Le vendredi 27 juin 2025, le communiqué officiel de Bpifrance a marqué un tournant pour la filière eau en France : le Groupe Sources accueille le Fonds Stratégique des Transitions (FST) géré par ISALT comme actionnaire de référence. Cette prise de participation s’accompagne du réengagement d’investisseurs historiques tels que Turenne Emergence, Bpifrance, via son fonds FIEE2, et Isatis Capital. Derrière le simple mouvement capitalistique, c’est l’affirmation d’une stratégie industrielle et environnementale destinée à sécuriser la ressource hydrique, à accélérer la décarbonation et à conforter la souveraineté technologique française dans un secteur hautement stratégique.

Cap stratégique : L’eau comme matrice de résilience économique et sociale

La France entre dans une phase critique où le stress hydrique, la pollution émergente, notamment les PFAS, et la vétusté d’un parc de stations d’épuration construit pour moitié avant 1995 constituent autant de menaces économiques que sanitaires. Les 504 sécheresses cadastrées entre 2017 et 2024 ont démontré la fragilité des infrastructures ; parallèlement, les collectivités locales sont sous pression pour réduire les pertes en réseau estimées à 20 % du volume distribué. Dans ce contexte, l’adossement d’une ETI agile comme Sources à un capital patient et exigeant représente un levier de modernisation sans précédent. Les collectivités, qui gèrent encore 68 % des installations, voient d’un bon œil l’arrivée d’un partenaire capable de combiner ingénierie de pointe, souplesse d’exécution et capacité d’investissement long terme.

Le FST d’ISALT, créé en mars 2023, dispose de 300 millions d’euros et cible des PME‑ETI apportant une réponse technologique aux transitions environnementales. L’entrée au capital de Sources, la septième opération du fonds, ouvre une ère de consolidation sur un marché historiquement dominé par les majors Veolia et Suez. En France, la dépense publique annuelle liée à l’eau traverse un palier critique : les agences de l’eau mobiliseront plus de 2 milliards d’euros d’aides par an entre 2025 et 2030, tandis que les appels d’offres pour renouveler les stations et renforcer l’autonomie énergétique se multiplient. Cette manne publique, conjuguée à la pression réglementaire et sociétale, crée un corridor de croissance inédit pour les acteurs capables de proposer des solutions clé en main, à forte efficacité énergétique et à impact carbone limité.

Architecture financière et gouvernance : Un capital patient au service d’une croissance pérenne

Le nouveau tour de table place ISALT en leader avec un bloc représentant environ 35 % du capital, tandis que Turenne Emergence, Bpifrance et Isatis Capital conservent près de 40 % cumulés. Le solde revient à Patrick Billette — fondateur et président — et au management élargi, désormais détenteur de près de 25 % des titres. Cette répartition conforte la gouvernance familiale tout en renforçant l’ancrage institutionnel : deux sièges au conseil reviennent à ISALT, un siège à Bpifrance, un à Turenne Emergence II et un à Isatis Capital. La présidence demeure exercée par Patrick Billette jusqu’en 2029, période durant laquelle un plan d’intéressement et de co‑investissement des salariés sera déployé afin d’aligner pleinement les intérêts internes et externes.

Bon à savoir : Cartographie des actionnaires

ISALT : 35 % (lead, FST) – Turenne Emergence II : 15 % – Bpifrance/FIEE2 : 12 % – Isatis Capital : 13 % – Management et fondateur : 25 %. Cette structure mixe capital patient et contrôle entrepreneur‑salarié, un modèle de plus en plus recherché par les collectivités adjudicatrices.

La levée, dont le montant exact demeure confidentiel, est évaluée par les analystes à 45–50 millions d’euros, assortis d’une ligne de crédit capex de 60 millions auprès d’un pool bancaire mené par la Banque Postale. Cette enveloppe couvrira l’ouverture de six nouvelles agences régionales, le déploiement d’une centrale photovoltaïque de 5 MWc sur les toitures industrielles du groupe et le financement de deux acquisitions stratégiques ciblant le génie civil hydraulique et les services d’exploitation haut‑de‑gamme. La structure de financement privilégie des maturités longues (huit à dix ans) et une marge d’emprunt bonifiée à 150 points de base, conditionnée au respect d’indicateurs ESG : intensité carbone, réutilisation d’eau et part du chiffre d’affaires aligné taxinomie européenne. Cette approche contractuelle traduit la volonté d’ISALT de faire de Sources un fer de lance de la finance verte appliquée aux infrastructures.

Marché français de l’eau : Des besoins gigantesques et une compétition accrue

Le marché tricolore des infrastructures hydriques représente plus de 15 milliards d’euros par an, dont près de la moitié consacrée au traitement des eaux usées et de l’eau potable. Le Grand Paris illustre à lui seul la dimension des projets : en janvier 2024, le Syndicat des eaux d’Île‑de‑France (Sedif) a reconduit Veolia pour un contrat de 4,3 milliards d’euros sur douze ans, couvrant 4 millions d’habitants et intégrant la technologie d’osmose inverse basse pression pour filtrer les micropolluants. Cette compétition acharnée entre majors souligne l’enjeu de taille critique ; néanmoins, des projets de moyenne envergure — de 10 à 50 millions d’euros — se développent partout sur le territoire, constituant le cœur de cible de Sources.

Entre 2025 et 2030, les agences de l’eau déploieront plus de 2 milliards d’euros d’aides chaque année pour soutenir la modernisation des réseaux, la réduction des pollutions et l’adaptation au changement climatique. Ce contexte budgétaire généreux permet d’amortir les coûts d’innovation, notamment les procédés de potabilisation avancée et la co‑méthanisation. Pour les collectivités, l’enjeu consiste à sélectionner des partenaires capables de livrer des usines clés en main tout en intégrant un volet « services » de suivi et d’exploitation. Sources, déjà titulaire de 500 usines construites, se trouve idéalement positionné pour capter ces financements tout en répondant aux exigences croissantes de performance énergétique, de traçabilité et de digitalisation.

Positionnement technologique : De la digestion multi‑étagée aux jumeaux numériques

La capacité d’innovation constitue le principal différenciateur de Sources face aux leaders historiques. L’entreprise a déposé six brevets en 2024, parmi lesquels un procédé de digestion anaérobie multi‑étagée permettant d’augmenter de 18 % la production de biogaz à partir des boues d’épuration. Les stations de taille intermédiaire bénéficient ainsi d’une quasi‑autonomie énergétique, réduisant simultanément le coût d’exploitation et l’empreinte carbone. De plus, la société maîtrise la boue biologique granulaire, une technologie rarissime en France, qui autorise des ouvrages plus compacts, donc moins consommateurs d’espace et de béton. Cette compacité se traduit par une baisse de 12 % du CAPEX civil pour les collectivités rurales, un argument décisif dans la course aux subventions.

Le laboratoire interne d’innovation s’est associé à l’école Centrale Lyon pour développer une plateforme de jumeaux numériques dédiée aux réseaux et aux usines. En connectant les capteurs de terrain à un modèle dynamique en temps réel, l’opérateur anticipe les dérives de charge polluante, optimise l’injection de réactifs et prédit les cycles de maintenance. Les premiers pilotes, déployés dans la Creuse et le Vaucluse, ont conduit à une réduction de 22 % de la consommation électrique et à une diminution de 15 % des boues résiduelles. Cette solution sera commercialisée sous forme de licence SaaS dès 2026, créant un relais de croissance récurrente sur un marché largement sous‑digitisé.

La co‑méthanisation consiste à mélanger boues d’épuration et biodéchets (restes alimentaires, tontes, invendus) dans un digesteur anaérobie. La réaction produit du biogaz valorisé en électricité ou en biométhane et génère un digestat utilisable comme engrais. Les bénéfices : baisse des émissions de CH4, réduction du tonnage envoyé en incinération et nouvelles recettes via la vente de certificats verts.

Feuille de route opérationnelle : Densification territoriale, acquisitions ciblées et capex vert

Le plan industriel 2025‑2028 repose sur trois piliers. Premièrement, la densification du maillage territorial : Sources passera de 14 à 20 agences, chacune capable de gérer un portefeuille annuel de huit projets. L’objectif est de réduire le rayon d’intervention moyen de 180 km à 120 km, limitant les déplacements carbone et améliorant la réactivité en période de crues ou de sécheresse. Deuxièmement, la stratégie de croissance externe : deux cibles ont déjà reçu des offres fermes, l’une dans le génie civil hydraulique en Auvergne‑Rhône‑Alpes, l’autre dans la maintenance d’ultrafiltration en Nouvelle‑Aquitaine. Troisièmement, un plan capex vert de 20 millions d’euros financera la production photovoltaïque sur site, la motorisation électrique de la flotte et un banc d’essai PFAS.

Ce plan répond aux attentes des financeurs, qui conditionnent une partie des marges bancaires au respect de trois indicateurs : Scope 1‑2 inférieur à 33 kt CO2e en 2026, 30 % d’eaux usées réutilisées en irrigation industrielle et 90 % des chantiers équipés de capteurs IoT. En cas de dépassement, un mécanisme de pénalité de 15 points de base s’applique, reversé à un fonds interne d’innovation environnementale. Cette gouvernance incitative transforme la contrainte réglementaire en avantage compétitif, puisque le profil emblématique de Sources attire les collectivités désireuses de s’inscrire dans la trajectoire nationale de sobriété hydrique et énergétique.

Dimension environnementale et taxinomie : Vers un alignement de 90 %

La taxinomie européenne exige qu’une activité contribue substantiellement à l’un des six objectifs environnementaux sans nuire aux cinq autres. Les stations d’épuration évoquées relèvent de l’objectif « Adaptation au changement climatique » ; le traitement des eaux usées est donc éligible à condition d’optimiser l’efficacité énergétique et de garantir la compatibilité avec les conditions climatiques futures. Dès 2024, Sources affiche un taux d’alignement taxinomie de 85 %. Le cap à 90 % d’ici 2027 passera par l’intégration systématique du procédé Carbocycle® et par la substitution des aérateurs à soufflantes haute efficacité.

Le fonds FIEE2 de Bpifrance, classé Article 9 SFDR, impose un reporting extra‑financier renforcé : indicateur de circularité matière, empreinte carbone sur la phase d’usage et ratio de couverture biodiversité. Les données seront consolidées par un tiers indépendant, Deloitte Sustainability, et vérifiées annuellement. Cet environnement de conformité pousse Sources à généraliser des pratiques de durabilité qui constitueront, à terme, un prérequis pour accéder aux marchés publics supérieurs à 40 millions d’euros.

Bon à savoir : Article 8 vs Article 9

Article 8 : Un fonds promeut des caractéristiques environnementales ou sociales, sans objectif durable contraignant. Article 9 : Le fonds poursuit un objectif d’investissement durable et publie la preuve de son impact. Le FST relève d’Article 8, le FIEE2 de Bpifrance d’Article 9.

Juridique et gouvernance : Un pacte d’actionnaires à haute intensité ESG

Le pacte conclu prévoit un Water Stewardship Plan assorti d’obligations de résultats. Chaque année, Sources devra publier son taux de réutilisation d’eau, la réduction de polluants émergents et l’intensité carbone par mètre cube traité. Une clause de drag‑along limite la cession des actions à des acquéreurs approuvés, garantissant la continuité de l’ambition environnementale. Par ailleurs, un comité indépendance‑durabilité, composé de trois membres externes, un scientifique, un représentant associatif et un ancien régulateur, dispose d’un droit de veto consultatif sur les projets jugés non alignés avec les principes de taxinomie.

Le pacte harmonise aussi la politique de distribution : 60 % des profits seront réinvestis, 25 % distribués et 15 % affectés à un fonds interne d’innovation. Cette règle permet d’autofinancer les projets R&D et de fidéliser à la fois les investisseurs et les salariés actionnaires. Cette gouvernance exemplaire pourrait inspirer d’autres ETI de la transition écologique, où la rétention des talents passe de plus en plus par la participation aux fruits de la croissance.

Paroles d’investisseurs : Des visions convergentes pour un même dessein

Laurent Piccoli, directeur associé d’ISALT, évoque une « ETI capable de conjuguer agilité et profondeur industrielle » ; Stéphane Saudo, associé de Turenne Emergence, souligne « le potentiel d’un acteur qui a déjà prouvé sa capacité d’intégration réussie avec Feljas & Masson et Ar‑val ». Pour Alexis Mahieu de Bpifrance, « l’investissement conforte la place de Sources comme champion français de la gestion circulaire de l’eau ». Enfin, Isatis Capital insiste sur « la dimension humaine » : près de 80 % des cadres clés réinvestissent lors de cette levée, signe d’une confiance partagée dans la trajectoire de long terme.

Implications macro‑territoriales : Vers un leadership mid‑cap tricolore

L’Hexagone compte moins de cinq constructeurs indépendants capables de livrer des usines de plus de 200 m3/h. En consolidant un chiffre d’affaires de 90 millions d’euros aujourd’hui et un backlog ferme de 180 millions sur trois ans, Sources franchit le seuil critique pour dialoguer d’égal à égal avec les majors dans les consultations de taille moyenne. Le passage à 150 millions d’euros de revenus avant 2030 n’est pas qu’une projection : c’est la condition pour peser dans l’attribution des marchés régionaux financés par l’État et l’Union européenne.

À plus long terme, le groupe pourrait s’implanter en Espagne puis au Portugal — marchés présentant un déficit d’équipement moderne et un plan national de relance environnementale financé à hauteur de 9,4 milliards d’euros par la Commission européenne. Toutefois, la priorité reste la France métropolitaine et la Suisse romande, où la synergie linguistique simplifie la coopération. En combinant innovation de rupture, gouvernance ESG et ancrage territorial, Sources participe à renforcer la résilience des infrastructures hydrauliques, condition sine qua non d’une économie durable à l’horizon 2035.

Cap sur l’avenir : Une ETI pivot pour la sécurité hydrique nationale

À l’issue de cette opération, plusieurs enseignements s’imposent. Premièrement, les dispositifs publics, qu’il s’agisse des agences de l’eau ou du Plan Climat, créent un effet de levier financier que seul un capital patient, comme celui d’ISALT, peut transformer en croissance soutenable. Deuxièmement, l’alignement sur la taxinomie européenne et la rigueur ESG sont désormais des exigences de marché ; Sources choisit non seulement de s’y conformer, mais d’en faire un argument commercial majeur. Troisièmement, l’innovation reste la clef : digestion multi‑étagée, granulation biologique et jumeaux numériques confèrent un avantage compétitif décisif face à la concurrence internationale.

Alors que la France ambitionne de réduire de 10 % ses prélèvements d’eau à l’horizon 2030 et de multiplier par cinq le taux de réutilisation des eaux usées, l’ETI fondée par Patrick Billette devient un maillon stratégique de cette transition. Grâce au soutien financier coordonné d’ISALT, Turenne Emergence, Bpifrance et Isatis Capital, elle dispose des ressources nécessaires pour doubler son chiffre d’affaires, renforcer son réseau et exporter son savoir‑faire. Plus qu’une simple levée de fonds, cette opération témoigne d’une réelle prise de conscience : la sécurité hydrique est un enjeu industriel, sociétal et environnemental majeur.

En s’adossant à un capital tourné vers l’impact, Sources se positionne comme le champion mid‑cap de la transition hydrique française et trace la voie d’une croissance alignée sur les limites planétaires.