Porter la production de médicaments au cœur de l’Europe fait de plus en plus figure de priorité nationale. Dans le sillage de la pandémie et pour limiter la dépendance aux fournitures asiatiques, l’État français a annoncé une aide publique ambitieuse en faveur d’Euroapi.

Cette entreprise, autrefois affiliée à Sanofi, pourra ainsi bénéficier d’un soutien pouvant atteindre 140 millions d’euros et repositionner ses activités.

Consolidation pharmaceutique en Europe : un enjeu stratégique

La compétition mondiale dans le secteur pharmaceutique se durcit à mesure que des fabricants asiatiques gagnent en puissance. Les acteurs européens, longtemps reconnus pour leurs standards qualitatifs, doivent désormais composer avec des coûts de production plus élevés. En parallèle, 80 % des principes actifs (API) utilisés dans l’Union européenne proviennent d’Asie (chiffres 2025). Ce déséquilibre constitue un risque majeur pour la souveraineté sanitaire du continent.

C’est avec ce constat en tête que plusieurs États membres ont choisi de soutenir financièrement la relocalisation de sites industriels. En France, cette démarche s’illustre par des investissements massifs pour des projets structurants. L’objectif : renforcer l’indépendance stratégique, éviter les ruptures d’approvisionnement et sécuriser la chaîne de valeur.

La crise du Covid-19 a servi de révélateur. Dès 2020, plusieurs médicaments essentiels se sont raréfiés, en particulier ceux fabriqués en dehors de l’UE. Les États européens ont pris conscience de la nécessité de maîtriser leur production pour assurer une meilleure résilience face à des situations d’urgence.

Aux côtés de cet impératif se dessinent des perspectives économiques. Produire localement peut accroître la compétitivité industrielle, créer des emplois et stimuler la recherche. Les gouvernements cherchent donc à encourager l’innovation et la diversification, d’autant plus que le secteur pharmaceutique est réputé stable et à forte valeur ajoutée.

Une dynamique enclenchée : dates et annonces clés

Le dossier Euroapi trouve sa source dans un contexte de transformations initiées dès 2022. Cette année-là, la France a participé au lancement de Med4Cure, un « Projet important d’intérêt européen commun » (PIIEC) voué à la production de principes actifs en Europe.

Visite ministérielle en janvier 2025

Le site d’Euroapi à Vertolaye, implanté dans le département du Puy-de-Dôme, a reçu le 6 janvier 2025 deux membres éminents du gouvernement : Yannick Neuder (ministre français de la Santé) et Marc Ferracci (ministre de l’Industrie). Au cours de cette visite, la perspective d’une subvention pour soutenir l’activité d’Euroapi a été mise en avant. Dans un premier temps, l’enveloppe exacte n’avait pas été divulguée. Le ministre Ferracci avait simplement confirmé que l’Union européenne avait donné son feu vert au projet en juin 2024 (communiqué interne 2025), et que le Premier ministre Michel Barnier avait finalisé la décision quelques semaines plus tôt.

L’objectif affiché par les pouvoirs publics consistait à amortir les difficultés de l’entreprise, tout en inscrivant ce soutien dans une logique plus vaste de réindustrialisation. Malgré les incertitudes, cet engagement a démontré la volonté de l’État d’accompagner les industriels pharmaceutiques français en quête de compétitivité.

Annonce officielle le 28 juillet 2025

Le montant tant attendu a finalement été dévoilé fin juillet 2025, quand Euroapi a publié ses résultats semestriels. L’annonce a confirmé une aide publique potentielle de 140 millions d’euros, dédiée à des projets d’industrialisation couverts par Med4Cure. Les deux usines françaises concernées, à Vertolaye et à Saint-Aubin-lès-Elbeuf (Normandie), tireront parti de ce financement pour moderniser leurs lignes de production et développer de nouvelles technologies dans la fabrication de principes actifs.

Med4Cure : un soutien supranational

Med4Cure rassemble la France, la Belgique, la Hongrie, l’Italie, la Slovaquie et l’Espagne. Chacun s’est engagé à financer des projets d’envergure dont l’impact dépasse les frontières nationales. Le programme mobilise jusqu’à 1 milliard d’euros pour 13 sociétés européennes en 2025.

Les ambitions derrière Med4Cure

Le concept de PIIEC (Projet important d’intérêt européen commun) est né pour soutenir les secteurs économiques ou technologiques dits « stratégiques ». Il déroge aux règles habituelles de l’Union européenne interdisant les subventions trop importantes, afin de permettre des apports financiers massifs lorsque l’intérêt collectif est menacé.

Dans le champ pharmaceutique, Med4Cure constitue le premier dispositif de cette nature. Sa finalité ne se limite pas à un simple renforcement industriel. Les initiatives soutenues doivent intégrer des solutions innovantes, telles que le recours à la chimie verte ou des procédés moins polluants et plus efficients. Les multinationales et ETI sélectionnées montrent toutes une volonté de restaurer la souveraineté sanitaire européenne, mise à rude épreuve ces dernières années.

Pour Euroapi, ce coup de pouce représente un renfort crucial, surtout au vu de la concurrence internationale. Les corticostéroïdes, les antibiotiques macrolides et les nanoparticules figurent parmi les segments visés pour faire la différence en termes de qualité et de performance.

La chimie verte cherche à optimiser la production en réduisant l’usage de substances toxiques et en limitant les déchets. Grâce à cette approche, la fabrication de médicaments peut gagner en efficacité et baisser son impact écologique. Cette démarche soutient la stratégie de durabilité chère aux promoteurs du PIIEC Med4Cure.

Histoire d’Euroapi : entre héritage et turbulences

L’aventure Euroapi a débuté en 2020, lorsqu’une partie des activités industrielles et R&D de Sanofi ont été scindées pour former cette nouvelle entité. L’idée initiale : créer un acteur européen majeur dans la production de principes actifs. Au laboratoire initialement dédié à Sanofi s’est alors adjoint un réseau de six sites industriels répartis en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Hongrie et en Italie.

Avec plus de 3 270 employés début 2025, Euroapi ambitionne de prévaloir sur le marché mondial des API. Pourtant, la marque est confrontée à une série de freins. Certains sont liés à des choix stratégiques, d’autres à un environnement économique contraint.

Une dépendance encore forte à Sanofi

Malgré son indépendance, Euroapi s’appuie largement sur la commande de son ex-maison mère. En 2024, plus d’un quart de son chiffre d’affaires provenait directement des contrats passés avec Sanofi (données internes 2025). Or dès la première moitié de 2025, ces ventes ont reculé de près de 24,4 %, tirant vers le bas les performances globales de l’entreprise. Cette baisse provient principalement de la réduction de certains volumes de productions historiques.

Consciente de cette fragilité, la direction d’Euroapi prévoit de nouer des collaborations avec d’autres groupes pharmaceutiques. Mais cette stratégie de diversification s’avère cruciale pour stabiliser la trésorerie et optimiser le taux de remplissage des lignes de production.

Site de Brindisi : un épisode révélateur

En mars 2024, un arrêt brutal a touché le site italien de Brindisi. Les causes exactes n’ont pas été clairement rendues publiques, mais cet épisode a mis en exergue une désorganisation forte et un manque de ressources pour réagir rapidement. Pour une structure déjà sous tension, cet incident a provoqué un retard logistique et rendu plus tangibles les défis liés à la maintenance des sites éloignés.

Une inquiétude a aussi gagné les salariés. Les élus syndicaux, à l’instar de Magali Mathevon de la CGT, ont souligné l’urgence de retrouver un équilibre financier. Une rentabilité en berne peut engendrer des pertes d’emplois et une réduction de l’activité sur certains sites jugés moins compétitifs.

Panorama financier semestriel

La société a publié en juillet 2025 un rapport semestriel faisant état d’une baisse de 8 % de son chiffre d’affaires, se fixant à 412,1 millions d’euros (communiqué interne 2025). Les comparaisons avec l’an passé montrent que l’entreprise peine à retrouver la dynamique de croissance. La raison principale : la diminution marquée des commandes de Sanofi et quelques ventes en ralentissement, comme la Buséréline, un médicament hormonal qui avait généré 21 millions d’euros de revenus en 2024.

En parallèle, la situation du Sevelamer, utilisé chez les patients dialysés, illustre la nécessité de réviser le positionnement de certains produits. Moins compétitif, ce principe actif fait l’objet d’un recul sensible en volume et en valeur. La conjoncture pèse donc fortement sur la courbe financière d’Euroapi.

Métriques Valeur Évolution (2024-2025)
Chiffre d’affaires (S1 2025) 412,1 M€ -8 %
Perte nette 28,5 M€ Amélioration (vs. 34,8 M€)
Marge d’EBITDA (objectif 2025) 7 % à 9 % Cible haute annoncée

Malgré ce contexte, la perte nette s’est réduite, passant de 34,8 millions d’euros en 2024 à 28,5 millions d’euros juin 2025. L’une des causes de cette amélioration partielle vient de la cession du site de Haverhill au Royaume-Uni (juin 2025) qui a généré une plus-value de 4,7 millions d’euros.

Plan d’action : FOCUS-27 pour relancer la machine

Afin d’orienter un retour à la croissance, la direction d’Euroapi déploie un projet nommé FOCUS-27, élaboré depuis février 2024 et pensé pour les quatre années à venir. Trois axes principaux structurent cette feuille de route :

  • Optimisation industrielle : accroître l’efficacité des sites grâce à de nouvelles technologies et à la rationalisation des chaînes de production. Certains procédés obsolètes sont révisés pour mieux répondre aux exigences de durabilité et faire face à la concurrence.
  • Cessions ciblées : la stratégie prévoit la vente de sites jugés non stratégiques. Après Haverhill, Brindisi est également pressentie pour un désengagement à l’horizon 2027. Euroapi espère ainsi libérer des ressources et se focaliser sur un noyau d’activités plus rentable.
  • Alliances multiples : l’entreprise s’efforce de diversifier son portefeuille clients, afin de ne plus s’appuyer exclusivement sur Sanofi. L’ouverture de luttes d’appels d’offres à l’international fait partie du plan, encouragé par la volonté de regagner des parts de marché dans les biotechnologies et la chimie fine.

Malgré tout, cette orientation implique des mesures sociales. Euroapi avait déjà annoncé en janvier 2025 la suppression d’environ 550 postes sur un effectif de 3 650 salariés (source interne 2025). Les négociations avec les syndicats se poursuivent, tandis que l’entreprise tente de concilier rationalisation et préservation du climat social.

Points clés de FOCUS-27

Durabilité et procédés verts : améliorer l’empreinte écologique et s’aligner sur les exigences réglementaires.

Orientation marché : accent sur les segments à forte valeur ajoutée (corticostéroïdes, antibiotiques spécialisés).

Rentabilité ciblée : viser une marge plus stable, autour de 7 à 9 % d’EBITDA.

Un soutien d’État envisagé sur le long terme

L’aide de 140 millions d’euros s’inscrit dans une stratégie globale de redynamisation de la filière pharmaceutique, qui occupe une place prioritaire dans le dispositif national France 2030. Depuis les difficultés d’approvisionnement rencontrées durant la crise sanitaire, le gouvernement mise sur des investissements structurants pour faire émerger un bloc industriel plus solide.

Par ailleurs, Bpifrance, banque publique d’investissement, possède 12 % du capital d’Euroapi depuis 2022. Cette participation témoigne de l’implication de l’État comme actionnaire. Si certains observateurs craignent que de tels financements publics alourdissent la facture pour le contribuable, d’autres estiment qu’il s’agit d’une décision justifiée lorsque l’indépendance médicale et la relance économique sont en jeu. D’autant que le marché pharmaceutique français, tout en étant soumis à de fortes pressions, recèle un potentiel considérable si la R&D et la production locale sont favorisées.

L’enjeu est de veiller à ce que les investissements étatiques ne s’envolent pas sans contrôle. Des contreparties, liées à la gouvernance et à la création d’emplois, demeurent essentielles pour éviter l’écueil d’une subvention mal calibrée en faveur d’entreprises en difficulté chronique.

Du côté du gouvernement, le choix reste largement assumé. L’ambition est de garantir la viabilité des entreprises de premier plan, capables de concurrencer les pays asiatiques. En créant les conditions d’un essor local, la France compte intégrer un mouvement plus large d’autonomie au sein de l’UE.

Regards sur les perspectives à venir

L’annonce de cette aide publique symbolise un moment pivot pour Euroapi et une étape décisive pour la politique industrielle française. Plus encore que le soutien financier, c’est la dynamique collective suscitée par Med4Cure qui paraît cruciale : harmoniser les ressources, développer des technologies communes et encourager la compétitivité via la modernisation.

Si Euroapi parvient à rééquilibrer son marché, l’entreprise pourrait bénéficier d’économies d’échelle et conserver une partie de la production en France, tout en alimentant d’autres pays du continent. Les marges financières retrouveraient alors un certain élan, permettant de pérenniser un secteur essentiel pour la population.

Dans le même temps, la concurrence internationale ne faiblit pas. Des grands producteurs asiatiques maîtrisent des coûts réduits et élargissent leur partition sur les marchés émergents. Pour faire face, les industriels européens doivent se différencier grâce à la qualité, à des délais réactifs et à la solidité de leur logistique. Euroapi donne ainsi la mesure du chemin qui reste à parcourir : une intensification des recherches, une rationalisation des processus et une solide implication des équipes.

Le redressement d’Euroapi apparaît comme un révélateur : si la souveraineté sanitaire est en jeu, la réussite dépend à la fois d’un soutien politique fort, d’une stratégie de diversification solide et d’une vraie volonté d’innover en profondeur.