Il ne s’est pas passé vingt-quatre heures que la start‑up grenobloise Gulplug a officialisé, dans un communiqué publié le 19 mai 2025, l’ouverture de sa collecte de fonds sur Crowdcube : déjà, l’écosystème français de la tech énergétique s’interroge sur la portée stratégique de cette opération. En visant un ticket au moins équivalent aux 637 k€ récemment injectés par ses actionnaires, la jeune pousse entend baliser la route vers une série A prévue début 2026  et, accessoirement, tester la maturité du marché pour son dispositif de connexion automatique SELFPLUG®.

Cap sur une nouvelle étape de financement

La campagne lancée sur Crowdcube adopte un schéma equity crowdfunding classique : la pré‑money valuation est fixée à 28 252 600 €, et chaque action est proposée à 200 €. Les souscripteurs français peuvent, en outre, prétendre à la réduction d’impôt IR‑PME de 18 %, toujours en vigueur au 17 juin 2025.

Cette mécanique, si elle atteint son objectif – doubler a minima la mise des actionnaires historiques – viendra :

  • Renforcer la structure bilancielle avant la série A ;
  • Accélérer les phases d’industrialisation de SELFPLUG® ;
  • Financer la feuille de route R&D autour du pilotage V2G (Vehicle‑to‑Grid).

Bon à savoir : Crowdcube en bref

Fondée au Royaume‑Uni en 2011, Crowdcube a orchestré plus de 40 levées en 2025, essentiellement orientées vers les technologies propres. La plateforme fédère une base de 1,7 million d’investisseurs européens et se distingue par un taux de succès proche de 70 %.

La promesse technologique de SELFPLUG®

Au cœur du projet se trouve un connecteur magnétique réversible capable de véhiculer jusqu’à 22 kW en courant alternatif, tout en autorisant la communication bidirectionnelle nécessaire aux scénarios V2G. L’objectif : transformer chaque véhicule électrique (VE) en micro‑station de stockage, mobilisable à la demande pour lisser les pointes de consommation et améliorer la résilience réseau. Gulplug affirme que, rapporté au kilowatt‑heure de flexibilité, son approche serait quatre fois plus rentable que les gigabatteries stationnaires conventionnelles.

Le V2G désigne la capacité d’un véhicule électrique à réinjecter de l’énergie vers le réseau. Lorsque des millions de batteries sont agrégées, elles constituent une réserve distribuée capable de répondre en quelques secondes aux fluctuations de la demande ou aux congestions locales.

Qui est Gulplug ?

Née en 2014 dans l’écosystème Minatec de Grenoble, la société a d’abord développé des connexions sans fil pour l’industrie 4.0, avant de pivoter vers la mobilité électrique. Le déclic survient en 2018 : un prototype de branchement automatique troque les inducteurs volumineux contre la connexion conductrice à aimant permanent, aboutissant à SELFPLUG®. En sept ans, Gulplug revendique :

  • 7,6 M€ levés via fonds propres, subventions et obligations convertibles ;
  • 1,9 M€ de chiffre d’affaires cumulé, principalement en POC auprès d’industriels ;
  • Deux partenariats pilotes avec des constructeurs automobiles mondiaux ;
  • Une licence signée avec un équipementier de rang 1.

2014 : création à Grenoble.
2018 : premier prototype SELFPLUG®.
2021 : campagne WiSEED clôturée avec succès.
2025 : présence au CES Las Vegas et lancement Crowdcube.

Analyse financière : valorisation, dilution et fiscalité

À 28,25 M€ de valorisation pré‑money et 200 € par action, l’entrée minimale fixée par Crowdcube reste accessible, mais la dilution potentielle pour les fondateurs dépendra du montant final collecté. Deux variables clés :

  1. Taille de la tranche : si l’objectif plancher de 500 k€ est dépassé, le poids des investisseurs publics augmentera proportionnellement.
  2. Bridge avant série A : un tour d’amorçage d’environ 3 M€ d’ici fin 2025 pourrait se cumuler, réduisant mécaniquement la part de l’émission actuelle.

Côté fiscalité, le crédit d’impôt IR‑PME (Art. 199 terdecies‑0 A CGI) reste l’argument numéro un. Pour un investissement de 5 000 €, la réduction atteint 900 € après plafonds, sous réserve de conservation des titres durant cinq ans.

L’avantage fiscal s’applique aux souscriptions au capital de PME de moins de 250 salariés et 50 M€ de CA. La réduction est calculée sur le montant investi hors frais, dans la limite de 50 000 € pour un couple.

Enjeux réglementaires et industriels

La directive européenne AFIR (Alternative Fuel Infrastructure Regulation) impose, dès 2026, que tout point de recharge supérieur à 50 kW soit compatible V2G. Or les bornes grand public, limitées à 22 kW AC, représentent aujourd’hui 70 % du parc tricolore. SELFPLUG® arrive donc à point nommé : en éliminant la friction du branchement manuel, l’appareil accroît le taux de connexion des VE et libère la capacité dormante, un paramètre crucial pour les futurs marchés de flexibilité locaux.

Sur le front des matières premières, Gulplug vante une économie circulaire : l’utilisation de batteries existantes évite la mise en service de gigapacks neufs, synonymes de cobalt et lithium supplémentaires. À l’heure où Bruxelles discute du passeport numérique batterie, l’argument de sobriété matérielle fait mouche.

À surveiller : le règlement batterie 2027

Le Parlement européen exige que, dès juillet 2027, toute batterie intègre une fiche « state of health » horodatée. Les opérateurs V2G devront garantir une décharge limitée à 80 % afin de préserver la durabilité des accumulateurs.

Positionnement dans le marché du stockage distribué

Le besoin mondial de capacité tampon est estimé à 100 milliards de dollars d’ici 2030. Sur ce créneau, trois approches coexistent :

Technologie Capex approximatif Temps de réponse Durée de vie
Gigabatteries stationnaires 350–500 €/kWh <1 s 6 000 cycles
Pumped Hydro 80–120 €/kWh 30 s 40 ans
V2G via SELFPLUG® <90 €/kWh (actif existant) <0,5 s Dépend de la batterie VE

En misant sur un CAPEX marginal quasi nul (puisque la batterie est déjà financée par le conducteur), Gulplug se positionne comme l’intermédiaire logiciel et matériel de ce stockage dispersé : licences SELFPLUG®, redevances AOS® (Automatic Operating System) et partage de revenus avec les agrégateurs d’énergie.

Risques et leviers de croissance

Comme tout projet early‑stage, la feuille de route comporte des incertitudes :

  1. Adoption industrielle : la standardisation dépend d’un feu vert des OEM, et la négociation de royalties peut s’éterniser.
  2. Retard réglementaire : sans clarification des règles V2G en France (turpe, taxation), la monétisation des kWh restitués restera modeste.
  3. Maturité technologique : l’aimant permanent supporte‑t‑il l’usure quotidienne dans les parkings publics ? Des tests de 50 000 cycles sont annoncés mais pas encore publiés.

À l’inverse, trois catalyseurs pourraient accélérer la trajectoire :

  • La généralisation des contrats d’effacement rémunérés en Europe.
  • Le croisement de SELFPLUG® avec les bus électriques – segments à forte capacité batterie.
  • L’intégration native par un constructeur automobile dès 2027.

Vers un réseau plus résilient grâce aux véhicules connectés

En fédérant l’épargne citoyenne autour d’un projet à forte intensité technologique, Gulplug démontre que le financement participatif peut dépasser la logique gadget pour s’attaquer aux infrastructures critiques. Si la collecte Crowdcube atteint, ou dépasse, son seuil cible, la start‑up disposera d’un matelas suffisant pour aligner ses proof of concept industriels sur l’échéance de la série A. Reste à transformer l’essai auprès des OEM : c’est là que se jouera la bascule de SELFPLUG® du statut de « solution prometteuse » à celui de standard sectoriel.

En définitive, la vraie révolution ne sera peut‑être pas la borne rapide, mais le simple geste de garer son véhicule… et de le voir, sans effort, soutenir l’équilibre électrique d’un continent.