Cap sur l’image et le documentaire. En quelques mois, le groupe Nice-Matin a intégré Chouet’Press, la structure fondée par Michèle Marchand, et cette dernière a pris la majorité de l’Agence 1827, producteur de documentaires. Ce double mouvement recompose un périmètre éditorial où la photo people, la vidéo et la distribution industrielle deviennent des leviers stratégiques à part entière.

Nice-matin mise sur l’image et verrouille un actif rare

Le rachat de Chouet’Press par Nice-Matin a été officialisé en juin 2024. L’opération consacre l’entrée, dans l’orbite du quotidien régional, d’un portefeuille singulier centré sur la photographie d’actualité et la production de contenus visuels, avec au premier plan Bestimage, référence de la photo de célébrités. Le montant n’a pas été rendu public, mais la direction a confirmé le maintien de la dizaine de salariés de Chouet’Press, signal clair d’une intégration progressive et non disruptive (Le Parisien, 12 juin 2024).

Le mouvement porte la signature de Xavier Niel, actionnaire de Nice-Matin depuis 2019 via NJJ. L’industriel des télécoms, déjà présent dans la presse et l’édition, renforce ainsi un axe d’investissement assumé dans les médias. Au plan économique, Nice-Matin affiche un chiffre d’affaires consolidé supérieur à 100 millions d’euros en 2023, gage de capacités d’investissement et d’absorption opérationnelle, y compris dans des métiers de flux comme la photographie people.

Bestimage : un actif à haute rotation

Bestimage s’est imposée comme un fournisseur clé pour des titres premium, capables de valoriser des exclusivités photo et des séries thématiques. Cette position s’explique par une organisation très réactive, des process de clearance rodés et un réseau relationnel affûté dans l’écosystème des célébrités. L’agence se distingue par sa capacité à produire et monétiser des contenus au rythme de l’actualité, tout en garantissant la disponibilité de fonds iconographiques sur le long terme.

Pour Nice-Matin, l’actif combine deux dimensions stratégiques. D’une part, il sécurise un pipeline d’images à haute valeur ajoutée éditoriale. D’autre part, il ouvre des relais de croissance BtoB via la licence de contenus auprès d’autres médias, de plateformes et de marques. Les synergies attendues résident autant dans la distribution que dans l’optimisation des droits d’exploitation.

Ce que change l’entrée de Chouet’Press dans le périmètre Nice-Matin

Plusieurs impacts concrets pour l’activité et la chaîne de valeur.

  • Distribution : élargissement des canaux de vente et relance commerciale auprès de comptes nationaux et internationaux.
  • Monétisation : développement d’offres packagées images + vidéo et création de droits dérivés sur les séries éditoriales.
  • Production : planification plus fine des reportages et mutualisation de l’editing et de l’archivage.
  • Tech : intégration d’outils de DAM et de search pour accélérer la délivrabilité des contenus.

La prise de contrôle de Chouet’Press par Nice-Matin consolide un pôle image internalisé. La logique d’intégration retenue est celle d’une autonomie opérationnelle sous pilotage groupe : comptes distincts, gouvernance clarifiée, process communs pour l’achat, la vérification juridique et les ventes. Ce modèle permet d’allier vitesse d’exécution et contrôle des risques.

Rachat de l’agence 1827 : passage à l’échelle dans le documentaire

Chouet’Press a ensuite acquis la majorité du capital de l’Agence 1827, société de production audiovisuelle basée à Clichy. Fondée en 2015 par Stéphane Ruet, l’agence compte trois collaborateurs permanents et réalise des documentaires destinés aux chaînes nationales. Le fondateur reste aux commandes, ce qui garantit la continuité éditoriale et la préservation de la ligne créative.

Cette prise de participation élargit le champ d’action de Chouet’Press bien au-delà de la photo. Elle permet d’outiller un pipeline vidéo apte à répondre aux attentes des diffuseurs et des plateformes, avec des formats calibrés télévision. Elle facilite aussi le développement de formats hybrides, combinant archives photos exclusives et narration documentaire.

Agence 1827 : stratégie et résultats

L’Agence 1827 produit jusqu’à une dizaine de documentaires par an, pour des diffuseurs généralistes et thématiques. Sa force de frappe repose sur une équipe resserrée, une externalisation maîtrisée des tournages et postproductions, et une spécialisation sur des sujets à potentiel de rediffusion. La structure affiche un positionnement clair sur des genres à forte valeur patrimoniale, adaptés à la syndication et à la vente internationale.

Du point de vue industriel, l’adossement à Chouet’Press doit fluidifier la préparation éditoriale, l’accès aux sources et archives, la gestion des droits et la négociation des fenêtres d’exploitation. La combinatoire photo + vidéo permet de proposer aux chaînes des œuvres dotées de matériaux exclusifs, réduisant le risque de duplication et augmentant la valeur de vente.

Chaîne de valeur d’un documentaire télévisé

Les grandes étapes qui conditionnent la marge et la qualité de livraison.

  1. Développement : concept, synopsis, devis, identification des sources et des archives exclusives.
  2. Financement : préachats, aides et partenariats, structuration des droits d’exploitation.
  3. Production : tournages, clearing des droits, suivi de budget, gestion des risques.
  4. Postproduction : montage, mixage, étalonnage, contrôles qualité et juridiques.
  5. Distribution : ventes locales et internationales, gestion des versions et des metadata.

Le documentaire requiert un clearance rigoureux : droit à l’image, droits musicaux, extraits d’archives, marques et œuvres d’art. En pratique, les producteurs exigent des autorisations écrites, tiennent un registre des sources et documentent chaque élément litigieux. Une validation par juriste spécialisé et, selon les cas, un avis d’assureur E&O sécurisent la diffusion.

Organisation et gouvernance : continuité opérationnelle, discipline industrielle

Le PDG de Nice-Matin, Damien Germain, a indiqué que les équipes de Chouet’Press seraient conservées. Ce choix, classique dans les activités de contenus, préserve le capital humain et la culture de dealflow. Côté 1827, Stéphane Ruet demeure aux manettes, ce qui stabilise la relation avec les diffuseurs et protège la signature éditoriale de l’agence.

Le schéma le plus efficace, dans un tel rapprochement, consiste à mutualiser les fonctions back-office à faible risque éditorial. Comptabilité, achats techniques, négociation de licences, hébergement de l’iconographie et des rushes dans un même DAM sont des gisements d’économies. À l’inverse, l’édition, l’investigation et le choix des sujets restent décentralisés pour préserver l’agilité et la singularité des lignes éditoriales.

Organisation cible : distribution centralisée, éditorial décentralisé

Dans la configuration qui se dessine, on peut anticiper une distribution centralisée des contenus images et vidéo, avec KPI partagés sur les ventes BtoB, le taux de conversion et les paniers moyens. Les rédactions et unités de production conservent leurs arbitrages sujets, angles et casting, avec un référentiel commun de conformité juridique et de sécurité.

Cette répartition des rôles favorise une discipline industrielle tout en préservant la créativité. À la clé, des délais plus courts entre la prise de vue et la mise en marché, une capitalisation plus fine des métadonnées et une meilleure valorisation multi-supports des contenus originaux.

Indicateurs concrets pour mesurer le succès à 12 mois

Des KPI de pilotage utiles pour objectiver la création de valeur.

  • Temps de mise en ligne d’une image exclusive après prise de vue.
  • Taux de réutilisation des archives photo dans les documentaires produits.
  • Panier moyen par licence et part des ventes cross-média image + vidéo.
  • Taux de clearing sans réserve sur les livrables documentaires.
  • Part des revenus récurrents issus des catalogues par rapport aux one-shots.

Économie du secteur : la demande de contenus pousse l’intégration verticale

Le marché français de la production audiovisuelle a généré environ 4,5 milliards d’euros en 2023, avec une progression estimée à près de 5 pour cent. La filière culture et communication pèse environ 2,3 pour cent du PIB et emploie plus de 600 000 personnes, attestant d’un rôle macroéconomique significatif (Ministère de la Culture, Chiffres clés 2024).

Dans cet environnement, l’intégration verticale gagne du terrain. Contrôler la matière première éditoriale, son traitement, ses droits et sa distribution devient un avantage compétitif. À ce titre, l’ancrage de Chouet’Press dans la photo people, couplé à la capacité documentaire d’1827, offre à Nice-Matin une chaîne de valeur complète qui s’étend de la capture à la syndication internationale.

La solidité des revenus dépend de la construction d’un catalogue réutilisable et de la capacité à tarifer finement les droits, par territoire, durée, supports et versions. Les éditeurs qui parviennent à croiser volume, rareté et conformité optimisent le rendement de leurs contenus, avec à la clé des marges plus résistantes en période de fluctuation publicitaire.

La photographie s’appuie sur des cessions simples de droits, adossées à l’auteur ou à l’agence, avec un modèle de licence unitaire, pack ou abonnement. La vidéo implique des cessions plus complexes, des contributions multiples (réalisateur, compositeur, intervenants) et des fenêtres d’exploitation. La valorisation est souvent plus élevée en vidéo, mais les coûts et les risques le sont aussi.

Cadre juridique et concurrence : maîtriser les seuils et les risques de conformité

Sur le front du droit de la concurrence, une opération de concentration est notifiable en France si plusieurs seuils de chiffre d’affaires sont atteints. Au vu des informations publiques disponibles, l’opération Chouet’Press et l’acquisition majoritaire d’1827 ne semblent pas changer la donne du marché au point de déclencher un examen complexe. Les données de chiffre d’affaires des entités acquises ne sont pas publiées, point important pour apprécier les seuils exacts.

Au plan éditorial, l’essentiel se joue sur le droit à l’image et le respect de la vie privée. La photographie people impose une discipline contractuelle et une appréciation stricte de l’intérêt légitime d’information. La bascule vers le documentaire ajoute la question des droits d’archives, des musiques et des marques, avec des risques de litige accrus en cas de diffusion multi-territoires.

Droit à l’image des personnes publiques : lignes rouges opérationnelles

Le traitement des personnalités publiques appelle une vigilance particulière. Sont déterminants le contexte de captation (lieu public ou privé), la nature de l’événement (officiel, culturel, familial), et l’usage final. Les éditeurs qui documentent le processus décisionnel et conservent les preuves d’autorisation réduisent les risques, notamment lors de réutilisations ultérieures en documentaire.

Le rôle des services juridiques consiste à vérifier l’intérêt informatif, à distinguer information et divertissement, et à évaluer la proportionnalité de la diffusion. La cohérence de ces décisions avec la ligne éditoriale de l’entreprise est centrale, car elle structure la défense en cas de contentieux.

Seuils de contrôle des concentrations en France

Repères généraux issus du droit français de la concurrence.

  • Seuil mondial : chiffre d’affaires combiné supérieur à 150 millions d’euros.
  • Seuil national : chiffre d’affaires cumulé en France supérieur à 50 millions d’euros.
  • Deux parties : au moins deux entreprises chacune au-delà de 15 millions d’euros de chiffre d’affaires en France.

Ces critères guident l’obligation de notification à l’Autorité de la concurrence. La matérialité de ces seuils n’implique pas automatiquement une remise en cause de l’opération, mais conditionne l’examen et les éventuels remèdes.

Monétisation et distribution : où se créeront les nouveaux revenus

La valeur de l’ensemble se jouera dans la commercialisation multi-canal. Outre la vente de licences à la presse et aux plateformes, Chouet’Press et l’Agence 1827 peuvent étendre l’exploitation aux marques et aux événements, notamment sur des contenus de coulisses, des portraits ou des formats courts adaptés au social. La granularité des droits permet de segmenter finement les offres.

La distribution est également un terrain d’optimisation technologique. L’indexation automatique, la reconnaissance de visages sous contrôle RGPD et les instruments de tarification dynamique aident à raccourcir les cycles de vente. Couplés à un CRM, ces outils renforcent les revenus récurrents et consolident les comptes clés, tout en apportant des données utiles pour piloter la production.

Bestimage : un levier pour l’offre packagée

Bestimage peut devenir un cœur de réacteur pour proposer des packages qui marient exclusivités photo, pastilles vidéo et capsules d’archives. Ce format est recherché par les médias qui veulent prolonger l’audience sur plusieurs supports, mais aussi par les annonceurs engagés dans des activations de marque plus éditorialisées.

Dans la perspective d’un groupe de presse régional comme Nice-Matin, ces offres permettent de monter en gamme au-delà de la seule diffusion locale, en se positionnant comme producteur-distributeur auprès de clients nationaux et internationaux. La cohérence de l’écosystème de droits, de la facturation à la livraison, sera le juge de paix de la rentabilité.

Pour maximiser la valeur, certaines clauses sont décisives : territorialité modulable, durées d’exploitation distinctes par support, options de versions linguistiques, exclusivités limitées et pénalités en cas d’overuse. Une politique uniforme de metadata et d’horodatage renforce la traçabilité et facilite la preuve en cas d’usage non autorisé.

Une stratégie d’échelle assumée sur l’image

L’alignement Nice-Matin, Chouet’Press et Agence 1827 traduit un pivot vers un modèle de contenus industrialisés où la vitesse de mise en marché, la sécurisation des droits et la distribution internationale créent l’avantage concurrentiel. Le maintien des équipes et des directions opérationnelles en place laisse augurer d’une intégration pragmatique, favorable à la performance à court terme et à la construction d’actifs catalogue sur la durée.

La dynamique sectorielle reste porteuse, mais sélective. Les acteurs capables d’orchestrer la complémentarité photo-vidéo, d’outiller la vente et de structurer les droits seront les mieux placés pour capter la croissance. Au final, la proposition de valeur qui s’esquisse vise à marier la réactivité du news people et la profondeur éditoriale du documentaire, avec une exigence de conformité et d’éthique indispensable à la durabilité du modèle.

En rassemblant la prise de vue, la production documentaire et la distribution sous un même toit, le groupe structure un socle d’actifs éditoriaux et juridiques qui peut peser dans la durée, à condition de l’exécuter avec rigueur et d’en garder la maîtrise industrielle.