L'alliance stratégique Bromo entre Airbus, Thales et Leonardo en 2025
Découvrez le projet Bromo qui pourrait transformer l'industrie spatiale européenne avec une valorisation de 10 milliards d'euros d'ici 2026.

10 milliards d'euros à la clé : Airbus, Thales et Leonardo discutent d'une fusion de leurs activités satellites pour bâtir un champion européen capable de soutenir la cadence des constellations en orbite basse. Ce projet, relancé en 2024 et aujourd'hui nommé Bromo en interne, pourrait être signé d'ici la fin 2025, pour une mise en œuvre progressive en 2026.
Projet bromo : contours d'une coentreprise européenne et périmètre d'activité
Les directions d'Airbus, de Thales et de Leonardo étudient la création d'une entité commune regroupant leurs activités satellites. L'objectif affiché est clair : atteindre une taille critique au plus vite, mutualiser les coûts fixes et accélérer les cycles de développement pour rivaliser avec les modèles industriels venus des États-Unis. La valorisation évoquée avoisine 10 milliards d'euros et le périmètre agrégé pèserait plus de 6 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel (Le Monde, 15 septembre 2025).
Le schéma industriel envisagé s'appuie sur une intégration graduelle des métiers et sur des relations capitalistiques déjà établies. Thales et Leonardo opèrent ensemble depuis 2007 à travers Thales Alenia Space pour la fabrication, et Telespazio pour les services.
L'apport d'Airbus viendrait compléter ce socle, notamment dans les plates-formes satellites, les charges utiles et l'intégration système. Les discussions incluent des volets de gouvernance et d'équilibre des apports qui restent à caler.
Les groupes s'accordent sur un calendrier resserré. Des échanges approfondis ont démarré mi-septembre 2025 et un accord-cadre est visé d'ici la fin de l'année, sous réserve des autorisations réglementaires, avec une exécution opérationnelle en 2026. Un porte-parole de Thales a toutefois insisté sur le fait qu'aucun accord n'était signé à ce stade et que tout commentaire détaillé serait prématuré.
Ce que couvrirait la coentreprise
Le périmètre visé regrouperait principalement :
- La conception et l'intégration de satellites de télécommunications et d'observation.
- Les charges utiles numériques, liaisons optiques et solutions de débit élevé.
- Les services au sol associés via Telespazio, du contrôle en orbite aux applications géospatiales.
- Des fonctions de R&D mutualisées pour accélérer les constellations en orbite basse.
Thales alenia space : savoir-faire et partenariats
Thales Alenia Space, détenue à 67 pourcent par Thales et 33 pourcent par Leonardo, s'est imposée sur les télécoms géostationnaires et les missions d'observation, avec un chiffre d'affaires d'environ 2,2 milliards d'euros en 2024. Son portefeuille inclut des charges utiles reconfigurables et des sous-systèmes critiques. L'entreprise s'appuie sur un maillage industriel en France et en Italie, et une base de clients institutionnels européens solide.
Airbus space systems : plate-formes, charges utiles et intégration
Airbus Space Systems a réalisé environ 2,5 milliards d'euros en 2024, avec des positions fortes dans les plate-formes satellites, l'observation de la Terre et la navigation. Le groupe a accéléré sur les architectures numériques et les lignes de production modulaires. Il représente, selon les estimations évoquées, plus de la moitié du chiffre d'affaires qui serait consolidé dans la future entité commune.
Leonardo et telespazio : le levier des services et des opérations
Leonardo, via Telespazio (67 pourcent Leonardo, 33 pourcent Thales), apporte des compétences en services satellitaires, avec près de 1 milliard d'euros de revenus en 2024. Centres de contrôle, services géo-intelligents, exploitation d'infrastructures au sol : cet ancrage orienté services complète les briques industrielles de Thales Alenia Space et d'Airbus.
Starlink change la donne : production de masse et pression sur les geo
Le raisonnement stratégique derrière Bromo tient en un fait simple : la cadence l'emporte désormais sur l'unicité. Starlink, opéré par SpaceX, a déployé un modèle fondé sur des milliers de petits satellites en orbite basse, produits en série et renouvelés rapidement. Fin 2024, la constellation comptait plus de 6 000 satellites actifs selon les décomptes américains (FCC).
À l'autre extrémité du spectre, les satellites géostationnaires, des plateformes puissantes et customisées à 36 000 km d'altitude, subissent une baisse de la demande commerciale. Euroconsult a recensé un glissement du marché avec une production annuelle passée d'environ 20 unités en 2020 à une dizaine en 2024. Les cycles d'appels d'offres se raréfient et la pression sur les prix s'intensifie, obligeant les industriels européens à revoir leurs structures de coûts et leur offre.
Dans ce contexte, la promesse de la coentreprise est double : moderniser l'outil industriel pour basculer vers des séries courtes mais répétables, et aligner les roadmaps de R&D sur des architectures LEO et MEO reconfigurables, tout en continuant à servir les gros programmes institutionnels de navigation, d'observation et de télécoms de défense.
Les constellations en orbite basse (LEO) déplacent la valeur vers la production répétitive, l'électronique numérique et les logiciels, alors que le modèle GEO privilégie l'ingénierie sur mesure et les charges utiles lourdes. Pour l'industrie européenne, réussir la montée en cadence LEO suppose des investissements lourds en automatisation, tests et supply chain, et une mutualisation des briques logicielles bord et sol.
Trois indicateurs à suivre d'ici 2026
- Cadence de production sur les petites plates-formes LEO en Europe.
- Part des charges utiles numériques dans les commandes commerciales GEO et LEO.
- Temps de cycle de l'appel d'offres à la livraison, notamment sur les missions institutionnelles.
Emploi et coûts : les ajustements déjà engagés en france
Le marché impose sa discipline budgétaire. Airbus a annoncé la suppression de 363 postes au sein de Space Systems en France d'ici mi-2026, une adaptation qui vise à réaligner les coûts et à rediriger les compétences vers les segments en croissance.
Chez Thales Alenia Space, un projet de plan social pourrait se traduire par jusqu'à 980 suppressions de postes selon des informations publiées mi-septembre 2025 par la presse spécialisée. Ces mesures s'inscrivent dans un effort plus large de recomposition des métiers autour de l'électronique de puissance, des traitements numériques embarqués et des opérations au sol.
Dans cette phase, la question clé pour les pouvoirs publics est celle de la reconversions et des relocalisations d'activités. Les sites français concernés, de Toulouse à Cannes, disposent d'atouts technologiques qui peuvent être réaffectés vers les constellations institutionnelles européennes, y compris pour la défense et la résilience des communications gouvernementales.
Les doublons les plus probables se situent sur l'intégration système des plate-formes, l'ingénierie des charges utiles télécoms et l'industrialisation des panneaux solaires. Les fonctions support pourraient également être rationalisées. A contrario, des besoins supplémentaires sont anticipés en architecture numérique, cybersécurité, liaisons optiques et automatisation des tests.
Gouvernance et capital : lignes de tension et compromis à trouver
L'équation actionnariale demeure sensible. Les estimations partagées dans la presse indiquent qu'Airbus représenterait plus de 50 pourcent du chiffre d'affaires de la future entité, contre environ 20 pourcent pour Leonardo. La CFDT d'Airbus Defence and Space a d'ailleurs alerté dès juillet 2025 sur la nécessité de contreparties équilibrées, sous forme de cessions d'actifs ou de compensations financières, afin de ne pas créer un déséquilibre structurel.
Au-delà des pourcentages, la gouvernance sera scrutée de près : nationalité de la direction générale, répartition des centres de décision, droits de veto sur les programmes sensibles. L'expérience des alliances industrielles passées rappelle que la lisibilité du pilotage et la stabilité du capital sont des conditions de succès, notamment pour les clients institutionnels et de défense.
Côté communication, le ton reste prudent. Un porte-parole de Thales a souligné le 15 septembre 2025 que les discussions se poursuivaient sans qu'aucun accord ne soit finalisé. Leonardo n'a pas commenté publiquement. Chez Airbus, Guillaume Faury a déjà mis en avant l'effet disruptif des nouveaux acteurs américains sur la chaîne de valeur spatiale, ce qui corrobore l'urgence stratégique perçue en interne.
Concurrence et régulation : vers un examen approfondi à bruxelles
La future structure devra franchir l'épreuve du contrôle des concentrations. L'Agence spatiale européenne a fait part de craintes quant à une réduction du nombre de fournisseurs pour certaines lignes de produits. La Commission européenne pourrait exiger des remèdes pour prévenir les distorsions de concurrence : cessions ciblées, garanties d'accès pour des tiers, ou engagements sur la gouvernance de projets financés sur fonds publics.
Un cas d'école reste celui des rapprochements industriels passés dans l'aéronautique et l'espace, qui ont donné lieu à des conditions spécifiques de concurrence et de gouvernance. Pour la filière européenne, l'enjeu est d'articuler consolidation et pluralité des offres. Un industriel allemand comme OHB pourrait, selon certains scénarios, bénéficier de fenêtres d'opportunité sur des segments cédés, renforçant la diversité des fournisseurs sur le continent.
Quels remèdes antitrust sont plausibles
- Licences d'accès à certaines technologies pour des concurrents européens.
- Engagements de compatibilité des interfaces sol et bord pour éviter les effets de verrouillage.
- Cessions limitées d'activités où la concentration serait jugée trop forte.
- Mur de Chine sur les projets de défense, afin de préserver la confidentialité et la concurrence.
Calendrier, financement et feuille de route industrielle
Les équipes ont commencé à négocier les paramètres de valorisation à la mi-septembre 2025, avec l'ambition de conclure un accord d'ici la fin de l'année. La mise en œuvre opérationnelle interviendrait en 2026, une fois les autorisations obtenues et la cartographie des actifs stabilisée. Dans l'intervalle, chaque groupe continuera de servir ses clients selon les contrats en cours.
L'effort de R&D est au cœur du montage. Une étude d'experts citée par un rapport parlementaire français en 2024 anticipe un doublement des investissements de R&D mutualisés, de l'ordre de 500 millions d'euros par an aujourd'hui vers 1 milliard d'euros à terme. Ce saut est nécessaire pour passer des démonstrateurs à des constellations robustes et scalables.
Le levier public joue en complément. Les soutiens mobilisés via le programme France 2030 ont désigné en juin 2025 30 projets New Space pour un financement total de 100 millions d'euros, en vue de sécuriser l'autonomie technologique et la compétitivité industrielle françaises. Le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, a souligné la priorité stratégique des télécommunications souveraines lors de l'annonce du 20 juin 2025.
Une entité consolidée offrirait un point d'entrée unique pour des programmes multi-pays, avec des responsabilités clarifiées en intégration système et une meilleure agilité industrielle. Pour les agences et ministères, cela peut réduire les délais et les surcoûts d'interface, à condition d'encadrer les règles de concurrence et d'ouverture aux PME spécialisées.
Sur le front des messages au marché, les dirigeants devront convaincre sur deux axes : la capacité à maintenir l'innovation dans une structure plus lourde, et l'aptitude à gérer les doublons sans détériorer l'expertise. L'arbitrage entre spécialisation des sites et maintien d'un maillage industriel équilibré France-Italie-Allemagne sera un marqueur de crédibilité.
Qui fait quoi aujourd'hui dans la filière : repères clés
Le rapprochement envisagé agrège des expertises complémentaires. Pour éclairer les enjeux industriels et de marché, quelques repères permettent de situer les acteurs et leurs forces différenciantes.
Thales alenia space : portefeuille télécoms et observation
Acteur majeur des charges utiles et des satellites complets, Thales Alenia Space est positionné sur des projets de télécommunications, d'observation et d'exploration. Les compétences en charges utiles numériques et en traitement embarqué figurent parmi les pierres angulaires de sa proposition de valeur. La société s'appuie sur des capacités industrielles installées en France et en Italie et sur une forte empreinte institutionnelle.
Airbus space systems : intégration systèmes et constellations
Airbus apporte un savoir-faire historique sur les plate-formes satellites, une maîtrise des chaînes d'assemblage et des jalons notables en observation de la Terre. Le groupe a accru ses investissements dans les architectures reconfigurables et les chaînes numériques. L'enjeu pour Airbus dans Bromo sera d'orchestrer le passage à l'échelle sur des séries courtes à répétition, sans sacrifier la qualité exigée sur les programmes critiques.
Leonardo et telespazio : exploitation au sol et services
Leonardo, au travers de Telespazio, se situe sur l'aval de la chaîne de valeur : opérations au sol, services gérés, géo-intelligence. Ces briques sont décisives pour améliorer la proposition commerciale globale et pour capter de la valeur récurrente au-delà de la livraison des satellites. Dans Bromo, ce socle services permettrait d'intégrer des offres bout en bout plus compétitives pour les clients.
Lecture économique : pourquoi la taille critique compte maintenant
Sur un marché qui a basculé vers des effets d'échelle et des boucles d'apprentissage accélérées, la fragmentation européenne pénalise les coûts unitaires et la vélocité industrielle. Une entité de 6 à 7 milliards d'euros de revenus agrégés peut rationaliser la R&D, mutualiser les achats stratégiques et stabiliser des lignes de production dédiées aux constellations.
Cet effet taille ne résout pas tout. Il faut aussi une gouvernance capable de trancher rapidement, des roadmaps produits lisibles et des mécanismes incitatifs pour maintenir l'innovation. C'est sur ces dimensions que se jouera l'écart de compétitivité avec les acteurs américains, dont les cycles décisionnels sont plus courts et l'intégration verticale souvent plus poussée.
Deux chiffres qui résument l'urgence
- 10 milliards d'euros de valorisation évoquée pour la coentreprise, signe de la massification visée (Le Monde, 15 septembre 2025).
- Plus de 6 000 satellites Starlink actifs fin 2024, qui imposent un nouveau standard de cadence (FCC).
Ce qu'il faut surveiller au second semestre 2025
Plusieurs points de passage seront décisifs dans les prochains mois. D'abord, la définition précise du périmètre transféré à la coentreprise, ligne par ligne, avec une attention particulière aux activités duales. Ensuite, la clé de répartition du capital et les droits de gouvernance attachés, pour sécuriser les intérêts industriels et souverains des trois pays concernés.
Autre item stratégique : la préparation d'un dossier antitrust argumenté, qui démontrera l'effet pro-compétitif de la consolidation au regard des concurrents extra-européens et des besoins de l'écosystème européen. Enfin, le plan social et industriel qui accompagnera la mise en place devra établir une trajectoire claire pour l'emploi, la formation et la montée en compétences dans les métiers numériques du spatial.
La visibilité auprès des investisseurs et des partenaires financiers sera également en ligne de mire. Sur un secteur capitalistique, la crédibilité de la feuille de route conditionne le coût du capital et la capacité à financer des cycles d'investissement lourds en R&D, en équipements de test et en automatisation des ateliers.
Un pari industriel pour reprendre l'initiative
Si elle est menée à bien, la consolidation Bromo pourrait redonner à l'Europe une capacité offensive sur les constellations et sanctuariser les chaînes d'approvisionnement critiques. La fusion reste toutefois une méthode, pas une fin. Le succès se mesurera à la vitesse d'exécution et à la création de gammes produits compétitives, pas seulement à la taille atteinte par l'entité.
Les prochains gestes, de la gouvernance aux engagements pro-concurrence, feront la différence entre une fusion défensive et un véritable repositionnement de la filière. En toile de fond, l'enjeu dépasse l'industrie : il s'agit de souveraineté technologique et de continuité des services essentiels en Europe.
Reste à transformer l'intention stratégique en avantages concrets pour les clients et en emplois durables pour la filière.