Le Crédit Agricole avance vers une fusion stratégique avec Banco BPM
Découvrez comment la fusion entre Crédit Agricole et Banco BPM pourrait transformer le paysage bancaire italien, avec des impacts sur les PME.

+20,1 % au capital et des garanties promises à Rome : le Crédit Agricole clarifie son jeu en Italie. Après des mois d’attentisme, le groupe français active les leviers d’un rapprochement avec Banco BPM. Le retrait d’UniCredit du dossier et l’ouverture du gouvernement italien à une opération encadrée ravivent le scénario d’une fusion au bénéfice affiché des PME.
Italie : cap sur Banco BPM avec un schéma de fusion à l’étude
Le Crédit Agricole étudie une fusion de Crédit Agricole Italia avec Banco BPM, un montage qui concentrerait la transaction au niveau italien et éviterait un rachat direct depuis la maison mère. La banque a, selon un rapport spécialisé, mandaté Deutsche Bank et Rothschild pour cadrer l’analyse stratégique et financière du projet (Retail Banker International, 23 septembre 2025).
Ce format répond à une contrainte politique et réglementaire claire : minimiser la perception d’une prise de contrôle étrangère directe sur un actif considéré comme stratégique en Italie. Il offrirait en parallèle une lecture industrielle plus fluide, en alignant les métiers de détail, la banque commerciale et les services aux entreprises au sein d’une entité opérationnelle unique en Italie.
Banques conseil : Deutsche Bank et Rothschild, rôles et objectifs
Les deux conseils sont mobilisés pour modéliser les synergies de coûts et de revenus, simuler les effets capitalistiques et tester des scénarios de gouvernance. Le périmètre exploré inclut, selon les éléments communiqués, des options de fusion pure, d’OPA avec échange de titres ou d’un montage mixte.
Crédit Agricole Italia : réseau, clientèle et ancrage sectoriel
Actif en Italie depuis 2007, Crédit Agricole Italia opère plus de 1 000 agences et sert environ 3 millions de clients. Ses actifs italiens atteignaient 150 milliards d’euros en 2024, selon le rapport annuel du groupe. Le réseau apporte une profondeur commerciale clé dans le nord et le centre du pays, avec une expertise marquée dans le financement agricole et des partenariats locaux.
Banco BPM : distribution, gestion d’actifs et dynamique commerciale
Banco BPM, l’un des principaux acteurs bancaires italiens, a renforcé son pôle épargne et gestion via l’acquisition d’Anima Holding, finalisée en mai 2025, avec environ 200 milliards d’euros d’actifs sous gestion au 31 décembre 2024 selon les déclarations à la Consob. À la mi-septembre 2025, son directeur général, Giuseppe Castagna, a qualifié un rapprochement avec Crédit Agricole d’« option la plus claire », y voyant un bénéfice pour l’économie italienne.
Bon à savoir : la participation de 20,1 % dans Banco BPM
Le Crédit Agricole détient précisément 20,1 % de Banco BPM, une position consolidée en 2024 via des instruments dérivés. Cet ancrage capitalistique établit une base de dialogue stratégique et permet d’envisager une opération industrielle sans précipitation, avec une trajectoire de gouvernance maîtrisée.
Feu politique conditionnel à Rome : garanties exigées et lignes rouges
Les échanges récents entre des représentants du Crédit Agricole et le gouvernement italien portent sur les conditions d’une fusion potentielle. Les autorités ont été rassurées sur des engagements de continuité, notamment le maintien des flux de crédit aux PME. Le ministre de l’Économie, Giancarlo Giorgetti, a indiqué n’avoir « aucune objection politique », tout en rappelant l’application stricte de la loi et des conditions associées, dont la protection de l’emploi et le soutien aux entreprises locales (Reuters, 24 septembre 2025).
En toile de fond, l’Italie dispose d’un dispositif de golden power permettant de bloquer, conditionner ou encadrer des investissements étrangers dans des secteurs jugés stratégiques, dont la banque. Le gouvernement de Giorgia Meloni a déjà opposé un veto à une tentative d’UniCredit en 2024, signalant sa vigilance. La trajectoire actuelle, mieux balisée, s’appuie sur des garanties formelles.
La golden power peut imposer des clauses spécifiques lors d’opérations perçues comme sensibles : engagement de maintien du crédit à certains segments, préservation des centres de décision, garanties sociales ou périmètres d’activité sanctuarisés. Dans un secteur bancaire morcelé mais stratégique, ces conditions servent d’amortisseur de risque systémique et de rempart contre un retrait de financements clés pour l’économie.
Bon à savoir : garanties évoquées côté Crédit Agricole
Les discussions avec Rome ont porté sur des engagements de distribution de crédit aux PME, un pilier du tissu productif italien. Le ministère de l’Économie a également mentionné des conditions strictes, applicables de manière indifférenciée à tout acteur candidat à une consolidation bancaire, conformément à la loi en vigueur.
PME, emploi et crédit : les effets économiques d’un rapprochement
Le cœur du débat se concentre sur l’accès au crédit des PME. L’Italie compte environ 4,2 millions de PME, représentant près de 80 % de l’emploi marchand. Les garanties de maintien des lignes de financement ne sont pas cosmétiques : elles conditionnent l’acceptabilité politique et sociale du projet, tout en assurant la stabilité des chaînes d’approvisionnement locales.
Sur le plan industriel, un rapprochement entre Crédit Agricole Italia et Banco BPM créerait un acteur d’envergure avec plus de 300 milliards d’euros d’actifs combinés estimés d’après les bilans 2024. Cette masse critique renforcerait la capacité à financer l’économie réelle, à mutualiser les coûts de conformité et à soutenir l’investissement numérique.
La dimension digitale est un second levier. Banco BPM recensait environ 2 millions d’utilisateurs mobiles en 2024. Une intégration pilotée pourrait accélérer l’adoption d’outils omnicanaux, optimiser la connaissance client et déployer des services enrichis, y compris autour de l’IA pour la lutte contre la fraude et la personnalisation des offres.
OPA avec échange de titres : permet de rémunérer les actionnaires cibles en actions de l’initiateur, tout en limitant les sorties de cash. Fusion : rapprochement d’entités, généralement à parité ou non, avec création d’une nouvelle entité ou absorption.
Partenariat capitalistique : prise de participation significative avec accords industriels, sans intégration bilancielle complète. Le choix dépend du capital disponible, des ratios prudentiels et des contraintes réglementaires.
Des fondations déjà posées : participation, coentreprises et savoir-faire sectoriel
Le rapprochement envisagé s’appuie sur des coopérations historiques entre les deux groupes. Au-delà de la participation de 20,1 %, Crédit Agricole et Banco BPM opèrent en commun dans des métiers à fort volume, avec un historique de distribution croisée et d’alignement opérationnel.
Agos : crédit à la consommation et puissance de feu commerciale
La coentreprise Agos gère un portefeuille de plus de 15 milliards d’euros de crédits en Italie en 2024. Ce point d’appui démontre la capacité des deux groupes à industrialiser des processus, mutualiser les risques et ajuster les politiques de distribution à l’échelle nationale. Dans une logique de fusion, Agos constituerait un accélérateur de montée en puissance sur les relais de croissance non bancaires traditionnels.
Participation de 20,1 % : contrôle stratégique et timing
La montée au capital, finalisée via des dérivés en 2024, offre à Crédit Agricole un levier d’influence sans prise de contrôle formelle. Elle soutient un dialogue structuré sur le projet industriel, tout en laissant le temps d’obtenir les autorisations nécessaires et de calibrer les engagements requis par Rome. L’équilibre entre influence et acceptabilité politique sera un déterminant majeur du calendrier.
Gestion d’actifs : Anima et l’architecture ouverte
La consolidation par Banco BPM d’Anima Holding renforce la distribution et la marge sur l’épargne. Pour Crédit Agricole, l’adossement à un gérant d’actifs de référence en Italie pourrait accroître la profondeur de l’offre auprès des clients patrimoniaux et entreprises, tout en améliorant la récurrence des revenus et l’équilibre du mix de métiers.
Agriculture et financement rural : un savoir-faire transférable
En Italie, Crédit Agricole est un acteur établi du financement agricole. En France, le groupe a signé en mai 2025 une initiative nationale pour l’agriculture de 2 milliards d’euros, avec le ministère de l’Agriculture et la BEI, illustrant une expertise en ingénierie de financement mobilisable en transfrontalier. Par ailleurs, des programmes européens comme Interreg 2021-2027 allouent 3,2 milliards d’euros de fonds FEDER pour des coopérations territoriales, incluant des projets agricoles à dimension frontalière.
Valorisation, capital et structure financière : les paramètres à surveiller
La valorisation boursière de Banco BPM se situait autour de 7 milliards d’euros au 30 septembre 2025, niveau de marché déterminant pour calibrer un éventuel échange de titres ou une composante cash. La capacité d’absorption dépendra de la trajectoire des résultats, du coût du capital et des engagements réglementaires requis par les autorités italiennes et européennes.
Sur le capital, des estimations d’analystes évoquent un ratio CET1 combiné supérieur à 15 % à la suite de l’opération, hypothèse qui resterait à confirmer en cas d’avancée des travaux. Un montage orienté fusion locale aurait pour objectif de préserver les coussins prudentiels au niveau groupe, tout en concentrant l’effort de transformation au sein de l’entité italienne.
Le financement de la transaction pourrait prendre plusieurs formes, sans qu’aucune n’ait été tranchée publiquement :
- Fusion absorption de Banco BPM par Crédit Agricole Italia, avec parité déterminée selon la valorisation relative.
- OPA d’échange sur Banco BPM, réduisant la composante cash et facilitant la soutenabilité du capital.
- Montage hybride combinant numéraire et titres, afin d’ajuster la dilution et la flexibilité financière.
Le coût des capitaux propres en environnement de taux élevés et le traitement comptable de la participation de 20,1 % pèseront dans l’équation. À ce stade, ni Crédit Agricole ni Banco BPM n’ont commenté ces paramètres, conformément aux règles de confidentialité qui entourent ce type de discussions.
Une capitalisation autour de 7 milliards d’euros reflète la combinaison de la rentabilité actuelle liée à des marges d’intérêt encore élevées et des anticipations de normalisation des taux. Pour un initiateur, l’arbitrage se situe entre prime de contrôle, synergies tangibles et coût de l’intégration IT et RH. La soutenabilité des ratios prudentiels reste le point de passage obligé de tout montage.
Gouvernance, concurrence et régulateurs : une trajectoire sous conditions
La réussite du projet supposerait un alignement simultané de trois volets : gouvernance, concurrence, prudentiel. La gouvernance devra clarifier la répartition des responsabilités en Italie, le périmètre des centres de décision, et la cohérence des comités des risques.
Côté concurrence, des remèdes locaux pourraient s’imposer dans des zones où la densité d’agences créerait des positions fortes. Enfin, le pilier prudentiel exige l’accord des autorités compétentes, sans calendrier communiqué.
Sur le plan politique, le signal envoyé par Giancarlo Giorgetti est net : pas d’obstacle de principe, mais une application ferme de la loi, comme pour d’autres dossiers. Le retrait d’UniCredit de ses visées sur Banco BPM déleste le dossier d’un concurrent direct. Signe de confiance, les autorités italiennes ont amorcé le dialogue sur les engagements chiffrés de crédit aux PME, point central du compromis en gestation.
Cet environnement confirme une tendance de fond : la consolidation bancaire en Italie, déjà illustrée par des opérations antérieures, cherche à concilier solidité financière et ancrage local. Pour un groupe comme Crédit Agricole, présent dans toute la chaîne de valeur, l’équation consiste à croître sans perdre les signaux de proximité, ni entamer la qualité des fonds propres.
Trois familles de métriques méritent une vigilance particulière :
- Qualité d’actifs : évolution du coût du risque, exposition aux secteurs cycliques, migrations de notation.
- Capital : CET1 pro forma selon les différents scénarios d’intégration, gestion de la distribution de dividendes.
- Exécution : jalons réglementaires, rythme d’intégration IT, coûts de restructuration et économies récurrentes.
Prochaines étapes et variables décisives
Les discussions se poursuivent, centrées sur les engagements de crédit aux PME et le respect du cadre italien de golden power. Un accord de principe, s’il intervenait, ouvrirait un parcours d’autorisations auprès des autorités italiennes et européennes. À ce stade, aucune communication officielle des banques n’est venue confirmer le format ni le calendrier.
Sur le plan industriel, l’option d’une fusion au niveau italien reste la voie la plus lisible. Elle tirerait parti des actifs existants, à commencer par Agos, et d’une base capitalistique déjà en place à 20,1 %.
La suite dépendra d’un équilibre subtil entre acceptabilité politique, préservation des ratios et promesses chiffrées crédibles sur le financement de l’économie réelle. À suivre.