et la politique de récompense à l’égard des actionnaires.
L’importance de la responsabilité sociétale (RSE) dans la stratégie
Dès 2003, Vivendi a intégré la responsabilité sociétale dans sa gouvernance. L’entreprise se penche sur la diversité culturelle, l’éducation aux médias et la contribution sociale de ses activités. Les métiers du divertissement, notamment via le jeu vidéo, soulèvent parfois des questions de dépendance ou de protection des mineurs. Il est donc stratégique pour un groupe comme Vivendi de bien cadrer ses pratiques et de démontrer son engagement.
Le rôle de la RSE dans la finance
Les investisseurs et les régulateurs s’intéressent de plus en plus aux pratiques environnementales, sociales et de gouvernance. L’inclusion d’objectifs RSE valorise la marque employeur et peut se traduire par une prime de valorisation sur les marchés.
Dans le contexte de la scission, Vivendi met en avant sa volonté de pérenniser ses engagements RSE : poursuivre l’innovation responsable, encourager la création inclusive et sensibiliser aux enjeux culturels.
Vers de nouvelles perspectives
À l’issue de cette transformation, Vivendi affiche un profil plus ciblé, centré sur ses “joyaux” : Gameloft et ses participations dans des fleurons mondiaux de la création (Universal Music Group, Banijay, etc.). Les événements financiers de 2024, certes spectaculaires (résultat net affiché négatif), doivent être relativisés : ils traduisent surtout les effets comptables de la scission. En réalité, l’amélioration de l’EBITA, la progression de Gameloft et la bonne gestion des coûts de structure montrent que le groupe est en voie de consolider son socle de rentabilité.
Sa mission, pour les mois et années à venir, consistera à renforcer sa crédibilité auprès des actionnaires, à dynamiser la croissance de Gameloft, tout en veillant à capitaliser sur ses participations. Les marges de manœuvre financières, bien qu’entamées par les coûts de la scission, restent suffisantes pour saisir de nouvelles opportunités dans le secteur.
En définitive, Vivendi se dote des leviers pour naviguer dans un paysage médiatique et culturel en pleine mutation, avec un cap stratégique marqué par la créativité, la diversification et la solidité financière.