À Strasbourg, les présidents des onze fédérations départementales du Bâtiment et la fédération régionale du Grand Est tirent le signal d’alarme. Dans un communiqué commun de septembre 2025, ils pointent deux réformes jugées désorganisatrices pour la filière : la refonte de MaPrimeRénov' et l’application heurtée de la REP Bâtiment. Leur message est clair : sans stabilité réglementaire, l’investissement et l’emploi vacillent.

Maprimerénov' 2025 : des critères resserrés qui reconfigurent le marché

MaPrimeRénov', lancée en 2020, a installé une logique d’aides d’État par gestes de rénovation énergétique pour les propriétaires occupants ou bailleurs. Elle a, pendant quatre ans, soutenu des opérations standardisées comme l’isolation des parois et le remplacement des équipements de chauffage. L’année 2025 marque un changement d’orientation avec la publication de décrets le 9 septembre au Journal officiel, après une séquence estivale de suspension partielle, qui durcissent l’accès à certaines aides et priorisent des parcours de rénovation plus complets.

Le cap est désormais mis sur les rénovations globales, avec des exigences techniques et administratives accrues. Dans le même mouvement, plusieurs gestes unitaires voient leur éligibilité réduite ou repoussée. Les fédérations évoquent l’exclusion à venir de travaux réputés efficaces et accessibles, comme l’isolation des murs, ainsi que des chaudières biomasse dans certains cas, au profit de bouquets de travaux dirigés vers la performance globale du bâti.

Ce que MaPrimeRénov' continue à financer en 2025

Le dispositif conserve un périmètre d’intervention significatif, surtout en cas de rénovation globale.

  • Isolation des toitures, combles, planchers et parois avec conditions renforcées de performance.
  • Chauffage via des solutions décarbonées comme les pompes à chaleur et raccordements à des réseaux de chaleur verts.
  • Ventilation pour garantir la qualité d’air et la cohérence énergétique du logement.
  • Accompagnement par Mon Accompagnateur Rénov' obligatoire pour certains parcours, avec audits et contrôles.

Les textes réorientent les budgets vers des rénovations d’ensemble, conditionnées à des gains de classes énergétiques et à des audits préalables. Plusieurs gestes isolés, jusqu’ici massivement financés, deviennent conditionnels ou moins bien couverts, avec des plafonds révisés. Entrée en vigueur annoncée au 30 septembre 2025, ce qui oblige les entreprises à reprogrammer des chantiers et à renégocier le financement des ménages.

Cadre opérationnel et effets immédiats pour les entreprises

Ce recentrage bouleverse la phase commerciale. Les devis en cours doivent être réexaminés pour aligner le chantier sur les nouveaux critères.

Les installateurs et artisans rapportent déjà un allongement du cycle de décision des clients, le passage à la rénovation globale exigeant un reste à charge plus élevé et des délais de préparation plus longs. L’impact financier peut être immédiat pour les TPE si les chantiers prévus en septembre-octobre sont ajournés en attendant une confirmation d’éligibilité.

Grand est : un tissu de 50 000 entreprises face à un trou d’air

La construction est un pilier de l’emploi en France, avec environ 1,2 million d’actifs au sens large dans la filière bâtiment en 2023 (INSEE, 2023). Le Grand Est pèse lourd, avec plus de 50 000 entreprises actives, majoritairement des TPE et PME. Celles-ci absorbent une part considérable des marchés de rénovation des logements et des bâtiments tertiaires légers.

Le double resserrement des critères d’aides et l’instabilité perçue du dispositif renchérissent le coût d’acquisition client et allongent la durée entre signature et démarrage. Plusieurs signaux macroéconomiques se cumulent, comme la contraction des permis de construire en 2024, estimée à environ -15 % sur un an pour le résidentiel neuf, dans un climat inflationniste qui renchérit l’amont des chantiers (INSEE, 2024). Cette dynamique fragilise la trésorerie des entreprises qui comptaient sur des gestes de rénovation rapides pour maintenir le volume d’activité.

Les entreprises qualifiées RGE, spécialisées par gestes, constatent une visibilité réduite à moins de trois mois. Lorsque les aides glissent vers des parcours globaux, les sociétés non positionnées sur l’intégration complète doivent soit se regrouper, soit renvoyer le client vers un opérateur généraliste. Ce mouvement peut déstabiliser le tissu local si les coopérations n’aboutissent pas à des offres packagées lisibles.

Délais d’exécution et risque de déperdition de projets

Les ménages hésitent davantage lorsque l’architecture des aides évolue. Résultat, des chantiers initialement simples peuvent être différés de plusieurs mois, le temps de réunir financements, diagnostics et autorisations. La demande solvable s’érode mécaniquement lorsque le reste à charge augmente ou que des gestes considérés comme prioritaires par le ménage sortent du périmètre d’aide.

Rep bâtiment : économie circulaire promise, maillage encore insuffisant

Entrée en vigueur en 2023, la Responsabilité Élargie du Producteur pour les Produits et Matériaux de Construction impose l’organisation d’une reprise sans frais des déchets issus de chantiers, portée par des éco-organismes agréés. Sur le papier, l’outil répond à une urgence : limiter l’enfouissement, massifier le réemploi et simplifier la vie des entreprises. Sur le terrain, les fédérations du Grand Est décrivent un réseau de points de collecte encore incomplet, avec un déploiement intégral reporté au mieux à 2027, et des services inégaux selon les territoires.

Le renchérissement des éco-contributions, passé pour certaines catégories de matériaux de 0,5 % à 1 % du chiffre d’affaires en 2024, pèse sur les marges, surtout pour les petites structures. Lorsque la reprise gratuite n’est pas opérationnelle à proximité, les entreprises supportent des coûts logistiques additionnels, ce qui alimente l’idée d’une double peine : payer plus tout en se débrouillant partiellement seules.

REP PMCB : mode d’emploi condensé

La filière REP pour les produits et matériaux de construction du bâtiment (PMCB) s’appuie sur des éco-organismes financés par des contributions versées par les metteurs sur le marché. En contrepartie, les professionnels peuvent déposer leurs déchets triés dans des points de reprise agréés, sans frais. Les enjeux clés en 2025 :

  • Tri à la source sur chantier pour bénéficier de la reprise gratuite.
  • Densité du maillage pour limiter les distances de transport et réduire les coûts cachés.
  • Traçabilité des flux pour sécuriser les obligations réglementaires et limiter les dépôts sauvages.

Cartographie incomplète dans le grand est

La région dispose d’axes structurants, de Metz à Strasbourg en passant par Nancy et Reims, mais des zones blanches persistent. Les entreprises rurales ou périurbaines signalent des temps de trajet supérieurs à ce qui est économiquement soutenable pour des volumes modestes de déchets triés. Résultat, la promesse de coûts maîtrisés n’est pas tenue partout, et la compétitivité des chantiers est hétérogène à l’échelle régionale.

Les éco-organismes peuvent ajuster les barèmes par familles de produits. Les fédérations réclament un filet de sécurité pour les TPE afin d’éviter des effets de seuil. Plusieurs pistes sont évoquées : modulation plus fine selon la recyclabilité réelle, bonus-malus renforcés pour accélérer l’écoconception, et neutralisation temporaire de hausses dans les zones sous-dotées en points de collecte.

Politiques publiques en tension : les fédérations dénoncent un grand écart

Dans leur prise de position, les représentants du Bâtiment du Grand Est jugent incohérent de durcir simultanément l’accès aux aides à la rénovation et de laisser la REP Bâtiment à mi-chemin de son déploiement. La Fédération Française du Bâtiment a d’ailleurs qualifié les récentes évolutions sur les aides de « violent rabotage », y voyant un arbitrage budgétaire qui fragilise l’adhésion des ménages et l’activité des entreprises.

Les chiffres récents traduisent le changement d’échelle. En 2024, plus de 5 milliards d’euros d’aides MaPrimeRénov' ont été distribués, avant une enveloppe ramenée à 4 milliards pour 2025 et une réorientation vers les rénovations performantes et globales (Gouvernement, bilan 2024 MaPrimeRénov'). Les fédérations admettent le bien-fondé d’un ciblage par impact, mais alertent sur le court terme : la filière a besoin de volumes réguliers de chantiers pour préserver l’emploi, l’apprentissage et le parc d’équipements RGE.

Pourquoi l’arbitrage par « rénovation globale » ne suffit pas

Les rénovations complètes améliorent durablement les performances et justifient un soutien renforcé. Mais la réalité budgétaire des ménages rend crucial le maintien d’un socle de gestes simples pour initier une trajectoire de performance étalée. Écarter trop de gestes, même transitoirement, peut priver le marché d’une porte d’entrée efficace, surtout lorsque les taux d’intérêt, l’inflation et le prix des matériaux compriment les capacités d’investissement.

Si le reste à charge d’une rénovation globale dépasse les seuils d’acceptabilité, l’effet d’éviction l’emporte sur l’incitation. Les gestions budgétaires des ménages conduisent alors à différer tout projet. Un calibrage fin des barèmes, des plafonds et des bonus conditionnés à la performance peut éviter d’éteindre la demande sur les segments sensibles du marché, notamment l’isolation des parois et les solutions de chauffage renouvelables.

Arbitrages attendus : sécuriser 2025-2026 et préserver l’emploi régional

Les présidents des fédérations du Grand Est demandent des règles lisibles et stables sur la période 2025-2026, le temps pour la filière d’ajuster son offre, ses compétences et ses partenariats. Plusieurs ajustements opérationnels, à coût maîtrisé, peuvent être envisagés pour contenir les effets de seuil et fluidifier les parcours de rénovation.

Trois leviers à impact rapide pour le marché

  • Passerelle transitoire de 6 à 9 mois pour les gestes unitaires à forte efficacité énergétique, avec plafonds contrôlés et condition d’audit simplifié, afin d’éviter un trou d’air dans la demande.
  • Accélération du maillage REP par la contractualisation ciblée de points de reprise dans les zones blanches du Grand Est, assortie d’un soutien logistique partagé pour les artisans isolés.
  • Modulation fine des éco-contributions pour amortir l’impact sur les TPE et inciter à l’écoconception, sans alourdir les coûts en période de transition.

Garde-fous indispensables pour les tpe et artisans

La majorité des entreprises du bâti régional sont des structures de moins de dix salariés. Un choc d’activité de quelques mois suffit à dégrader la trésorerie.

Des dispositifs de préfinancement des aides via des partenariats bancaires ou des garanties publiques peuvent éviter les décalages de cash. De même, un accompagnement renforcé à la commande publique locale, notamment pour des projets de rénovation thermique des bâtiments communaux et du parc social, permettrait de stabiliser un volant d’activité essentiel.

Calendrier à retenir pour les entreprises du Bâtiment

  1. 9 septembre 2025 publication des décrets durcissant l’accès aux aides MaPrimeRénov'.
  2. 30 septembre 2025 entrée en vigueur des nouveaux critères et redéploiement vers les rénovations globales.
  3. Depuis 2023 déploiement de la REP PMCB avec intensification progressive des points de reprise.
  4. D’ici 2027 objectif de maillage complet de la reprise sur le territoire, sous réserve de contractualisations locales.

Cap 2030 et crédibilité des trajectoires : l’équation à recomposer

La stratégie nationale vise la rénovation de centaines de milliers de logements par an d’ici 2030, avec une baisse mesurable des consommations. Pour y parvenir, l’adhésion des ménages et la montée en puissance des entreprises locales doivent rester au cœur de l’équation. Les mesures budgétaires et réglementaires ne produiront leurs effets que si la chaîne de valeur bénéficie d’une visibilité suffisante sur deux à trois ans.

Dans le Grand Est, le message envoyé par les fédérations dépasse le cadre régional : il interroge la cohérence de l’action publique entre ambition climatique, soutien à l’investissement des ménages et maintien d’un socle industriel et artisanal compétitif. Une trajectoire ajustée, qui articule rénovation globale et gestes prioritaires, ainsi qu’une REP réellement opérationnelle, constituerait un signal fort pour enclencher un cycle vertueux.

La confiance est un capital économique : elle se gagne par des règles stables, des délais tenus et des dispositifs qui fonctionnent partout, pour tous.