Robotiser le froid : STEF révolutionne la préparation de colis surgelés à Miramas
Première ligne robotisée à –21 °C : productivité doublée, pénibilité réduite, ROI en 4 ans. Analyse sociale et financière de la stratégie STEF.

Une prouesse technologique pensée pour le froid extrême
Robots dépalettiseurs, navettes intelligentes, étiqueteuses connectées : la nouvelle chaîne rappelle davantage une ligne d’assemblage automobile qu’un entrepôt frigorifique. Conçue avec Fives Syleps, elle combine vision artificielle 3D et préhenseurs spécifiques pour manipuler des emballages souvent striés de givre. Chaque colis est scanné, pesé et repositionné à la vitesse de 1,6 unité par seconde, soit le double de la cadence manuelle historique. Une intelligence embarquée pilote l’aérodynamisme des convoyeurs pour limiter l’intrusion d’air ambiant dans la cellule négative, gagnant 4 % sur la consommation électrique globale de l’entrepôt.Cette automatisation adresse deux écueils classiques de la logistique du froid : l’exposition prolongée des opérateurs à –21 °C et la manipulation de charges supérieures à 15 kg. Avant la mise en service, les manutentionnaires parcouraient 12 km par poste et soulevaient l’équivalent de 5 tonnes cumulées par équipe. Désormais, leur rôle consiste à approvisionner la ligne en palettes sources depuis une zone tempérée et à superviser les flux via un mur d’images dynamique. STEF estime que l’exposition cumulée au froid par collaborateur a chuté de 80 % en deux mois.
La manutention à –21 °C fige les articulations, augmente le temps de réaction et accélère l’apparition de troubles musculo-squelettiques. En confiant 100 % des charges lourdes aux robots, STEF réduit l’exposition aux micro-traumatismes dorsaux et scapulaires. Selon le premier audit ergonomique, le taux de gestes à forte contrainte est passé de 54 % à moins de 10 % du temps de cycle.
Décryptage opérationnel : l’architecture « goods-to-robot »
Le cœur du dispositif repose sur une logique « goods-to-robot » plutôt que « goods-to-person ». Concrètement, les palettes entrantes sont convoyées vers un sas à doubles portes où la pression se stabilise pour éviter la formation de brume. Un système de navettes transstockeurs monte-charge alimente ensuite trois robots dépalettiseurs six axes, chacun équipé d’un gripper ventilé capable de saisir des barquettes filmées sans altérer la soudure. Les algorithmes, basés sur du deep-learning, identifient la rotation idéale pour optimiser le compactage, ce qui améliore le taux de remplissage des palettes sorties de 6 points, passant de 87 % à 93 %. La ligne se termine par une filmeuse à faible dégagement thermique, spécialement développée pour ne pas perturber l’isothermie des colis.Tout le système communique en OPC-UA avec le WMS maison, ce qui permet une traçabilité temps réel, des KPI énergétiques et un déclenchement automatique des maintenances préventives.
Impact social : moins de pénibilité, plus de compétences
Avant la modernisation, un préparateur passait en moyenne quatre heures par poste dans la cellule négative, alternant manipulations lourdes et frottements contre le froid. La fonction évolue désormais vers un rôle de pilote de ligne robotisée similaire à celui d’un conducteur de centrale de tri. Trente collaborateurs ont suivi un cursus de 140 heures élaboré avec l’AFPA, combinant programmation d’automates Siemens et notions de maintenance de premier niveau. Les premiers indicateurs internes montrent une baisse de 60 % des arrêts de travail liés au froid entre mars et mai 2025. La transformation crée également une filière d’alternance avec le lycée professionnel de Salon-de-Provence, garantissant un pipeline de compétences locales.Cette évolution n’est pas anodine pour le dialogue social. Les syndicats CFDT et FO, représentatifs sur Miramas, ont signé un avenant à l’accord QVT 2023-2026 afin de reconnaître la qualification « opérateur process niveau 4 ». Ce niveau ouvre un accès accéléré à la prime de polyvalence et porte le salaire brut de base à 2 200 € mensuels.
Bon à savoir : obligation légale en zone frigorifique
Le Code du travail (articles R4223-13 à R4223-15) limite l’exposition continue à des températures inférieures à –12 °C. Grâce à son cockpit tempéré, STEF dépasse ces prescriptions et peut organiser des cycles de sept heures sans retour en zone négative.
Un modèle économique calibré pour la restauration chaînée
Le marché français du foodservice, évalué à 88 milliards d’euros en 2024 selon Gira Conseil, exige des préparations à valeur ajoutée et un haut niveau de fiabilité. La clientèle historique de Miramas se compose principalement de réseaux de restauration rapide et de chaînes de coffee-shops qui travaillent en flux tendus. Les pics d’activité du vendredi se traduisent par des vagues de 18 000 colis à expédier en moins de six heures. La robotisation permet d’absorber ces crêtes sans recours systématique à l’intérim, générant une économie de 1,3 million d’euros par an sur le budget main-d’œuvre directe. Côté clients, le lead-time entre la confirmation de commande et la prise de quai passe de 36 heures à 18 heures, réduisant les stocks tampons en restaurant. Les volumes traités devraient doubler dans les dix prochaines années, jusqu’à atteindre 2 millions de colis annuels en 2035, conformément à l’objectif annoncé.Filiale du groupe Fives, Fives Syleps réalise 60 % de son chiffre d’affaires dans l’agro-alimentaire et a livré plus de 200 systèmes automatisés depuis 2019. Pour Miramas, ses équipes ont développé un gripper mixte vacuum-mécanique fonctionnant à –30 °C.
L’histoire du groupe : un siècle au service du froid
Créée en 1920, la Société des Transports et Entrepôts Frigorifiques (STEF) transportait à l’origine du beurre breton vers les Halles de Paris. Avec l’essor de la grande distribution dans les années 1970, l’entreprise a multiplié les plateformes multi-températures. En 2012, elle s’est implantée en Espagne puis en Italie, construisant un réseau door-to-door à l’échelle européenne. Elle compte aujourd’hui 25 000 salariés, 300 sites et 10 millions de m³ d’entrepôts. Son chiffre d’affaires 2024, publié en février 2025, s’établit à 4,8 milliards d’euros, en progression de 8 % sur un an. La feuille de route stratégique 2022-2026 « Engagés pour un avenir durable » prévoit 230 millions d’euros d’investissements dans la décarbonation et la digitalisation.Chiffres clés STEF
- 4,8 Mds € de CA 2024
- 25 000 collaborateurs
- 300 sites répartis dans 8 pays européens
- 10 millions de m³ d’entrepôts froids
Analyse financière : un capex amortissable en cinq ans
Le coût du projet Miramas est estimé à 10 millions d’euros : 6 millions pour les équipements mécaniques et automatismes, 2 millions pour le bâtiment (rétrofit des dalles et mise au niveau des panneaux isolants) et 2 millions pour la formation et la conduite du changement. Sur la base d’un gain annuel EBITDA de 2,2 millions d’euros, l’amortissement technique ressort à 56 mois. Il faut y ajouter le mécanisme de suramortissement « Industrie verte » (décret du 13 août 2023) permettant de déduire 40 % du montant investi la première année : l’économie d’impôt pourrait atteindre 1,6 million d’euros. La réduction de la prime AT/MP, passée de 1,2 % à 0,7 %, équivaut à 200 000 € annuels. Ces éléments placent le ROI net-net à 3,8 ans, un ratio très compétitif pour une installation frigorifique.Cadre réglementaire et assurances : sécurité, RGPD, sobriété énergétique
En transférant l’opérateur hors de la cellule froide, STEF a modifié la fiche de pénibilité, supprimant le facteur « température extrême » pour 45 postes. Le taux d’accidents du travail moyen sur Miramas, monitoré par la Carsat Sud-Est, est passé de 48 à 22 pour 1 000 équivalents-temps-plein sur 12 mois glissants. Du côté de la protection des données, la présence de caméras de suivi des colis exigeait une AIPD. La CNIL a rendu un avis favorable le 12 avril 2025, à condition que la durée de conservation ne dépasse pas 20 jours et que les flux vidéo soient chiffrés de bout en bout. Enfin, l’entrepôt bénéficie désormais du label « ISO 50001 – systèmes de management de l’énergie », grâce à un plan de mesurage des consommations intégré au SCADA.La CNIL tolère la surveillance d’atelier si l’objectif est la sécurité ou la maintenance. Les images ne peuvent excéder 30 jours de conservation et l’accès doit être limité aux responsables habilités.