En rachetant la britannique Congenica, la montpelliéraine SeqOne fait un pas décisif pour structurer un champion logiciel de la génomique clinique à l’échelle européenne. Annoncée le 2 septembre 2025, l’opération réunit une expertise d’interprétation clinique et une technologie d’analyse assistée par l’IA, avec l’ambition revendiquée de bâtir le plus grand acteur mondial dédié exclusivement aux logiciels d’analyse génomique.

Un rapprochement franco-britannique qui rebat les cartes de l’analyse génomique

SeqOne a signé un accord définitif pour acquérir Congenica, spin-off du Wellcome Sanger Institute, référence mondiale en génomique. L’annonce du 2 septembre 2025 s’inscrit dans une stratégie claire de consolidation de la chaîne logicielle, depuis la donnée brute issue du séquençage jusqu’au reporting clinique.

Les modalités financières ne sont pas rendues publiques. Elles interviennent toutefois dans la foulée d’un renforcement des fonds propres de SeqOne en 2025 et d’une prise de contrôle de Life & Soft quelques mois auparavant. Ce double mouvement confirme une volonté d’intégration verticale, avec un portefeuille élargi d’algorithmes, de pipelines bio-informatiques et de services d’interprétation.

La complémentarité est évidente : Congenica apporte une base installée internationale et une légitimité clinique nourrie par le 100,000 Genomes Project britannique. SeqOne a, de son côté, accéléré sur l’IA, l’automatisation des workflows et la scalabilité cloud adaptée aux laboratoires hospitaliers comme aux acteurs privés.

Martin Dubuc, PDG de SeqOne, résume la ligne de crête stratégique : « Le rythme rapide de la médecine personnalisée exige un investissement continu dans l’innovation logicielle et une spécialisation poussée. En intégrant l’équipe de Congenica, nous renforçons notre trajectoire de croissance et notre capacité à fournir un logiciel de pointe ainsi que des services d’interprétation expert. »

Chiffres clés à retenir

Quelques jalons quantifiés qui cadrent l’opération et son marché cible.

  • Annonce : 2 septembre 2025, accord définitif.
  • Base clients SeqOne : plus de 160 laboratoires dans une trentaine de pays.
  • Objectif 2025 : 200 000 analyses génomiques annuelles.
  • Congenica : plateforme clinique déployée dans plus de 20 pays d’utilisation.
  • Plan France Médecine Génomique : 670 millions d’euros, 235 000 génomes visés d’ici 2025.
  • Marché mondial de la génomique clinique : environ 20 milliards de dollars en 2024, avec une projection à 50 milliards en 2030 (Grand View Research).
Métriques Valeur Évolution
Clients SeqOne 160+ laboratoires Extension via réseau Congenica
Analyses visées en 2025 200 000 Capacité en forte hausse
Pays d’utilisation Congenica 20+ pays Consolidation paneuropéenne
FMG 2025 670 M€ Phase d’industrialisation
Coût du séquençage depuis 2003 -99 % Interprétation devient centrale
Marché génomique clinique 20 Md$ 2024 50 Md$ à horizon 2030

La valeur ne se limite plus à la phase de séquençage. Elle se déplace vers l’analyse secondaire alignement, appel de variants et l’analyse tertiaire annotation, priorisation, interprétation clinique. Les plateformes unifiées réduisent le turnaround time, sécurisent la traçabilité et normalisent les comptes rendus, essentiels pour les décisions thérapeutiques et l’assurance qualité.

Feuille de route industrielle et portefeuille clients : de 160 laboratoires à un maillage mondial

SeqOne revendique déjà une base de plus de 160 laboratoires utilisateurs dans une trentaine de pays. En combinant ses atouts en IA avec l’adoption clinique mature de Congenica, la nouvelle entité vise explicitement 200 000 analyses génomiques sur l’année 2025.

Ce niveau implique à la fois des capacités de calcul élastiques, un support client multilingue et des intégrations plus profondes aux systèmes d’information hospitaliers. Il exige aussi une rigueur réglementaire renforcée sur les modules utilisés en contexte diagnostique, ce qui conditionne la vitesse de déploiement pays par pays.

Qui est seqone

Fondée en 2017 et basée à Montpellier, SeqOne s’est positionnée sur l’automatisation de l’interprétation via l’IA, l’optimisation des pipelines NGS et la réduction du temps d’analyse en routine, notamment en oncologie et maladies rares.

La société a bouclé une levée de série A de 20 millions d’euros en 2022, puis une nouvelle levée en 2025, afin d’accélérer sa R&D, sa conformité réglementaire et son déploiement commercial. L’acquisition de Life & Soft est venue renforcer les briques bio-informatiques et les services managés.

Congenica : héritage clinique du sanger institute

Issue du Wellcome Sanger Institute, Congenica a été façonnée par des cas d’usage cliniques exigeants, avec un ancrage fort dans l’écosystème britannique. Son expérience s’est construite au contact du 100,000 Genomes Project lancé par Genomics England, programmé pour les patients du NHS souffrant de maladies rares et de cancers, achevé en 2018.

La plateforme Congenica est utilisée dans plus de 20 pays. Elle s’est distinguée par ses workflows standardisés pour l’interprétation de variants, l’annotation riche et la génération de rapports cliniques conformes aux pratiques hospitalières internationales.

Au-delà des algorithmes, la pérennité des déploiements se joue dans l’intégration au système d’information hospitalier SIH, aux systèmes de laboratoire LIS et LIMS et aux référentiels à jour ClinVar, HGMD, gnomAD. Les connecteurs HL7/FHIR et les API documentées comptent autant que la qualité des modèles d’IA pour industrialiser la routine clinique.

Conformité réglementaire, données de santé et achats publics : les lignes de force en 2025

La fusion réalise une promesse industrielle. Elle s’accompagne d’exigences juridiques fortes, en particulier en France et dans l’Union européenne. Trois chantiers dominent : IVDR, RGPD et interopérabilité au titre de l’European Health Data Space.

Le règlement IVDR 2017/746 restructure la mise sur le marché des dispositifs de diagnostic in vitro. Les logiciels utilisés à des fins diagnostiques entrent dans son périmètre. Il impose une classification, des preuves cliniques renforcées et des audits de qualité. Les mises en conformité progressives jusqu’en 2025-2027 exigent une feuille de route qualité robuste et des ressources dédiées.

Sur les données, le RGPD impose un régime strict pour les données de santé, avec des obligations de minimisation, d’encadrement des transferts et de gouvernance. La décision d’adéquation UE pour le Royaume-Uni, adoptée en 2021, est déterminante pour la fluidité des flux UE-Royaume-Uni. Sa reconduction ou son évolution est un point d’attention en 2025.

Points de vigilance juridiques pour les établissements français

Avant un déploiement large, les établissements doivent cadrer les aspects contractuels et réglementaires.

  1. Qualification logicielle : statut de dispositif médical de diagnostic in vitro éventuel sous IVDR, marquage CE et classe visée.
  2. Localisation des données : hébergement HDS en France ou dans l’UE, encadrement des transferts vers le Royaume-Uni et hors UE.
  3. Conformité RGPD : AIPD, clauses contractuelles types le cas échéant, gestion des droits des patients.
  4. Interopérabilité : compatibilité FHIR, intégrations SIH et LIS, continuité d’activité et réversibilité.
  5. Commandes publiques : respect du Code de la commande publique, allotissement pertinent, critères qualité-sécurité-coût.

Un logiciel utilisé pour l’aide au diagnostic peut être classé DM-DIV. Cela implique un système qualité rigoureux ISO 13485, des preuves cliniques, une gestion de la cybersécurité et un suivi post-commercialisation. Les cycles de mise à jour doivent concilier innovation rapide et contrôle de la conformité, un point clé pour les roadmaps produit.

L’European Health Data Space entre, en 2025, dans une phase de mise en œuvre. Il vise un accès sécurisé et un partage transfrontalier des données de santé dans l’UE, avec un cadre de gouvernance, des services d’accès et des standards d’interopérabilité communs. Il jouera un rôle d’accélérateur pour l’utilisation secondaire de données et la validation d’algorithmes d’IA en conditions réelles (e-sante.gouv.fr).

Enfin, les stratégies nationales influent sur les trajectoires de déploiement. En Allemagne, le Digital Health Act de 2019 a renforcé la digitalisation des soins et l’adoption d’innovations e-santé, ouvrant la voie à des collaborations avec des centres de recherche de premier plan. Le positionnement de SeqOne sur des partenariats hospitalo-universitaires peut y trouver un terrain favorable.

Concurrence internationale : arbitrage entre plateformes et profondeur clinique

Le marché de la génomique clinique gagne en maturité, avec un basculement du différenciateur principal depuis le séquençage vers l’interprétation. La chute du coût du séquençage a déplacé la contrainte vers la qualité des annotations, la traçabilité et l’aide à la décision, en particulier pour les décisions thérapeutiques en oncologie et la confirmation de variants en maladies rares.

Face aux géants intégrés du séquençage et de l’outillage laboratoire, les acteurs logiciels purs doivent prouver une valeur clinique supérieure : précision des pipelines, réduction du temps de rendu, robustesse en production et sécurité réglementaire. La promesse de SeqOne et Congenica est de combiner IA, panoplie d’algorithmes éprouvés et bibliothèque d’interprétations cliniques issues de pratiques hospitalières.

Sophia genetics : une comparaison utile

Basée en Suisse et cotée au Nasdaq, SOPHiA GENETICS a ouvert la voie à des plateformes cloud d’analyse et d’interprétation multi-omiques, avec un réseau de partenaires hospitaliers mondial. La comparaison est pertinente sur le plan du modèle de plateforme et de l’effort d’interopérabilité, même si les périmètres produits et les approches commerciales diffèrent.

Le rapprochement SeqOne-Congenica se distingue par une focalisation sur le logiciel d’analyse génomique et l’interprétation clinique, avec une empreinte franco-britannique et une stratégie de consolidation ciblée. Cette spécialisation peut constituer un avantage dans les appels d’offres où l’exigence réglementaire et la validation clinique priment.

L’abondance de variants nécessite une priorisation intelligente. Les jeux de données contrôlés et la capitalisation des interprétations antérieures réduisent l’incertitude. Les moteurs d’IA aident à classer les variants selon ACMG, à générer un score d’actionnabilité et à proposer un compte rendu standardisé, réduisant le temps d’analyse et améliorant la reproductibilité.

Effet d’entraînement en france : fmg2025, centres nationaux et charge en oncologie

Le Plan France Médecine Génomique 2025 a doté la France d’un cadre pour intégrer la génomique dans le soin, avec deux centres nationaux de séquençage AURAGEN à Lyon et SeqOIA à Paris et un objectif de 235 000 génomes. La dynamique se renforce dans les CHU, avec une part croissante d’indications en oncologie et en maladies rares.

Un acteur logiciel paneuropéen peut accélérer l’intégration de ces flux massifs. Trois leviers paraissent décisifs : des connecteurs SIH prêts à l’emploi, des modèles tarifaires adaptés à la routine hospitalière et une conformité IVDR sans ambiguïté pour les modules d’aide au diagnostic. La capacité à fournir des services d’interprétation expert en renfort est aussi un facteur clé pour absorber les pics d’activité.

Les volumes visés en oncologie en France se structurent autour d’un palier de plusieurs dizaines de milliers d’analyses annuelles. Les outils qui réduisent le délai entre prélèvement et décision de RCP combinent impact médical et signature économique, en améliorant la pertinence des parcours et la soutenabilité des plateaux techniques.

Adoption dans les CHU et GHT : un calendrier réaliste

Pour transformer l’essai, une séquence d’actions concrètes est nécessaire côté établissements.

  1. Pilotes sur un nombre limité d’indications oncologie et maladies rares, avec indicateurs cliniques et opérationnels.
  2. Intégrations techniques SIH, annuaires, SSO, règles de sécurité, et hébergement HDS.
  3. Qualification IVDR des modules utilisés en diagnostic, documentation et procédures qualité.
  4. Montée en charge progressive, contractualisation cadre multi-établissements via les GHT.
  5. Évaluation médico-économique pour inscrire la plateforme dans la durée.

L’EHDS doit permettre une réutilisation de données de santé à des fins de recherche, dans un cadre sécurisé. Les plateformes qui tracent finement les accès, anonymisent correctement et séparent les usages de soins et de recherche seront mieux placées pour tirer parti de ces gisements, tout en respectant les exigences de gouvernance et de sécurité.

Gouvernance, intégration et trajectoire financière : les chantiers des 12 prochains mois

Le succès d’une fusion logicielle se mesure autant à l’alignement produit qu’à la qualité de l’exécution. L’intégration SeqOne-Congenica appelle des choix clairs sur l’architecture, la gouvernance des données, la feuille de route réglementaire et le modèle commercial. Les équipes de Montpellier et de Cambridge devront converger sur des standards communs, sans diluer les atouts historiques de chaque plateforme.

Les données financières de l’acquisition n’ont pas été publiées. Sur le plan du financement, SeqOne a sécurisé 20 millions d’euros en 2022 et a procédé à une nouvelle levée en 2025 pour soutenir sa stratégie d’expansion et ses conformités, en parallèle de l’intégration de Life & Soft. Cette assise doit financer les besoins en capital humain, en certification et en infogérance cloud.

Life & soft : maillon bio-informatique racheté plus tôt en 2025

L’intégration de Life & Soft apporte des briques techniques sur l’annotation, la gestion de pipelines et la customisation des workflows. Elle complète la dimension clinique de Congenica et l’IA de SeqOne, avec une promesse de réduction du temps d’implémentation chez les nouveaux clients.

Combinée à la base installée de Congenica, cette acquisition antérieure a préparé le terrain pour une offre plus homogène, capable de couvrir des cas d’usage du séquençage ciblé jusqu’au WGS, avec des modules réutilisables et des SLA robustes.

Les fusions logicielles échouent souvent par manque de convergence. Quatre chantiers sont critiques.

  • Unification du modèle de données pour garantir la traçabilité et la reproductibilité des analyses.
  • Stratégie cloud multi-régions, hébergement HDS, séparation des environnements et chiffrement de bout en bout.
  • Feuille de route IVDR commune, avec gestion du cycle de vie logiciel compatible contrôle qualité.
  • Catalogue API unifié et connecteurs HL7/FHIR standardisés pour l’intégration aux SI hospitaliers.

Sur le plan commercial, l’entreprise devra articuler ventes directes auprès des hôpitaux, partenariats avec les centres de séquençage et alliances industrielles. Dans les pays à forte structuration publique, la capacité à adresser les appels d’offres complexes sera déterminante, avec des critères qui favorisent la qualité, la sécurité et la maîtrise du coût complet.

Ce que cette opération change pour l’écosystème européen

La combinaison SeqOne-Congenica apporte une réponse attendue à la dispersion des efforts européens en génomique clinique. En réunissant une base installée internationale, des briques d’IA, une expertise d’interprétation et une ambition d’industrialisation, l’ensemble contribue à faire émerger un champion logiciel focalisé, capable d’opérer à grande échelle et de se conformer aux exigences européennes.

Au-delà du seul périmètre de l’entreprise, cette acquisition envoie un signal : l’Europe peut structurer des acteurs de rang mondial sur des maillons critiques de la chaîne de valeur, à condition de conjuguer excellence scientifique et discipline réglementaire. Les prochains mois diront si cette promesse se matérialise dans les appels d’offres, les déploiements hospitaliers et la capacité à transformer la donnée génomique en décisions cliniques.

En consolidant l’IA d’analyse et l’interprétation clinique, SeqOne et Congenica cherchent à convertir des investissements publics massifs et une excellence scientifique européenne en impacts thérapeutiques concrets, tandis que l’EHDS et l’IVDR redessinent les règles du jeu.