Accor dynamise encore un peu plus le paysage hôtelier français : avec un bond de 9,2 % de son chiffre d’affaires consolidé au premier trimestre 2025, le groupe confirme la robustesse de son modèle « asset-light ». Et dose habilement la croissance entre ses deux piliers : Premium, Milieu de Gamme & Économique (PM\&E) et Luxe & Lifestyle (L\&L). Sous la surface de ces 1 349 M€, l’évolution du mix géographique, l’appétit du marché du luxe et une discipline financière assumée dessinent déjà les enjeux des prochains mois.

Lecture rapide des agrégats financiers

Accor affiche un premier trimestre solide : 1 349 M€ de revenus, soit 113 M€ de plus qu’en 2024. Dans le détail, la division Luxe & Lifestyle concentre près de 90 % de la croissance ; PM\&E progresse modestement, pénalisée par l’Australie et certaines conversions de contrats en Europe du Nord. Hormis l’impact défavorable des devises (-9 M€) et la contribution désormais intégrée de Rikas (28 M€), la dynamique reste organique, portée par un RevPAR global en hausse de 5 % et un pipeline de nouvelles chambres en croissance de 4,9 %.

Bon à savoir : RevPAR, l’indicateur star

Le Revenue per Available Room agrège prix moyen et taux d’occupation. Il mesure la capacité d’un hôtel (ou d’une chaîne) à monétiser chaque chambre disponible. Une montée de RevPAR peut provenir d'une hausse des tarifs, d’une meilleure fréquentation ou d’une combinaison des deux.

Chiffre d’affaires : quand le luxe mène la danse

Division

T1 2024 (M€) T1 2025 (M€) Variation Part 2025

PM&E

690 703 +1,8 % 52,1 %

Luxe & Lifestyle

566 668 +17,9 % 49,5 %

Holding & Intercos

-21 -21 N/A -1,6 %

Groupe Accor

1 236 1 349 +9,2 % 100 %

Dans l’écosystème PM\&E, les Services aux Propriétaires progressent de 5,4 %, témoignant d’un mix de distribution plus rémunérateur, tandis que les actifs hôteliers australiens pèsent sur la croissance (-3,5 %). À l’inverse, la division L\&L profite de l'intégration de Rikas et d’un pricing plus musclé : ses redevances M\&F bondissent de 19,6 %, portées par les « incentive fees » et le développement du réseau lifestyle.

Indicateurs opérationnels : RevPAR sous toutes les coutures

Le RevPAR groupe atteint 69 €, stimulé surtout par le segment luxe : +8,3 %, contre +3,4 % pour PM\&E. L’explication est double : hausse de tarifs (≈ ⅔ de la progression) et amélioration du taux d’occupation (≈ ⅓).

  • Europe & Afrique du Nord : RevPAR +0,6 % malgré un mois de mars maussade en France ; conversions de contrats pèsent sur les redevances.
  • MEA APAC : RevPAR +4,6 %, soutenu par l’Arabie saoudite (effet Ramadan) et les resorts d’Asie du Sud-Est.
  • Amériques : RevPAR +13,1 %, calendrier événementiel brésilien et hausse combinée prix/occupation.

Occupancy moyen : 60,9 % (+0,6 pt), encore perfectible mais déjà supérieur à la moyenne pré-Covid de plusieurs marchés européens. Le prix moyen franchit 113 €, propulsé par les 267 € du segment Luxe.

Ratios financiers et interprétation pédagogique

  • Marges d’exploitation potentielle : Faute de données comptables complètes, nous suivons la proxy sectorielle : dans l’hôtellerie asset-light, la marge d’EBITDA ressort souvent entre 32 % et 38 %. Sur la base des 1 349 M€, Accor pourrait afficher une capacité opérationnelle proche de 450 M€ en rythme annualisé, preuve d’une rentabilité solide.
  • Part de chaque division dans la croissance : L\&L génère 102 M€ des 113 M€ incrémentaux (+90 %), contre 13 M€ pour PM\&E. L’effet périmètre (intégration Rikas) explique un quart de la hausse du segment premium, mais la dynamique organique luxe reste majoritaire.
  • Productivité des actifs : Revenu trimestriel par chambre : 1 349 M€ / 847 290 ≈ 1 592 €. C’est 5 % de plus qu’en 2024, confirmant que l’effet prix domine la hausse du parc.
  • Ratio pipeline / parc : 235 000 chambres en projet, soit 27,7 % du parc existant : un « cushion » de croissance confortable, concentré sur l’Inde, le Moyen-Orient et les all-inclusive d’Amérique latine.

Portefeuille & pipeline : cap sur 2030

Accor compte 5 695 hôtels (847 290 chambres). La répartition franchisé/management reste équilibrée (60 %/39 %), préservant la flexibilité stratégique. Les 45 ouvertures du trimestre (+5 900 chambres) portent la croissance nette du réseau à +2,7 % sur douze mois, avant accélération prévue au S2 2025. L’accord avec InterGlobe en Inde (objectif 300 hôtels Accor d’ici 2030) va considérablement densifier la zone MEA APAC. De même, l’acquisition des 17 contrats Royal Holiday (3 200 chambres) consolide le fameux portefeuille « all-inclusive » d'Ennismore au Mexique.

Angle légal et financier : financement, buy-back et ESG

  • Emission obligataire de 600 M€ (3,5 %, échéance 2033) : elle allonge la maturité moyenne de la dette et sécurise le coût de financement sous les 4 %.
  • Rachat d’actions : première tranche de 200 M€ (sur 440 M€ prévus). Impact dilutif limité grâce à la forte génération de cash.
  • ESG & reporting : la notation CDP A- est maintenue ; l’émission intègre pour la première fois des clauses de durabilité liées à la réduction d’empreinte carbone par chambre.

Points forts, faiblesses et leviers de progrès

Forces

  • Diversification géographique : aucune région ne pèse plus d’un tiers du CA M\&F.
  • Leadership prix dans le luxe, permettant de répercuter l’inflation.
  • Pipeline supérieur à 25 % du parc, sécurisé par des partenariats (InterGlobe, Ennismore).

Faiblesses

  • Sensibilité aux devises émergentes (real brésilien, livre égyptienne).
  • Exposition ponctuelle aux événements climatiques (tempête Alfred).
  • Conversions M\&F → franchise en Europe du Nord : -2 % de revenus PM\&E anticipés en 2025.

Leviers opérationnels

  • Accélérer la migration digitale du programme ALL pour augmenter la contribution directe (+1 pt sur le mix canaux rapporte ≈ 20 M€ par an).
  • Optimiser la base de coûts dans les plateformes ENA, en particulier IT et marketing, pour neutraliser l’effet conversion.
  • Élargir l’offre « resorts » en Amériques : le marché all-inclusive croît à deux chiffres, plus résilient aux cycles économiques.

Et après ? Les signaux à surveiller

L’inertie positive du RevPAR et l’intégration de nouveaux actifs laissent présager une année 2025 soutenue. Mais la trajectoire dépendra de trois variables : la vigueur du marché américain post-élections, la stabilité géopolitique au Moyen-Orient et la capacité d’Accor à maîtriser ses coûts face à l’inflation des salaires.

En combinant un luxe offensif et un portefeuille encore largement sous-exploité, Accor jongle entre rendement à court terme et potentiel de croissance, positionnant habilement le groupe pour le prochain cycle hôtelier.