À Concarneau, Louis Le Franc a pris le pouls d’un chantier naval en pleine accélération. Le 24 septembre 2025, le préfet du Finistère a parcouru les ateliers de Piriou, un groupe qui fête ses 60 ans et s’est hissé parmi les poids lourds du naval de défense. La visite consacre une trajectoire industrielle désormais structurante pour l’économie bretonne.

À Concarneau, l’État prend la mesure d’une filière stratégique

Le déplacement de Louis Le Franc, nommé en mai 2025, s’inscrit dans un moment charnière pour la base industrielle et technologique de défense. À l’issue de sa visite, le représentant de l’État a salué un savoir-faire au cœur des priorités nationales.

« C’est important pour le représentant de l’État dans le département de venir découvrir les capacités industrielles dans ce domaine d’excellence qu’est la construction navale », a-t-il déclaré, rappelant le rôle de l’administration comme facilitateur pour préserver des compétences rares. Il a également souligné la valeur ajoutée de la défense pour le Finistère et la région Bretagne.

Ce soutien affiché intervient alors que l’appareil productif naval breton connaît un regain d’activité. Piriou structure sa montée en cadence, sécurisée par des perspectives publiques et internationales. Dans le même temps, les arbitrages de l’État refaçonnent les carnets des industriels, entre réarmement programmé et nécessité d’absorber des séries longues.

LPM 2024-2030 : chiffres clés à retenir

La Loi de programmation militaire formalise l’effort budgétaire sur la période 2024-2030 avec 413 milliards d’euros pour les armées, et un accent sur la modernisation du format naval. Couplé à des commandes dynamiques au premier semestre 2025, ce cadre donne de la visibilité aux chantiers comme Piriou.

  1. Budget LPM total 2024-2030 : 413 Md€.
  2. Prises de commandes du ministère des Armées au S1 2025 : 4 Md€ (Ministère des Armées).
  3. Priorités maritimes confirmées : patrouille hauturière et lutte contre les mines.

Piriou, 60 ans d’industrialisation navale et un virage défense assumé

Créé en 1965 à Concarneau par les frères Piriou, le groupe a d’abord bâti sa réputation sur les navires de pêche avant de se diversifier dans le civil, de la réparation aux navires de transport ou de soutien. En 2012, l’entreprise franchit le pas vers le naval militaire avec un premier bâtiment, changeant d’échelle et d’ambition. Six décennies plus tard, Piriou revendique plus de 600 navires livrés et s’impose comme le troisième chantier naval français, avec une empreinte internationale affirmée.

Cette inflexion se lit dans son mix d’activité : 66 % du chiffre d’affaires proviennent désormais de la défense, une part en forte progression. En 2024, Piriou a réalisé 350 millions d’euros de chiffre d’affaires pour un effectif d’environ 1 400 salariés dans le monde. Cette taille intermédiaire, alliée à une culture de série courte et de personnalisation industrielle, explique sa capacité à traiter des programmes complexes tout en conservant une agilité opérationnelle.

Repères industriels : positions, sites et marqueurs

  • Concarneau demeure le cœur historique et technique du groupe, avec des halls d’assemblage dédiés aux bâtiments militaires et civils.
  • Piriou s’est fait connaître sur des unités robustes et fonctionnelles : thoniers, remorqueurs, navires à passagers, avant de monter en gamme sur des plateformes de défense.
  • Selon la presse régionale, cette trajectoire l’a positionné comme un acteur indépendant de premier plan en France.

La bascule vers la défense apporte des volumes plus réguliers, des horizons de production pluriannuels et une stabilité de marges supérieure aux cycles civils. Elle implique aussi des exigences accrues en traçabilité, qualité et tests, avec un impact direct sur la montée en compétences des équipes et du réseau de sous-traitance.

Carnet militaire soutenu : visibilités budgétaires et dynamique de commandes

Le contexte macro du marché défense joue en faveur de Piriou. La trajectoire fixée par la LPM 2024-2030 sécurise des jalons clés pour les forces et diffuse des commandes dans l’écosystème naval. De plus, la progression des prises de commandes du ministère des Armées au premier semestre 2025 illustre une accélération du flux de notifications, conformément aux priorités gouvernementales d’équipement et de maintenance (Ministère des Armées).

Sur le terrain, l’entreprise constate un renforcement de la charge. « Malheureusement, je le dis avec le cœur, nous allons avoir beaucoup de travail dans les années à venir », a confié le président Vincent Faujour lors de la visite du préfet. Le propos, sobre, acte l’intensification d’un pipe de production porté par des séries nationales et export, avec des jalons de livraison rapprochés.

Métriques Valeur Évolution
Chiffre d’affaires 2024 Piriou 350 M€ N.C.
Part de l’activité militaire 66 % En hausse
Effectifs monde Piriou 1 400 N.C.
Navires construits à ce jour 600+ Cumul
Prises de commandes du ministère S1 2025 4 Md€ Accélération
Budget LPM 2024-2030 413 Md€ Cadre pluriannuel

La demande croissante impose une discipline de supply chain et la sécurisation des postes critiques : aciers, systèmes, propulsion, équipements de mission. La capacité d’absorption dépend aussi des ressources humaines. La tension sur certaines compétences encourage la formation, l’alternance et des accords de sous-traitance robustes pour lisser les pics de charge.

Programmes en production à Concarneau : rMCM et patrouilleurs hauturiers

Au cœur des halls de Concarneau, les chaînes de production traduisent la montée en puissance du groupe. Les équipes travaillent simultanément sur des navires de guerre des mines destinés au programme belgo-néerlandais et sur la première unité des patrouilleurs hauturiers pour la Marine nationale. Ces deux lignes matérialisent la capacité de Piriou à délivrer des plateformes critiques pour les marines européennes.

Kership : une co-entreprise avec Naval Group

La collaboration avec Kership, co-entreprise formée par Piriou et Naval Group, constitue un levier central d’accès aux programmes internationaux et nationaux. Elle mutualise des savoir-faire complémentaires sur la conception, l’industrialisation et l’intégration, et permet d’aligner la production avec les standards des forces armées.

RMCM belgo-néerlandais : cinq unités en construction

À Concarneau, cinq navires de guerre des mines sont en cours d’assemblage simultané dans le cadre du programme rMCM. Le premier, Oostende, destiné à la marine belge, doit être livré d’ici la fin 2025. Cette cadence soutenue, avec des bâtiments à différents stades, démontre la tenue de charge du site concarnois et l’organisation des flux d’atelier.

Le programme rMCM prévoit une série de navires dédiés à la lutte contre les mines pour les marines belge et néerlandaise. Les unités sont conçues pour accroître l’efficacité des opérations de déminage et moderniser des capacités anciennes, avec un objectif de standardisation et d’interopérabilité entre flottes alliées.

Marine nationale : un premier patrouilleur hauturier de 92 mètres

Sous le hall d’assemblage, Piriou construit le premier des dix patrouilleurs hauturiers prévus pour la Marine nationale. Long de 92 mètres, ce bâtiment constitue le plus grand navire militaire réalisé par Piriou à ce jour. La construction de la série, estimée entre 300 000 et 400 000 heures pour la première unité, est partagée dans un consortium associant CMN à Cherbourg et Socarenam à Boulogne-sur-Mer.

La coopération inter-chantiers s’articule autour d’un partage des lots, de la standardisation des processus et d’un calendrier maillé, ce qui permet d’absorber des séries en flux et de minimiser les risques calendaires. Pour Piriou, ce programme confirme un saut dimensionnel maîtrisé sur des plateformes hauturières.

PH de la Marine nationale : missions types

Les patrouilleurs hauturiers assurent des missions de souveraineté et de sécurité en haute mer. Ils contribuent au contrôle des approches maritimes, à la surveillance des zones économiques, à l’appui aux opérations de l’État en mer et à la protection des intérêts nationaux sur de longues distances.

Un patrouilleur hauturier est un navire polyvalent destiné à des missions de longue durée en zone océanique. Il remplit des rôles de surveillance, assistance, police des pêches et protection des espaces maritimes, avec un haut niveau de disponibilité et d’endurance.

Transition maritime : l’Anémos ouvre la voie au cargo à voile

Piriou ne cantonne pas sa croissance au seul militaire. En août 2024, le groupe a livré l’Anémos, son premier cargo à voile, à la compagnie havraise Towt.

Long de 81 mètres, ce navire matérialise une diversification vers une propulsion décarbonée, pensée pour des routes de fret à longue distance. L’armateur vise à réduire l’empreinte carbone du transport maritime via la propulsion vélique.

Le président Vincent Faujour voit dans ce jalon une confirmation d’ADN technique. « Il incarne notre engagement pour un transport maritime décarboné », a-t-il souligné. À l’échelle du groupe, cette ligne civile de nouvelle génération répond à la demande croissante de solutions sobres en carbone, tout en capitalisant sur les compétences d’ingénierie et d’intégration issues des programmes de défense.

Towt : trajectoire décarbonée

La stratégie de Towt consiste à réintroduire la propulsion vélique dans le fret, avec des navires capables d’opérer des liaisons transatlantiques. L’Anémos sert de démonstrateur industriel et commercial à cette approche. Pour Piriou, le programme conforte la capacité à orchestrer des projets innovants, compatibles avec les objectifs publics de décarbonation et soutenus par les cadres d’innovation nationaux.

Anémos : points saillants

  • Livraison à Towt en août 2024.
  • Longueur : 81 mètres.
  • Positionnement : cargo à voile pour routes de fret longues distances.
  • Finalité : réduction des émissions de CO2 par l’usage de la propulsion vélique.

Emploi local et chaîne de valeur : effets d’entraînement en Bretagne

Le groupe emploie localement une part significative de ses 1 400 salariés, avec des retombées sur la formation et la sous-traitance régionale. La filière navale bretonne, déjà identifiée comme un pilier économique, bénéficie de cette charge soutenue. Les besoins en chaudronnerie, intégration, électricité marine et essais stimulent l’activité de PME et ETI de proximité, tout en structurant des parcours qualifiants.

Le rôle de la DGA dans la structuration des commandes et la mise en cohérence des capacités industrielles demeure un facteur d’ancrage pour la filière, en particulier lorsqu’il s’agit d’opérer des montées en cadence. La stabilité des flux publics et l’étalement maîtrisé des séries permettent de lisser la charge, de sécuriser les plannings et d’optimiser l’affectation des ressources.

Sous-traitance et compétences : un maillage à consolider

  • Qualification des fournisseurs sur des spécifications défense, avec un suivi qualité renforcé.
  • Attractivité des métiers industriels, avec l’essor de l’alternance et des reconversions ciblées.
  • Capacité d’absorption via des accords de coopération entre chantiers et équipementiers.

Un calendrier de notifications lisible alimente un pipeline de production régulier, stabilise la trésorerie d’investissement et réduit le risque opérationnel pour les industriels comme pour les sous-traitants. À l’inverse, une saccade de commandes accroît les coûts et pèse sur la qualité. La LPM fixe un cadre pour éviter ces à-coups.

Gouvernance industrielle : ce que la visite préfectorale signale

En rendant visite à Piriou, le préfet Louis Le Franc adresse un signal de confiance institutionnelle à une filière dont les compétences sont stratégiques. L’État se positionne comme partenaire de l’industrie, tant pour le maintien des savoir-faire que pour l’animation des réseaux de formation et d’emploi. Le message est clair : la Bretagne dispose des atouts pour accompagner la montée en puissance du naval, à condition de sécuriser les talents et la chaîne d’approvisionnement.

Dans ce cadre, la coopération inter-chantiers autour des patrouilleurs hauturiers et le pilotage conjoint via Kership pour le programme rMCM illustrent une gouvernance industrielle que l’on sait efficace : spécialisation des sites, répartition des séries et standardisation des méthodes. Cette logique limite les ruptures de charge et aligne les capacités avec les attentes opérationnelles des marines clientes.

Kership : rôle et positionnement

Co-entreprise formée par Piriou et Naval Group, Kership porte des programmes navals pour des marines européennes et à l’export. Le modèle combine ingénierie, industrialisation et intégration au plus près des standards de défense, avec une mutualisation des capacités et une gestion partagée des risques.

Ce que la visite de Louis Le Franc révèle des priorités industrielles

La séquence concarnoise confirme une réalité : Piriou a franchi un seuil, porté par un carnet militaire solide et une diversification civile ciblée avec l’Anémos. Les jalons de livraison à court terme, en particulier l’Oostende d’ici fin 2025 et le premier PH de 92 mètres, serviront de baromètre à la tenue de cadence du chantier.

Au-delà, l’enjeu sera de sécuriser les compétences et l’approvisionnement tout en préservant l’agilité qui a fait la force du groupe. La dynamique actuelle, adossée aux orientations du ministère et à la LPM, offre de la visibilité. Aux industriels de transformer cette visibilité en avantages compétitifs durables pour la filière bretonne et l’économie française.

La mer, plus que jamais, est un espace d’industrie et de souveraineté.