Omnes Capital a annoncé le 2 juillet 2025 un premier closing de 112 millions d’euros pour son second véhicule « Real Tech 2 ». Soutenu par des investisseurs publics et privés de premier rang, ce fonds doit accélérer l’industrialisation d’une nouvelle génération de scale‑ups deeptech européennes, en particulier dans les domaines de la défense, de l’intelligence artificielle et du quantique.

Une levée calibrée pour la nouvelle vague deeptech

Dans un contexte de retrait partiel des fonds américains sur le Vieux Continent, réunir plus de cent millions d’euros en premier tour pour un fonds thématique demeure remarquable. Omnes vise désormais un objectif final situé entre 200 millions et 220 millions d’euros, à concrétiser d’ici le premier semestre 2026. Cette enveloppe permettra de financer entre douze et quinze participations sur l’ensemble du cycle « early growth », c’est‑à‑dire la phase charnière durant laquelle une société passe d’un prototype fonctionnel à une organisation industrielle capable de produire en série.

Le calibrage des tickets reflète ce positionnement : Omnes prévoit un investissement initial de 5 à 15 millions, suivi de deux à trois tours de soutien pouvant porter l’exposition finale à 20 millions par cible. L’horizon d’investissement se situe à huit ans, avec des liquidités attendues principalement via introductions en bourse sur Euronext Tech Leaders ou via des rachats stratégiques par des groupes européens en quête de technologies différenciantes.

Chiffres clés du fonds

  • 112 M€ levés au premier closing
  • Taille cible : 200‑220 M€
  • Durée de vie : 10 ans
  • Horizon d’investissement : 8 ans
  • Ticket initial : 5‑15 M€ • Capacité de réinvestissement : jusqu’à 20 M€ par société
  • Premiers deals attendus : 2025‑2026

Des investisseurs institutionnels en première ligne

Le tour de table réunit Bpifrance, France 2030, BNP Paribas, Crédit Agricole Assurances et plusieurs family offices paneuropéens. La présence du Fonds européen d’investissement via le mandat Défense du programme InvestEU est particulièrement notable : c’est la première fois qu’un véhicule consacré à la défense et aux technologies dual‑use bénéficie explicitement de cette garantie communautaire. Pour les Limited Partners (LPs), cette ancre publique agit comme un label prudentiel, réduisant la perception du risque sur un segment historiquement volatil.

Du côté des assureurs, l’investissement s’inscrit dans la recherche d’actifs à rendement supérieur, compatibles avec la directive Solvabilité II. En mobilisant la poche « non‑coté long terme », ces acteurs peuvent allonger la durée de détention et absorber la courbe de J. Pour les entités publiques françaises, la participation s’aligne sur l’objectif de re‑localisation de chaînes de valeur critiques fixé par le plan France 2030 : composants photoniques, calculateurs quantiques et cybersécurité embarquée.

Pourquoi miser sur l’« early growth » ?

Selon le dernier baromètre France Deeptech, 70 % des startups technologiques créées entre 2016 et 2020 n’ont pas encore franchi le seuil critique des dix millions d’euros de chiffre d’affaires. La raison tient souvent au manque de capital dans la vallée de la mort : trop avancées pour les fonds d’amorçage, mais trop risquées pour les fonds late stage. Le positionnement early growth d’Omnes vient combler cette faille en apportant des tickets plus importants, mais toujours accompagnés d’un support technique et commercial fin.

L’expérience du premier fonds Real Tech a démontré la pertinence de ce créneau : Quandela, par exemple, a multiplié ses revenus par quinze entre 2021 et 2024, et Quantum Systems a bouclé un contrat record de 200 drones VTOL auprès d’un ministère européen de la Défense, confirmant la robustesse du modèle. Le ratio de perte du portefeuille Real Tech 1 est inférieur à 5 %, bien en deçà de la moyenne sectorielle.

Une deeptech est une entreprise dont la proposition de valeur repose sur une avancée scientifique majeure ou un procédé d’ingénierie complexe, souvent protégés par un portefeuille de brevets. Les domaines concernés incluent l’intelligence artificielle fondamentale, la photonique, les matériaux avancés, le quantique, le new space et la biotechnologie industrielle. Ces sociétés se distinguent par des cycles de R&D longs, un besoin capitalistique élevé et des barrières à l’entrée particulièrement fortes.

Premier investissement : ARX Robotics, l’autonomie terrestre

Pour inaugurer Real Tech 2, Omnes réalise un investissement minoritaire dans la société munichoise ARX Robotics, fondée en 2022 par trois anciens officiers de la Bundeswehr. L’entreprise développe un écosystème de véhicules terrestres sans pilote (Unmanned Ground Vehicles) reposant sur une architecture modulaire ; une même plateforme peut recevoir divers modules : bras robotisé, capteurs CBRN, ou station de tir télé‑opérée.

Le marché adressable dépasse le cadre purement militaire. Les applications civiles incluent la logistique en entrepôt, l’exploration minière et les interventions d’urgence en zones contaminées. Selon Allied Market Research, le segment des UGV pourrait passer de 2,3 milliards $ en 2024 à 7,5 milliards $ en 2030. Les forces de croissance proviennent du besoin de réduire l’exposition humaine aux risques et du progrès des batteries lithium‑sulfur à haute densité développées en Allemagne et en Norvège.

ARX a déjà conclu des contrats pilotes avec les armées suédoise et espagnole, ainsi qu’un partenariat avec Airbus Defence & Space pour l’intégration dans des systèmes de commandement. Le ticket d’Omnes, d’un montant non dévoilé, doit financer l’installation d’une ligne d’assemblage semi‑automatisée dans la périphérie de Munich et accélérer la certification OTAN STANAG 4569.

Le mandat Défense d’InvestEU : un tournant réglementaire

Adopté fin 2023, le mandat Défense d’InvestEU a pour but d’orienter jusqu’à 1 milliard d’euros vers des technologies contribuant à la souveraineté européenne. Il accorde aux fonds bénéficiaires deux avantages : une garantie partielle contre la perte en capital, et un effet d’affichage qui rassure les investisseurs soumis à des contraintes ESG. Concrètement, un LP assujetti à l’article 29 Loi Énergie‑Climat peut considérer le véhicule comme Article 8‑SFDR si l’usage final est défensif et conforme au droit international humanitaire.

Bon à savoir : InvestEU en bref

Mis en place pour la période 2021‑2027, InvestEU mobilise jusqu’à 372 milliards d’euros d’investissements additionnels. Son volet Défense, lancé en 2024, vise la cyber‑résilience, la mobilité autonome et la robotique de terrain. Les garanties du FEI couvrent jusqu’à 40 % du capital investi, offrant une puissante incitation aux investisseurs long terme.

Panorama du marché deeptech européen

D’après une étude PitchBook publiée en juin 2025, les startups deeptech européennes ont levé 27,4 milliards d’euros en 2024, soit une croissance annuelle de 18 %. La France se place deuxième derrière le Royaume‑Uni avec 5,1 milliards d’euros, portée par des tours majeurs chez Mistral AI et Holosolis. L’Allemagne suit de près grâce à un écosystème solide en robotique et en capteurs.

La résilience du secteur s’explique par trois facteurs principaux : l’augmentation des budgets R&D publics (France 2030 : 54 Mds € de crédits), la commercialisation progressive des technologies quantiques (premières ventes de Quandela en Amérique du Nord) et l’urgence géopolitique qui stimule la demande de solutions souveraines. Les valorisations, contrairement à la fintech, n’ont cédé que 12 % en moyenne, confirmant l’appétit des investisseurs patient capital.

Avantages compétitifs d’Omnes Capital

Créée en 1999, Omnes Capital pilote aujourd’hui 6,7 milliards d’euros d’actifs au travers de quatre piliers : énergies renouvelables, villes durables, co‑investissement et deeptech. Sa stratégie repose sur un maillage territorial dense : bureaux à Paris, Munich et Milan, alliances académiques avec Polytechnique et la TU Munich, et un réseau d’une soixantaine d’experts sectoriels.

L’historique du premier fonds deeptech illustre la création de valeur. The Exploration Company a décroché un contrat de ravitaillement cargo pour une constellation privée, et Quandela a inauguré une ligne de photoniques intégrées à Massy. Le multiple sur capital investi (MOIC) de Real Tech 1 dépasse 2,3× après seulement quatre ans, grâce à trois revalorisations internes et une cession partielle de Sekoia.io à un conglomérat US.

Fondée à Munich en 2015, Quantum Systems a conçu un drone VTOL capable de missions de cartographie longue durée. Soutenue par Omnes dès 2018, la société a levé 45 M€ en 2022 avant d’atteindre la rentabilité en 2024. Elle illustre la capacité d’Omnes à accompagner la bascule d’un projet de R&D vers une production industrielle rentable, tout en sécurisant des débouchés auprès d’agences gouvernementales.

Implications juridiques et réglementaires pour les LPs français

L’engagement dans la défense soulève des questions de conformité. Les compagnies d’assurance doivent intégrer les activités dual‑use au sein de leur politique d’investissement responsable. Solvabilité II autorise l’allocation dans des actifs alternatifs jusqu’à 15 % des fonds propres, à condition d’un calcul prudentiel de la charge en capital. La réglementation SFDR, de son côté, tolère qu’un fonds « article 8 » finance la défense si la gouvernance garantit le respect des droits humains.

Pour les exportations, les sociétés du portefeuille devront se conformer au règlement européen 2021/821 concernant les biens à double usage. Un comité d’éthique interne chez Omnes examinera chaque dossier, évitant d’investir dans des technologies susceptibles d’être détournées pour la répression interne ou des violations du droit international. Cette démarche proactive réduit le risque réputationnel et facilite l’entrée d’investisseurs institutionnels soumis à des chartes NATO ou ONU.

Analyse : la défense, nouvel eldorado du capital‑risque ?

L’agression de l’Ukraine par la Russie a servi de catalyseur à un changement de paradigme. Le budget de défense européen cumulatif devrait passer de 204 milliards € en 2022 à plus de 260 milliards € en 2026. Pour la première fois, la Commission européenne finance directement des capacités militaires et encourage les partenariats publics‑privés. Cette ouverture crée une « verticale defense tech » comparable à ce qu’a été la health tech dans les années 2010.

Du point de vue du capital‑risque, le secteur offre plusieurs atouts : des barrières à l’entrée élevées, des contrats pluriannuels indexés sur l’inflation, et un alignement croissant entre besoins civils et militaires (cyber‑IA, communications quantiques, drones logistiques). Les risques résident essentiellement dans la cyclicité budgétaire et les longs cycles d’adoption. Néanmoins, la diversification géographique et la nature dual‑use de nombreuses technologies atténuent ces écueils.

Regards croisés d’experts

Michel de Lempdes, Managing Partner chez Omnes : « L’Europe dispose d’une recherche de rang mondial et d’un écosystème d’entrepreneurs extrêmement dynamique. Notre rôle consiste à injecter le capital et les réseaux industriels qui transformeront ces atouts en champions mondiaux. »

Hélène Huby, CEO de The Exploration Company : « L’équipe Omnes se distingue par sa maîtrise des sujets techniques et sa rapidité d’exécution. Ce sont deux qualités indispensables lorsque l’on vise une verticale aussi exigeante que le new space. »

Marc Wietfeld, CEO d’ARX Robotics : « Dans la défense terrestre, la compétition se joue sur l’endurance logistique et la robustesse logicielle. L’arrivée d’Omnes nous donne les moyens d’industrialiser une plateforme aussi fiable qu’un véhicule blindé mais aussi agile qu’un drone. »

Vers un élargissement géographique

Alors que Real Tech 1 était majoritairement exposé à la France (55 %), Real Tech 2 adopte une clé de répartition plus équilibrée : 30 % France, 25 % Allemagne, 15 % Italie, 10 % pays nordiques, 20 % reste de l’Union. Ce choix répond à la montée en puissance de clusters spécialisés (photonique à Turin, micro‑électronique à Lund, robotique maritime à Odense) et offre une diversification macroéconomique.

Checklist pour les candidats au financement

Brevets solides assurant un avantage technologique 
Marché adressable supérieur à 1 milliard € à cinq ans 
Premiers revenus récurrents attestant d’une traction commerciale 
Gouvernance alignée (dual‑class shares déconseillées) 
Plan industriel comprenant une usine pilote et des partenaires EMS.

Stratégies d’accompagnement post‑investissement

L’apport d’Omnes ne se limite pas au capital. Chaque société du portefeuille bénéficie d’un programme « Scale Lab » : ateliers design‑to‑manufacture, optimisation de la supply‑chain et mise en relation avec les bailleurs de fonds européens tels que l’EIC Accelerator. Des référents industriels (Safran, STMicroelectronics, Dassault Systèmes) interviennent comme mentors techniques.

Le volet commercial prend la forme de business missions co‑organisées avec Business France et l’Agence ICE italienne, afin d’accélérer l’accès aux marchés outre‑Atlantique et Moyen‑Orient. En RH, Omnes aide à structurer un management intermédiaire, souvent point faible des scale‑ups fondées par des chercheurs. Ces leviers non‑financiers ont contribué à réduire de 35 % le temps d’industrialisation moyen des projets Real Tech 1.

Quelles perspectives pour 2025‑2027 ?

La fenêtre d’investissement de Real Tech 2 coïncide avec trois dynamiques convergentes. Premièrement, la Banque européenne d’investissement prépare un élargissement de son mandat défense, injectant potentiellement 3 milliards d’euros dans la chaîne d’approvisionnement. Deuxièmement, la stratégie industrielle européenne prévoit un guichet « Advanced Chips » qui pourrait subventionner jusqu’à 30 % du CAPEX pour des fabs de semi‑conducteurs. Troisièmement, la mise en place d’Euronext Tech Leaders offre une liquidité boursière renforcée, avec des introductions en bourse déjà réussies pour OVHcloud et Exotec.

En parallèle, le ralentissement économique global pousse les entreprises industrielles à automatiser leurs processus, créant une demande soutenue pour la robotique et l’IA embarquée. Omnes anticipe des sorties entre 2030 et 2032, via des IPO ou des acquisitions par Airbus, Thales ou Leonardo, qui cherchent activement à combler leur backlog technologique.

Omnes Real Tech 2 incarne la rencontre entre souveraineté stratégique, maturité scientifique et appétit institutionnel : un triptyque appelé à façonner la nouvelle carte industrielle de l’Europe.