En annonçant une levée de 1,5 million d’euros, Zenior signe une entrée fracassante dans le panorama tricolore de la « silver économie ». La start‑up, fondée en 2024, veut faire oublier le casse‑tête administratif vécu par plus de quatre millions d’aidants français, tout en redonnant de la lisibilité à un marché du grand âge très fragmenté. Derrière ce financement, c’est une ambition claire : transformer l’expérience utilisateur du vieillissement, depuis la première recherche d’information jusqu’à l’installation concrète dans un lieu de vie adapté.

Une plateforme née d’une frustration collective

Au départ, il y a l’histoire personnelle d’Alix Zeitlin, cofondatrice de Zenior : lorsqu’elle doit trouver en urgence un établissement pour sa grand‑mère, elle découvre la jungle des guichets, des délais incompressibles et des formulaires CERFA souvent incompréhensibles. L’idée germe alors de centraliser tout le parcours, à la façon d’un « Booking.com » de la dépendance. La plateforme voit le jour début 2024, épaulée par Antoine Grimaud, serial entrepreneur rompu aux problématiques de santé digitale.

Concrètement, Zenior regroupe aujourd’hui :

  • plus de 7 500 fiches d’établissements (EHPAD, résidences services, habitats partagés) documentées en temps réel ;
  • un algorithme de matching multicritères (budget, GIR, géolocalisation, pathologies) ;
  • un tableau de bord qui simplifie les démarches administratives (APA, ASH, APL) et anticipe les délais moyens ;
  • des conseillers humains disponibles, par chat ou téléphone, sept jours sur sept.

Selon les données de l’entreprise, plus de 1 000 familles accompagnées affirment avoir économisé, en moyenne, 25 heures de paperasse et réduit de moitié leur stress décisionnel. L’intégration d’un module prédictif, basé sur l’intelligence artificielle, doit encore affiner la pertinence des recommandations et alerter les aidants lorsqu’une perte d’autonomie s’accélère.

Quelques chiffres qui donnent le ton

17,5 millions de Français ont aujourd’hui plus de 60 ans ; ils seront 22,3 millions en 2050, selon l’Insee. Le secteur du bien vieillir pèsera 130 milliards d’euros d’ici 2030, porté par la demande de services à la personne et d’habitats adaptés.

Le positionnement de Zenior est donc double : soulager l’aidant tout en accompagnant les établissements à moderniser leur offre. Une symbiose rare dans un écosystème où, historiquement, les plateformes se cantonnaient à l’une ou l’autre des problématiques.

Des investisseurs en quête d’impact sociétal

La levée de fonds a été menée par Invess Île‑de‑France Amorçage, un véhicule créé par la Région Île‑de‑France et géré par INCO Ventures, avec l’appui d’Abeille Assurances. Autour de la table siègent également plusieurs business angels familiers du grand âge et de la santé digitale. En échange d’une participation minoritaire, ces partenaires injectent non seulement du capital mais aussi un réseau de terrain : établissements privés à but non lucratif, fédérations d’aide à domicile, mutuelles santé.

Pourquoi un tel engouement ? D’abord parce que la dépendance constitue un défi financier majeur : le reste à charge moyen en EHPAD avoisine 2 000 € par mois – un montant souvent incompatible avec la retraite médiane. Ensuite, la réforme du Grand Âge, repoussée à plusieurs reprises, repousse d’autant la mise en place d’un cinquième risque autonomie. Les investisseurs voient donc dans Zenior un acteur capable de fluidifier les parcours avant même que la puissance publique ne fixe un nouveau cadre.

GIR (Groupe Iso‑Ressource) : mesure le degré de perte d’autonomie.
APA (Allocation personnalisée d’autonomie) : aide départementale finançant une partie du coût en établissement ou à domicile.
ASH (Aide sociale à l’hébergement) : prise en charge, sous conditions de ressources, d’une fraction du tarif d’hébergement.

La lignée d’investissement à impact n’est pas anodine : INCO Ventures a déjà financé des projets d’économie circulaire et d’inclusion numérique. En choisissant Zenior, le fonds envoie un signal : la silver économie devient un terrain d’innovation sociale, pas seulement un marché captif prêt à consommer des services.

Vers une équation technologique et humaine

Zenior consacre environ 50 % du ticket levé à la R&D. Objectif : développer un moteur prédictif capable de repérer les « signaux faibles » qui précèdent souvent la chute ou la dénutrition : baisse des commandes de repas, raréfaction des visites médicales, factures impayées. À long terme, la plateforme veut se brancher aux objets connectés (balances, montres d’activité) pour avertir l’aidant en temps réel, et sécuriser l’aîné sans l’infantiliser.

L’autre moitié des fonds sera allouée au maillage territorial. Aujourd’hui concentrée en Île‑de‑France, l’entreprise prévoit d’installer des conseillers régionaux dans chacun des 13 territoires métropolitains d’ici fin 2026, puis d’ouvrir trois hubs ultramarins (La Réunion, Guadeloupe, Martinique). L’enjeu est de rester un guichet unique tout en déclinant les spécificités locales : prix médian de l’hôtellerie, densité de professionnels de santé, taux de recours aux aides.

Bon à savoir

La feuille de route « France 2030 » consacre 6 milliards d’euros au secteur de la santé, dont une enveloppe dédiée au vieillissement actif et à l’autonomie. Les projets mêlant IA, data et domiciliation intelligente pourront prétendre à ces subventions.

Du côté des établissements, l’outil sert déjà de tableau d’affichage numérique. Lorsque des lits se libèrent, l’équipe médico‑administrative peut envoyer l’information en un clic aux familles en recherche active, raccourcissant les délais d’admission. En contrepartie, Zenior collecte des données anonymisées : taux de chute, satisfaction post‑installation, évolution du reste à charge. Ces indicateurs nourrissent la plateforme d’IA et améliorent la précision des recommandations.

Reste la question sensible de la protection des données. Zenior dit appliquer la norme HDS (Hébergement de données de santé) et recourir au chiffrement de bout en bout. Les conseillers sont formés au RGPD et à la doctrine « Minimisation » : ne stocker que les données strictement indispensables à la mission. Un comité éthique indépendant, incluant un gériatre et un juriste spécialisé en santé numérique, doit être installé courant 2025.

Au‑delà des chiffres, un enjeu de cohésion sociétale

Le vieillissement n’est pas qu’un fait démographique ; il remet en cause le modèle social français. Loin d’être un détail, la difficulté qu’ont les familles à trouver un EHPAD décent fragilise aussi la participation des aidants au marché du travail. Selon la Dares, un salarié aidant sur six réduit ou abandonne son activité professionnelle, amputant le PIB de près de 7 milliards d’euros par an. En fluidifiant la recherche de solutions, Zenior prétend contribuer indirectement à la compétitivité économique.

Mais la promesse de « solution unique » suffit‑elle ? Les associations de proches craignent un risque d’ubérisation si la plateforme prenait le pas sur l’accompagnement humain de terrain. Zenior rétorque qu’elle agit en complémentarité : le conseiller digital se substitue aux tâches chronophages pour laisser plus de temps au médico‑social. Une étude pilote menée avec trois EHPAD indépendants montre d’ailleurs une baisse de 20 % des abandons de dossiers avant admission et une amélioration de la note de satisfaction « accueil » de 3,2 à 4,4 sur 5.

Trois pistes se distinguent :
Croissance organique puis introduction en Bourse sur Euronext Growth à horizon 2030 ;
Rachat industriel par un groupe d’assurance ou un acteur du maintien à domicile ;
Fusion avec une plateforme européenne pour créer un champion continental.

À court terme, la priorité reste la fiabilité de l’outil. Toute erreur de recommandation toucherait une population vulnérable et ternirait l’image de marque. Alix Zeitlin insiste : « Notre obsession, c’est la déontologie. Nous sommes le seul acteur qui refuse toute commission de référencement. Les établissements payent un abonnement fixe pour figurer sur la plateforme ; cela nous garantit une indépendance totale dans le conseil ». Une politique qui rassure les associations de consommateurs, mais qui oblige l’entreprise à atteindre rapidement une masse critique d’abonnés pour couvrir ses frais.

La dynamique de marché joue toutefois en faveur de la start‑up. En 2024, moins de 10 % des places d’hébergement pour personnes âgées étaient commercialisées via des canaux digitaux. Les familles effectuaient en moyenne 12 appels téléphoniques avant de comprendre les disponibilités réelles. Si Zenior parvient à réduire cette errance informationnelle, elle pourrait devenir la « porte d’entrée » naturelle du parcours de dépendance, tout comme Doctolib s’est imposé pour la prise de rendez‑vous médicaux.

L’étape suivante consistera à connecter les financeurs publics (départements, caisses de retraite, ARS) à la plateforme pour pré‑remplir automatiquement les dossiers APA ou ASH. Cela suppose une interopérabilité avec les systèmes informatiques des collectivités et un dialogue constant avec l’Agence du numérique en santé. Zenior a déjà rejoint le dispositif Health Data Hub Sandbox pour tester ses API dans un environnement sécurisé.

À l’horizon 2030, l’entreprise projette un chiffre d’affaires de 40 millions d’euros, avec un modèle d’abonnement B2B (établissements) et un service premium B2C (familles) à moins de 10 € par mois. Les investisseurs tablent sur un EBITDA positif dès 2027, à condition que le taux de conversion entre leads et admissions reste supérieur à 12 %. Un objectif ambitieux, mais rendu plausible par l’automatisation progressive des démarches et l’effet réseau : plus la base d’établissements est exhaustive, plus la valeur perçue par les familles augmente.

Par‑delà la performance financière, le projet interroge la capacité de la société française à considérer le vieillissement non pas comme un coût, mais comme une opportunité d’innovation et de solidarité. L’arrivée d’acteurs digitaux, à l’image de Zenior, catalyse les énergies : start‑ups, mutuelles, conseils départementaux, Caisses d’assurance retraite et de santé au travail (Carsat) se parlent davantage. Un mouvement qui pourrait enfin rapprocher la promesse politique du « bien vieillir chez soi » de la réalité quotidienne des 1,2 million de personnes en perte d’autonomie sévère.

Zenior n’est peut‑être qu’une pièce du puzzle, mais la clarté de sa mission, rendre la dépendance moins anxiogène, illustre la voie d’une silver économie française où innovation rime avec dignité.