À La Chevrolière, Armor Battery Films passe à l’échelle. Inauguré officiellement le 24 septembre 2025, le site de 8 000 m² tourne déjà depuis plus d’un an. Investissement engagé : 37 millions d’euros, dont 8 % soutenus par France 2030. Ambition inchangée malgré un marché plus lent que prévu : 100 millions d’euros de chiffre d’affaires visés à l’horizon 2035.

Inauguration à La Chevrolière : cap industriel et premier bilan

Armor Battery Films cristallise la montée en puissance du groupe nantais sur les batteries. La filiale, adossée à Armor Group et à son expertise historique en encres et enduction de films minces, a ouvert les portes de son usine au sud de Nantes après plus d’un an d’exploitation discrète. L’inauguration au 24 septembre 2025 entérine une étape industrielle, même si le décollage commercial est décrit comme progressif.

Le site compte déjà 50 salariés et se spécialise dans des collecteurs de courant revêtus destinés aux cellules lithium-ion. Selon l’équipe industrielle, ces substrats métalliques recouverts d’une encre fonctionnelle facilitent le passage des ions et optimisent le rendement. D’après Laurent Martel, responsable industriel du site, ces collecteurs contribuent à une amélioration d’environ 20 % de l’efficacité et réduisent les pertes thermiques, ce qui renforce l’autonomie et la stabilité des batteries.

Armor Group : profil et positionnement

Le groupe, basé à Nantes, emploie 2 500 personnes pour un chiffre d’affaires de 446 millions d’euros. Armor se présente comme le seul fabricant européen de collecteurs de courant revêtus pour batteries, une spécialité d’enduction et de formulation d’encres fonctionnelles qui ancre sa différenciation sur une chaîne de valeur dominée par des acteurs asiatiques.

Process industriel et gains de performance

L’usinage se structure autour d’une enduction de précision sur des films métalliques très fins. La stabilité de l’encre, la qualité de l’adhésion et la régularité de l’épaisseur sont les leviers clés des performances finales. L’argument technique mis en avant par l’industriel est double : meilleur transfert ionique et moindres dissipations, soit une capacité de la batterie mieux exploitée, avec un bénéfice direct sur la densité énergétique utilisable et la durée de vie des cellules.

Contribution de France 2030 : un appui ciblé

Le projet Armor Battery Films a reçu un financement public à hauteur de 8 % de l’investissement via France 2030. Le programme national, doté de 54 milliards d’euros, accompagne la montée en gamme industrielle sur des filières stratégiques, dont les batteries. Un bilan gouvernemental publié en avril 2025 souligne que 14 indicateurs sur 16 sont en ligne ou en avance (gouvernement, avril 2025).

Marché européen des batteries : retard de cadence et choc concurrentiel

Le cœur du problème est exogène à Armor Battery Films : en Europe, l’industrialisation des batteries avance, mais pas au rythme initialement annoncé. Plusieurs gigafactories ont décalé leur calendrier, ce qui retarde mécaniquement la demande pour les composants en amont, notamment les collecteurs de courant revêtus.

Au début de septembre 2025, Verkor, ACC et Powerco ont alerté l’UE sur les risques de décrochage de la filière. Ces acteurs pointent la montée des importations et la pression des coûts, dans un contexte où la Chine représente plus de 70 % de la production mondiale de batteries lithium-ion (AIE, 2024).

Verkor, ACC et Powerco : calendriers ajustés

  • Verkor a repoussé le démarrage de son site de Dunkerque de 2024 à 2025.
  • ACC vise une montée à pleine capacité en 2026, au lieu de 2025 initialement.
  • Powerco a co-signé l’alerte adressée à Bruxelles sur la fragilité du calendrier européen.

Ces glissements de planning nourrissent un trou d’air temporaire pour certains fournisseurs, Armor inclus, avec un décalage entre la capacité technique disponible et la demande effective des assembleurs.

UE et European Battery Regulation : objectifs sous tension

L’UE vise une part significative de la production mondiale à l’horizon 2030, portée par l’European Battery Regulation adoptée en 2023. Un chiffre de 30 % circule comme cap sectoriel, mais la trajectoire s’éloigne dès lors que les importations en provenance de Chine progressent en volume.

Eurostat fait état, pour 2024, d’une hausse de 15 % des importations de batteries chinoises par rapport à 2023, en dépit de mesures anti-dumping. Au-delà du commerce, la question est industrielle : comment sécuriser la demande afin d’amortir l’investissement des gigafactories et de leurs fournisseurs de composants avancés.

Il s’agit d’un film métallique conducteur, généralement cuivre pour l’anode et aluminium pour la cathode, sur lequel est appliquée une couche fonctionnelle. Ce revêtement optimise le transfert d’électrons et d’ions, homogénéise la densité de courant, et peut réduire les pertes de chaleur. L’enjeu de l’enduction est la régularité, la compatibilité chimique et la durabilité du film sous contraintes de cycles.

Métriques Valeur Évolution
Investissement usine Armor Battery Films 37 M€ 8 % financés par France 2030
Surface du site de La Chevrolière 8 000 m² Opérationnel depuis plus d’un an
Part de la Chine dans la production mondiale de Li-ion > 70 % Poids stable élevé (AIE 2024)
Importations de batteries chinoises en Europe +15 % en 2024 vs 2023 Hausse malgré mesures anti-dumping
Capacité européenne de production 50 GWh (2023) → 250 GWh (2030) Objectif Commission européenne 2024
Objectif de CA Armor Battery Films 100 M€ d’ici 2035 Montée en puissance progressive

Stratégie commerciale d’Armor Battery Films : diversification prudente

Armor Battery Films a étoffé son portefeuille pour absorber la volatilité de la demande automobile. Si les véhicules électriques demeurent un pilier, les volumes européens n’évoluent pas aussi vite que prévu. D’où l’intérêt porté aux batteries stationnaires, aux data centers et à des segments spécialisés comme la défense ou la logistique.

VE en Europe : traction en deçà des attentes

La part de marché des VE neufs en Europe a atteint 14 % en 2024, en deçà des 20 % espérés. À ce rythme, l’objectif de ventes 100 % VE en 2035 apparaît plus complexe, car il suppose une combinaison de facteurs alignés : prix, réseaux de recharge, incitations, attentes des constructeurs en matière de localisation industrielle. Pour les fournisseurs de composants avancés, cela se traduit par une visibilité commerciale segmentée selon les projets constructeurs.

Stockage stationnaire et data centers : relais de croissance

Armor cible les applications stationnaires, dopées par la hausse de 10 % de la production d’énergies renouvelables en France en 2024. Les besoins de stockage augmentent à mesure que la variabilité de production solaire et éolienne s’intensifie.

Les data centers constituent un autre point d’appui avec une demande pour batteries en hausse de 15 % par an en Europe en 2025, selon une analyse sectorielle évoquée. Les batteries résidentielles progressent aussi : en France, les installations couplées aux panneaux solaires ont augmenté de 25 % en 2024, ce qui nourrit la base de projets adressables.

À l’inverse, Armor écarte les petits formats grand public comme les smartphones : le gain fonctionnel, selon la R&D, ne justifierait pas le surcoût du collecteur revêtu au regard du cycle de renouvellement des appareils.

Sur le stockage réseau ou résidentiel, la durée de vie et l’efficacité sous cyclage quotidien priment. Les revêtements de collecteur qui stabilisent le passage du courant et limitent les échauffements contribuent à réduire la dégradation et donc à améliorer le coût total de possession. Cette logique valorise les composants premium dans des systèmes à longue durée d’usage.

France 2030 : des indicateurs en hausse

Le bilan gouvernemental d’avril 2025 affirme que 14 indicateurs sur 16 de France 2030 sont en ligne ou en avance, avec des fonds alloués à des projets de gigafactories et de composants. Ce signal conforte la stratégie de réindustrialisation dans laquelle s’inscrit Armor Battery Films (gouvernement, avril 2025).

États-Unis : fenêtre d’opportunité ouverte par l’IRA

Armor Battery Films dit bénéficier d’une demande forte en Amérique du Nord. La conjonction de deux facteurs y crée un contrepoids au ralentissement européen : d’une part, la dynamique d’investissement induite par l’Inflation Reduction Act (IRA) de 2022 avec un paquet énergie propre de 369 milliards de dollars ; d’autre part, des barrières tarifaires élevées sur les composants chinois depuis 2024, qui améliorent la compétitivité des fournisseurs non chinois.

Demande nord-américaine et politique commerciale américaine

Les taxes américaines pouvant aller jusqu’à 100 % sur certains composants d’origine chinoise favorisent la recherche de chaînes d’approvisionnement alternatives. Dans ce contexte, Armor Battery Films a sécurisé des contrats avec des fabricants américains pour des volumes croissants. Le mix clients annoncé se répartit à 40 % en Europe, 40 % en Amérique du Nord et 20 % dans le reste du monde, ce qui diversifie le risque industriel.

Compétition mondiale : arbitrages de coûts et souveraineté

La compétitivité coût des composants de batteries reste largement tirée par l’Asie, mais la préférence réglementaire et les incitations locales redessinent la carte des fournisseurs. Les industriels nord-américains cherchent des partenaires capables de monter en cadence et de garantir une stabilité de qualité dans la durée. Pour Armor, l’avantage compétitif tient à la fois à l’expertise d’enduction et à la proximité géopolitique perçue comme un gage de résilience d’approvisionnement.

Capacités européennes et besoins de financement : trajectoire 2030

La Commission européenne estime que la capacité régionale pourrait atteindre 250 GWh en 2030, après environ 50 GWh en 2023. L’effort financier requis est évalué à 100 milliards d’euros pour franchir cette marche et sécuriser les maillons critiques de la chaîne. Ce saut quantitatif suppose non seulement des lignes de production, mais aussi des volumes fermes côté acheteurs pour rentabiliser les capitaux engagés.

La domination chinoise sur la chaîne d’approvisionnement, estimée à environ 80 % de contrôle des étapes clés, polarise l’attention des industriels européens. L’objectif : éviter de reconstruire des dépendances à l’heure où les véhicules électriques, le stockage et les applications industrielles lourdes augmentent la demande en cellules.

Capacité de 50 à 250 GWh : marche à franchir

Sur le terrain, l’écart se traduit par des ramp-up complexes, des calendriers ajustés et des arbitrages techniques. Les retards constatés chez certains gigaprojets montrent que la maturité industrielle ne se décrète pas : elle s’obtient par la répétition de cycles de production et par des contrats d’approvisionnement stables. Pour Armor Battery Films, la maintenance d’un outil à haute précision et l’assurance de qualité constante sont deux piliers pour capter la demande lorsque les volumes seront au rendez-vous.

Approvisionnement chinois et souveraineté énergétique

La tension entre compétitivité prix et impératifs de souveraineté structure la politique industrielle européenne. L’augmentation des importations de batteries chinoises de 15 % en 2024 relativise les effets à court terme des mesures commerciales, faute de capacité locale immédiate. Pour autant, les signaux d’investissement persistent et la base technologique européenne se consolide, avec des acteurs spécialisés comme Armor à des positions clés.

Lorsque les gigafactories retardent ou réduisent leurs ordres, les fournisseurs de composants à forte intensité capitalistique peuvent se retrouver en sous-utilisation de leurs équipements. Conséquence : pression sur les coûts fixes, replanification des investissements et, parfois, ralentissement de la R&D appliquée faute de retours terrain. La diversification des débouchés devient alors une condition de résilience.

Qui est Armor Group : ADN, R&D et ancrage nantais

Armor Group, maison mère d’Armor Battery Films, s’est bâti sur des compétences d’enduction de films minces et de formulation d’encres. Cette expertise transversale sert aujourd’hui des marchés industriels variés, dont l’électronique et l’énergie. L’entreprise, basée à Nantes, revendique une empreinte européenne et un engagement dans la transition énergétique, avec une spécialisation sur des maillons technologiques différenciants.

R&D et électrolytes solides : feuille de route 2027

Le pôle R&D d’Armor Battery Films regroupe 16 personnes. L’équipe travaille sur des interfaces avancées et des architectures compatibles avec les batteries à électrolytes solides, souvent évoquées pour leur promesse de sécurité accrue et de densité énergétique supérieure.

Des prototypes sont attendus d’ici 2027. Cette trajectoire vise à accroître la pertinence des collecteurs revêtus au sein de nouvelles chimies et à anticiper les besoins des intégrateurs.

Écosystème local : La Chevrolière et Pays de la Loire

Le site de La Chevrolière bénéficie d’un soutien régional et de coopérations avec des instituts de recherche, dont le CNRS. Le maillage local permet au site de conjuguer recrutements spécialisés et accès à la recherche publique, conditions favorables à une montée en maturité technique. Armor met en avant des procédés d’enduction adaptés à des volumes industriels et à des contrôles qualité compatibles avec les standards des gigafactories.

Effectifs et montée en charge

Armor Battery Films compte 50 salariés sur le site de La Chevrolière. La montée en puissance sera progressive, calée sur les débouchés des marchés visés : batteries pour VE, stockage stationnaire, data centers, défense et véhicules logistiques.

Modèle de revenus et amortissement industriel : le pari 2035

L’objectif affiché par Armor Battery Films est de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici 2035. Son atteinte dépend d’un enchaînement vertueux : consolidation des contrats nord-américains, reprise européenne au gré des ramp-up de gigafactories et traction du stationnaire. La spécialisation sur les collecteurs revêtus joue le rôle d’un avantage technologique à la fois défensif et différenciant.

Sur un marché mondial des batteries estimé à 150 milliards d’euros d’ici 2030, l’accès aux programmes structurants et la capacité à gérer les cycles de demande seront déterminants. Les arbitrages d’investissement au niveau européen, additionnés aux signaux de politique industrielle américaine, indiquent un rééquilibrage des flux d’achats à moyen terme.

Cap 2035 : quelle trajectoire réaliste pour Armor Battery Films

À court terme, la filiale devra naviguer entre un marché européen en rattrapage plus lent et une traction américaine soutenue par l’IRA et la politique tarifaire. L’outil industriel est en place, la R&D est structurée et la feuille de route technologique vers l’électrolyte solide clarifie les prochaines étapes.

Le signal prix et le calendrier des gigafactories en Europe livreront l’arbitrage final. Si la demande converge, l’objectif 2035 d’Armor est à portée, porté par une diversification des débouchés et un positionnement de composant à valeur ajoutée. La montée en charge sera une course de fond, plus qu’un sprint, pour transformer l’avance technologique en revenus récurrents.