Revolut face aux défis de l’obtention de sa licence britannique
Découvrez comment Revolut navigue vers l'obtention de sa licence bancaire et ce que cela signifie pour les fintechs en Europe.

Depuis juillet 2024, Revolut avance à pas comptés au Royaume-Uni. L’ultime sésame bancaire, attendu par la fintech européenne, reste suspendu au verdict de la Banque d’Angleterre. Au cœur du dossier, des exigences renforcées de contrôle des risques et de gouvernance qui redéfinissent, au-delà de Revolut, la barre réglementaire pour l’ensemble des néobanques paneuropéennes.
Licence britannique en suspens : prudence de la Banque d’Angleterre et signal au secteur
Revolut a bâti son ascension sur une exécution rapide et une offre élargie, de l’échange de devises aux services d’investissement et aux actifs numériques. Pourtant, le feu vert bancaire intégral au Royaume-Uni n’est pas encore délivré. La Banque d’Angleterre, via la Prudential Regulation Authority, multiplie les vérifications sur la gouvernance, la conformité et la résilience opérationnelle, à la mesure d’un acteur aux usages désormais massifs.
Cette réserve s’explique par l’expérience récente des régulateurs, qui cherchent à éviter toute vulnérabilité systémique. Dans l’ombre du scandale Wirecard, les autorités ne veulent pas d’un précédent où un acteur technologique, devenu essentiel pour des millions de clients, n’alignerait pas ses dispositifs de contrôle au niveau attendu des banques traditionnelles.
Au-delà du cas Revolut, l’enjeu est collectif. La décision britannique pourrait devenir une référence de place pour les fintechs à dimension internationale. Pour le marché, la lecture est double : un cadre plus strict, mais une visibilité accrue sur le modèle d’exigences à satisfaire pour accéder au statut bancaire sur la première place financière européenne hors UE.
Qui est Revolut : trajectoire et modèle
Fondée en 2015 par Nik Storonsky, Revolut est passée d’une application de change à une plateforme financière complète. L’ambition affichée est celle d’une super app où cohabitent paiements, épargne, crédit, investissements et cryptomonnaies. La fintech revendique une base d’utilisateurs mondiale et une présence dans plusieurs dizaines de pays, portée par une stratégie d’expansion rapide et un positionnement mobile-first.
Pourquoi ce dossier compte pour les entreprises françaises
Le traitement de la demande de licence de Revolut au Royaume-Uni éclaire les attentes minimales de supervision auxquelles seront confrontées les fintechs opérant en France, notamment via le passeport européen. Il sert de repère pour les acteurs tricolores qui visent une montée en gamme réglementaire ou un déploiement international.
Procédure PRA : une « phase de mobilisation » sous contrainte opératoire
Depuis l’été 2024, Revolut évolue dans une étape transitoire dite de mobilisation. Objectif : prouver la solidité de ses processus et de ses systèmes, tout en étant soumise à des plafonds d’activité au Royaume-Uni.
Ce cadre limite l’extension commerciale locale tant que la revue prudentielle n’est pas achevée. La fintech doit démontrer sa maîtrise des risques, sa conformité et son niveau de capitalisation, au standard des banques.
Cette phase est un compromis institutionnel. Elle permet aux nouveaux entrants de finaliser leur industrialisation opérationnelle avec l’aval du superviseur, mais interdit toute accélération commerciale avant validation. Pour Revolut, la conséquence est claire : l’expansion britannique demeure bridée, malgré une base d’utilisateurs déjà considérable et un développement international soutenu.
Banque de France et interdépendance européenne
Le dossier ne se joue pas en vase clos. Les autorités françaises suivent les évolutions par le prisme de la stabilité financière européenne et du fonctionnement du marché unique.
Cette vigilance s’explique par l’architecture d’agréments de Revolut en Europe, par la connexion des systèmes de paiements transfrontières et par l’importance de l’antiblanchiment pour l’intégrité des flux. L’issue britannique pourrait avoir des répercussions sur la façon d’apprécier la maturité prudentielle des néobanques opérant en France.
La phase de mobilisation est un régime transitoire encadré par la PRA. Elle autorise un lancement sous périmètre restreint avant l’obtention de la licence complète. Concrètement, l’établissement doit prouver :
- La robustesse de la gouvernance et la séparation des lignes de défense.
- La capacité de surveillance des risques en continu, y compris en cas d’incident.
- La conformité aux règles AML/CFT et des outils KYC à l’échelle.
- Des systèmes IT résilients, avec plans de reprise d’activité testés.
Tant que l’ensemble n’est pas validé, l’établissement ne peut pas se développer librement au Royaume-Uni.
Architecture réglementaire : du patchwork d’agréments à un cadre bancaire consolidé
Au début de son expansion, Revolut s’est appuyée sur un assemblage d’autorisations locales pour les paiements, le change et la monnaie électronique. Ce modèle a accéléré la conquête de marchés européens et latino-américains, mais a généré une complexité de conformité et de supervision. Les cadres locaux diffèrent, les exigences documentaires varient, et la consolidation des contrôles à l’échelle mondiale s’en trouve compliquée.
Le pivot actuel consiste à harmoniser la structure réglementaire, en convergeant vers des licences bancaires dans les juridictions clés et en standardisant les contrôles internes. La direction de Revolut l’a reconnu publiquement : la priorité est désormais de bâtir une banque mondiale cohérente, avec des mécanismes de gouvernance et de gestion des risques au niveau attendu par les superviseurs. C’est un changement de cap assumé par rapport aux premières années d’hypercroissance.
La PRA, chef d’orchestre du risque opérationnel et de l’AML/CFT
La PRA concentre ses contrôles sur plusieurs piliers :
- Gouvernance et indépendance des fonctions de contrôle.
- Antiblanchiment et lutte contre le financement du terrorisme, incluant les scénarios de surveillance et les seuils d’alerte.
- Résilience IT et gestion des incidents, du support client aux systèmes de back-office.
- Capitalisation et liquidité, pour absorber des chocs et accompagner la croissance.
Cette boîte à outils s’applique désormais aux fintechs de taille mondiale avec une intensité proche de celle imposée aux banques traditionnelles.
La montée en gamme réglementaire se résume ainsi :
- Établissement de paiement : accès aux services de paiement, fonds clients ségrégués, exigences de fonds propres proportionnées.
- Émetteur de monnaie électronique (EMI) : émission de fonds électroniques, obligations de sauvegarde des fonds, KYC et reporting renforcés.
- Banque : collecte de dépôts et octroi de crédit, exigences prudentielles complètes (capital, liquidité, stress tests), gouvernance et contrôle interne au standard bancaire.
Pour un acteur global, le passage à la banque permet une offre plus étendue, mais implique un saut qualitatif en conformité et en gestion du risque.
Europe et Amériques : une expansion encadrée par des licences et des autorisations
Revolut dispose en Europe d’une licence bancaire délivrée par la Banque centrale de Lituanie depuis 2018, qui lui permet d’opérer dans l’Espace économique européen via le passeport européen. Cette ancre lituanienne est centrale pour l’offre de dépôts et de crédit dans plusieurs pays de l’EEE.
En Amérique latine, l’entreprise a communiqué des avancées réglementaires et des autorisations locales lui permettant de déployer ses services dans certains marchés. L’objectif affiché est de constituer des plateformes régionales solides, compatibles avec les contraintes de change, les règles AML/CFT et les spécificités des moyens de paiement locaux. Aux États-Unis, Revolut a publiquement évoqué la possibilité d’opter pour des solutions structurelles afin de sécuriser un cadre d’activité pérenne, dans un environnement réglementaire fragmenté au niveau fédéral et des États.
France : base d’utilisateurs et offre en consolidation
En France, Revolut revendique une base de clients importante, alimentée par les usages de paiement du quotidien, l’épargne et des fonctionnalités d’investissement. Les offres se sont élargies progressivement avec des services de crédit et des produits d’épargne, en s’appuyant sur le passeport européen. L’enjeu demeure de pérenniser la relation sur des produits récurrents et d’élever le standard de service au niveau d’une banque de détail digitale.
Passeport européen et supervision en France
Grâce au passeport européen, un établissement agréé dans un pays de l’EEE peut proposer ses services en France. L’ACPR et l’AMF veillent au respect des règles locales applicables, notamment en information client, commercialisation, lutte contre le blanchiment et sécurité des paiements. L’architecture de contrôle repose sur une coopération entre superviseurs, essentielle pour des acteurs transfrontières.
Gouvernance et conformité : la montée en puissance des lignes de défense
Revolut met en avant un renforcement de ses fonctions de contrôle interne. Au programme : recrutement de profils expérimentés issus de la banque traditionnelle, montée en gamme des équipes de conformité et de gestion des risques, et industrialisation des reportings. L’entreprise indique avoir accru ses investissements dans les outils de lutte anti-fraude et de cybersécurité, en particulier pour harmoniser la détection des anomalies entre juridictions.
Sur le plan financier, la publication régulière de comptes audités et la communication de résultats sont des leviers pour asseoir la crédibilité auprès des investisseurs et des régulateurs. Les publications récentes insistent sur la progression des revenus et l’amélioration de la rentabilité, suivant la montée en charge des offres payantes et le développement de services à marge positive.
Antiblanchiment, résilience IT et données : le triangle critique
Dans un écosystème de paiements en temps réel, trois piliers concentrent l’attention des superviseurs :
- AML/CFT : calibration des scénarios, qualité du filtrage des transactions, efficacité de l’investigation et clôture des alertes.
- Résilience opérationnelle : architecture IT, gestion des pics de charge, continuité d’activité et tests réguliers.
- Protection des données : conformité RGPD, maîtrise des transferts hors EEE, traçabilité des accès et gouvernance des référentiels.
La robustesse sur ces axes conditionne l’accès à la licence bancaire complète et la capacité à opérer sans friction dans plusieurs pays.
Pour une fintech paneuropéenne, la conformité RGPD implique :
- Un registre de traitements exhaustif et des analyses d’impact pour les traitements à risque.
- Des mécanismes de transfert hors EEE compatibles avec les clauses contractuelles types et la jurisprudence en vigueur.
- Une gouvernance des accès et des journaux d’audit qui permettent l’investigation rapide en cas d’incident.
La localisation et la redondance des données doivent être alignées avec les plans de continuité, un point déterminant pour les régulateurs.
Calendrier 2025 et signaux macroéconomiques : pourquoi le timing importe
Revolut vise la finalisation de sa licence bancaire au Royaume-Uni d’ici la fin de 2025. Cet horizon renforcerait son ancrage sur un marché domestique clé pour sa rentabilité et sa crédibilité institutionnelle. Il servirait également de référence de conformité pour ses autres marchés, en Europe et ailleurs.
Côté macro, l’environnement britannique présente des signaux d’activité suivis par les analystes. Les indicateurs publiés par le Trésor français font état d’une croissance du PIB au premier trimestre 2025, élément de contexte pour l’appétit concurrentiel sur les dépôts et le crédit (Direction générale du Trésor). Pour Revolut, l’alignement d’un cycle macro plus stable et d’un cadre prudentiel clarifié offrirait un terrain propice à l’extension de son offre de banque de détail digitale.
La communication publique autour du dossier reste mesurée. Les régulateurs comme l’entreprise évitent les effets d’annonce et privilégient des jalons vérifiables. Sur les réseaux, les réactions oscillent entre enthousiasme pour l’innovation et interrogations sur la maturité réglementaire. Le message clé demeure inchangé : l’obtention de la licence ne se décrète pas, elle se gagne par la preuve.
Points de contrôle à surveiller en 2025
- Statut de la licence britannique et conditions associées à la levée de la phase de mobilisation.
- Qualité des comptes publiés et trajectoire de rentabilité sur les marchés clés.
- Évolutions des dispositifs AML/CFT et retours d’expérience des tests intrusifs.
- Résilience IT démontrée lors des pics d’activité et incidents majeurs.
- Coopération entre superviseurs européens et britanniques sur les sujets transfrontières.
Ce que changerait un feu vert au Royaume-Uni
Un agrément bancaire complet au Royaume-Uni clarifierait la position de Revolut sur son marché d’origine, tout en envoyant un signal clair au secteur : les fintechs de très grande taille doivent s’aligner sur le référentiel prudentiel des banques. Pour l’écosystème français, l’issue du dossier donnera un cadre de lecture sur la manière d’orchestrer une montée en régime réglementaire quand les volumes, les données et la criticité croissent.
Si Revolut convertit l’essai, la séquence fera jurisprudence. Elle montrera que l’innovation financière peut cohabiter avec des exigences élevées de gouvernance, de risque et de sécurité, à condition d’en faire une priorité d’exécution et d’investissement. Au-delà des promesses d’expérience client, la clé d’entrée reste la même pour tous : la confiance régulée.
Dans la finance comme dans l’industrie, la vitesse impressionne, mais c’est la maîtrise qui autorise le passage d’échelle.