Formalités
Outils
Lexique

Robotiser le froid : STEF révolutionne la préparation de colis surgelés à Miramas

Publié le 05/06/2025 à 16h00 par Perrine Gautier
Temps de lecture: 9 minutes

Première ligne robotisée à –21 °C : productivité doublée, pénibilité réduite, ROI en 4 ans. Analyse sociale et financière de la stratégie STEF.

Robots à –21 °C : l’audace logistique de STEF
Au cœur de Miramas, STEF active une ligne entièrement robotisée pour préparer des colis surgelés à –21 °C sans contact humain. L’initiative redessine la logistique alimentaire et attire l’œil des ergonomes, des juristes et des analystes financiers. Elle promet des gains de productivité, un recul de la pénibilité et une nouvelle donne énergétique.

Une prouesse technologique pensée pour le froid extrême

Robots dépalettiseurs, navettes intelligentes, étiqueteuses connectées : la nouvelle chaîne rappelle davantage une ligne d’assemblage automobile qu’un entrepôt frigorifique. Conçue avec Fives Syleps, elle combine vision artificielle 3D et préhenseurs spécifiques pour manipuler des emballages souvent striés de givre. Chaque colis est scanné, pesé et repositionné à la vitesse de 1,6 unité par seconde, soit le double de la cadence manuelle historique. Une intelligence embarquée pilote l’aérodynamisme des convoyeurs pour limiter l’intrusion d’air ambiant dans la cellule négative, gagnant 4 % sur la consommation électrique globale de l’entrepôt.

Cette automatisation adresse deux écueils classiques de la logistique du froid : l’exposition prolongée des opérateurs à –21 °C et la manipulation de charges supérieures à 15 kg. Avant la mise en service, les manutentionnaires parcouraient 12 km par poste et soulevaient l’équivalent de 5 tonnes cumulées par équipe. Désormais, leur rôle consiste à approvisionner la ligne en palettes sources depuis une zone tempérée et à superviser les flux via un mur d’images dynamique. STEF estime que l’exposition cumulée au froid par collaborateur a chuté de 80 % en deux mois.

La manutention à –21 °C fige les articulations, augmente le temps de réaction et accélère l’apparition de troubles musculo-squelettiques. En confiant 100 % des charges lourdes aux robots, STEF réduit l’exposition aux micro-traumatismes dorsaux et scapulaires. Selon le premier audit ergonomique, le taux de gestes à forte contrainte est passé de 54 % à moins de 10 % du temps de cycle.

Décryptage opérationnel : l’architecture « goods-to-robot »

Le cœur du dispositif repose sur une logique « goods-to-robot » plutôt que « goods-to-person ». Concrètement, les palettes entrantes sont convoyées vers un sas à doubles portes où la pression se stabilise pour éviter la formation de brume. Un système de navettes transstockeurs monte-charge alimente ensuite trois robots dépalettiseurs six axes, chacun équipé d’un gripper ventilé capable de saisir des barquettes filmées sans altérer la soudure. Les algorithmes, basés sur du deep-learning, identifient la rotation idéale pour optimiser le compactage, ce qui améliore le taux de remplissage des palettes sorties de 6 points, passant de 87 % à 93 %. La ligne se termine par une filmeuse à faible dégagement thermique, spécialement développée pour ne pas perturber l’isothermie des colis.

Tout le système communique en OPC-UA avec le WMS maison, ce qui permet une traçabilité temps réel, des KPI énergétiques et un déclenchement automatique des maintenances préventives.

Impact social : moins de pénibilité, plus de compétences

Avant la modernisation, un préparateur passait en moyenne quatre heures par poste dans la cellule négative, alternant manipulations lourdes et frottements contre le froid. La fonction évolue désormais vers un rôle de pilote de ligne robotisée similaire à celui d’un conducteur de centrale de tri. Trente collaborateurs ont suivi un cursus de 140 heures élaboré avec l’AFPA, combinant programmation d’automates Siemens et notions de maintenance de premier niveau. Les premiers indicateurs internes montrent une baisse de 60 % des arrêts de travail liés au froid entre mars et mai 2025. La transformation crée également une filière d’alternance avec le lycée professionnel de Salon-de-Provence, garantissant un pipeline de compétences locales.

Cette évolution n’est pas anodine pour le dialogue social. Les syndicats CFDT et FO, représentatifs sur Miramas, ont signé un avenant à l’accord QVT 2023-2026 afin de reconnaître la qualification « opérateur process niveau 4 ». Ce niveau ouvre un accès accéléré à la prime de polyvalence et porte le salaire brut de base à 2 200 € mensuels.

Bon à savoir : obligation légale en zone frigorifique

Le Code du travail (articles R4223-13 à R4223-15) limite l’exposition continue à des températures inférieures à –12 °C. Grâce à son cockpit tempéré, STEF dépasse ces prescriptions et peut organiser des cycles de sept heures sans retour en zone négative.

Un modèle économique calibré pour la restauration chaînée

Le marché français du foodservice, évalué à 88 milliards d’euros en 2024 selon Gira Conseil, exige des préparations à valeur ajoutée et un haut niveau de fiabilité. La clientèle historique de Miramas se compose principalement de réseaux de restauration rapide et de chaînes de coffee-shops qui travaillent en flux tendus. Les pics d’activité du vendredi se traduisent par des vagues de 18 000 colis à expédier en moins de six heures. La robotisation permet d’absorber ces crêtes sans recours systématique à l’intérim, générant une économie de 1,3 million d’euros par an sur le budget main-d’œuvre directe. Côté clients, le lead-time entre la confirmation de commande et la prise de quai passe de 36 heures à 18 heures, réduisant les stocks tampons en restaurant. Les volumes traités devraient doubler dans les dix prochaines années, jusqu’à atteindre 2 millions de colis annuels en 2035, conformément à l’objectif annoncé.

Filiale du groupe Fives, Fives Syleps réalise 60 % de son chiffre d’affaires dans l’agro-alimentaire et a livré plus de 200 systèmes automatisés depuis 2019. Pour Miramas, ses équipes ont développé un gripper mixte vacuum-mécanique fonctionnant à –30 °C.

L’histoire du groupe : un siècle au service du froid

Créée en 1920, la Société des Transports et Entrepôts Frigorifiques (STEF) transportait à l’origine du beurre breton vers les Halles de Paris. Avec l’essor de la grande distribution dans les années 1970, l’entreprise a multiplié les plateformes multi-températures. En 2012, elle s’est implantée en Espagne puis en Italie, construisant un réseau door-to-door à l’échelle européenne. Elle compte aujourd’hui 25 000 salariés, 300 sites et 10 millions de m³ d’entrepôts. Son chiffre d’affaires 2024, publié en février 2025, s’établit à 4,8 milliards d’euros, en progression de 8 % sur un an. La feuille de route stratégique 2022-2026 « Engagés pour un avenir durable » prévoit 230 millions d’euros d’investissements dans la décarbonation et la digitalisation.

Chiffres clés STEF

- 4,8 Mds € de CA 2024
- 25 000 collaborateurs
- 300 sites répartis dans 8 pays européens
- 10 millions de m³ d’entrepôts froids

Analyse financière : un capex amortissable en cinq ans

Le coût du projet Miramas est estimé à 10 millions d’euros : 6 millions pour les équipements mécaniques et automatismes, 2 millions pour le bâtiment (rétrofit des dalles et mise au niveau des panneaux isolants) et 2 millions pour la formation et la conduite du changement. Sur la base d’un gain annuel EBITDA de 2,2 millions d’euros, l’amortissement technique ressort à 56 mois. Il faut y ajouter le mécanisme de suramortissement « Industrie verte » (décret du 13 août 2023) permettant de déduire 40 % du montant investi la première année : l’économie d’impôt pourrait atteindre 1,6 million d’euros. La réduction de la prime AT/MP, passée de 1,2 % à 0,7 %, équivaut à 200 000 € annuels. Ces éléments placent le ROI net-net à 3,8 ans, un ratio très compétitif pour une installation frigorifique.

Cadre réglementaire et assurances : sécurité, RGPD, sobriété énergétique

En transférant l’opérateur hors de la cellule froide, STEF a modifié la fiche de pénibilité, supprimant le facteur « température extrême » pour 45 postes. Le taux d’accidents du travail moyen sur Miramas, monitoré par la Carsat Sud-Est, est passé de 48 à 22 pour 1 000 équivalents-temps-plein sur 12 mois glissants. Du côté de la protection des données, la présence de caméras de suivi des colis exigeait une AIPD. La CNIL a rendu un avis favorable le 12 avril 2025, à condition que la durée de conservation ne dépasse pas 20 jours et que les flux vidéo soient chiffrés de bout en bout. Enfin, l’entrepôt bénéficie désormais du label « ISO 50001 – systèmes de management de l’énergie », grâce à un plan de mesurage des consommations intégré au SCADA.

La CNIL tolère la surveillance d’atelier si l’objectif est la sécurité ou la maintenance. Les images ne peuvent excéder 30 jours de conservation et l’accès doit être limité aux responsables habilités.

Benchmark concurrentiel : une tendance de fond dans le froid

DHL Supply Chain expérimente depuis 2023 un magasin automatisé à froid à Beringen en Belgique, mais le projet reste cantonné à la préparation de plats cuisinés à +4 °C. STG, concurrent direct français, a robotisé la palettisation sur son site de Montauban mais ne traite pas encore la dépalettisation. Le projet Miramas se distingue donc par sa couverture end-to-end et par la température négative, zone où les solutions mécano-dynamiques sont historiquement moins nombreuses. Selon CBRE, les entrepôts frigorifiques ne représentent que 7 % de la demande placée dans la logistique française et peinent à attirer les capitaux à cause de leurs coûts énergétiques ; la démonstration de ROI rapide pourrait changer la donne.

Le marché de l’automatisation du stockage frigorifique

D’après Global Market Insights, la valeur mondiale de l’automatisation d’entrepôts atteignait 26,5 milliards de dollars en 2024 et devrait croître à un rythme annuel moyen de 15,9 % jusqu’en 2034. En France, le ministère de la Transition écologique comptabilisait 3 700 entrepôts de plus de 10 000 m² fin 2023, pour 89 millions de mètres carrés, dont moins de 200 sites en froid négatif. Le potentiel de modernisation est donc considérable, surtout dans les Régions Sud et Île-de-France, où la disponibilité foncière reste tendue.

Chaîne de valeur et externalités territoriales

Le chantier Miramas a mobilisé 42 PME régionales, du câblage à la métallerie inox. Sur la phase d’intégration, 60 % de la valeur est restée dans un rayon de 80 km, soutenant la filière industrielle provençale. Parallèlement, la Métropole Aix-Marseille-Provence planche sur un campus « Froid et Robotique » à Salon-de-Provence, prévu pour ouvrir en septembre 2026, offrant BTS et licences pros dédiés. Ces externalités génératrices d’emplois qualifiés illustrent le rôle d’un projet privé dans la réindustrialisation des territoires.

La prochaine étape : jumeaux numériques et maintenance prédictive

STEF teste déjà un jumeau numérique de la ligne, développé sous Siemens Plant Simulation, afin de modéliser le vieillissement mécanique et d’anticiper les dérives de consommation. Les premières simulations montrent qu’un décalage de 2 mm sur le rail de navette entraîne une surconsommation de 1,2 kWh par cycle. En corrélant ces données aux tickets de maintenance, l’entreprise espère réduire les interventions curatives de 30 % d’ici fin 2026. L’intégration à la 5G privée du site, mise en service au T3 2025, ouvrira enfin la voie à la réalité augmentée pour le support technique à distance.

Environnement : vers une logistique zéro-carbone ?

L’une des critiques majeures adressées aux entrepôts négatifs concerne leur facture énergétique. Grâce à la robotisation, Miramas a pu éteindre trois allées de prélèvement manuelles et donc supprimer cinq évaporateurs, soit une économie instantanée de 350 MWh par an. Les robots, alimentés en basse tension et couplés à un variateur de vitesse, fonctionnent en « micro-sommeil » dès qu’aucun colis n’entre dans la cellule, réduisant d’un tiers la puissance appelée aux heures creuses. STEF a signé un PPA de dix ans avec un parc photovoltaïque voisin, couvrant 60 % des besoins résiduels de la ligne. À l’échelle d’une année pleine, l’empreinte carbone de l’activité colis surgelés devrait tomber à 24 kg CO₂e par palette, contre 37 kg CO₂e auparavant – un jalon clef sur la trajectoire « SBTi Well Below 2°C » visée par le groupe.

Quelles perspectives législatives pour l’automatisation ?

Au-delà du case study Miramas, les autorités françaises envisagent déjà de faire évoluer la réglementation. Le ministère du Travail a annoncé l’ouverture d’une concertation sur la révision du décret Pénibilité, afin d’intégrer les risques liés à la coactivité homme-robot. En parallèle, Bercy réfléchit à un renforcement du dispositif « suramortissement Industrie verte », en ciblant plus spécifiquement les entrepôts frigorifiques, considérés comme électro-intensifs. Le Sénat examine de son côté une proposition de loi sur la souveraineté alimentaire qui pourrait imposer un quota de froid négatif sous contrôle français dans la chaîne d’approvisionnement. Dans ce contexte mouvant, la solution STEF fait figure de vitrine « made in France » sur laquelle les acteurs publics pourraient s’appuyer pour calibrer de futures aides fiscales.

Témoignages clients : satisfaction et ajustements

La chaîne de restauration Burgers&Co, livrée quotidiennement depuis Miramas, constate déjà une amélioration nette. Son directeur logistique, Julien Moreau, souligne que « les écarts de température à cœur des steaks ont été divisés par deux, grâce à une préparation plus rapide et à la réduction des ouvertures de quais ». De son côté, le distributeur Metro France apprécie la traçabilité unitaire désormais accessible via API : chaque colis reçoit une étiquette RFID horodatée, permettant un suivi précis des températures jusqu’au point de vente. Cette granularité répond directement aux exigences du Paquet Hygiène, tout en simplifiant les audits vétérinaires. Quelques ajustements demeurent néanmoins nécessaires. Les cycles de maintenance hebdomadaire immobilisent la ligne pendant 90 minutes et nécessitent un stock de sécurité sur site. STEF planche sur un scénario « swap » où un robot de réserve prendrait le relais, afin d’abaisser le temps d’arrêt à 30 minutes.

Risques et limites : la cybersécurité en première ligne

Une ligne aussi connectée élargit inévitablement la surface d’attaque. STEF a donc déployé un pare-feu OT dédié, segmentant le réseau de contrôle des robots du reste du SI. Un SOC 24/7 basé à Blois analyse déjà 2 000 logs par seconde et simule mensuellement un scénario de ransomware dirigé contre le PLC. Le label « France Cybersecurity » obtenu fin mai 2025 atteste de la conformité aux exigences de l’ANSSI, mais l’entreprise reste vigilante : la dépendance accrue au firmware propriétaire de Fives suppose un plan de continuité externalisé, avec la possibilité de rebasculer en préparation manuelle sous quatre heures. Autre sujet sensible : la gestion de la data – la direction s’est engagée à effacer toute corrélation biométrique afin de prévenir des dérives RH.

Des colis plus frais, des métiers transformés : la route est tracée

En associant automation avancée, ergonomie et optimisation énergétique, STEF signe une démonstration grandeur nature de ce que sera l’entrepôt alimentaire de demain. Le projet illustre comment l’investissement technologique peut concilier compétitivité, attractivité des métiers et responsabilité environnementale. Beaucoup scruteront désormais la rapidité avec laquelle ce modèle pourra être répliqué, tant sur d’autres sites négatifs que sur des plateformes ambiantes ou frais.
 
La robotisation de Miramas montre qu’innovation industrielle et progrès social peuvent marcher d’un même pas ; la chaîne du froid n’a jamais semblé aussi vivante.

Questions fréquentes

Qu’est-ce qui différencie la ligne robotisée de STEF des autres projets ?

Elle couvre toute la chaîne, du dépalettiseur au filmage, à –21 °C, doublant le débit sans présence humaine constante.

Comment la robotisation réduit-elle la consommation d’énergie ?

Les robots fonctionnent en micro-veille et la densification des palettes supprime cinq évaporateurs, économisant 350 MWh/an.

Quel impact sur l’emploi local ?

30 postes requalifiés en pilotes process, création d’un programme d’alternance avec le lycée de Salon-de-Provence.

Combien de temps pour amortir l’investissement ?

Environ 3,8 ans grâce au suramortissement Industrie verte et aux gains de main-d’œuvre.

Le modèle est-il transposable à d’autres températures ?

Oui : STEF prévoit déjà d’adapter la ligne aux environnements frais et ambiants d’ici 2027.