Forte de plusieurs décennies d’expertise dans la haute technologie, Thales a clôturé l’année 2024 sur des chiffres prometteurs : l’entreprise franchit le seuil des 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires et enregistre un carnet de commandes record de plus de 50 milliards d’euros.

Les marchés stratégiques de la Défense, de l’Aérospatial et de la Cyber & Digital soutiennent cette dynamique. Au-delà des indicateurs purement financiers, la société met également en avant d’importants engagements sociétaux et environnementaux qui confirment son virage vers une RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) active.

Cet article, riche et détaillé, a pour but de livrer une analyse approfondie de la performance financière et opérationnelle de Thales, d’identifier ses forces et axes d’amélioration, tout en proposant des éclairages sur ses perspectives de croissance dans un contexte géopolitique de plus en plus tendu.

Une vision globale des performances 2024

L’année 2024 s’impose comme un véritable tournant pour Thales : le chiffre d’affaires progresse de 11,7 % en valeur totale, soit +8,3 % à périmètre et taux de change constants, pour s’établir à 20,6 milliards d’euros (contre 18,4 milliards en 2023). Dans le même temps, les prises de commandes affichent une hausse de 9 % (soit 25,3 milliards d’euros), dont +6 % en organique.

Ces performances globales se traduisent par une rentabilité à la hausse : l’EBIT Ajusté grimpe à 2 419 millions d’euros (contre 2 132 millions l’an passé), et le résultat net ajusté, part du Groupe atteint 1 900 millions d’euros, en progression de 7 %. En parallèle, le free cash-flow opérationnel (activités poursuivies) s’élève à 2 142 millions d’euros, ce qui représente un accroissement de 9 % par rapport à 2023 et démontre une gestion de trésorerie particulièrement performante.

Du point de vue sectoriel, le fort élan provient notamment du pôle Défense (+13,3 % en croissance organique) et du segment Cyber & Digital (dont la progression totale s’avère largement tirée par les acquisitions récentes). L’Aérospatial augmente de +2,9 % en organique, porté par les divisions Avionique, même si les activités spatiales ont dû composer avec une demande géostationnaire en repli. Malgré l’excellent bilan, certains défis perdurent, notamment la dépendance à la demande institutionnelle et l’impact de nouvelles dispositions fiscales.

Bon à savoir : l’effet du carnet de commandes

Un carnet de commandes dépassant 50 milliards d’euros procure une visibilité financière et stratégique considérable, sur plusieurs années. Cela permet de planifier la production, de sécuriser une partie du chiffre d’affaires futur et de disposer d’un levier de négociation important vis-à-vis des fournisseurs, garantissant un effet d’optimisation sur la chaîne d’approvisionnement.

Analyse chiffrée et ratios financiers clés

Pour mesurer la performance de Thales sur différents plans (efficacité opérationnelle, rentabilité, structure financière, etc.), il est utile d’avoir recours à divers ratios financiers. Au vu des données publiées pour l’exercice 2024, cinq ratios méritent une attention particulière, chacun éclairant un aspect précis de la gestion de l’entreprise. Retrouvez-les ci-dessous sous forme de tableau synthétique avec leur mode de calcul et leur portée.

Ratio Calcul Analyse
Marge brute (Chiffre d’affaires – Coût d’activité ajusté) / Chiffre d’affaires Malgré l’inflation et la hausse de certaines matières, Thales parvient à maintenir une marge brute robuste. Cela reflète une valorisation pertinente de ses services (notamment en Défense) et une bonne maîtrise des coûts directs.
Marge d’exploitation EBIT Ajusté / Chiffre d’affaires Avec 2 419 M€ pour 20,6 Mds€ de ventes, la marge d’exploitation flirte avec les 11,8 %. Ce résultat, en légère hausse, illustre la capacité de Thales à optimiser ses charges indirectes et à gérer finement son levier opérationnel. Le segment Défense contribue particulièrement à cette progression.
Rentabilité nette Résultat net ajusté, part du Groupe / Chiffre d’affaires La rentabilité nette s’élève à près de 9 % (1 900 M€ / 20,6 Mds€), confirmant la solidité du modèle économique. Les grands contrats, la structure de coûts efficace et la diversification dans la cybersécurité sont les principales clés de cette rentabilité.
Ratio de conversion cash Free cash-flow opérationnel (poursuivies) / Résultat Net Ajusté Avec 2 142 M€ de free cash-flow (poursuivies) pour 1 900 M€ de résultat net ajusté, on obtient un ratio de conversion supérieur à 110 %. Ce maintien au-dessus de 100 % depuis plusieurs années témoigne de la capacité de l’entreprise à transformer ses bénéfices en liquidités, facteur déterminant pour financer la R&D et alimenter la dynamique d’acquisitions.
Endettement net (Dettes financières – Trésorerie – Équivalents de trésorerie – Actifs financiers courants) La dette nette recule à 3 044 M€ fin 2024, contre 4 190 M€ un an plus tôt. Cette amélioration s’explique par le solide cash-flow, la cession de l’activité Transport au 31 mai 2024 et la maîtrise d’une stratégie d’acquisitions raisonnée. Le Groupe bénéficie ainsi d’une flexibilité financière appréciable.

L’EBIT Ajusté, quant à lui, reflète une performance opérationnelle “pure”, en écartant les coûts et revenus non récurrents ou liés aux regroupements d’entreprises. Ainsi, la progression de ce paramètre – parallèle à celle du chiffre d’affaires – démontre la capacité de Thales à préserver des marges attractives malgré la montée en puissance des investissements et l’augmentation de la pression concurrentielle.

L’EBIT Ajusté exclut des éléments non récurrents (charges d’acquisition, amortissement d’actifs liés à des regroupements, etc.) et inclut la quote-part des sociétés mises en équivalence. Cette méthodologie permet de mieux évaluer la rentabilité de l’activité “courante”, indépendamment des événements exceptionnels. Les analystes et investisseurs le suivent de près pour juger de la bonne santé opérationnelle de la société.

Points saillants et éclairages sectoriels

Thales est structuré en plusieurs secteurs opérationnels, chacun confronté à des réalités marché distinctes :

  • Aérospatial : Le chiffre d’affaires de 5,47 milliards d’euros correspond à une croissance organique de 2,9 %. Le retour du trafic aérien booste l’Avionique (capteurs, divertissement à bord, etc.), mais la division spatiale pâtit d’une moindre demande pour les satellites géostationnaires. Cependant, de nouvelles opportunités émergent, comme la télécommunication non-géostationnaire, l’observation et l’exploration.
  • Défense : Avec 10,97 milliards d’euros de CA (croissance de +13,3 % en organique), ce secteur est à la fois le plus important et le plus dynamique. Les capacités de production s’élargissent pour répondre à des commandes militaires en hausse. Les radars, systèmes de surveillance, munitions et solutions aériennes constituent des piliers forts.
  • Cyber & Digital : Le chiffre d’affaires total grimpe de 14,8 %, soutenu par les acquisitions d’Imperva et de Tesserent. En organique, la croissance reste plus tempérée (+1,4 %), certains clients ayant réduit temporairement leurs volumes de commandes (phénomène de déstockage). À moyen terme, la montée des cybermenaces et la généralisation du cloud promettent néanmoins un fort potentiel pour cette division.

L’équilibre entre ces trois pôles, très différents en termes de cycles et de clientèle, contribue à la robustesse globale du Groupe. La Défense stabilise le chiffre d’affaires via des contrats pluriannuels, la Cyber & Digital offre des perspectives de croissance rapides (mais nécessite d’importants investissements), tandis que l’Aérospatial, bien que plus cyclique, évolue sur une base de clients civils et institutionnels plus variée.

Forces et éléments de différenciation

Plusieurs caractéristiques placent Thales en position de force pour affronter un environnement mouvant :

  1. Positionnement technologique de pointe : Thales investit plus de 4 milliards d’euros en R&D, misant sur la cybersécurité, l’IA, le quantique et l’électronique embarquée. Cette innovation permanente lui confère une longueur d’avance face à de nombreux concurrents.
  2. Portefeuille diversifié : Du militaire au civil, du matériel aux solutions logicielles, le Groupe peut encaisser un ralentissement d’un segment sans mettre en péril l’ensemble de l’activité.
  3. Stratégie d’acquisitions ciblées : Cobham AeroComms ou Imperva renforcent le périmètre, accroissant rapidement la part de revenus issus de produits et services premium, et accélérant la présence sur des marchés internationaux clés.
  4. Solidité financière et forte génération de trésorerie : Le maintien d’un taux de conversion de résultat net ajusté en free cash-flow au-dessus de 100 % sur plusieurs années témoigne d’une très bonne gestion du BFR et d’une politique de trésorerie efficace.
  5. Positionnement RSE et extra-financier : L’entrée de Thales dans le CAC 40 ESG et la réduction accélérée de ses émissions de CO₂ (+ l’accent mis sur la mixité) font écho aux attentes sociétales, ce qui peut devenir un argument crucial lors de futurs appels d’offres internationaux.

Grâce à ces atouts, le Groupe se démarque sur un marché mondial de la défense et de la sécurité saturé de concurrents. Les récentes commandes internationales démontrent la confiance que lui accordent les gouvernements et les grandes organisations.

Dans la Défense et le Spatial, la collaboration avec les agences gouvernementales (ministères, Agences spatiales) demeure essentielle. Thales y puise une stabilité économique et financière, via des contrats longs et dotés de budgets considérables. Ces coopérations public-privé facilitent aussi le co-développement de nouvelles technologies, multipliant les opportunités de retombées commerciales sur les marchés civils.

Grâce à un positionnement technologique de pointe, un portefeuille diversifié, des acquisitions ciblées, une solide santé financière et un engagement ESG reconnu, Thales se distingue sur un marché concurrentiel en misant sur l’innovation, l’adaptabilité et la confiance des gouvernements et grands acteurs internationaux.

Faiblesses et zones de vigilance

Malgré ces bases solides, Thales fait face à des contraintes qui peuvent fragiliser son développement futur :

  • Dépendance aux marchés institutionnels et militaires : Une part conséquente de l’activité dépend des politiques publiques de défense. Un revirement budgétaire ou une réorientation géopolitique pourrait ralentir la demande.
  • Faiblesse du marché géostationnaire : La baisse de la demande en satellites télécoms traditionnels (GEO) pèse sur la rentabilité de Thales Alenia Space. Bien que compensée par des projets d’orbite basse ou des missions scientifiques, l’adaptation reste un défi.
  • Pression concurrentielle dans la cybersécurité : Sur ce segment porteur, des géants comme Palantir ou IBM (via ses solutions de sécurité cloud) rivalisent d’innovation. La compétition s’intensifie également face à des acteurs européens (Atos, Airbus CyberSecurity) et israéliens (Check Point, Palo Alto Networks, etc.).
  • Risque d’inflation des coûts : Les prix des composants clés (semi-conducteurs, métaux rares) restent volatils. Un approvisionnement difficile peut contraindre les délais et rogner les marges, d’autant que certains contrats sont signés avec des clauses de prix fixes.
  • Environnement fiscal complexe : La surtaxe temporaire prévue en France pour 2025 (faisant grimper le taux d’IS à 36,13 %) pourrait grever le résultat d’environ 80 M€, sans compter l’impact sur Naval Group. Cette surcharge fiscale doit être anticipée dans la politique de dividendes et de financement.

La gestion des risques s’impose donc comme une priorité stratégique : maîtrise de la supply chain, couverture contre les variations de taux et de devises, veille réglementaire et fiscale. Toute défaillance en la matière peut altérer la compétitivité du Groupe.

Encadré : focus sur le segment Spatial

Les activités Spatiales (Thales Alenia Space) gravitent autour de missions variées : observation, télécommunication, exploration, navigation. Le recul du marché des télécoms en orbite géostationnaire impose une refonte de l’offre, tout en investissant dans les futures plateformes (constellations LEO, charge utile pour la station cislunaire Gateway, etc.). La perspective de grands programmes financés par l’Agence spatiale européenne (ESA), la NASA ou encore des agences nationales soutient une partie de l’activité, mais la concurrence d’acteurs privés comme SpaceX dans les lancements oblige Thales à constamment innover et s’aligner sur de nouveaux standards.

Qui est Thales ?

Thales est né de la fusion entre Thomson-CSF et la branche défense de Racal. Aujourd’hui, il compte plus de 83 000 collaborateurs et intervient dans 68 pays, se distinguant par une compétence diversifiée englobant la défense, le spatial, l’avionique, la cyberprotection et le digital. Son ADN repose sur des valeurs d’innovation technologique, de fiabilité et de sûreté, dimensions cruciales pour les marchés où la qualité et la sécurité sont des impératifs absolus (transport aérien, systèmes militaires, services bancaires, etc.).

Le Groupe s’appuie principalement sur trois pôles majeurs :

  • Défense & Sécurité : radars, systèmes de combat, solutions de communication et de renseignement, équipements de pointe pour les forces terrestres, navales et aériennes.
  • Aérospatial : avionique, systèmes de navigation, divertissement à bord, satellites d’observation et de télécommunication, segment spatial militaire.
  • Cyber & Digital : logiciels de sécurité, protection des données, connectivité mobile (eSIM), solutions de paiement, plateformes cloud sécurisées, IA, etc.

Cet ancrage multidisciplinaire lui permet de gérer, de manière modulable, des projets complexes et d’anticiper des disruptions technologiques dans plusieurs domaines. Ces dernières années, l’essor de la connectivité et la nécessité de protéger les infrastructures vitales ont renforcé la pertinence d’une stratégie “hybride” entre matériel et logiciel, physique et cyber.

Un contexte géopolitique sous haute tension

Au cours des dernières années, le monde a vu resurgir des tensions internationales majeures. Les menaces liées à l’usage de l’arme nucléaire ou la prolifération de technologies avancées dans des zones politiquement sensibles modifient radicalement les priorités de nombreux gouvernements. En Europe, la guerre en Ukraine a déjà enclenché une réévaluation des dépenses de défense : plusieurs pays européens ont annoncé vouloir atteindre, voire dépasser, l’objectif de 2 % du PIB pour la Défense.

Dans le même temps, d’autres puissances investissent massivement dans la modernisation de leurs arsenaux, que ce soit en missiles de nouvelle génération, systèmes antimissiles, surveillance spatiale ou cybersécurité offensive et défensive. Les États-Unis ont par exemple alloué des budgets records à la modernisation nucléaire, tandis que des nations asiatiques comme le Japon réévaluent leurs doctrines de défense face à des menaces régionales accrues.

Portée par l’essor des menaces hybrides, la modernisation accélérée des capacités de dissuasion, l’intégration rapide de l’IA, de la connectivité 5G/6G et le renforcement des alliances internationales, l’industrie de l’armement et de la sécurité — dont Thales et d’autres géants comme Lockheed Martin ou Palantir — se prépare à une période de croissance durable. 

Thales, de même que d’autres groupes internationaux comme Lockheed Martin, BAE Systems, Airbus Defence and Space, Palantir (spécialisé dans l’analyse de données et l’IA au service du renseignement) ou encore Northrop Grumman et Raytheon, se trouve au cœur de cette nouvelle donne. L’industrie de l’armement et de la sécurité devrait connaître un cycle prolongé de croissance, porté par :

  • La multiplication des menaces hybrides : combiner des moyens conventionnels, cyber et spatiaux.
  • La nécessité pour les États de renforcer leurs capacités de dissuasion : qu’elles soient nucléaires ou conventionnelles, pour se prémunir d’actions coercitives ou agressives d’autres puissances.
  • L’évolution technologique rapide : intégration de l’intelligence artificielle dans la défense (reconnaissance automatisée, traitement d’images satellites), de la connectivité 5G et bientôt 6G pour les communications militaires.
  • Le soutien grandissant aux alliances internationales : OTAN en tête, où les États membres cherchent à atteindre les objectifs de dépense en matière de défense pour 2025-2030.

Cette reconfiguration géopolitique, marquée par un regain de tensions nucléaires et par des conflits régionaux multiples, représente un socle favorable pour Thales et les autres grands acteurs de la défense et de la sécurité. Malgré tout, elle implique aussi une responsabilité éthique, Thales devant composer avec des règles strictes en matière d’exportation de matériel sensible, et veiller à l’usage final de ses technologies. Toutefois, l’orientation générale à la hausse des budgets de défense, tant en Europe qu’en Asie, Moyen-Orient ou Amérique du Nord, constitue un facteur de croissance incontournable pour la décennie à venir.

Pistes d’amélioration et recommandations

Si l’entreprise paraît bien positionnée pour maintenir sa trajectoire de croissance, quelques leviers peuvent être actionnés pour consolider ou renforcer cet élan :

  1. Renforcer le dispositif de veille géopolitique et des risques : Dans un contexte de tensions internationales, anticiper l’évolution des budgets de défense nationaux et les contraintes liées aux alliances (Union européenne, OTAN, etc.) permettra à Thales d’adapter rapidement ses offres.
  2. Poursuivre la stratégie d’acquisitions ciblées : La cybersécurité, la défense navale ou l’aviation civile avancée constituent des segments à fort potentiel. Identifier et racheter des sociétés spécialisées permet de compléter la chaîne de valeur (comme l’a fait Thales avec Imperva pour la cyber) et d’élargir l’empreinte géographique.
  3. Maximiser les synergies internes : Exploiter la complémentarité entre les divisions (Défense, Spatial, Cyber & Digital) peut stimuler l’offre de produits intégrés. Par exemple, combiner des technologies de radar avec l’analyse de données massives (IA) pour créer un système de surveillance unifié.
  4. Accentuer la gestion de la supply chain : S’assurer une capacité de production adéquate, surtout dans la Défense où le carnet de commandes est élevé, implique de sécuriser les approvisionnements. Nouer des partenariats de long terme avec des fournisseurs critiques (semi-conducteurs, optique) est essentiel.
  5. Maintenir un haut niveau d’innovation : Les acteurs concurrents sont nombreux et investissent massivement. Prolonger l’effort R&D – voire l’accentuer – s’avère vital pour conserver une avance technologique. Les programmes de recherche sur l’IA, la 5G/6G ou le quantique auront un rôle clé dans les prochaines années.
  6. Renforcer la RSE : Poursuivre les actions en faveur de la mixité, de la limitation de l’empreinte carbone et de la transparence dans la chaîne d’approvisionnement. Les donneurs d’ordre publics sont de plus en plus sensibles à ces volets extra-financiers, qui peuvent être discriminants lors des appels d’offres.

La performance extra-financière s’impose comme un critère incontournable pour les États et les grands groupes privés lors de la sélection de partenaires. Dans la défense, un groupe capable de concilier technologie de pointe et responsabilité éthique gagne en crédibilité. Les aspects de sobriété énergétique ou de réduction de l’empreinte carbone dans la production d’équipements de pointe, tout comme l’éco-conception de certains segments, valorisent le positionnement de Thales. Par ailleurs, l’insertion de clauses ESG dans les appels d’offres internationaux pourrait se renforcer, récompensant les entreprises ayant une démarche volontaire et ambitieuse en la matière.

Focus sur la politique de dividende et la structure de capital

Thales poursuit une politique de redistribution stable : le dividende par action proposé pour 2024 s’établit à 3,70 euros, dont 0,85 euro déjà versé en acompte. Cela équivaut à un taux de distribution de 40 % du Résultat Net Ajusté. Cette approche offre un équilibre :

  • Récompenser les actionnaires et consolider l’attrait boursier.
  • Préserver la capacité d’autofinancement nécessaire à la R&D et aux investissements industriels (dont la modernisation de sites ou l’augmentation de capacités de production, particulièrement pressante en Défense).

Entre 2023 et 2024, Thales a d’ailleurs réduit sa dette nette de 1 146 M€ (passant de 4 190 M€ à 3 044 M€) tout en menant un programme de rachat d’actions, preuve d’une solide génération de trésorerie. Le groupe peut donc, si nécessaire, mobiliser rapidement des ressources pour de nouvelles opérations de croissance externe, sous réserve que les marchés financiers restent stables.

Le rôle du free cash-flow opérationnel

Le free cash-flow opérationnel (activités poursuivies + non poursuivies) se situe à 2 027 M€ en 2024, un niveau quasi identique à 2023. La part correspondant uniquement aux activités poursuivies s’élève, elle, à 2 142 M€ (contre 1 968 M€ en 2023). Plusieurs facteurs concourent à ce niveau élevé :

  • Cycle d’exploitation bien maîtrisé : Les encaissements sur grands contrats de Défense sont souvent précédés d’avances, facilitant le financement des productions.
  • Programme CA$H! : Thales poursuit l’objectif de conversion maximal du résultat net ajusté en liquidités, misant sur une gestion rigoureuse des créances et des stocks.
  • Sortie de l’activité Transport : La cession a également permis de dégager des liquidités supplémentaires, tout en réduisant la complexité d’ensemble.

Cette flexibilité financière offre au Groupe des marges de manœuvre non négligeables pour accélérer ses investissements en R&D ou saisir des opportunités d’acquisition. Dans un contexte où la digitalisation des procédés de défense et la demande en cybersécurité augmentent, cette capacité d’investissement constitue un avantage concurrentiel. Le choix d’investir résolument dans des technologies de rupture, telles que l’intelligence artificielle ou la détection quantique, exige un capital important, dont Thales dispose.

Un regard sur l’extra-financier : la dimension RSE

Au-delà des performances purement économiques, Thales se distingue par des engagements RSE concrets :

  • Réduction des émissions de CO₂ : -56,8 % sur les scopes 1 et 2 depuis 2018 et -24,7 % sur le scope 3, dépassant déjà les objectifs prévus pour 2030. L’attention se focalise désormais sur l’accélération d’autres initiatives environnementales, comme la conception de produits plus économes en ressources.
  • Diversité et inclusion : Le pourcentage de femmes dans les postes de direction atteint 21,1 %, en progression de 0,7 point sur l’année. L’objectif affiché de 22,5 % d’ici 2026, tout en soutenant la parité de manière générale, répond à une volonté d’enrichir la gouvernance.
  • Intégrité et anticorruption : 100 % des collaborateurs exposés à des risques ont suivi la formation annuelle de prévention de la corruption. La certification ISO 37001 couvre déjà 64 % du chiffre d’affaires du Groupe, un indicateur en hausse.
  • Sensibilisation aux enjeux climatiques : Le “Passeport Climat Thales” forme les cadres à la transition énergétique et aux bonnes pratiques de réduction de l’empreinte carbone.

Ces éléments extra-financiers prennent une importance accrue lorsque l’on évoque la défense et la sécurité, secteurs traditionnellement soumis à controverse. Attester d’une gouvernance transparente et de politiques éthiques solides rassure les partenaires institutionnels, les ONG, mais aussi les investisseurs socialement responsables.

Le Passeport Climat Thales est une formation volontaire dont l’objectif est de donner aux collaborateurs une compréhension fine des enjeux liés au climat. La société met l’accent sur les impacts du changement climatique sur le business et la société, ainsi que sur les pistes d’action concrètes. En 2024, 67,4 % des cadres ont complété la formation, bien au-delà de l’objectif initial de 50 %. C’est un signe du fort engagement interne pour la transition écologique.

Perspectives pour 2025 : un horizon favorable malgré des défis

Sur la base des informations publiées, Thales anticipe en 2025 :

  • Une croissance organique du chiffre d’affaires comprise entre +5 % et +6 %, pour se situer entre 21,7 et 21,9 milliards d’euros.
  • Une marge d’EBIT Ajusté oscillant entre 12,2 % et 12,4 %, en hausse par rapport à 2024.
  • Un taux de conversion en cash entre 95 % et 100 %.
  • Un book-to-bill (prises de commandes / chiffre d’affaires) supérieur à 1, gage de renouvellement ou d’expansion du carnet de commandes.

Les déterminants de cet optimisme résident dans l’accroissement anticipé des budgets de défense (en Europe et ailleurs), la reprise de l’aéronautique civile (malgré quelques retards de livraison), la digitalisation croissante des activités de paiement et de connectivité mobile, et l’offre de cybersécurité élargie à travers les acquisitions.

La guerre en Ukraine et les tensions nucléaires à l’échelle internationale ont déjà impulsé un virage massif vers une hausse des dépenses militaires. Plusieurs pays européens entendent se conformer à la directive de l’OTAN (2 % du PIB, voire plus). Des États asiatiques, tels que le Japon, accélèrent leurs programmes de défense pour contrer d’éventuelles menaces régionales. Les États-Unis poursuivent leur modernisation stratégique, notamment via des budgets records alloués à la recherche et au développement de systèmes avancés (hypersonique, spatial, IA militaire). D’autres acteurs privés mondiaux, dont Palantir, Lockheed Martin, BAE Systems ou encore Raytheon et Airbus Defence and Space, profitent également de ce contexte. Toutefois, la diversité du portefeuille et la longue présence de Thales dans la Défense lui confèrent un positionnement privilégié pour capter une partie significative de ces investissements accrus.

En revanche, plusieurs menaces peuvent peser sur les projections : la hausse continue des coûts de l’énergie et des matières premières, la complexité réglementaire dans l’export de matériel sensible, ou encore d’éventuelles restrictions géopolitiques impactant la livraison de technologies jugées critiques. Les évolutions macroéconomiques (taux d’intérêt, cours de change) pourraient également influencer la compétitivité.

Quels scénarios pour la suite ?

Au vu de ces éléments, Thales semble solidement ancré sur un chemin de croissance rentable. Sa résilience, traduite par des indicateurs financiers en amélioration (marge, rentabilité nette, conversion en trésorerie), confirme l’efficacité de sa stratégie. Entre défense, cybersécurité et spatial, l’entreprise s’assure plusieurs “piliers” capables de la soutenir en cas de repli sectoriel.

Le regain des investissements militaires dans de nombreux pays, sous l’effet d’un climat géopolitique électrique et de la perspective d’un usage élargi de technologies nucléaires, consolide le carnet de commandes pour les années à venir. Palantir et Lockheed Martin (États-Unis), BAE Systems (Royaume-Uni), Northrop Grumman et Airbus Defence and Space comptent parmi les concurrents internationaux majeurs, chacun cherchant à capter une part de ces budgets. Néanmoins, l’expertise multisectorielle de Thales (air, terre, mer, cybersécurité, spatial), adossée à un solide ancrage en Europe, demeure un avantage certain pour s’imposer dans les appels d’offres et signer des partenariats à long terme.

À plus long terme, le leadership technologique devra être entretenu, notamment via la consolidation du pôle R&D, la pérennisation des talents et l’agilité industrielle (usines 4.0, automatisation, respect des délais). Les risques liés à la soutenabilité environnementale et à l’opinion publique, parfois critique envers le secteur de l’armement, seront aussi à aborder avec prudence.

En définitive, Thales entame un nouveau cycle marqué par l’opportunité de conjuguer croissance économique, responsabilité sociétale et innovation disruptive, tant au niveau opérationnel que technologique. Pour maintenir son statut de chef de file, le Groupe devra exploiter la dynamique de la défense renforcée, continuer ses conquêtes dans la cybersécurité, ajuster son portefeuille spatial et soigner son image d’acteur éthique et responsable.

Ainsi, l’année 2024 cristallise les fondations d’un futur ambitieux où le contexte géopolitique, la révolution numérique et l’exigence croissante de durabilité se rejoignent pour offrir de nouveaux horizons à Thales et aux autres grands noms de la défense mondiale.