Les business angels français renforcent l'amorçage en 2024
Découvrez comment les business angels ont investi 98,6 millions d'euros en 2024 pour stimuler les startups françaises.

+98,6 millions d'euros investis en 2024 : les business angels français confirment leur rôle de déclencheur financier pour les jeunes pousses. Derrière cet essor, une alerte monte toutefois sur les clauses de liquidation préférentielle, désormais omniprésentes dans les tours ultérieurs. Le débat s'invite au cœur des négociations entre fonds et investisseurs individuels, avec un enjeu clair : préserver l'équité du partage de valeur.
Amorçage français : l'argent des particuliers propulse les tours précoces
Les réseaux de business angels se sont imposés comme l’un des piliers de l’amorçage en France. Leur apport se distingue autant par le capital injecté que par le temps consacré à l’accompagnement opérationnel des équipes dirigeantes.
En 2024, environ 5 500 investisseurs individuels ont financé des startups à hauteur de 98,6 millions d'euros, via 53 réseaux fédérés par France Angels. Cette dynamique a dépassé les niveaux de l’année précédente et conforte la pertinence de ce financement patient et à haut risque (France Angels, 2024).
Si ces chiffres dessinent une trajectoire robuste, la mécanique du portefeuille reste immuable. Sur dix lignes, cinq peuvent être perdues après cinq ans.
Deux ou trois se maintiennent sans briller, et deux ou trois tirent la performance globale. Le modèle supporte une forte asymétrie : la rentabilité dépend étroitement de quelques réussites qui compensent les pertes. C’est précisément sur ces dossiers phares que les clauses de préférence de liquidation perturbent l’équilibre économique initial.
Repères 2024 sur l'investissement des business angels
Les réseaux fédérés ont accéléré leur activité, renforçant la phase d'amorçage :
- 5 500 investisseurs actifs environ.
- 98,6 M€ déployés au capital de startups (France Angels, 2024).
- Un rôle d'entraînement pour les premiers tours et les bridges, avant l'entrée des fonds.
Cette place incontournable dans le financement de l’innovation s’inscrit dans un paysage où l’argent public cible plutôt la profondeur des marchés et l’industrialisation, tandis que les business angels, eux, irriguent la phase la plus fragile. Leur retrait éventuel produirait un effet domino sur tout le cycle, de l’idée à la scale-up.
Liquidation préférentielle : un outil juridique qui redistribue la valeur
La préférence de liquidation est devenue un standard dans les pactes d’actionnaires des tours post-amorçage. Elle permet à certains investisseurs d’être remboursés en priorité lors d’une cession ou d’une liquidation.
Dans sa version la plus simple, dite 1x non participating, l’investisseur récupère sa mise avant le partage résiduel entre tous. Des variantes plus exigeantes existent, avec des multiples (2x ou 3x) et, parfois, une participation additionnelle au solde.
En pratique, ces mécanismes s’organisent en cascade, le fameux waterfall. Les derniers entrants figurent souvent en haut de la pile, les premiers investisseurs étant servis plus tard.
Ce design convient aux scénarios d’exit très élevés où la valorisation surpasse largement les préférences. Il devient en revanche pénalisant dans les sorties intermédiaires, de plus en plus fréquentes depuis la normalisation des multiples et le resserrement des conditions de marché.
Trois éléments déterminent l’impact d’une préférence sur le partage final :
- Le multiple : 1x, 2x ou 3x de la mise initiale.
- Le caractère participating : l’investisseur touche sa préférence puis participe au solde pro rata, ou non participating s’il choisit l’un ou l’autre.
- L’ordre de la cascade : qui passe devant qui, et dans quel ordre lors d’un événement de liquidité.
La combinaison de ces trois paramètres peut fortement réduire, voire neutraliser, la quote-part des premiers investisseurs sur des sorties moyennes.
La généralisation de ces clauses a été documentée par l’écosystème, notamment par un article sectoriel du 15 septembre 2025, qui relève leur caractère quasi systématique dans les tours menés par des fonds de capital-risque, au risque d’écraser la part des investisseurs initiaux sur des transactions qui, pourtant, valident le succès économique du projet (Maddyness, 15 septembre 2025).
Pourquoi la préférence pèse davantage sur les sorties intermédiaires
Dans un exit à valorisation modérée, les multiples de préférence consomment l'essentiel du prix avant que les autres actionnaires ne soient servis. Cela transfère une partie de la création de valeur des premiers entrants vers les derniers, même lorsque les métriques de l'entreprise s'améliorent clairement mais sans atteindre un prix exceptionnel.
Quand le waterfall comprime le rendement des premiers entrants
Pour un business angel, l’économie du portefeuille repose sur quelques gains exceptionnels. Or ces mêmes dossiers, une fois attractifs, attirent des tours structurés avec des liquidations préférentielles prioritaires et parfois participating. Le résultat est connu : la dilution de la performance se concentre là où le portefeuille devait se refaire.
Des investisseurs de réseaux historiques détaillent des situations concrètes : opérations de bridge techniquement coûteuses conçues pour limiter la participation des petits tickets, pactes superposés où les préférences s’additionnent, clauses de waterfall positionnant les nouveaux entrants en priorité absolue. Même lorsque la trajectoire opérationnelle est bonne, la mécanique peut conduire certains business angels à récupérer moins que leur mise initiale.
Paris business angels : alerte sur la soutenabilité du modèle
Au sein de Paris Business Angels, la montée en puissance des préférences trop rigides interroge la viabilité du modèle économique pris dans son ensemble. L’argument est arithmétique.
Le taux d’échec est assumé. En revanche, la perspective d’une compression systématique des rendements sur les meilleurs dossiers ampute le ratio risque-rendement. Ce désalignement pourrait, à terme, décourager une partie des investisseurs individuels et réduire le volume de tickets en amorçage.
Business angels des grandes ecoles : des montants engagés et une vigilance accrue
Le réseau des Business Angels des Grandes Ecoles a déployé 4,1 millions d'euros en 2024 dans 29 startups, dont 10 premiers tours. Ces chiffres témoignent d’un ancrage solide en amont des fonds.
La question n’est pas d’écarter la préférence de liquidation par principe, mais de calibrer son intensité. Un 1x non participating peut sécuriser un tour. Au-delà, les multiples et l’empilement de pactes peuvent fragiliser le retour des premiers financeurs sur des sorties raisonnables.
Provence angels : reconnaître le risque initial pour garder l’élan
Chez Provence Angels, on défend une vision entrepreneuriale de l’investissement. Les pertes fréquentes sont admises si la rémunération du risque initial reste au rendez-vous quand l’entreprise réussit.
Autrement dit, la préférence est acceptable pour sécuriser un tour d’étape, mais elle doit rester proportionnée. Cet équilibre n’est pas uniquement financier. Il maintient la coopération entre investisseurs individuels, fonds et fondateurs, un point clé dans la conduite des tours successifs.
Certains bridges imposent des instruments ou des modalités juridiques coûteuses pour être suivis (par exemple des véhicules interposés ou des documents nécessitant un accompagnement juridique approfondi). Les petits investisseurs renoncent alors à leur droit de souscription par contrainte technique, ce qui renforce mécaniquement la position des nouveaux entrants dans la cascade de liquidation.
Négociations avec les fonds : lignes de fracture et marges de manoeuvre
La tension s’exprime lorsque la société multiplie les tours. Chaque levée apporte son lot de clauses nouvelles, souvent à l’initiative des fonds leaders qui, eux, gèrent de l’argent de tiers et recherchent des protections standardisées.
Les business angels, minoritaires, se retrouvent souvent devant un choix binaire : valider des termes adverses ou freiner l’opération avec le risque de priver l’entreprise d’un financement nécessaire. Par culture, ils évitent de bloquer. Par réalisme, ils ont parfois le sentiment d’être acculés.
Cette asymétrie s’illustre aussi dans la temporalité. Les fonds résonnent par « millésimes » et horizons de sortie.
Les business angels, eux, investissent un capital personnel qui ancre un rapport différent au temps et au risque. D’où des préférences plus frugales dans les tours d’amorçage portés par les réseaux, par exemple des 1x non participating, destinées à éviter les effets de ciseaux tout en sécurisant un minimum de retour si le scénario se dégrade.
Clauses à surveiller lors d'un tour ultérieur
- Multiple et nature de la préférence : 1x vs 2x ou 3x, participating ou non.
- Ordre dans le waterfall : la priorité donnée aux derniers entrants peut neutraliser l’historique.
- Droits de suivi : prorata effectif, et non pas théorique, avec modalités d’exercice simples.
- Carve-outs : tranches réservées aux fondateurs et aux early backers pour éviter l’écrasement.
- Clauses de rachat : modalités de rédemption après 5 à 7 ans pour débloquer les capitaux.
Un point de friction récurrent tient également à la structure des pactes successifs. Il est fréquent que les nouvelles préférences s’empilent, plutôt que d’être renégociées globalement. Les réseaux d’investisseurs plaident pour une plus grande transparence sur les simulations de sorties, afin de visualiser l’effet cumulatif des clauses. Cette lecture par scénarios rend plus tangibles les implications d’un 2x participating ou d’un cap mal calibré.
Pistes de calibrage pour des tours plus équilibrés
Plusieurs leviers techniques circulent désormais dans les négociations. Ils ne bannissent pas la préférence de liquidation. Ils la modulent pour préserver l’attractivité des tours et le partage de la valeur.
- 1x non participating avec plafond : un mécanisme simple qui limite la captation sur les sorties moyennes.
- Carve-outs : réservations de quote-part au profit des fondateurs et des primo-investisseurs, souvent conditionnées à des seuils de performance.
- Prorata réellement exerçable : droits de suivi facilités pour que les business angels puissent conserver leur position relative dans la cascade.
- Clauses de rédemption : rachat possible des actions après 5 à 7 ans, utile lorsque l’exit se fait attendre et que le bilan doit s’alléger.
- SPV mutualisés : regroupement de dizaines d'investisseurs à l’échelle inter-réseaux pour peser davantage dans la négociation et simplifier l’actionnariat.
Au-delà des outils, la capacité d’exécution compte. La digitalisation des processus au sein des fédérations améliore la coordination entre réseaux, accélère les signatures, et crédibilise la présence des business angels à la table des négociations, y compris sur des tours resserrés dans le temps.
Un Special Purpose Vehicle concentre la voix des investisseurs individuels en une seule entité juridique. Avantages :
- Pouvoir de négociation : un seul acteur face aux fonds leaders, avec une position unifiée sur les clauses clés.
- Exécution : souscription simplifiée, traitement juridique et administratif allégé pour la société.
- Suivi de prorata : exercice coordonné lors des tours ultérieurs pour maintenir la place dans le waterfall.
La recherche d’un juste calibrage n’est pas cosmétique. Elle répond à une contrainte macroéconomique de financement. Les sorties à très forte valorisation existent, mais elles ne constituent pas la norme statistique qui structure les rendements. Les instruments doivent donc fonctionner aussi en milieu de distribution, là où se situent la majorité des cessions industrielles et des transactions secondaires.
Deux repères pour des préférences soutenables
- Proportionnalité : la préférence sécurise l’investissement, mais ne doit pas capter la majorité de la valeur sur un exit médian.
- Lisibilité : des simulations chiffrées partagées dès la term sheet pour quantifier l’effet cumulé des préférences et du waterfall.
Effets systémiques : innovation, productivité et souveraineté financière
Le débat dépasse la seule relation entre business angels et fonds. Il touche la chaîne d’innovation française et sa capacité à produire des entreprises technologiques compétitives.
Le financement précoce conditionne l’essor des grands projets industriels et la montée en gamme de l’économie. L’État, à travers ses stratégies d’investissement, met l’accent sur la montée en puissance de l’innovation et la souveraineté, notamment avec France 2030, mais la vitalité de l’amorçage reste un maillon à part entière de cette ambition.
La productivité et l’innovation, régulièrement évaluées par des rapports officiels, soulignent l’importance d’un écosystème de financement équilibré. Les règles relatives au contrôle des investissements étrangers évoluent pour préserver les actifs stratégiques, mais l’abondance du capital domestique en amorçage demeure déterminante pour faire émerger des leaders. Dans ce contexte, l’alignement des incitations entre fondateurs, fonds et investisseurs individuels devient une question de cohérence industrielle.
Si les business angels réduisent leur activité, trois effets apparaissent :
- Embouteillage amont : moins de projets atteignent les indicateurs recherchés par les fonds.
- Risque de dépendance : des startups en quête de capitaux extérieurs plus tôt, avec des conditions moins favorables.
- Moindre diversité : l’appétit pour des projets moins « mainstream » s’érode, ce qui affecte la variété des innovations.
Pour les fonds, préserver un vivier de dossiers solides en amont constitue aussi un enjeu stratégique. D’où l’intérêt de règles partagées qui, sans renier les standards internationaux, évitent l’excès qui décourage les capitalisateurs de la première heure. Cet entre-deux s’obtient rarement par décret, mais plus sûrement par des pratiques de marché évolutives, impulsées par les lead investors et acceptées par les co-investisseurs.
Cap à tenir pour préserver l'élan de l'amorçage
La période actuelle offre une opportunité : les volumes investis par les business angels progressent, les réseaux se structurent, et les mécanismes de protection sont mieux compris. Ajuster la préférence de liquidation, sécuriser des prorata exerçables et promouvoir des SPV puissants peut suffire à rééquilibrer la chaîne de valeur, sans priver les fonds d’outils de gestion du risque. La balle est autant dans le camp des term sheets que dans celui de la pédagogie auprès des fondateurs.
Préserver la motivation des premiers financeurs, c’est garantir un deal-flow riche pour les tours suivants et, in fine, consolider l’ambition d’innovation française.