Les papeteries de Condat face à des défis majeurs de production
Analyse des défis financiers et industriels des Papeteries de Condat à l'horizon 2025, avec enjeux de cession et sécurité des emplois.

À Paris, Philippe Delord, délégué syndical CGT des Papeteries de Condat, a porté au ministère de l’Énergie et de l’Industrie un dossier devenu emblématique des fragilités industrielles françaises. Pendant une heure et demie, l’échange a mis à nu l’ampleur des difficultés du site de Dordogne et l’urgence d’une décision claire sur son avenir.
Alerte à l’état : information lacunaire et demande de mise en vente
Reçu ce jeudi au ministère, Philippe Delord a constaté que les services de l’État ne disposaient pas d’une vision complète de la situation économique et industrielle des Papeteries de Condat. Selon lui, les représentants publics se seraient sentis « bernés » par les engagements passés du groupe propriétaire Lecta, au regard des ambitions affichées sur la glassine qui n’ont pas été concrétisées à la hauteur des annonces (France Bleu, 10 septembre 2025).
La ligne stratégique se précise néanmoins sur un point essentiel. Les élus locaux et les syndicats demandent désormais explicitement la mise en vente du site, considérée comme la voie la plus crédible pour sécuriser la production et l’emploi, une position relayée publiquement à la mi-septembre (Dordogne Libre, 11 septembre 2025). Côté administration centrale, un premier pas opérationnel est annoncé avec la prise de contact de la direction de Lecta dans la semaine afin d’obtenir une feuille de route et un calendrier d’intentions.
Le message transmis à l’État vise un double objectif immédiat :
- Transparence sur la trajectoire industrielle du site du Lardin-Saint-Lazare, pour clarifier les capacités de production et les engagements sur la glassine.
- Discussions ouvertes avec d’éventuels repreneurs, afin de préserver le savoir-faire et l’outil productif.
Selon les cas, l’État et les collectivités peuvent articuler des leviers complémentaires : rendez-vous de sécurisation de site, mobilisation des services économiques régionaux, demandes d’audits de situation, médiation avec la direction, et, si nécessaire, saisine du tribunal de commerce pour mise sous protection ou organisation d’un processus de cession. Le choix du levier dépend de la nature de l’urgence et des engagements contractuels existants.
Production en mode dégradé et salaires garantis jusqu’à fin 2025
Sur le terrain, la réalité industrielle est devenue minimaliste. Le site ne tourne plus qu’avec une seule ligne de production, dédiée à la glassine, un papier siliconable utilisé notamment comme support d’étiquettes. Cette ligne ne fonctionne qu’une vingtaine de jours par mois, traduisant un sous-emploi des capacités et une fragilité commerciale persistante.
L’effectif actuel est de 202 salariés. Les rémunérations sont sécurisées jusqu’à fin 2025, mais aucune garantie n’a été donnée au-delà, ce qui place les familles et l’écosystème local dans l’incertitude. Pour mémoire, un plan social en 2023 a acté l’arrêt de la production de papier couché pour l’édition et la suppression de 174 postes, recentrant l’usine sur la glassine.
Glassine : un matériau stratégique pour les étiquettes
La glassine est un papier lisse, dense et faiblement poreux, souvent rendu antiadhésif, utilisé comme support de films adhésifs et d’étiquettes. Elle est prisée pour sa régularité et sa résistance. Le marché mondial est évalué autour de 2,5 milliards d’euros en 2024, porté par les besoins d’emballages performants et recyclables.
Fonctionner « une vingtaine de jours par mois » signifie qu’une partie significative des capacités reste inutilisée. En papeterie, l’économie d’une machine se joue sur la continuité de marche, la vitesse, le rendement matière et la qualité. Une baisse de jours ouvrés entraîne des coûts fixes peu compressibles et un effet ciseau sur les marges, surtout avec une énergie chère.
Finances publiques et gouvernance : le prêt régional, les aides et les signaux récents
Le volet financier mêle aides publiques et prêt régional. Lecta a reçu 14 millions d’euros pour soutenir une production décarbonée de glassine.
Parallèlement, la Région Nouvelle-Aquitaine a consenti un prêt à taux zéro de 19 millions d’euros, destiné à sécuriser l’activité. D’après Alain Rousset, président de la Région, 7 millions d’euros restent à rembourser et les échéances ont repris. Le groupe est présenté comme à jour de ses paiements, selon des informations publiées le 12 septembre 2025 (France Bleu, 12 septembre 2025).
Ce signal de conformité est important, mais ne préjuge pas du projet industriel à horizon 2026. L’exécutif régional rappelle sa volonté de récupérer les fonds engagés et de s’entretenir avec la direction générale de Lecta. La trajectoire d’investissement est aussi adossée à des dispositifs nationaux, notamment France 2030, dédié à l’innovation et à la réindustrialisation, qui cible les projets de décarbonation et de montée en gamme.
Prêt régional à taux zéro : de quoi parle-t-on ?
Un prêt à taux zéro consenti par une collectivité soutient la trésorerie d’un site industriel en échange d’engagements : production, maintien d’emplois, investissements et reporting. Le solde de 7 millions d’euros à rembourser pour Condat confère à la Région un levier de suivi renforcé sur les engagements pris et la cohérence des plans industriels.
Au niveau départemental, les services de l’État assurent la coordination des enjeux économiques, environnementaux et fonciers. La préfecture de région pilote les stratégies industrielles, notamment la sélection des projets soutenus via les fonds d’accélération de la transition écologique. Ce maillage permet d’articuler interventions locales, régionales et nationales en situation de tension sur un site.
Scénario de cession : prérequis industriels et attentes des acteurs
La cession du site est désormais posée comme une option de stabilisation, à l’initiative conjointe d’élus et d’organisations syndicales. Plusieurs industriels intéressés auraient pris langue avec les autorités. La priorité affichée par les responsables locaux est claire : identifier un acteur capable d’exploiter la ligne glassine à plein régime et de valoriser les compétences, plutôt que de repartir de zéro.
Un élément juridique attire l’attention des collectivités : le transfert du siège social de Lecta de Nanterre vers la Dordogne cet été. Les élus y voient une possible volonté d’accélérer des procédures devant le tribunal de commerce compétent. Cette interprétation, relayée localement, renforce la demande d’un calendrier lisible et public du propriétaire.
Qui est lecta ?
Lecta est un groupe européen du papier basé en Espagne. Il opère dans plusieurs pays et a annoncé un chiffre d’affaires d’environ 1,2 milliard d’euros en 2023. Sur Condat, le groupe a concentré le site sur la glassine après l’arrêt du papier couché décidé en 2023. À ce stade, aucune intention définitive n’a été communiquée sur l’avenir de l’usine, malgré les sollicitations publiques.
Papeteries de condat : repères utiles
Implantées au Lardin-Saint-Lazare depuis 1903, les Papeteries de Condat ont longtemps compté parmi les locomotives économiques de la vallée. Le site a atteint jusqu’à 1 200 emplois à son apogée.
Sa spécialisation a évolué vers des productions à plus forte valeur, dont la glassine, après l’arrêt du papier couché pour l’édition. La trajectoire récente a été soutenue par des aides publiques dédiées à la décarbonation, en ligne avec les objectifs nationaux de compétitivité et de réduction d’empreinte carbone.
Le transfert d’un siège social peut modifier le ressort du tribunal de commerce et les circuits administratifs applicables. Dans le cas présent, la décision de déplacement du siège en Dordogne est interprétée par des élus comme une manière de simplifier ou d’accélérer certaines démarches judiciaires et commerciales. Cette lecture renforce la vigilance des collectivités sur la suite du dossier.
Conjoncture du papier et politique industrielle : une équation sous tension
Le secteur papetier en France a encaissé une hausse des coûts énergétiques de plus de 300 % sur l’électricité et le gaz après 2022, selon des rapports professionnels publiés en 2023. Dans le même temps, un rapport du ministère de l’Industrie en 2024 indique une baisse de 15 % de la capacité papetière nationale entre 2020 et 2023, avec plus de 2 000 emplois supprimés sur la période.
Dans ce contexte, la glassine reste l’un des rares segments en croissance. Elle bénéficie de la pression des marques pour des supports d’étiquetage performants, recyclables et compatibles avec des filières de tri plus exigeantes. Cette dynamique invite à accélérer les investissements de productivité, tout en verrouillant une énergie prévisible pour la machine.
Chocs énergétiques : ce qui pèse sur une machine à papier
La facture énergétique combine prix, consommation et structure tarifaire. Pour une ligne comme celle de Condat :
- Les arrêts-redémarrages dégradent l’efficacité globale et augmentent les coûts unitaires.
- La vapeur process et l’électricité pilotent la qualité de séchage, donc les pertes matière en cas d’irrégularités.
- Des contrats d’énergie plus longs et plus stables peuvent sécuriser les marges si le volume de production suit.
Les outils publics jouent un rôle d’amortisseur. Outre les aides à la décarbonation déjà attribuées à Condat, la région et l’État ont multiplié les appels à projets pour guider les sites vers des procédés sobres. Une annonce préfectorale au printemps 2025 a par exemple mis en avant des projets lauréats du fonds d’accélération de la transition écologique, signalant un recyclage des enveloppes publiques vers des technologies moins énergivores.
Au niveau national, les ouvertures d’aides via France 2030 ont vocation à rapprocher compétitivité et transition, y compris pour des productions papier spécialisées qui répondent à la demande européenne en matériaux recyclables et performants.
Territoire et emploi : ce que risquerait la dordogne
La Dordogne, déjà éprouvée par la désindustrialisation, ne peut absorber facilement le choc d’une fermeture. Pour 202 salariés et des dizaines de sous-traitants, l’effet d’entraînement serait immédiat sur la consommation locale, l’emploi intérimaire et la logistique. Le taux de chômage départemental s’établissait autour de 7,5 % en 2024, et une casse industrielle accroîtrait mécaniquement la tension sur l’insertion et la formation.
Les syndicats et les élus ont maintenu la pression publique : une réunion interministérielle est évoquée, avec la perspective d’associer le ministère de l’Économie pour les enjeux de financement et de gouvernance (France Bleu, 10 septembre 2025). À l’échelon régional, les moyens sont aussi mobilisés. La Région Nouvelle-Aquitaine a fléché 500 millions d’euros en 2024 pour renforcer l’appui aux industries, notamment via les fonds dédiés à la transition et à la modernisation.
Dans ce dispositif, la priorité numéro un reste la visibilité industrielle. Les partenaires sociaux alertent : sans un projet consolidé sur la glassine ou un repreneur spécialisé, l’outil pourrait rapidement décrocher. D’où la demande de vendre pour pérenniser la production plutôt que de prolonger l’attentisme.
Marché de la glassine : dynamiques à surveiller
Au-delà des volumes, la valorisation passe par l’innovation matière, la fiabilité des grammages et la compatibilité des supports avec les lignes d’étiquetage des clients. La montée en gamme éco-conçue, appuyée par des aides à la décarbonation, peut repositionner un site si la cadence et la qualité se stabilisent. Le segment a des relais de croissance, mais suppose des investissements ciblés et une maîtrise stricte des coûts d’énergie.
Gouvernance et cliquet d’exigence publique : clarifier, auditer, engager
La conduite du dossier Condat s’articule autour de trois exigences concrètes pour éviter un effet de falaise en 2026 :
- Transparence de Lecta sur le plan d’activité de la ligne glassine et la trajectoire de charge, afin d’assurer un plancher d’exploitation compatible avec les coûts fixes.
- Contrôle de l’usage des aides et des prêts, avec la possibilité d’audits financiers et techniques afin de mesurer l’impact des fonds publics sur la performance énergétique et productive.
- Organisation d’un processus concurrentiel en cas de vente, pour donner les meilleures chances à un repreneur industriel capable de sécuriser à court terme la production et l’emploi.
Sur la table figure également l’idée d’un dialogue renforcé entre l’État, la Région et la direction pour éviter le morcellement des décisions. La situation est d’autant plus sensible que le site incarne les objectifs de souveraineté industrielle et de transition écologique affichés par la France. Perdre une capacité de glassine ici enverrait un signal contradictoire alors que la demande s’oriente vers des emballages recyclables.
Points de vigilance pour la suite du dossier Condat
- Calendrier : obtenir une date précise pour la réunion interministérielle et la prise de contact formelle avec la direction.
- Capacité : stabiliser un nombre de jours de marche suffisant pour amortir les coûts fixes d’ici fin 2025.
- Trajectoire financière : confirmer la régularité des remboursements et l’affectation des aides à la décarbonation.
- Candidats industriels : qualifier les intérêts reçus et définir des critères techniques de reprise centrés sur la glassine.
Et maintenant pour condat ?
Les feux ne sont pas au vert, mais ils ne sont pas tous au rouge. Le maintien des remboursements, l’engagement des collectivités et la croissance du marché de la glassine forment une fenêtre d’action. Reste à trancher : Lecta explicite une stratégie pour Condat ou ouvre un processus de cession rigoureux et rapide. Dans les deux cas, la ligne glassine ne peut plus rester en sous-charge trop longtemps.
La balle est désormais dans le camp du propriétaire et des autorités, qui devront transformer la mobilisation en décisions opérationnelles. Le temps industriel ne se satisfait pas des demi-mesures.
Affaire à suivre, sous contrôle serré des acteurs économiques et publics.