À la croisée des enjeux climatiques et industriels, la jeune pousse iséroise TOLV annonce une nouvelle phase de financement : une levée de 4 millions €, dont 1 million ouvert aux particuliers sur la plateforme CrowdCube du 11 au 30 juin 2025. 

Levée de fonds : une invitation citoyenne à la mobilité électrique

En misant sur l’épargne des Français, TOLV brise la frontière traditionnelle entre investisseurs professionnels et grand public. L’opération vise 1 million € de tickets citoyens pour compléter un tour de table global de 4 millions €. Cette approche hybride, institutionnels d’un côté, particuliers de l’autre, reflète un marché du crowdfunding qui a collecté plus de 10,8 milliards € depuis 2015 et franchi, en 2024, la barre symbolique des 2 milliards sur une seule année.

Chiffres clés du retrofit en France

  • 2 600 véhicules rétrofités homologués en 2024
  • 16 000 attendus d’ici 2030 selon l’Ademe.
  • Économie moyenne : -40 % sur le coût total de possession par rapport à un utilitaire neuf électrique
  • Réduction d’émissions : jusqu’à 60 % de CO₂ sur le cycle de vie

Le choix de CrowdCube n’est pas anodin : la plateforme britannique, enregistrée comme PSFP en France, revendique plus de 2 000 entreprises financées. L’entrée en vigueur du règlement européen ECSP en 2021 a fluidifié les levées transfrontalières, un facteur déterminant pour une société qui se projette déjà hors hexagone.

Pourquoi le retrofit séduit flottes privées et collectivités

Interdiction progressive des moteurs thermiques, ZFE, fiscalité incitative : le contexte réglementaire pousse les détenteurs de flottes à chercher des solutions rapides et moins capitalistiques que l’achat de véhicules neufs. Transformer un utilitaire diesel en 100 % électrique en vingt‑et‑une heures, c’est la promesse phare de TOLV : amortissement plus court, immobilisation réduite et impact carbone divisé par trois.

Il s’agit de remplacer la chaîne de traction thermique (moteur, boîte, échappement) par un groupe motopropulseur électrique, batterie comprise, tout en conservant la caisse et la plupart des organes de sécurité. La pratique est encadrée depuis 2020 par l’arrêté ministériel du 13 mars, complété en 2022 pour les poids lourds.

TOLV : de l’atelier isérois à l’industrialisation

Née en 2019 sous le nom Phoenix Mobility, la société devient TOLV en 2023 pour porter une ambition plus large. Après un seed de 3 M€ en 2021, puis une Série A de 7 M€ un an plus tard, l’entreprise s’est associée à Renault Group pour installer sa ligne pilote dans l’usine de Flins. Objectif 2026 : produire 1 000 kits ; cap 2030 : 6 800 unités annuelles, soit près de 3 % du parc d’utilitaires électriques neufs projeté cette année‑là.

L’alliance avec le constructeur historique garantit approvisionnement, standard qualité ISO 9001 et accès à un réseau mondial d’après‑vente, un atout majeur face aux jeunes concurrents qui peinent encore à franchir l’étape de la certification UTAC. L’industrialisation est désormais le maillon critique : stabiliser les temps de cycle, fiabiliser la supply chain batterie et sécuriser la montée en cadence. 

Processus d’homologation en cinq étapes

  1. Étude de conformité initiale
  2. Prototype & tests dynamiques (UTAC)
  3. Dossier d’agrément DREAL
  4. Certification de la série
  5. Contrôle par organisme indépendant tous les 500 kits

Une plateforme multi‑marques et internationale

Jusqu’ici focalisé sur le Renault Master, TOLV passe à la vitesse supérieure : un outil de production modulaire capable de traiter à terme cinq marques, Renault, Peugeot, Citroën, Fiat, Ford, puis les light vans de Mercedes‑Benz et Volkswagen. Cette approche agnostique ouvre à l’entreprise les marchés allemands, italiens et espagnols, où les schémas d’aide publique au retrofit se précisent. 

Économies d’échelle sur l’achat de cellules batteries, mutualisation des gabarits d’outillage et meilleure résilience face aux tensions logistiques. En outre, cela permet à TOLV de servir les loueurs longue durée, qui gèrent des flottes hétérogènes et exigent une homogénéité de service après‑vente.

Analyse financière : modèle et valorisation

Sur la base d’un panier moyen de 25 000 € par kit posé (composants, main‑d’œuvre, garantie), la production visée à horizon 2030 laisse entrevoir un chiffre d’affaires de l’ordre de 170 millions €. La marge brute s’établit autour de 25 % selon notre analyse — un ratio supérieur à celui d’un constructeur traditionnel grâce au réemploi de 70 % du véhicule d’origine. Reste l’enjeu capex : le passage de 1 000 à 6 800 kits nécessitera plus de 20 M€ d’investissements cumulés (bancs d’essai, presses, robotique). 

Du côté du financement, l’ouverture à CrowdCube devrait permettre à TOLV de lisser son coût moyen du capital : en mettant en concurrence investisseurs institutionnels (Bpifrance, CIC, Société Générale, Crédit Agricole, Rhône Dauphiné, Shift4Good) et épargnants, la start‑up vise une dilution moindre et un effet de levier bancaire accru auprès de la BEI et du Crédit Agricole Leasing & Factoring. 

Impact : mesurer plus que les grammes de CO₂

L’entreprise a inscrit dans ses statuts la qualité de société à mission. Outre la baisse d’émissions (jusqu’à 8,6 t CO₂ évitées par véhicule sur huit ans), TOLV revendique 45 emplois directs créés depuis 2021 et table sur 300 postes d’ici 2030, dont la moitié en Isère. La localisation de la production limite les transports intersites : un atout carbone rarement valorisé dans les approches LCA. Sur le volet social, l’entreprise collabore avec l’AFPA pour former des techniciens au diplôme émergent « Électromécanicien retrofit ».

Flotte, fiscalité et planification industrielle : que disent les signaux faibles ?

Derrière la médiatisation du retrofit se joue la stratégie industrielle française : prolonger la vie d’un véhicule, c’est aussi préserver des matières premières critiques, lithium, cobalt, nickel, dont les prix restent volatils. À l’heure où l’Union européenne planche sur une taxe carbone aux frontières (MACF), la circularité devient un avantage comparatif.

Si le coût de la batterie neuve devait chuter sous la barre des 80 $ / kWh, le modèle économique de TOLV pourrait, paradoxalement , être challengé par des utilitaires électriques low‑cost importés. Mais la solidité de la chaîne de valeur locale, du design in‑house à la production en France, reste un socle résilient face aux fluctuations mondiales.

Le retrofit comme catalyseur d’innovation industrielle

Au‑delà de l’effet d’annonce, l’opération CrowdCube est un test de marché. Si l’enveloppe citoyenne est bouclée avant le 30 juin, TOLV aura prouvé que la mobilité électrique peut aussi être financée par celles et ceux qui la subissent, artisans, PME, collectivités. En cas de succès, le modèle pourrait inspirer d’autres filières (batteries stationnaires, trains régionaux, engins agricoles) où la réutilisation l’emporte sur la substitution.

En misant sur la coopération entre capital industriel, innovation française et financement participatif, TOLV démontre que la transition énergétique passe autant par le recyclage d’idées que par la conversion des moteurs.