Au Havre, Towt maintient le cap. Malgré un choc fiscal majeur sur les charges sociales des armateurs français depuis mars 2025, la compagnie de cargos-voiliers confirme une montée en puissance industrielle. Objectif public: huit navires d’ici mi-2027, porté par un carnet de commandes sécurisé, des lignes diversifiées et un modèle d’exploitation orienté décarbonation.

Extension de la flotte Towt : cap sur huit cargos-voiliers d’ici mi-2027

Fondée en 2012, Towt (TransOceanic Wind Transport) s’est imposée comme un acteur pionnier du fret vélique. L’entreprise opère actuellement deux cargos-voiliers de classe Phénix, Anemos et Artemis, mis à l’eau il y a environ un an. La trajectoire annoncée par le président-fondateur Guillaume Le Grand reste intacte: une flotte portée à huit unités d’ici mi-2027.

Ce cap s’appuie sur un phasage de livraisons précisé publiquement: un troisième navire attendu en 2026, construit par le chantier breton Piriou, puis six autres unités en construction au Vietnam, pour atteindre l’objectif de flotte. D’après une publication sectorielle de référence, cette série permettrait à Towt de densifier ses rotations sur l’Atlantique et d’ouvrir de nouveaux faisceaux de liaisons (Jeune Marine, 18 août 2025).

Towt : historique et modèle d’affaires

Le positionnement de Towt est clair: réduire drastiquement les émissions de CO2 du fret maritime via des cargos-voiliers modernes, aptes à naviguer 95 % du temps à la voile. Depuis ses débuts, l’entreprise a développé une offre à forte valeur ajoutée environnementale, qui séduit des chargeurs sensibles à la traçabilité carbone.

  • Trafic réalisé: 25 traversées transatlantiques effectuées.
  • Volumes: 20 000 tonnes de marchandises transportées.
  • Effet carbone: une quantité équivalente de CO2 évitée, selon Guillaume Le Grand.
  • Capacités: l’équivalent de 180 EVP par navire, ou jusqu’à 900 palettes, soit environ 1 300 tonnes.
  • Effectifs: environ 50 salariés, dont 35 marins.

La direction projette 60 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2028 si la montée en charge industrielle est tenue. Towt confirme par ailleurs la poursuite d’une logique multi-pays pour les constructions, conjuguant savoir-faire breton et chantiers asiatiques pour sécuriser prix et délais.

Chiffres opérationnels communiqués par Towt

Indicateurs marquants de l’exploitation vélique actuelle:

  • Deux navires opérationnels: Anemos et Artemis.
  • 25 traversées transatlantiques et 20 000 tonnes transportées.
  • Propulsion à la voile à 95 %, vitesse jusqu’à 13 nœuds.
  • Durée indicative d’une traversée vers New York: environ 10 jours.
  • Capacité type: 180 EVP ou jusqu’à 900 palettes, environ 1 300 tonnes par voilier.

Towt articule son offre autour de navires véliques récents, dotés d’une motorisation de secours mais conçus pour naviguer principalement sous voile. Le modèle privilégie des flux réguliers de produits à forte composante marque ou origine (vins, café, cosmétiques, mode), où la valeur de la preuve carbone crée un différenciant commercial. La firme s’appuie sur des entrepôts dédiés et des moyens de manutention propres pour contourner les congestions portuaires.

Charges patronales : la suppression des exonérations rebat les équilibres

Le choc est budgétaire et immédiat. En mars 2025, la loi de financement de la sécurité sociale a supprimé l’exonération de cotisations patronales dont bénéficiaient les armateurs français depuis 2016. Pour Towt, l’impact est chiffré: +20 % de charges sociales, soit environ 20 000 euros de plus par mois sur la trésorerie.

Guillaume Le Grand résume la tension sociale et financière: « Cette loi tire sur nos propres marins. » L’entreprise a étudié un changement de pavillon mais temporise. Towt indique attendre d’éventuelles évolutions législatives d’ici fin 2025 avant tout arbitrage structurant.

Impact financier immédiat et arbitrages

  • Effet P&L: hausse mécanique des coûts salariaux affectant la marge opérationnelle.
  • Trésorerie: surcoût récurrent mensuel de 20 000 euros, à absorber ou compenser.
  • Compétitivité: remise en question d’un levier historique de compétitivité-coût pour les armateurs français.

Depuis 2016, une exonération de cotisations patronales allégeait le coût du travail à bord pour les armateurs français. Sa suppression en mars 2025 renchérit le coût total de l’équipage.

Pour Towt, cela se traduit par un renchérissement de 20 % des charges sociales, soit environ 20 000 euros par mois. L’effet cumulatif peut contraindre les calendriers de livraison, les planifications de lignes ou la structure des prix de fret.

Repères de flotte marchande en France

Au 1er janvier 2025, la France compte 441 navires de plus de 100 UMS, dont 213 navires de transport et 228 unités de services maritimes (ministère de la Mer). Ces chiffres soulignent l’ampleur des enjeux sociaux et de compétitivité pour l’ensemble de la filière.

Sans divulguer d’éléments confidentiels, on peut illustrer l’impact de +20 % de charges sociales par un accroissement de cash-out mensuel d’environ 20 000 euros pour Towt. Concrètement, cela peut:

  • Réduire la marge nette par rotation si les tarifs de fret restent constants.
  • Créer un décalage de trésorerie en période de montée en puissance de flotte.
  • Nécessiter des ajustements opérationnels (taux d’utilisation, densification des lignes, mix de cargaisons).

Ces arbitrages restent internes à l’entreprise et ne sont pas détaillés publiquement.

Cadre législatif : la proposition d’Agnès Firmin Le Bodo et les ajustements techniques

Une piste de stabilisation se dessine au Parlement. La députée havraise Agnès Firmin Le Bodo porte une proposition de loi pour accélérer le transport maritime à propulsion vélique. Le texte, qui pourrait être déposé d’ici fin 2025, viserait à compenser le choc fiscal et à soutenir les armateurs qui investissent dans la décarbonation de leurs flottes.

Objectifs législatifs affichés

  • Favoriser l’innovation vélique et les modèles à forte réduction d’empreinte carbone.
  • Rééquilibrer les coûts subis depuis mars 2025 pour préserver l’emploi maritime français.
  • Clarifier le cadre afin d’accompagner l’industrialisation des cargos-voiliers.

En parallèle, des discussions gouvernementales existent pour adapter certains volets réglementaires, notamment autour des divisions 241 et 242 applicables aux navires de plaisance professionnelle. Si Towt opère dans le fret, ces ajustements techniques peuvent inspirer des révisions de normes ou de procédures connexes, à la marge, afin d’accélérer l’adoption de technologies véliques.

Les divisions 241 et 242 encadrent la réglementation des navires de plaisance professionnelle. Elles fixent des exigences techniques et de sécurité. Même si ces divisions ne régissent pas directement les cargos de fret, l’expérience acquise sur les navires à voile professionnels peut inspirer des évolutions pour la filière vélique, via des rapprochements techniques ou des procédures d’évaluation adaptées.

Ce qui pourrait changer d’ici fin 2025

La proposition de loi portée par Agnès Firmin Le Bodo viserait:

  1. À accélérer l’émergence d’une filière vélique compétitive depuis la France.
  2. À compenser partiellement les conséquences de la suppression des exonérations de cotisations.
  3. À sécuriser un cadre incitatif pour les armateurs investissant dans la décarbonation.

Le calendrier et les contours définitifs ne sont pas encore communiqués.

Marchés et routes : l’effet Trump et la recomposition des lignes

Sur le plan géopolitique, Guillaume Le Grand qualifie l’exercice 2024-2025 d’« annus horribilis ». L’élection de Donald Trump et le durcissement de la guerre commerciale ont refroidi les flux vers les États-Unis, marché qui représentait un tiers des volumes de Towt. Des clients se détournent temporairement de la destination américaine, entraînant une contraction marquée des échanges transatlantiques.

Pour amortir ce repli, la compagnie souligne une diversification de ses routes. Selon un article de presse, Towt adapte son réseau et fait évoluer ses liaisons afin de sécuriser son plan de charge (Le Télégramme, 5 septembre 2025).

Nouvelles orientations géographiques

  • Amériques: redéploiement vers la Colombie et le Brésil pour le café.
  • Antilles et Guyane: intensification des liaisons vers Pointe-à-Pitre en Guadeloupe et vers la Guyane.
  • Élargissement océanique: à partir de 2026, présence prévue sur l’Atlantique, la Méditerranée et, à terme, dans le Pacifique.

Cette recomposition vise un double objectif: lisser les risques politiques tout en préservant la densité de charge des navires. Elle s’appuie sur un portefeuille marchandises diversifié: vins et spiritueux, mode, produits manufacturés, blé, cosmétiques.

En multipliant les familles de produits et les origines, l’armateur réduit son exposition à une seule géographie ou à un seul secteur. Sur un navire de 180 EVP équivalent, optimiser le mix palettes permet de préserver le taux de remplissage et d’améliorer l’utilisation des cales. L’ajustement rapide des escales et des cycles logistiques devient un levier d’agilité commerciale.

Atouts technologiques : performance vélique et promesse carbone

Le cœur du modèle repose sur la propulsion vélique moderne, avec un usage résiduel des moteurs. Les navires de Towt naviguent à 95 % à la voile et atteignent jusqu’à 13 nœuds, soit des temps de traversée compétitifs: vers New York, environ 10 jours.

Côté empreinte environnementale, la firme met en avant 2 g de CO2 par tonne-kilomètre, contre 100 g pour un porte-conteneurs et 1 000 g pour l’avion. Cette réduction s’inscrit dans les objectifs de transition d’un secteur qui pèse environ 3 % des émissions globales, rappelant l’urgence d’une décarbonation à grande échelle.

Architecture logistique et manutention

  • Palettisation plutôt que conteneurisation, pour des opérations plus souples.
  • Entrepôts et moyens de déchargement propres afin d’éviter les congestions portuaires.
  • Équipage resserré: seulement sept marins pour manœuvrer des unités de 82 mètres.

Ce schéma limite les goulots d’étranglement, réduit les temps d’attente, et vise une ponctualité de service comparable aux standards du liner, avec un profil d’émissions fortement inférieur.

Où se situe l’industrie française du fret vélique

La flotte marchande française compte 441 navires de plus de 100 UMS au 1er janvier 2025, dont 213 navires de transport et 228 navires de services. La filière vélique est émergente, mais soutenue par des initiatives privées et des réflexions réglementaires en cours pour accompagner l’innovation maritime.

La palettisation permet un gain de flexibilité et la transformation des navires en plateformes de groupage fin. Elle est cohérente avec des flux premium (vins, café, cosmétiques) et une recherche de traçabilité. En contrepartie, elle mobilise une organisation logistique pointue et des processus de chargement spécifiques, pris en charge par Towt via ses entrepôts et équipements.

Nouveaux revenus : cabines passagers et offre élargie

Depuis décembre 2024, Towt commercialise des cabines passagers sur ses voiliers. Les réservations sont ouvertes depuis juin 2025 vers New York, le Guatemala, la Colombie ou Pointe-à-Pitre. Cette diversification soutient la rentabilité par rotation tout en renforçant la notoriété de marque auprès d’un public sensible à l’écologie.

Intérêt économique de l’offre passagers

  • Monétisation d’un espace non dédié au fret, sans nuire à l’emport marchandises.
  • Effet d’image: visibilité accrue du modèle vélique auprès du grand public.
  • Risque maîtrisé: intégration sur des lignes existantes avec équipages de sept marins.

Au-delà du chiffre d’affaires additionnel, les passagers deviennent des ambassadeurs de l’expérience vélique. Ils contribuent à populariser une logistique bas-carbone qui se joue dans la durée, plus que sur le « temps réel ».

Le modèle privilégie le fret. Les cabines s’intègrent dans une logique de revenu accessoire, calibrée pour ne pas perturber la stabilité opérationnelle: horaires, sécurité, manutention. Les offres sont conçues pour suivre les rotations économiques utiles au transport de marchandises, sans créer de lignes dédiées aux passagers.

Ce que signifie l’offensive de Towt pour la filière vélique française

Entre contraintes fiscales et aléas géopolitiques, Towt maintient un plan d’industrialisation ambitieux. La perspective d’une proposition de loi dédiée au transport vélique offre un signal de stabilisation réglementaire, susceptible d’accélérer les investissements bas-carbone. Dans l’intervalle, l’entreprise ajuste ses routes, soigne son mix de cargaisons et développe un revenu passagers cohérent avec sa stratégie.

Pour la filière, le message est pragmatique: la décarbonation du fret maritime ne se limitera pas aux technologies lourdes, mais passera aussi par des architectures vélique + logistique capables d’apporter une valeur économique mesurable. Les expérimentations en cours et la montée en flotte de projets comme Towt apportent des preuves d’exécution, dans une industrie où l’effet d’échelle reste à bâtir.

Le vent peut tourner, mais la trajectoire industrielle se tient lorsque les choix techniques, commerciaux et réglementaires s’alignent.