Au cours des derniers mois, les regards se sont braqués sur l’univers du recyclage enzymatique, un secteur en pleine effervescence. Dans ce paysage, CARBIOS fait beaucoup parler d’elle grâce à sa stratégie de financement, son usine de biorecyclage de PET et ses avancées commerciales. Les derniers chiffres publiés illustrent à la fois une ambition industrielle clairement assumée et des besoins financiers encore conséquents.

Panorama général des résultats

La société CARBIOS, dont l’exercice annuel clos le 31 décembre 2024 révèle un chiffre d’affaires de 136 K€ (contre 24 K€ un an plus tôt), fait un bond dans la commercialisation de ses solutions, tout particulièrement celles liées au marché du biorecyclage de plastiques et textiles. Malgré cette progression, l’entreprise enregistre un résultat opérationnel à -37 507 K€, fortement grevé par les dépenses de Recherche et Développement (R&D) ainsi que les coûts administratifs et marketing.
En d’autres termes, la croissance du chiffre d’affaires reste nettement insuffisante pour couvrir les charges d’exploitation, lesquelles augmentent à 37 643 K€ (contre 28 902 K€ en 2023). Sans surprise, le résultat net, qui intègre notamment un résultat financier positif (4 394 K€), demeure en territoire négatif : -33 113 K€ sur l’exercice 2024, contre -27 224 K€ en 2023. Le manque de rentabilité est pour l’instant compensé par le niveau de trésorerie (109 M€ au 31 décembre 2024), lequel doit toutefois être complété par de nouveaux financements afin de relancer les travaux de construction de l’usine de Longlaville.

Qui est CARBIOS ?

CARBIOS est une entreprise de biotechnologie née en 2011, dont le cœur de métier consiste à développer des procédés enzymatiques pour décomposer et réutiliser les polymères. Son ambition : révolutionner le cycle de vie des plastiques et textiles, en privilégiant une économie circulaire. Son site industriel démonstrateur fonctionne déjà, tandis que la future usine de Longlaville, première au monde pour le biorecyclage à l’échelle industrielle, demeure le principal projet de l’entreprise.
Grâce à deux grandes technologies : le biorecyclage du PET (polyéthylène téréphtalate) et la biodégradation du PLA (acide polylactique), CARBIOS s’est fait connaître auprès de marques internationales (Nestlé Waters, PepsiCo, L’Oréal, Patagonia, etc.). Ses développements lui ont même valu la reconnaissance de la communauté scientifique, avec une publication en couverture de la revue Nature.

Aperçu du compte de résultat 2024

L’examen du compte de résultat 2024 souligne plusieurs points clés. Les éléments suivants sont les plus frappants :

  • Chiffre d’affaires : 136 K€, en hausse par rapport aux 24 K€ de l’année précédente.
  • Frais de R&D : 14 285 K€, reflet de l’effort continu consenti pour développer et consolider la technologie enzymatique.
  • Charges opérationnelles : 37 643 K€, qui prennent en compte une augmentation notable des effectifs et l’intensification des missions de conseil.
  • Résultat opérationnel : -37 507 K€, signe d’une rentabilité encore éloignée.
  • Résultat financier : 4 394 K€, principalement porté par les produits de placement de trésorerie et la capitalisation de frais d’emprunt.
  • Résultat net : -33 113 K€.

Pourquoi un tel écart entre un résultat net négatif et un chiffre d’affaires en hausse ? Essentiellement parce que l’enveloppe globale des frais (R&D, commerciaux, administratifs et amortissements) s’avère encore supérieure aux revenus engrangés par la jeune activité de production et de vente de produits Carbios Active.

Les frais de R&D désignent les dépenses relatives à la recherche (nouveaux procédés enzymatiques) et à la conception de technologies ou produits (solutions de biorecyclage, par exemple). Dans un secteur innovant, ils peuvent représenter l’essentiel des charges pour garantir la compétitivité technologique de l’entreprise.

Décryptage du bilan : focus sur la structure financière

Le bilan consolidé 2024 s’établit à 279,9 M€, en baisse par rapport aux 302,0 M€ de l’an dernier. Deux chiffres attirent l’attention :

  • Capitaux propres : 199,7 M€ (contre 234,3 M€), un recul dû principalement aux pertes cumulées.
  • Passifs courants : 37,1 M€ (contre 21,5 M€), en hausse notable et révélatrice d’une augmentation des dettes fournisseurs.

CARBIOS continue cependant de se prévaloir d’un solide socle de Goodwill (20,6 M€), mais c’est surtout la part des immobilisations corporelles qui attire l’œil : 107,6 M€ au 31 décembre 2024, contre 49,2 M€ seulement un an plus tôt. Cette hausse traduit clairement l’avancée de la construction, bien que celle-ci ait été interrompue ou décalée en l’absence de nouveaux financements.

Bon à savoir – Immobilisations et projet industriel

Les immobilisations corporelles (terrains, bâtiments, équipements) sont considérées comme des actifs à long terme dans le bilan. Pour CARBIOS, la partie la plus conséquente de ses investissements porte sur l’usine en cours de construction. C’est en mettant en service cette infrastructure que la société espère déployer pleinement son procédé de biorecyclage du PET à l’échelle industrielle.

Point sur la trésorerie et structure de financement

Avec 109 M€ en réserve (90 M€ en trésorerie disponible et 19 M€ en actifs financiers divers), la société peut continuer à engager des dépenses opérationnelles. Cependant, pour boucler le financement de l’usine de Longlaville, il est prévu de faire appel à d’autres soutiens :

  • Les 42,5 M€ d’aides publiques déjà approuvées, mais non perçues à ce jour.
  • Des financements externes complémentaires (notamment non dilutifs) en discussions avancées, pouvant inclure une garantie de dette de Bpifrance Assurance Export à hauteur de 86 M€.

La consommation de trésorerie, chiffrée à 102 M€ sur l’année 2024, s’explique en grande partie par les travaux initiés à Longlaville. Ces décaissements sont significatifs, d’autant que CARBIOS a dû placer sous nantissement certains montants pour garantir les contrats de construction.

Un nantissement consiste à mettre de côté un montant (sous forme de placement, d’actif financier, etc.) pour garantir une dette ou une obligation vis-à-vis d’un tiers. En cas de défaillance, ce tiers (fournisseur, banque…) peut se rembourser sur ces fonds nantis.

Grandes tendances du compte de résultat : analyse et ratios clés

Pour mieux comprendre la performance de l’entreprise, il est pertinent de calculer quelques ratios financiers simples. Même si CARBIOS n’est pas encore rentable, ces indicateurs aident à jauger l’évolution de l’activité.
1) Marge brute Même si les états financiers ne font pas apparaître la marge brute de manière explicite (car le coût direct des ventes n’est pas toujours isolé), on peut considérer que la marge brute est limitée, compte tenu du faible volume de ventes (136 K€).
2) Marge d’exploitation (marge opérationnelle) Formule : (Résultat opérationnel / Chiffre d’affaires) × 100 = (-37 507 / 136) × 100 ≈ -27 573% Cet indicateur, très négatif, témoigne de l’impact considérable des charges d’exploitation, alors que le chiffre d’affaires ne couvre qu’une fraction marginale de ces dépenses.
3) Rentabilité nette Formule : (Résultat net / Chiffre d’affaires) × 100 = (-33 113 / 136) × 100 ≈ -24 361% La rentabilité nette, elle aussi très négative, confirme que l’entreprise se trouve encore en phase de développement, où les recettes sont insuffisantes face aux investissements massifs.
4) Ratio de liquidité Il est intéressant de s’intéresser au ratio de liquidité immédiate ou “Quick Ratio” : (Trésorerie + Actifs financiers) / Passifs à court terme. Au 31 décembre 2024, on a environ 109 M€ disponibles (trésorerie + placements) pour 37 M€ de passifs courants, soit environ 2,94. Cela signifie que CARBIOS dispose, sur le papier, de près de trois fois le montant nécessaire pour couvrir ses engagements de court terme, ce qui représente un point fort pour la société.
5) Ratio d’endettement global (Total des passifs / Capitaux propres) = 80,3 / 199,7 ≈ 0,40. Ce ratio suggère que l’endettement reste relativement mesuré, dans la mesure où les capitaux propres couvrent plus de deux fois le niveau total des dettes.

Ratios

Formule Résultat Interprétation Remarque

Marge
d’exploitation

(Résultat opérationnel / CA)
x 100

-27 573 %

  • Situation structurellement déficitaire
    (phase de R&D)
  • Le CA reste trop faible face aux
    charges opérationnelles

À surveiller

Rentabilité
nette
(Résultat net / CA)
x 100
-24 361 %
  • Témoigne du stade pré-rentable
  • Pèse sur la capacité d’autofinancement
Priorité à
l’augmentation
du CA
Quick
Ratio
(Trésorerie + Actifs financiers)
/ Passifs courants
2,94
  • Solvabilité à court terme convenable
  • Fort niveau de liquidités à date
Confortable



Principaux faits marquants et impact financier

Plusieurs événements majeurs ont jalonné l’année 2024 et influent sur les états financiers : 

  • Projet de Longlaville : La construction de la première usine de biorecyclage du PET devait initialement se dérouler sans interruption, mais un décalage de 6 à 9 mois est annoncé. Les efforts de renégociation des contrats fournisseurs et l’attente des financements complémentaires retardent la mise en service, tout en générant des coûts supplémentaires.
  • Avancées commerciales : CARBIOS ambitionne de signer des accords majeurs au premier semestre 2025. Les revenus liés à la concession de licences internationales sur ses technologies pourraient, à terme, offrir un relais de croissance significatif.
  • Carbiolice : L’entité spécialisée dans la biodégradation du PLA consolide sa présence sur le marché nord-américain en commercialisant la solution Carbios Active. Les agréments de la FDA et de la BPI confortent ce positionnement.
  • Nouvelles certifications : L’obtention de la certification B Corp™, ainsi que des normes ISO 9001 et ISO 14001, apporte un supplément de crédibilité sur le plan industriel et environnemental.
  • Réorganisation interne : Un plan de réduction des dépenses, assorti de potentielles suppressions de postes (jusqu’à 40% chez CARBIOS et CARBIOS 54), pourrait réduire de 40% le cash-burn et permettre à la société de maintenir ses priorités stratégiques.

L’objectif est d’allonger la visibilité financière au-delà des 12 mois à venir. En limitant certaines activités moins stratégiques et en redéfinissant la structure organisationnelle, CARBIOS se donne les moyens de concentrer ses ressources sur la mise en route de l’usine de Longlaville et sur la commercialisation internationale de ses licences.

Forces, faiblesses et leviers d’amélioration

Pour offrir un diagnostic plus global, voici une synthèse des principaux atouts et limites de CARBIOS, accompagnée de pistes d’amélioration.
Forces :

  • Technologie unique : Le biorecyclage enzymatique du PET est une innovation de rupture, valorisée par de grandes marques.
  • Solvabilité à court terme : Le Quick Ratio à près de 3 montre que la trésorerie reste confortable à l’échelle des dettes courantes.
  • Visibilité internationale : Les consortiums signés avec des acteurs majeurs (Nestlé, PepsiCo, L’Oréal, Patagonia, etc.) renforcent la crédibilité.
  • Cadre institutionnel favorable : Aides publiques de 42,5 M€ et potentielle garantie Bpifrance Assurance Export de 86 M€.

Faiblesses :

  • Faible chiffre d’affaires : 136 K€ ne permet pas de couvrir les charges opérationnelles actuelles.
  • Retard industriel : La construction décalée de 6 à 9 mois retarde d’autant la mise sur le marché à grande échelle.
  • Perte nette importante : -33,1 M€ en 2024, nécessitant des financements externes pour pérenniser le projet.
  • Risques sur le plan social : La restructuration avec 40% de postes potentiellement supprimés crée un climat d’incertitude en interne.

Leviers d’action :

  • Conclure rapidement les accords de financement : Priorité pour relancer la construction de Longlaville.
  • Accélérer la signature des contrats commerciaux : Les licences à l’international peuvent générer des revenus récurrents.
  • Mettre en œuvre la réorganisation : Réduire les coûts de structure et ajuster les équipes pour optimiser la productivité.
  • Miser sur la R&D et la propriété intellectuelle : Développer de nouvelles familles de brevets pour maintenir l’avance concurrentielle.

Encadré : valoriser la propriété intellectuelle

CARBIOS détient aujourd’hui 58 familles de brevets couvrant 502 titres de propriété intellectuelle. Cette capitalisation « immatérielle » est stratégique : plus le portefeuille de brevets s’élargit, plus la société accroît sa capacité à nouer des partenariats technologiques rentables. Les 28 nouveaux brevets délivrés en 2024, dans plusieurs zones géographiques clés, confèrent à l’entreprise une solide protection de ses innovations.

Lecture pédagogique des indicateurs financiers

Dans un souci de vulgarisation, rappelons l’importance de certains postes :

  • Frais de personnel : +3 M€ en 2024. Ils incluent non seulement les salaires, mais aussi les charges sociales, la participation éventuelle au capital et l’accueil de nouveaux talents spécialisés en ingénierie enzymatique ou en procédés industriels.
  • Honoraires d’intermédiaires : +4,9 M€. Ces honoraires regroupent l’accompagnement juridique, financier, ou encore le conseil en ingénierie pour la mise en place des lignes de production.
  • Dotations aux amortissements : +1,8 M€, reflétant la montée en puissance des immobilisations et la mise en service progressive de certains équipements.

Ces éléments nuancent la perception du déficit : CARBIOS est en phase de construction et de structuration. Les dépenses sont par conséquent concentrées sur la constitution des actifs indispensables au fonctionnement à long terme.

Comparaison avec l’exercice précédent

En 2023, le chiffre d’affaires était de 24 K€, et le résultat net de -27 224 K€. La progression en 2024 est notable (CA multiplié par plus de cinq), mais reste modeste. La perte nette, elle, s’accroît sensiblement, reflétant l’intensification des dépenses pour accélérer la phase industrielle.
Sur le plan du bilan, on constate un recul de la trésorerie et une augmentation des immobilisations. Le pari stratégique semble clair : construire rapidement un outil industriel performant pour profiter, dès que possible, de l’engouement autour du recyclage enzymatique.

Pistes d’amélioration

Pour renforcer ses positions et améliorer sa situation financière, CARBIOS peut :

  • Augmenter le rythme de la signature des préventes et contrats d’approvisionnement : Plus ces contrats seront signés tôt, plus vite la société bénéficiera d’entrées de trésorerie permettant de mieux amortir ses coûts fixes.
  • Poursuivre la recherche de financements non dilutifs : L’objectif étant de limiter la dilution des actionnaires actuels tout en obtenant le capital nécessaire à l’achèvement du projet Longlaville.
  • Optimiser la gestion des dépenses : S’il est incontournable d’investir dans l’industrialisation, un contrôle strict des coûts de fonctionnement, notamment les honoraires et sous-traitances, contribuera à préserver la trésorerie.
  • Renforcer la communication autour de la RSE et des certifications : B Corp™, ISO 9001, ISO 14001 et la notation EthiFinance à 83/100 sont des atouts qu’il faut valoriser, à la fois pour rassurer les partenaires financiers et pour attirer des clients sensibles à l’impact environnemental.

Enjeux juridiques et réglementaires

Sur le plan légal, deux volets méritent l’attention :

  • Homologations et subventions : L’approbation des aides publiques est soumise à des conditions strictes, notamment liées au respect des règles de la Commission européenne en matière d’aides d’État. L’entreprise doit s’assurer que l’ensemble des documents requis soit fourni en temps voulu.
  • Aspect social du plan de réorganisation : En France, toute suppression de postes implique un processus réglementé (information-consultation des représentants du personnel, négociations, etc.). CARBIOS doit veiller à respecter scrupuleusement les obligations légales et à adopter une approche équitable.

Les éventuels retards ou litiges en découlant pourraient avoir un impact sur la réputation de la société et sur son calendrier industriel.

Stratégie de long terme : construire un leadership sur le recyclage enzymatique

Avec son usine en phase de construction à Longlaville, CARBIOS espère prendre les devants d’un marché encore naissant : le biorecyclage. De nombreuses entreprises classiques s’orientent vers des solutions mécaniques ou chimiques, mais l’enjeu environnemental et la pression légale sur la réduction de la pollution plastique pourraient fortement favoriser les solutions enzymatiques, si elles se montrent compétitives en termes de coût et de volume.
La conquête internationale demeure un axe stratégique, via la concession de licences sur les technologies développées. Les partenariats signés ou en cours de négociation sont susceptibles de doper la notoriété de l’entreprise sur les différents continents.

Derniers coups d’accélérateur attendus en 2025

L’année 2025 s’annonce cruciale. Les financements complémentaires sont attendus entre le printemps et l’été. La reprise des travaux de l’usine pourrait débuter au plus tôt en juin 2025 et s’échelonner jusqu’au troisième trimestre. Les discussions avec les partenaires institutionnels, comme Bpifrance et d’autres acteurs privés, auront donc un rôle déterminant.
Parallèlement, le Document d’enregistrement universel 2024 sera communiqué au plus tard le 30 avril 2025 à l’Autorité des marchés financiers (AMF). Ce document devra détailler l’ensemble des informations financières et stratégiques de la société, y compris la restructuration en cours.

La place de CARBIOS dans la filière du recyclage

Ceux qui croient fermement à la réussite de CARBIOS soulignent la force de son innovation et l’attrait pour l’économie circulaire. Les investisseurs plus prudents pointent quant à eux la longueur des délais de commercialisation et la dépendance envers des soutiens publics et privés.
Si les négociations de financement aboutissent rapidement, la société conservera sa longueur d’avance et pourra se prévaloir d’une première unité industrielle opérationnelle en 2026 ou 2027, un facteur-clé de différenciation. En revanche, tout nouveau retard dans la construction risquerait de peser sur la trésorerie et la confiance des partenaires.

Cap vers de nouveaux efforts

CARBIOS offre l’exemple d’une entreprise encore en déficit, mais à fort potentiel. Son business model, basé sur la recherche, l’innovation et l’industrialisation, lui confère une position singulière dans le secteur du recyclage. L’année 2024 a permis d’illustrer la viabilité de la technologie. L’étape suivante consiste à prouver la rentabilité industrielle et commerciale de son procédé.

Avec des indicateurs financiers en demi-teinte et un fort besoin d’investissements, CARBIOS est toutefois sur le point de franchir un cap décisif, mêlant innovation, industrialisation et ambition de leadership mondial dans le recyclage enzymatique.