Deux jeunes entreprises implantées à Vierzon attirent l’attention des observateurs : l’une se consacre à la revalorisation du marc de café et l’autre s’illustre dans la robotique modulaire. Leur stratégie de développement, présentée récemment et relayée sur la page LinkedIn du B3 Village by CA Vierzon, augure de nouvelles perspectives pour cette ville du Cher. Voici un tour d’horizon détaillé sur leurs ambitions et leurs projets en cours.

Un environnement propice à la croissance entrepreneuriale

Au cœur de la région Centre-Val de Loire, Vierzon cherche depuis plusieurs années à diversifier son tissu économique. Longtemps portée par l’industrie métallurgique et agricole (en témoignent ses anciennes usines de machines agricoles), la commune mise désormais sur des activités technologiques et innovantes, épaulées par des structures d’incubation soucieuses de créer de l’emploi localement.

Le B3 Village by CA Vierzon illustre parfaitement cet élan. Situé sur le site réhabilité de l'ancienne usine Société Française, il a pour vocation d’accueillir et d’accompagner des porteurs de projets de tous horizons. C’est dans cet espace que deux start-up, V.Biotech et Free Moov Robotics, ont choisi de poser leurs valises pour concrétiser leurs ambitions. Elles en sont désormais au stade où leurs innovations pourraient rapidement passer à une véritable phase industrielle. L’idée est simple : accompagner l’étape sensible qui sépare le prototype d’un produit final prêt à la commercialisation, tout en bénéficiant d’un contexte local favorable.

Le principal bénéfice pour Vierzon ? Tisser des synergies entre l’économie traditionnelle du territoire et de nouvelles filières porteuses. La transformation du site de l’ancienne usine Société Française symbolise ainsi le passage d’une ère industrielle classique à un écosystème moderne. Ce changement implique la création de pôles de recherche, l’arrivée de nouveaux emplois, et la naissance de réseaux de sous-traitants, essentiels pour alimenter la croissance de ces jeunes pousses technologiques.

V.Biotech : six millions d’euros pour extraire la valeur du marc de café

Parmi ces projets prometteurs, V.Biotech a franchi une étape décisive : une levée de fonds de six millions d’euros destinée à développer l’ensemble du processus de valorisation du marc de café. L’objectif est de récupérer, via des procédés chimiques et biotechnologiques, les molécules présentes dans ce déchet organique, afin de les employer dans des secteurs stratégiques comme la cosmétique, la pharmacie ou encore la confection de matériaux biosourcés.

Les ambitions de V.Biotech s’organisent en deux temps :
• Installation d’un laboratoire de R&D axé sur l’extraction moléculaire, prévu à Reims.
• Construction d’une future usine de traitement à Vierzon, d’ici à 2027, pour augmenter de façon significative les capacités de production.

L’approche est à la fois industrielle et écologique. La matière résiduelle issue de l’extraction (après avoir retiré les huiles et molécules actives) devient un bio matériau remplaçant partiellement les plastiques d’origine pétrochimique. En ligne de mire : une usine pouvant recycler jusqu’à 30.000 tonnes de marc de café par an. Les marchés visés comprennent aussi bien les fournisseurs de cosmétiques que les groupes de pharmacie souhaitant verdir leurs produits.

Le terme « chimie verte » recouvre l’ensemble des procédés de transformation visant à limiter l’utilisation de substances dangereuses et à réduire l’empreinte environnementale. En France, elle est encouragée par les pouvoirs publics via des financements et des appels à projets spécifiques, favorisant le développement de biomatériaux ou de méthodes d’extraction éco-responsables.

Derrière cette chimie verte, il y a aussi un enjeu économique de taille : valoriser un gisement jusqu’ici peu exploité. Le marc de café, produit en grandes quantités par les ménages et surtout par la restauration collective ou les entreprises, se retrouve trop souvent jeté. En récupérant cette ressource à grande échelle, V.Biotech vise, à terme, une rentabilité soutenue par la vente de composants haut de gamme et par la réponse à une demande croissante de solutions durables.

Le recyclage du marc de café : pourquoi cet engouement ?

Les applications de la matière extraite du marc de café sont multiples. On cite souvent les molécules antioxydantes — qui ont un fort potentiel dans le domaine de la cosmétique — ou encore certaines huiles pouvant servir de base pour des crèmes ou des compléments alimentaires. Dans le secteur pharmaceutique, la recherche explore déjà depuis quelques années l’usage de composants d’origine végétale en substitut ou en complément d’actifs de synthèse.

La production d’un bio matériau, moins impactant pour l’environnement, s’inscrit aussi dans une tendance forte. Les industriels tentent de réduire leur dépendance aux plastiques pétro-sourcés. De nombreux acteurs se positionnent sur ce marché, depuis des start-up jusqu’à des groupes internationaux souhaitant verdir leur gamme de produits. L’initiative de V.Biotech s’aligne donc avec un mouvement global, tout en promouvant le développement d’une filière localisée en France, gage d’une réduction de l’empreinte carbone liée aux importations.

Le marc de café est un déchet relativement lourd et humide, ce qui complique sa collecte. Les start-up comme V.Biotech doivent établir des partenariats avec des entreprises de restauration, des chaînes de cafés ou des collectivités pour récupérer régulièrement ces déchets. Une logistique optimisée est donc indispensable pour assurer l’essor de cette filière.

Au-delà de l’industrie, le potentiel économique de ce recyclage réside aussi dans la commercialisation de sous-produits variés : sacs biodégradables, paillages agricoles enrichis en nutriments, ou encore pigments naturels. Chaque dérivé présente un intérêt particulier pour un secteur donné, rendant le modèle économique plus flexible et répartissant les risques. Les six millions d’euros levés permettront à V.Biotech de renforcer son expertise, de multiplier les recherches et de tester différents débouchés, validant ainsi l’adéquation produit-marché avant l’ouverture du site industriel à Vierzon.

Free Moov Robotics : la modularité au service de la productivité

Deuxième pépite de cet écosystème en pleine ébullition : Free Moov Robotics. Avec une levée de fonds de 800.000 euros, cette jeune entreprise conçoit des robots modulaires baptisés Nodes. Leur particularité ? Être capables de transporter des charges importantes, en intérieur comme en extérieur, grâce à un système d’entraînement et de roues de grand diamètre. L’avantage concurrentiel réside dans la simplicité d’utilisation : d’une simple pression du pouce, l’opérateur guide le robot qui se déplace de façon fluide.

Bien au-delà de l’usine traditionnelle, ces robots de manutention ciblent la maintenance industrielle, la construction ou encore la logistique sur des terrains variés, comme les entrepôts, les chantiers extérieurs ou les grandes surfaces de stockage. L’objectif : réduire la pénibilité du travail et accroître la productivité. Les 800.000 euros amassés permettront à Free Moov Robotics de lancer une première série, afin d’obtenir toutes les certifications nécessaires et de déployer une centaine de prototypes chez leurs clients pilotes.

Bon à savoir sur la robotique mobile

Les robots mobiles autonomes se distinguent des robots classiques (fixes ou à rails). Ils intègrent des capteurs et des algorithmes leur permettant de se déplacer et d'interagir avec leur environnement. Cette technologie est en plein essor, portée par la raréfaction de la main-d’œuvre et la recherche d’une productivité accrue dans un contexte industriel compétitif.

Prenons le cas d’une chaîne de production nécessitant des déplacements fréquents de pièces lourdes : un opérateur unique, aidé par un Node, peut gérer ces transferts en toute sécurité, ce qui se traduit par un gain de temps et une diminution du risque de TMS (troubles musculo-squelettiques). L’intérêt est donc palpable pour nombre d’entreprises recherchant des solutions à la fois robustes et flexibles.

Les étapes à franchir pour Free Moov Robotics

Les exigences réglementaires autour de la robotique mobile en France et en Europe sont strictes. Il s’agit de garantir la sécurité du personnel et du matériel environnant. Les robots en phase de test, même s’ils sont opérationnels, doivent ainsi être validés par des organismes de contrôle, afin d’obtenir un marquage CE. Ce label officiel atteste que le produit respecte les normes de santé, de sécurité et de protection de l’environnement en vigueur dans l’Union européenne.

Free Moov Robotics doit donc finaliser ses prototypes, réaliser des essais en conditions réelles et bâtir un dossier technique solide. Une étape cruciale, d’autant plus que l’entreprise souhaite se tourner rapidement vers l’international. Pour convaincre des clients potentiels, la start-up compte mettre en circulation une première vague de 100 unités de test. Si les retours sont positifs, l’industrialisation à grande échelle suivra, nécessitant une nouvelle levée de fonds.

Un robot modulaire est un système composé d’éléments interchangeables (moteurs, capteurs, roues, etc.) pouvant être réorganisés pour répondre à des tâches variées. Cette approche « plug-and-play » simplifie la maintenance et permet d’adapter rapidement le robot à un nouveau contexte d’utilisation, sans avoir à concevoir un nouveau modèle complet.

À ce jour, l’assemblage de ces robots se fait en Essonne. Toutefois, Free Moov Robotics projette de transférer ses ateliers à Vierzon dès qu’elle disposera des fonds suffisants pour lancer la production en série. Le calendrier envisagé table sur un à deux ans avant cette prochaine levée de fonds. L’installation dans le Cher marquera un tournant pour la société, qui bénéficiera alors d’un réseau local de fournisseurs et d’un soutien logistique adapté.

B3 Village by CA Vierzon : un accompagnement à taille humaine

Le B3 Village by CA Vierzon se démarque des grands incubateurs parisiens ou lyonnais. Selon son co-fondateur, Eric Larchevêque (connu pour avoir co-créé Ledger, spécialisé dans les portefeuilles de cryptomonnaies), l’atout principal réside dans l’accompagnement personnalisé. Le concept : proposer un suivi sur mesure, en prenant en compte la réalité du terrain, les besoins en formation et les spécificités du marché local.

Des sessions de mentoring sont organisées, avec des experts en marketing, en finance ou en propriété industrielle. Des rencontres régulières réunissent les start-up du site, permettant de mutualiser les bonnes pratiques et de résoudre ensemble des problématiques communes (logistique, approvisionnement, recrutement). Cette dynamique collective renforce la cohésion et l’envie d’innover. Le B3 Village abrite actuellement une dizaine de jeunes pousses, toutes dans des secteurs différents, mais partageant cette volonté de concrétiser une vision industrielle ancrée en région.

Par ailleurs, ce modèle d’incubation s’inscrit dans la stratégie de la Caisse Régionale du Crédit Agricole. L’institution soutient le développement économique local, en fournissant un écosystème complet : espaces de coworking, conseils juridiques et financiers, accès à des partenaires potentiels, voire des financements. Le partenariat entre Eric Larchevêque, investisseur, et le B3 Village by CA répond à l’objectif de créer des passerelles entre la FinTech et l’industrie traditionnelle.

Les défis financiers et juridiques des start-up industrielles

Au-delà de l’innovation, l’aspect financier représente souvent le nerf de la guerre pour les start-up industrielles. Les projets d’ampleur (tels que la construction d’usines ou le déploiement de robots à grande échelle) exigent des investissements significatifs. Pour V.Biotech, il s’agit d’acquérir des équipements de pointe et de sécuriser l’approvisionnement en marc de café, tandis que Free Moov Robotics doit garantir la robustesse de ses chaînes de production et l’obtention de certifications coûteuses.

Les investisseurs, qu’ils soient business angels, fonds de capital-risque ou entités publiques comme Bpifrance, scrutent attentivement la capacité d’exécution des dirigeants. L’enjeu réside dans la bonne articulation entre le financement initial, la R&D et la validation de marché. Tout faux pas à ce stade pourrait compromettre la viabilité du projet.

Sur le plan juridique, les start-up doivent naviguer entre plusieurs contraintes réglementaires. Dans le secteur de la chimie verte, les certifications écologiques et la conformité avec la législation REACH (qui encadre l’enregistrement et l’évaluation des substances chimiques en Europe) sont indispensables. Du côté de la robotique, les normes de sécurité (directive Machines 2006/42/CE, ISO 12100, etc.) imposent des tests approfondis. Se conformer à ces règles dès le départ évite de futurs litiges et renforce la crédibilité auprès des clients.

Point légal : l'importance des normes CE

Le marquage CE est un indicateur clé pour les produits commercialisés dans l’UE. Il garantit la conformité aux normes de sécurité et de santé communautaires. L’absence de ce marquage peut bloquer la mise sur le marché, entraîner des sanctions financières et porter atteinte à la réputation de l’entreprise.

Bien que ces contraintes soient exigeantes, elles assurent une concurrence loyale et la qualité des produits vendus sur le marché français et européen. Les investisseurs apprécient généralement les sociétés ayant déjà intégré ces impératifs en amont, car cela démontre une gestion rigoureuse et une conscience des obligations légales.

Perspectives économiques : un atout pour la région de Vierzon

Si ces deux entreprises poursuivent leur trajectoire, Vierzon se retrouvera dotée d’une usine de valorisation du marc de café et d’ateliers de robotique avancée dans un futur proche. Les retombées directes seront la création d’emplois (ingénieurs, techniciens, opérateurs de production) et l’attraction de nouveaux prestataires (fournisseurs de pièces mécaniques, spécialistes de la logistique, etc.). Indirectement, ces projets contribuent à revaloriser l’image d’une zone longtemps cataloguée comme en déclin industriel.

Les acteurs publics locaux et régionaux, à l’instar de la mairie de Vierzon et du conseil régional du Centre-Val de Loire, soutiennent ces initiatives en mettant à disposition des terrains, en facilitant les démarches administratives et en encourageant les circuits courts de production. Par ailleurs, l’arrivée de familles de cadres et de chercheurs favorise aussi le dynamisme social : fréquentation accrue des commerces, renforcement du secteur éducatif, mais aussi émergence d’associations ou de clubs liés à l’innovation. À moyen terme, l’ensemble du bassin pourrait en bénéficier.

Une mise en perspective des tendances actuelles

La France se positionne depuis quelques années comme un acteur majeur de l’innovation industrielle, soutenue par des dispositifs gouvernementaux (Plan France Relance, crédit d’impôt recherche, labels French Fab, etc.) et une volonté de rapatrier certaines productions. La réindustrialisation, couplée à des orientations écologiques, apparaît comme un levier de compétitivité pour les territoires en quête d’avenir.

Dans ce contexte, V.Biotech et Free Moov Robotics illustrent deux pans essentiels de la transition industrielle :
• L’un parie sur le développement durable via la transformation de déchets (le marc de café).
• L’autre mise sur la robotique, un secteur clé où la France entend rivaliser avec les plus grands.

Pour autant, des inconnues demeurent. Les évolutions technologiques sont rapides, et les concurrents internationaux pourraient proposer des alternatives similaires. De même, l’accès aux financements à des conditions avantageuses peut se complexifier si le contexte économique se tend. Néanmoins, la combinaison d’un fort soutien local et d’un marché en expansion confère à ces start-up un atout certain pour réussir leur pari.

Chiffres clés de l'industrie robotique

Selon la Fédération Internationale de Robotique, le marché mondial des robots pourrait croître en moyenne de 12% par an jusqu’en 2025. Les secteurs porteurs incluent la logistique, le BTP et l’agroalimentaire. En France, on estime que la densité robotique (nombre de robots pour 10.000 employés) est encore inférieure à celle de l’Allemagne, laissant une marge de progression importante.

Des ambitions à surveiller de près

Avec ces deux entreprises, Vierzon se prépare à un futur où la matière première négligée (le marc de café) devient un trésor de chimie verte, et où la robotique modulaire transforme les méthodes de manutention. L’empreinte industrielle évolue, laissant entrevoir un paysage d’entreprises high-tech et d’usines propres, en synergie avec un pôle d’innovation local solide.

Le cas de V.Biotech témoigne d’une volonté de créer une vraie chaîne de valeur, de la collecte du marc à sa transformation en solutions prêtes à l’emploi dans divers secteurs. Free Moov Robotics, pour sa part, fait le pari d’une approche modulaire, plus agile et plus flexible que les systèmes automatisés traditionnels. Les deux structures misent sur la spécialisation et la qualité made in France pour se démarquer.

Au final, Vierzon devient un symbole de transition industrielle, démontrant que l’innovation et le développement durable peuvent fleurir même dans des zones historiquement marquées par le déclin, pour peu qu’existent des incubateurs audacieux, des investisseurs visionnaires et une vraie ambition de la part des entrepreneurs.