Delair DT61 : le drone français XL qui révolutionne la surveillance longue distance
DT61 de Delair : drone VTOL XL, 100 kg, 15 kg d’emport, 7 h de vol. Cible défense, sécurité civile, énergie et renforce la souveraineté industrielle française.

Premier grand salon international depuis la pandémie à réunir le gratin de l’aéronautique mondiale, le Salon du Bourget 2025 a servi de scène à Delair : la PME toulousaine y a présenté son DT61, un drone de 100 kg capable d’embarquer 15 kg de capteurs et de voler plus de sept heures. Il s’agit d’un pas décisif pour l’entreprise, mais aussi pour la filière française qui ambitionne de sécuriser sa souveraineté technologique.
Un virage stratégique vers les drones de grande endurance
Avec le DT61, Delair franchit un cap : de fournisseur de mini‑drones à acteur du segment « taille XL ». L’appareil, développé en partenariat avec Aviation Design pour l’aérodynamique et Shield Robotics pour les essais en vol, combine voilure fixe et décollage vertical (VTOL). Ce choix limite l’empreinte logistique tout en ouvrant la voie à des missions auparavant réservées aux aéronefs pilotés : patrouille maritime, surveillance d’oléoducs, appui ISR (Intelligence, Surveillance & Reconnaissance) pour les forces armées.
Le timing n’est pas anodin : la loi de programmation militaire 2024‑2030 réserve plus de 5 milliards d’euros au renforcement des moyens drones, tandis que la Direction générale de l’armement (DGA) pousse les industriels à fournir des solutions duales – civiles et militaires. En alignant son calendrier sur celui du ministère des Armées, Delair maximise ses chances d’intégrer les marchés publics dès 2026.
Bon à savoir : VTOL, kézako ?
VTOL (Vertical Take‑Off and Landing) désigne la capacité à décoller et atterrir verticalement. Le DT61 combine cette aptitude aux performances d’un avion à voilure fixe : il élimine le besoin de piste tout en conservant une autonomie record.
Fiche technique : l’efficacité au service de la polyvalence
Le DT61 affiche plus de 100 km de portée de communication grâce à une liaison chiffrée en bande S renforcée par un mode relais. Son autonomie de sept heures, portée par un moteur bi‑carburant modulaire, répond à la demande croissante de surveillance longue durée.
Sur le plan capacitaire, l’appareil peut emporter :
- un capteur MWIR refroidi pour imagerie infra‑rouge de précision,
- un radar SAR/GMTI (imagerie à synthèse d’ouverture et détection de cibles en mouvement),
- des antennes de renseignement électromagnétique (ELINT/COMINT),
- ou toute combinaison répondant à la limite de 15 kg.
Cette modularité découle d’un design « open payload » : le bâti ventral accueille différents pods, pré‑câblés et reconnus automatiquement par le système avionique. Résultat : le temps de reconfiguration passe sous les 20 minutes, un atout pour les exploitants multi‑mission.
La technologie SAR (Synthetic Aperture Radar) utilise le mouvement du drone pour « synthétiser » une antenne virtuelle très large et obtenir des images haute résolution, de jour comme de nuit et par tout temps. GMTI (Ground Moving Target Indicator) ajoute la capacité à distinguer et suivre des objets en mouvement, utile pour la lutte anti‑contrebande ou la détection de véhicules hostiles.
Marchés cibles : sécurité civile, défense et industries critiques
La France aligne désormais trois stratégies complémentaires : la stratégie nationale pour les drones civils (DGAC), la stratégie d’accélération « drones et robots de services » (France 2030) et la stratégie de défense. Le DT61 coche les cases des trois programmes :
- Sécurité civile : surveillance de feux de forêt, contrôle littoral, gestion de crise post‑catastrophe ;
- Industries pétrolière & gazière : inspection de pipelines, détection de fuites de méthane, suivi d’actifs offshore ;
- Défense et renseignement : relais tactique, observation de zone, ciblage indirect.
À l’international, Delair entend répondre aux besoins des garde‑côtes grecs ou italiens confrontés à l’accroissement des traversées clandestines, mais également aux forces africaines engagées dans la lutte anti‑terroriste au Sahel. L’Agence européenne de sécurité maritime (EMSA) a d’ores et déjà exprimé son intérêt pour un drone VTOL de cette taille, selon nos informations.
Le cadre réglementaire français et européen : quelles opportunités ?
Depuis janvier 2024, le règlement d’exécution (UE) 2019/947 impose un marquage CE et une déclaration d’exploitant pour les drones de plus de 25 kg. Le DT61 se situe dans la catégorie spécifique SAIL IV‑VI, nécessitant un SORA complet et, en France, une autorisation DGAC.
Delair dispose déjà d’une organisation de production agréée (POA) et d’une organisation de conception (DOA) sous l’œil de l’EASA, ce qui réduit les délais d’homologation. La société mise sur le régime européen « LUC » (Light‑UAS operator Certificate) pour simplifier les opérations transfrontalières d’ici à 2026.
Les drones lourds (>25 kg) ne bénéficient pas des catégories ouvertes C0‑C4. Ils doivent passer par la catégorie spécifique. Un scénario type STS (Standard Scenario) n’existe pas encore pour un drone de 100 kg ; chaque mission fait donc l’objet d’une analyse de risque (SORA) et d’une autorisation ad hoc.
Financement, croissance et gouvernance : l’équation Delair
Delair revendique un chiffre d’affaires doublé chaque année depuis 2022 : 30 M€ en 2024, 60 M€ prévus en 2025. Cette trajectoire repose sur trois piliers :
- des contrats récurrents de maintenance logicielle (Delair Flight Suite),
- le soutien du Fonds européen de défense (FED),
- un effet d’entraînement lié au programme France 2030.
La gouvernance reste concentrée : Bastien Mancini (co‑fondateur) assure la présidence tandis qu’un comité stratégique, renforcé en avril 2025 par l’entrée de Bpifrance au capital (10 %), oriente les décisions. La PME compte quatre sites : Labège (siège ; R&D), Marseille (optronique), Grenoble (logiciels embarqués) et Paris (relations institutionnelles). Le nombre de salariés vient de dépasser 200.
Financer l’innovation en France
Entre 2019 et 2024, Bpifrance a injecté 1,2 Md€ dans 240 projets drones. Le crédit d’impôt recherche couvre 30 % des dépenses R&D jusqu’à 100 M€. Couplé au dispositif PIAVE et aux marchés duals, cela forme un levier puissant pour des PME comme Delair.
Panorama concurrentiel et différenciation sur le marché européen
Face au DT61, trois familles de concurrents émergent :
- Constructeurs israéliens : Elbit Systems et son Hermes 90 (130 kg), ou IAI BirdEye 650;
- Start‑ups européennes : Quantum‑Systems (Allemagne) et son Trinity Pro, plus léger, mais moins endurant;
- Acteurs asiatiques : le chinois JOUAV et ses séries CW‑25H/CW‑100VTOL, agressifs sur les prix.
Les atouts compétitifs de Delair résident dans :
- la souveraineté du design et des composants critiques (cryptographie, charge utile),
- la conformité RGPD et la garantie d’hébergement des données en Europe,
- la chaîne logistique courte : 82 % de la valeur ajoutée est produite en France.
Par ailleurs, sa station sol universelle DRAKO permet de piloter la totalité de la flotte, réduisant les coûts de formation et de maintenance pour les opérateurs publics. À l’heure où la Commission européenne envisage des clauses « Buy European » dans les appels d’offres défense, le timing est encore une fois favorable.
Enjeux de souveraineté et politique industrielle française
Le programme LT‑EURODRONE, piloté par Airbus, Dassault Aviation et Leonardo, cible un appareil MALE de 10 t. Entre cette solution et les mini‑drones, un vide capacitaire subsistait : c’est exactement la niche que vise le DT61. Son déploiement pourrait alléger la dépendance française à l’égard du MQ‑9 Reaper américain pour certaines missions ISR de moyenne intensité.
Autre dimension : Green Defence. Le ministère des Armées souhaite réduire son empreinte carbone de 30 % d’ici 2035. Un drone de 100 kg consommant 20 fois moins de carburant qu’un hélicoptère léger s’inscrit dans cette trajectoire. S’ajoute un bénéfice budgétaire : l’heure de vol d’un DT61 est estimée à 850 €, contre 6 000 € pour un hélicoptère de type Dauphin.
Retours d’expérience et intégration client
Delair capitalise sur quinze ans d’historique : ses drones DT18, DT26 et UX‑11 totalisent plus de 500 000 heures de vol dans 70 pays. Les retours d’exploitation ont façonné la conception du DT61 : par exemple, le train d’atterrissage escamotable absorbe 2,5 g, un clin d’œil aux atterrissages improvisés constatés lors de missions humanitaires au Mozambique.
Pour fidéliser ses clients, Delair propose un modèle « Drone‑as‑a‑Service » : le client paie un forfait à l’heure de vol couvrant l’appareil, la maintenance et la formation. Cette approche rencontre un succès particulier auprès des compagnies pétrolières, qui préfèrent externaliser la gestion d’aéronefs complexes.
Perspectives industrielles et feuille de route technologique
La fabrication du DT61 se fera à Labège dans une nouvelle ligne d’assemblage modulaire de 2 500 m², inaugurée en mai 2025. La cadence visée est de 40 unités par an dès 2026, avec un potentiel de doublement d’ici 2028. Sur le plan technologique, Delair planche déjà sur le DT61‑H2, une variante hybride‑hydrogène :
- Objectif d’autonomie : 12 h,
- Réduction des émissions : –70 %,
- Certification EASA prévue : 2029.
Parallèlement, la société explore l’intelligence artificielle embarquée (edge computing) pour traiter en temps réel les données d’imagerie et alerter les opérateurs seulement en cas d’anomalie, afin de réduire la charge cognitive. Un partenariat a été signé avec l’IRT Saint‑Exupéry pour miniaturiser les puces d’inférence.
Une trajectoire à surveiller de près
En dévoilant le DT61, Delair change d’échelle : l’entreprise se hisse au rang d’architecte de systèmes, capable d’offrir une solution complète – drone, charge utile, station sol, services. Soutenue par l’État et insérée dans les chaînons du plan France 2030, elle devient un maillon essentiel de la souveraineté numérique et industrielle française. Les premiers vols opérationnels, prévus au second semestre 2025, confirmeront si l’ambition s’accompagne de la maturité technique attendue par les utilisateurs civils et militaires.
Le DT61 incarne l’alliance de l’innovation incrémentale et d’une vision industrielle qui dépasse largement le simple lancement d’un nouveau drone.