GenF et Thales : la fusion nucléaire comme nouveau moteur énergétique
GenF concrétise la fusion inertielle en France. Avec Thales, la filiale promet une énergie sûre, propre et révolutionnaire.

En investissant le champ de la fusion nucléaire, Thales s’apprête à bouleverser notre paysage énergétique. Sa filiale GenF, récemment inaugurée au Barp près de Bordeaux, incarne l’ambition de mettre au point une source d’énergie propre, sûre et inépuisable. Voici un tour d’horizon complet de cette aventure scientifique et industrielle hors du commun.
GenF : une filiale tournée vers la fusion nucléaire
Avec la création de GenF, Thales entend propulser la fusion nucléaire dans une nouvelle ère. Alors même que la filiale ne compte qu’une dizaine de scientifiques et d’ingénieurs, elle bénéficie déjà du soutien d’institutions reconnues telles que le CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives), le CNRS et l’École polytechnique. Son inauguration, le jeudi 15 mai 2025 au Barp (Bordeaux), marque la volonté de concentrer des expertises de pointe dans une région, la Nouvelle-Aquitaine, qui s’affirme comme un pôle d’excellence en matière de technologies laser et de recherche sur la fusion.
Ce lancement est loin d’être symbolique : il concrétise plusieurs années de démarches scientifiques pour faire progresser la fusion par confinement inertiel. Particulièrement séductrice pour la communauté internationale, cette technique mise sur des lasers de très haute énergie afin de comprimer la matière et atteindre des températures extrêmes, offrant ainsi l’espoir d’une production énergétique inépuisable et respectueuse de l’environnement.
Un choix technologique stratégique : la fusion par confinement inertiel
Pour les chercheurs qui gravitent autour de la fusion, deux approches émergent : la fusion par confinement magnétique (utilisée notamment par le projet ITER) et la fusion par confinement inertiel. Dans le cas de GenF, c’est la seconde option qui a été privilégiée, en raison du savoir-faire exceptionnel de Thales en matière de lasers de puissance.
Lorsque plusieurs faisceaux laser ultra-puissants convergent vers une micro-cible contenant des isotopes légers (souvent du deutérium et du tritium), les phénomènes physiques déclenchés peuvent générer des températures et des pressions si élevées que les noyaux s’assemblent, libérant une quantité d’énergie massive. On parle alors de réaction de fusion. Contrairement à la fission, cette approche ne présente aucun risque d’emballement et produit bien moins de déchets radioactifs. De surcroît, cette voie pourrait contribuer à limiter la dépendance aux énergies fossiles et réduire drastiquement les émissions de carbone.
Bon à savoir : différence entre fusion et fission
La fission scinde un noyau lourd (comme l’uranium) en noyaux plus légers, libérant de l’énergie mais également des déchets radioactifs de longue durée. La fusion, elle, assemble deux noyaux légers, générant davantage d’énergie pour moins de déchets. C’est le processus à l’œuvre au cœur du Soleil.
Un ancrage local au service d’un défi mondial
Si l’on parle de Nouvelle-Aquitaine, ce n’est pas un hasard. La région est déjà un point névralgique en matière de recherche laser, grâce notamment au Centre Lasers intenses et Applications (CELIA) et au Centre d’études scientifiques et techniques d’Aquitaine (CESTA). L’installation Laser Mégajoule (LMJ), située au Barp, joue également un rôle stratégique dans les expérimentations relatives à la fusion inertielle. En nouant des partenariats avec ces structures, GenF entend accélérer le passage de la théorie à la pratique, tout en assurant le rayonnement international du territoire.
Au-delà de l’aspect purement énergétique, la Région Nouvelle-Aquitaine investit avec conviction dans les projets de pointe, persuadée que l’industrie du futur se jouera sur un savant équilibre entre innovation et responsabilité environnementale. L’émergence de GenF s’inscrit donc dans cette dynamique, en créant un lien direct entre la recherche fondamentale et les opportunités économiques pour les industries locales.
Zoom sur le potentiel de la fusion : enjeux et promesses
Le recours à la fusion nucléaire est envisagé comme la réponse à un double défi : faire face à la hausse constante des besoins en électricité — notamment du fait des activités numériques — et freiner le réchauffement climatique en réduisant les émissions de CO2. Selon les estimations de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), la consommation électrique des centres de données pourrait facilement doubler d’ici à 2030, alimentée par l’essor de l’intelligence artificielle et des services en ligne.
Pour les défenseurs de la fusion, ces chiffres sont une raison supplémentaire de se mobiliser. Ils considèrent qu’une énergie sûre et abondante, sans risque de catastrophe nucléaire, est un objectif désormais accessible. Par ailleurs, l’argument du coût environnemental ne peut être ignoré : la fusion génère des déchets moins volumineux et moins toxiques, une donnée essentielle lorsqu’on aborde la transition énergétique et la gestion des déchets à long terme.
Contrairement au confinement magnétique où un plasma est piégé dans un champ magnétique (toroïdal), la fusion par confinement inertiel consiste à utiliser des impulsions laser extrêmement puissantes pour imploser une cible millimétrique, élevant sa température et sa densité au point de déclencher des réactions de fusion.
GenF : une feuille de route en trois étapes
La stratégie de GenF s’articule autour de trois grandes phases. D’abord, entre aujourd’hui et 2027, la société se focalise sur des travaux de modélisation et de simulation. Cette étape, cruciale pour affiner les modèles théoriques, s’appuiera sur des infrastructures existantes comme le LMJ. L’objectif : confirmer la pertinence des choix technologiques.
La seconde étape, de 2027 à 2035, consistera à mettre en œuvre des innovations technologiques permettant d’optimiser la fusion inertielle. Parmi les défis à relever : la coordination de multiples faisceaux laser, la création de cibles cryogéniques de haute précision et le développement de matériaux de pointe pour résister aux conditions extrêmes (températures, radiations, etc.).
Enfin, la dernière phase, programmée à partir de 2035, devrait aboutir à la mise à l’échelle de ce réacteur et, potentiellement, à la construction du premier prototype opérationnel. Si tout se déroule comme prévu, GenF se verra propulsée à l’avant-scène mondiale de la fusion nucléaire, un domaine où la France occupe déjà une place stratégique grâce à d’autres projets.
Un réacteur à fusion inertielle requiert un mécanisme permettant de cibler avec précision une sphère de combustible contenant deutérium et tritium. Les faisceaux laser convergent pour imploser cette micro-cible en un temps très bref (quelques nanosecondes). Chaque cycle déclenche une micro-réaction de fusion qu’il faut ensuite multiplier à haute cadence pour produire un flux d’énergie continu.
L’appel à projet « réacteurs nucléaires innovants » et la naissance de TARANIS
En juin 2023, le gouvernement français a lancé dans le cadre de France 2030 un appel à projets dédié aux « réacteurs nucléaires innovants ». L’objectif ? Stimuler la recherche et l’industrialisation dans le domaine de l’énergie nucléaire de nouvelle génération, avec un accent particulier sur la sécurité et sur la réduction de l’impact environnemental.
Thales s’est saisi de cette opportunité pour proposer le projet TARANIS, en étroite collaboration avec le CEA, le CNRS et l’École polytechnique. L’idée centrale : démontrer la faisabilité d’un réacteur à fusion par confinement inertiel. Sélectionné en février 2024, TARANIS a reçu un financement de 18,5 millions d’euros pour amorcer sa première phase. Cette manne financière vise notamment à soutenir la création de GenF, qui devient la structure porteuse des volets industriels et technologiques du projet.
C’est dans ce sillage que GenF a vu officiellement le jour en janvier 2025, avant d’annoncer la signature d’un premier contrat de plusieurs millions d’euros pour le développement d’un laser à fusion. L’inauguration du 15 mai 2025 symbolise donc le démarrage effectif des opérations. Plusieurs dizaines de collaborateurs issus de différents instituts se fédèrent désormais autour de cet ambitieux programme de R&D.
Thales : leader mondial des lasers de forte puissance
Historiquement, Thales s’est bâti une solide réputation dans le domaine de la défense, de l’aéronautique et de la sécurité. Mais depuis plusieurs années, le groupe mise aussi sur les lasers de haute intensité, un créneau pointu exigeant à la fois expertise optique et maîtrise des technologies de pointe. Cette expérience se révèle cruciale pour concevoir des dispositifs capables de générer les conditions thermonucléaires nécessaires à la fusion.
Dans la lignée des grands programmes menés en partenariat avec les agences de défense française, Thales a progressivement orienté ses investissements vers la recherche civile, notamment pour la santé, l’astrophysique et l’énergie. Le lancement de GenF illustre la convergence entre ces compétences industrielles et la volonté d’accélérer la transition énergétique. On peut donc y voir un exemple de la manière dont un groupe à dimension internationale s’adapte aux nouveaux enjeux géopolitiques et environnementaux.
Outre la fusion, les lasers de puissance servent à la radiographie ultrarapide, la détection de fissures dans les matériaux ou encore l’exploration de la physique fondamentale. Ils jouent aussi un rôle dans le développement de nouveaux procédés industriels (usure des matériaux, microgravure, etc.).
Perspectives pour l’économie et l’environnement
Le rôle de GenF s’inscrit dans un contexte plus large de transition énergétique. La France ambitionne de décarboner son mix électrique pour soutenir la compétitivité de ses industriels et respecter ses engagements climatiques. Si la fusion devient opérationnelle, le pays se doterait alors d’une source illimitée et bas carbone d’électricité, tout en limitant la production de déchets nucléaires.
Sur le plan économique, le développement d’un réacteur de fusion inertielle réclame des compétences très spécialisées : ingénieurs en optique, physiciens des plasmas, ingénieurs matériaux, etc. La montée en puissance de tels projets peut favoriser la création de nouveaux emplois hautement qualifiés, consolider l’écosystème de la R&D et stimuler les chaînes d’approvisionnement locales. Les entreprises régionales, qu’elles soient spécialisées en robotique, électronique ou infrastructure, pourraient ainsi se positionner sur un marché très porteur.
Le concept de GenF
GenF est une société dédiée à la recherche et au développement d’installations de fusion nucléaire par confinement inertiel. Appuyée par Thales, elle mobilise un réseau de laboratoires et d’organismes publics pour concevoir un modèle de réacteur de nouvelle génération. Son ambition est de faire rayonner l’innovation française à l’échelle internationale.
L’importance d’une coopération multi-acteurs
Le succès d’un projet aussi ambitieux ne repose pas sur les seules épaules d’un industriel, fût-il Thales. GenF bénéficie d’un environnement propice : universités, centres de recherche et collectivités locales s’impliquent dans une logique de partage des compétences. Le CEA, le CNRS et l’École polytechnique alimentent le volet recherche fondamentale, tandis que les industriels de la région, soutenus par la Région Nouvelle-Aquitaine, garantissent la faisabilité pratique et la mise à disposition des infrastructures.
Dès lors, le rôle des pouvoirs publics est décisif. Non seulement ils injectent des financements, mais ils encouragent également l’émergence de partenariats public-privé durables. Dans le cadre de France 2030, l’État français souhaite susciter un « choc d’innovation » autour des énergies bas carbone. La fusion inertielle apparaît comme un levier stratégique, même si son déploiement commercial ne se concrétisera pas avant plusieurs années.
GenF inaugure ses locaux au Barp : un point de départ symbolique
Le 15 mai 2025, lors de l’inauguration officielle de GenF, l’enthousiasme était palpable parmi les scientifiques, les ingénieurs et les élus de la Nouvelle-Aquitaine. Pour beaucoup, cette date marque un jalon concret dans l’essor de la fusion par confinement inertiel en France. Les locaux de GenF, tout proches du Laser Mégajoule, permettent une interaction étroite entre la recherche appliquée et les installations existantes.
L’événement a également offert une tribune à certains acteurs de la filière nucléaire et de l’innovation énergétique. Selon plusieurs experts, la fusion inertielle constitue un pari audacieux, mais indispensable pour diversifier les sources d’énergie bas carbone. Cette perspective séduit de plus en plus de pays désireux de développer leur autonomie énergétique et de limiter leur empreinte carbone.
Les chiffres clés du projet GenF
10 scientifiques et ingénieurs rattachés directement à la nouvelle entité.
40 collaborateurs au total, en comptant les partenaires institutionnels.
2027 : fin de la première phase de modélisation et de simulation.
2035 : l’échelle industrielle pourrait être atteinte pour un réacteur prototype.
Analyse : la fusion, un tournant industriel et réglementaire
Sur le plan réglementaire, la fusion impose un nouveau paradigme. Contrairement à la fission, la dangerosité est moindre, ce qui allège potentiellement les procédures d’autorisation et le suivi des installations. Toutefois, la technologie reste encore à l’état expérimental, et la Commission européenne veille à harmoniser la réglementation pour accompagner ces innovations. Des normes plus souples pourraient accélérer les expérimentations, tout en maintenant des exigences de sécurité très strictes.
D’un point de vue industriel, la fusion amène à repenser les chaînes d’approvisionnement. La production en série d’éléments de réacteur (optiques, cibles cryogéniques, systèmes laser) exigera un réseau de fournisseurs spécialisés. Chaque avancée consolide l’expertise de la France et de l’Europe dans ces technologies de rupture, ouvrant potentiellement la voie à des alliances internationales. Le déploiement d’un réacteur opérationnel dépendra aussi du soutien continu de la filière industrielle, qui doit anticiper la montée en puissance de cet « écosystème fusion ».
Un regard sur la compétitivité et l’innovation française
Dans un marché mondial de l’énergie en pleine recomposition, la France cherche à renforcer sa compétitivité et son leadership dans le domaine de la recherche nucléaire. Les investissements de Thales et la dynamique autour de GenF en sont une illustration frappante. D’autres initiatives en Europe — notamment en Allemagne, en Grande-Bretagne et dans les pays nordiques — visent également à maîtriser la fusion, chacun déployant ses propres stratégies.
Si le pari de la fusion inertielle aboutit, la France disposera d’une position de choix, non seulement en tant que producteur d’une énergie décarbonée, mais aussi comme exportateur de technologies. Les retombées commerciales pourraient être considérables, allant de la vente d’expertise à la fourniture de composants de réacteur. De plus, l’essor d’une filière fusion soutiendrait la création d’emplois, la formation de nouveaux talents et l’intégration de la R&D dans un écosystème industriel pérenne.
Un horizon qui se dégage pour l’énergie de demain
À travers GenF et son projet de réacteur à fusion par confinement inertiel, la France réaffirme sa volonté de prendre la tête d’une révolution énergétique. Certes, des défis majeurs subsistent : valider les modèles physiques, fiabiliser les lasers, gérer la production continue de micro-cibles… Mais la route semble balisée par des financements, un écosystème scientifique de haut vol et une coopération institutionnelle solide.
Les années à venir diront si cette ambition peut se matérialiser en une énergie propre, compétitive et durable, permettant à la France de consolider son rôle de pionnier dans la transition énergétique mondiale.