Kumulus Water lève 3,1 M€ pour démocratiser l’eau atmosphérique
La start‑up parisienne capte 3,1 M€ pour déployer ses générateurs atmosphériques d’eau en Europe et au Moyen‑Orient et réduire la dépendance au plastique.

À la croisée de la WaterTech et de la transition écologique, la jeune pousse parisienne Kumulus Water a annoncé la clôture d’un tour de seed de 3,1 millions d’euros. Sous l’impulsion de Bpifrance, de fonds régionaux et de l’industriel Spadel, cette levée vise à accélérer le déploiement de générateurs atmosphériques d’eau capables d’extraire, hors réseau, une boisson potable à partir de l’air ambiant.
Une dynamique financière en phase avec France 2030
Le ticket de 3,1 M€ s’inscrit dans la stratégie France 2030, plan d’investissement national qui mobilise 54 milliards d’euros pour stimuler l’innovation industrielle. Avec le soutien de la Région Île‑de‑France et du Secrétariat général pour l’investissement, Kumulus Water rejoint le cercle restreint des startups climatiques considérées comme critiques pour la souveraineté hydrique. Le fait qu’un acteur public majoritaire comme Bpifrance cofinance reflète une volonté de sécuriser, sur le territoire, une technologie de production d’eau décentralisée alors que plus de 70 départements français ont déjà connu au moins un arrêté de restriction d’usage en 2024.
Chiffres clés de la levée
Montant : 3,1 M€ (seed)
Principaux lead investors : Bpifrance SGPI + Région Île‑de‑France
Co‑investisseurs : PlusVC, Khalys Venture, Flat6Labs, family offices EU‑MENA
Stratégique : Groupe Spadel (eaux minérales)
Un tour de table ciblant l’expertise sectorielle
Contrairement aux tours de seed classiques où la granularité d’acteurs prime sur l’ampleur, Kumulus Water a privilégié la complémentarité opérationnelle. Spadel apporte un savoir‑faire industriel dans la filtration et la distribution de boissons ; PlusVC, basé à Dubaï, ouvre les portes de la région CCG ; Flat6Labs garantit un deal flow nord‑africain ; Khalys Venture, davantage corporate, se concentre sur la consolidation technologique. Résultat : un pool capable d’accompagner la startup du laboratoire parisien jusqu’au désert saoudien.
Le financement seed intervient après la phase d’amorçage (friends & family, business angels). Il vise à démontrer la traction commerciale, industrialiser un MVP et consolider la PI. Concrètement, c’est la dernière étape avant une série A de plusieurs dizaines de millions, généralement corrélée à l’industrialisation lourde.
Kumulus Boks : la nouvelle frontière technologique
Si les premiers “Kumulus” produisent 20 à 30 L/jour pour des écoles rurales, la gamme Kumulus Boks vise une capacité de 100 à 500 L/jour. L’enjeu : passer d’un marché B2C/B2B léger à l’échelle collectivités‑industriels. Ce saut quantitatif repose sur trois briques :
- Condenseur haute efficacité : ajustement automatique du point de rosée pour optimiser le rendement énergétique.
- Système hybride solaire‑réseau absorbeur de pointe : division par deux de l’empreinte carbone pour 1 L d’eau produite.
- Architecture modulaire : installation « plug‑and‑play » dans un container maritime de 20 pieds, réduisant de 60 % les coûts logistiques.
Le marché de l’eau atmosphérique en France : état des lieux
En France métropolitaine, la production d’eau atmosphérique reste marginale : moins de 1 % des 1,8 milliard de mètres cubes d’eau potable distribués chaque année. Les freins sont :
- Coût énergétique au‑delà de 0,3 kWh/L sur des appareils obsolètes.
- Cadre sanitaire (Arrêté du 21 décembre 2023) exigeant une certification ACS pour les matériaux au contact de l’eau.
- Perception « gadget » auprès de collectivités focalisées sur la rénovation des canalisations.
Or, l’édition 2024 du rapport BRGM identifie déjà 14 bassins hydrographiques en déficit structurel. Sur ce créneau, une AWG industrialisée ouvre une boucle courte où 1 L d’eau équivaut à 0 g de plastique et 0 km de transport.
Bon à savoir : rendement énergétique
Les prototypes Kumulus atteignent 0,2 kWh/L grâce à la récupération de chaleur latente ; un seuil que l’Ademe estime soutenable dès lors que l’électricité est < 50 g CO₂/kWh (mix EnR ou PPA solaire).
Analyse réglementaire : entre Code de la santé publique et taxonomie verte
La mise sur le marché d’une AWG en France oblige à obtenir un double feu vert :
- Directive 98/83/CE sur la qualité de l’eau destinée à la consommation humaine : elle impose un suivi microbiologique et chimique équivalent à celui des réseaux.
- Taxonomie verte UE : pour être considérée “contribution substantielle” à l’objectif d’adaptation climatique, l’appareil doit présenter une empreinte carbone inférieure à 75 g CO₂e/L.
Dans ce contexte, Kumulus Water anticipe des audits ICS, renforce son module de filtration multi‑barrières et crée un jumeau numérique pour tracer chaque litre produit.
Adoptée en 2020, la taxonomie verte de l’UE est un outil de classification des activités économiques durables. Pour bénéficier d’avantages financiers (prêts verts, subventions), une activité doit démontrer qu’elle contribue significativement à l’un des six objectifs environnementaux sans causer de préjudice majeur aux autres.
Cap sur la péninsule arabique : le pari saoudien
Avec 89 % d’eau désalinisée dans son mix, l’Arabie Saoudite affiche un coût marginal de 1 à 2 $/m³ (hors externalités CO₂). Les autorités souhaitent abaisser la dépense énergétique de 3 kWh/m³ (osmose inverse) à moins de 1,5 kWh d’ici 2030. L’AWG, plus flexible et alimentée par photovoltaïque, représente une alternative pour les sites hors côtes (ligne Riyad‑Qassim). Kumulus Water entame un pilote de 25 unités Boks sur le mégaprojet The Line, avec un contrat de maintenance de 10 ans.
Pourquoi le Golfe ?
La région CCG concentre 6 des 10 pays les plus arides au monde, mais possède un ensoleillement > 2 000 kWh/m²/an, rendant le couplage AWG‑solaire extrêmement compétitif.
L’histoire et la vision de Kumulus Water
Née en 2021 à l’initiative des anciens camarades d’école Iheb Triki et Mohamed Ali Abid, la startup a débuté dans un garage de Tunis avant de s’installer à Station F puis à Paris‑Saclay. Leur credo : « de l’air à l’eau, sans réseau ». Le prototype originel, inspiré du cycle naturel de condensation, produisait 10 L/jour. Trois ans plus tard, Kumulus revendique une cinquantaine de machines installées dans des écoles marocaines, des lodges éco‑touristiques aux Baléares et des dispensaires sénégalais. L’équipe est passée de 4 à 32 collaborateurs, dont 40 % d’ingénieurs fluides et thermodynamique.
Impact social et indicateurs ESG
Au‑delà de la finance, la jeune pousse publie déjà un rapport d’impact volontaire :
- 51 % de plastique en moins pour les sites équipés par rapport à l’achat local de bouteilles PET.
- 0,78 tCO₂ évitées par machine et par an (mix Madagascar).
- Programme Water for Schools : installation d’une AWG gratuite pour chaque 100 machines vendues.
En Europe, le label Solinergy identifie l’entreprise comme “solution d’adaptation pour collectivités rurales”. À terme, un impact fund dédié pourrait racheter des AWG et les louer à bas coût, ouvrant une voie à la finance mixte.
Analogie industrielle : la transition du hors‑réseau
L’essor des AWG rappelle celui du photovoltaïque dans les années 2010 : au départ coûteux, puis dopé par les objectifs climatiques et les ruptures composants. Si l’apprentissage PV affichait un facteur 0,82 (–18 % du coût à chaque doublement de capacité), les AWG bénéficient aujourd’hui d’un levier similaire grâce à :
- Échanges thermiques plus efficaces (ailettes 3D‑printing).
- Compression semi‑isotherme.
- Croisement avec la filière pompe à chaleur (partage R&D).
Vers un nouveau modèle de l’eau distribuée
À l’heure où les collectivités françaises débattent de la ré‑municipalisation de l’eau, Kumulus propose une troisième voie : l’eau comme service local. En l’espace de quatre ans, la startup est passée d’un proof‑of‑concept académique à un projet industriel financé. La feuille de route 2025‑2027 prévoit :
- Licence technologique pour un assemblage sous‑traité en Bourgogne‑Franche‑Comté.
- Création d’un hub d’export à Valence (Espagne).
- Financement de série A (> 20 M€) fin 2026 pour produire 5 000 unités/an.
Dans un monde assoiffé, les molécules d’eau capturées dans l’air pourraient bien redessiner la carte de notre souveraineté hydrique.