Charier, une ETI innovante qui se réinvente systématiquement
Découvrez comment l'entreprise Charier, près de Nantes, se transforme en réponse aux défis actuels des travaux publics.

De la voirie artisanale aux chantiers bas carbone, Charier illustre la mue d’un acteur familial en ETI industrielle résiliente. Ancrée près de Nantes, l’entreprise traverse 128 années de cycles, de la reconstruction d’après-guerre à la crise de 2008, puis à l’exigence climatique actuelle. Son modèle combine capital patient, innovations concrètes et recentrage stratégique pour rester compétitif dans les travaux publics.
Des racines routières à une eti du grand ouest en ordre de marche
La trajectoire de Charier démarre en 1897 avec Constant-Maximin Charier, qui saisit l’élan industriel naissant pour bâtir des routes entre le pays de Redon, Vannes et Nantes. Les premiers chantiers, à l’époque tirés par des besoins logistiques et ouvriers, dessinent un ADN de l’entreprise: intervenir sur les infrastructures, répondre vite, investir tôt dans le matériel.
Cette culture se prolonge aujourd’hui dans une ETI désormais installée à Couëron, près de Nantes, depuis 2020. Charier emploie environ 1 800 salariés et affiche un chiffre d’affaires de 349 millions d’euros en 2025, dont près de la moitié est tirée des routes et travaux urbains (source: site Charier).
L’entreprise agit surtout dans le Grand Ouest, avec une capacité à déployer des chantiers sur l’ensemble du territoire quand l’opportunité technique ou commerciale le justifie. Ce maillage d’ateliers, de carrières et d’équipes routes confère une réactivité utile dans un marché cyclique.
Indicateurs clés de Charier en 2025
Effectifs 1 800 salariés. Chiffre d’affaires 349 millions d’euros. Implantation siège à Couëron (Loire-Atlantique) depuis 2020. Mix d’activité environ la moitié sur routes et aménagement urbain, le solde réparti entre carrières, terrassement, réseaux, écoconception et services spécialisés.
Une ETI familiale conjugue visibilité à long terme et discipline financière. Les cycles d’investissement peuvent être planifiés avec plus de patience, mais la gouvernance doit être capable d’arbitrer tôt lorsque la conjoncture se retourne. Chez Charier, ce schéma a nourri des décisions d’achats d’actifs miniers et d’équipements, puis des inflexions stratégiques rapides après 2011-2012.
Charier : stratégie et résultats
La force du modèle actuel repose sur un socle régional solide et une diversification progressive. Les routes fournissent un débit d’activité et un volant d’apprentissage, tandis que les métiers spécialisés (génie écologique, dépollution, réseaux) apportent des marges différenciées et une exposition plus favorable aux marchés privés.
Ce positionnement favorise un arbitrage fin des portefeuilles de chantiers, selon les coûts de l’énergie, la disponibilité des matériaux et les exigences de performance environnementale, devenues centrales dans les appels d’offres.
Gouvernance familiale et décisions structurantes sur un siècle
La continuité entrepreneuriale est une singularité majeure. Après le fondateur, Germain-Eugène Charier tire de son passage dans les chars d’assaut de la Première Guerre mondiale une conviction: la mécanisation fera la différence. Camions de surplus militaire, Ford T, moto pour accélérer la prospection. Cette course à l’efficacité donnera à Charier une longueur d’avance sur ses concurrents encore artisanaux.
La stratégie d’actifs s’affirme très tôt: acquisition de la carrière de La Clarté en 1929, puis de la forêt de La Bretesche à Missillac en 1955. En interne, ces possessions sont vues comme le poumon (La Clarté) et le cœur (La Bretesche) de l’entreprise: un dispositif d’approvisionnement vital et un lieu d’ancrage, de transmission et de cohésion.
- 1929: La Clarté sécurise l’accès aux matériaux et réduit la dépendance aux fournisseurs tiers.
- 1955: La Bretesche structure un capital immatériel fort: culture de groupe, fidélité et valeurs partagées.
- 1963: Yves et Germain-Jean prennent la relève, ouvrant une nouvelle phase d’industrialisation.
- 1971: après le décès d’Yves, la famille recrute des cadres externes pour renforcer finance, RH et juridique.
La transition de la logique militaire à la logistique de chantier a été une clé. En ramenant du front un savoir-faire sur les machines et l’organisation motorisée, la famille a orienté tôt l’entreprise vers des gains de productivité. Ce réflexe d’équipement rapide reviendra aux moments cruciaux, par exemple lors des modernisations des carrières ou du basculement vers des engins moins émetteurs.
Charier : gouvernance et actifs patrimoniaux
Au-delà des symboles, la propriété d’actifs miniers dessine une barrière à l’entrée. Elle permet de sécuriser les coûts d’entrée de gamme, d’offrir des prix compétitifs sur les top layers de travaux et de mieux maîtriser la qualité des matériaux. Le volet foncier et forestier, lui, sert de liant social et de confidentialité stratégique.
Ce modèle a toutefois une contrepartie: il exige des cycles d’investissement lourds, pilotés avec rigueur. La suite de l’histoire le confirmera.
Pourquoi les actifs comptent dans les travaux publics
Dans les TP, le coût de la tonne de granulats et la disponibilité des gisements conditionnent la marge. Détenir une carrière modifie l’équation: sécurisation des flux, pilotage des qualités, amortissements prévisibles. Cet atout devient décisif quand l’énergie flambe ou quand la logistique est perturbée.
Croissance externe et diversification maîtrisée: le levier des années 2000
Au tournant des années 2000, la quatrième génération accélère. Brethomé est intégré en 2002 pour consolider les travaux urbains sur le bassin nantais. Semen TP élargit la palette aux chantiers maritimes: un savoir-faire rare, complémentaire des besoins portuaires et littoraux du Grand Ouest.
La même période voit se structurer une activité de valorisation des déchets par croissance organique. L’idée est simple et puissante: extraire des matériaux pour la route, puis reconvertir les carrières en installations de comblement par des déchets valorisables. La boucle préfigure une économie circulaire aujourd’hui exigée par les donneurs d’ordres.
Charier : diversification et effets de portefeuille
Les métiers adjacents réduisent la cyclicité et créent des ponts industriels. Les carrières alimentent routes et terrassements. Les réseaux se marient avec des projets urbains complets. Le maritime ouvre des chantiers de niches. Ce portefeuille facilite la rotation des équipes et la mutualisation d’engins lourds, tout en soutenant l’utilisation du parc sur l’année.
- Intégration de compétences urbaines: proximité clients, cadence de production, savoir-faire en milieu dense.
- Expertise maritime: interventions en conditions spécifiques, actifs techniques différenciants.
- Économie circulaire: filière de recyclage et de réemploi, diminution des achats neufs.
- Parc matériel de plus de 1 000 engins: ancrage capitalistique fort, amorti par multi-activités.
Le recyclage des matériaux diminue la dépendance aux extractions neuves et aux importations. Il réduit le coût carbone et peut stabiliser les prix sur des cycles de demande irréguliers. Pour être rentable, il faut un volume critique, des installations proches des chantiers et une traçabilité rigoureuse pour passer les contrôles qualité.
Le levier maritime au large de Saint-Nazaire
Charier s’est doté d’un navire sablier pour exploiter une concession au large de Saint-Nazaire. Cet équipement crée une source d’approvisionnement maîtrisée pour les chantiers côtiers et urbains proches, tout en renforçant la maîtrise de la chaîne de valeur, depuis l’extraction jusqu’à la mise en œuvre.
De la tourmente financière au rebond stratégique: le cas charier
La crise de 2008-2009 frappa de plein fouet l’investissement public et privé. Les volumes s’effritent, les prix s’érodent, les charges financières pèsent plus lourd. Chez Charier, des pertes record en 2011-2012 font vaciller l’édifice, malgré des optimisations engagées.
La famille choisit d’agir vite. Elle rachète des actifs immobiliers pour réinjecter de la trésorerie dans l’outil industriel. La direction opérationnelle est confiée à Paul Bazireau, un dirigeant externe: un geste d’ouverture, conçu pour professionnaliser encore la gestion de crise et réorganiser le groupe sans renier son identité.
Charier : gouvernance ouverte, cap maintenu
Cette inflexion coordonne finances, ressources humaines et juridique. L’entreprise retisse sa base de coûts et repense la couverture d’activités. Un plan stratégique est mis en place en 2015, puis mis à jour en 2020. Il acte des arbitrages: arrêt d’activités déchets non performantes, segmentation renforcée vers des marchés privés via une équipe commerciale dédiée.
Ce recentrage s’accompagne d’un impératif: ne pas détruire le capital humain. La direction évite un plan social grâce à la mobilisation des équipes et à des solutions d’ajustement. Résultat: la capacité d’exécution reste intacte quand la demande repart, permettant un redressement plus rapide.
- Déleverage: moindre pression financière, visibilité accrue sur les investissements.
- Repriorisation commerciale: montée en gamme des offres, ciblage de clients privés sensibles à l’innovation.
- Gestion du parc: meilleure affectation des engins, baisse des temps morts et des coûts d’immobilisation.
- Culture RSE intégrée au business: différenciation dans les appels d’offres.
Les marges se gagnent à la planification: choisir les chantiers où l’exécution est maîtrisée, calibrer les équipes, anticiper la logistique matériaux. Un plan solide précise les seuils de rentabilité par activité, installe des KPI par agence et met en place des clauses d’indexation pour encaisser les chocs de prix d’énergie et de matières.
Cadre légal: devenir entreprise à mission
Charier a adopté le statut d’entreprise à mission le 16 juin 2022. Ce statut introduit dans le droit français impose une raison d’être, des objectifs sociaux et environnementaux, et un dispositif de suivi. Il devient un élément concurrentiel dans les réponses aux appels d’offres et une boussole pour les arbitrages internes.
Transition écologique et innovations bas carbone: un pivot assumé
La nouvelle trajectoire s’appuie sur des innovations concrètes pour décarboner les métiers historiques. Charier travaille sur des enrobés drainants qui favorisent l’infiltration et la sécurité, et sur des formulations à liants végétaux pour abaisser l’empreinte carbone tout en conservant les performances mécaniques. Des solutions de voiries à énergie positive sont également testées.
Le recentrage s’opère vers des activités à plus faible intensité carbone: espaces verts, réseaux secs et humides, génie écologique, dépollution de sols. L’entreprise exploite 12 carrières et gère un parc de plus de 1 000 engins, tout en investissant dans l’économie circulaire, via le recyclage des matériaux et la réutilisation sur site.
Charier : innovations éprouvées sur le terrain
L’innovation n’a de valeur que si elle produit des chantiers livrés au bon coût et au bon niveau de qualité. Pour Charier, cela se traduit par des boucles itératives entre laboratoires, équipes terrain et donneurs d’ordres, afin de stabiliser des recettes d’enrobés moins carbonés, sans surcoûts prohibitifs ni aléas de durabilité.
- Formulation: ajuster les granulométries et les liants pour mêler performance, durabilité et faible impact.
- Process: paramétrer les centrales d’enrobage pour descendre les températures de production.
- Logistique: rapprocher la production du chantier pour réduire transport et émissions.
- Contrôle: qualimétrie renforcée pour sécuriser les garanties.
Ces dispositifs intègrent des matériaux ou composants capables de capter, stocker ou restituer de l’énergie: dalles photovoltaïques, récupération de chaleur des enrobés, systèmes thermiques. Leur intérêt économique dépend du coût d’installation, de la durabilité des composants et du tarif de l’énergie. Ils apportent aussi une signature RSE visible pour les collectivités et les maîtres d’ouvrage privés.
Focus technique: enrobés à liants végétaux
Trois points structurants:
- Réduction des émissions sur le cycle de vie par substitution partielle de liants fossiles.
- Sensibilité à la température: la mise en œuvre requiert un protocole spécifique d’application et de compactage.
- Qualification: les essais doivent couvrir résistance, tenue au trafic et vieillissement accéléré pour garantir la pérennité.
Le contexte sectoriel renforce cette orientation. En 2025, la France compte plus de 4 millions d’entreprises, et la construction pèse lourd dans la valeur ajoutée nationale, tandis qu’environ 40 pour cent des entreprises du secteur de la construction intégreraient des innovations environnementales, un niveau que Charier vise à dépasser par ses initiatives RSE (Insee, statistiques 2025).
Cette dynamique est stratégique: elle élargit la base de clients privés et publics prêts à payer pour un impact mesurable, et elle prépare la conformité aux critères extra-financiers croissants attachés aux financements bancaires et aux garanties.
Cap 2030: feuille de route climat et ancrage territorial
Charier a fixé un cap: -30 pour cent d’émissions de CO2 d’ici 2030, aligné sur les objectifs nationaux et les trajectoires de neutralité à plus long terme. Ce plan s’appuie sur des leviers opérationnels tangibles: substitution de liants, optimisation des centrales et des carrières, verdissement progressif du parc d’engins, écoconception des chantiers et montée en puissance des recyclés.
Le siège de Couëron joue un rôle de hub sur ces transformations: industrialisation des méthodes, diffusion des standards bas carbone, pilotage par indicateurs RSE intégrés à la performance. L’entreprise, redevenue solide financièrement, peut orchestrer des investissements ciblés, sans diluer la discipline acquise après la crise.
Charier : trajectoire climat et pilotage économique
Le succès d’un plan CO2 ne se mesure pas seulement à la baisse des émissions. Il s’évalue aussi à sa compatibilité avec la marge opérationnelle. Charier articule ses investissements de décarbonation avec des gains de productivité: logistique optimisée, technologies de chantier, contrats mieux indexés. L’objectif est double: décarboner sans dégrader la compétitivité.
Dans un pays où la microentreprise reste fragile (seulement environ 28 pour cent des micro-entrepreneurs immatriculés en 2018 encore actifs cinq ans plus tard, Insee), la longévité d’une ETI comme Charier offre un contrepoint instructif: gouvernance stable, politique d’actifs, innovations utiles et discipline financière servent de socle aux phases de crise et de reprise.
Pour crédibiliser la démarche, les indicateurs doivent être audités et reliés aux décisions quotidiennes: taux d’incorporation de recyclés, émissions par tonne produite, consommation d’énergie par kilomètre d’enrobé posé, fréquence des incidents sécurité, montées en compétences. Lier ces KPI au variable de la direction accélère la diffusion du réflexe bas carbone.
Au-delà de l’ingénierie, l’enjeu est humain. Transmission entre générations, montée en compétences sur les matériaux et la donnée, capacité à travailler avec des partenaires technologiques: Charier cultive une approche cumulative. Chaque brique de savoir-faire alimente la suivante, pour produire des chantiers mieux conçus, plus sobres et plus sûrs.
Le cadre macro-économique reste à surveiller: volatilité de l’énergie, coûts de financement, disponibilité des granulats, concurrence sur les marchés urbains. Les enquêtes auprès des entreprises pilotées par l’Insee rappellent l’intérêt d’un suivi conjoncturel fin, notamment lors de chocs de prix où l’indexation contractuelle et la logistique des matériaux deviennent déterminantes.
Ce qui fera la différence en 2025-2030
Trois facteurs paraissent décisifs pour les ETI de TP: la capacité d’innovation utile (mesurable dans les coûts et la qualité), la maîtrise des actifs (carrières, flotte, centrales) et la discipline contractuelle (indexation, clauses de révision, standardisation des méthodes). Charier aligne ces trois ressorts pour soutenir sa trajectoire climat et sa rentabilité.
Une histoire industrielle qui éclaire les défis actuels
Du premier chantier de voirie aux routes bas carbone, Charier illustre ce qu’un capital patient et une culture technique peuvent accomplir dans un secteur à fortes intensités capitalistique et matérielle. La combinaison d’actifs miniers, d’une organisation motorisée et d’un recentrage stratégique a permis de traverser la crise financière, puis de relancer sur des bases plus sobres.
La feuille de route à 2030 sera un test exigeant. S’il est tenu sans sacrifier l’exécution, l’objectif de -30 pour cent d’émissions installera durablement l’entreprise à la croisée des demandes publiques et privées. Les fondamentaux sont posés: innovation, ancrage régional, discipline, et ambition environnementale ajustée à la réalité opérationnelle.
Un siècle d’actifs et d’innovation, une décennie de transition: Charier illustre la force d’un pilotage patient qui transforme les contraintes climatiques en avantage compétitif, sans perdre de vue la performance d’exécution.