La société française Fabriq, spécialisée dans l’optimisation industrielle par le biais d’une solution SaaS, vient de dévoiler une levée de 22 millions d’euros. Derrière ce choix de financement, on retrouve notamment Expedition Capital, un acteur du private equity, et l’investisseur historique OSS Ventures. L’objectif : accélérer l’expansion internationale, tout particulièrement aux États-Unis, tout en conservant un modèle économe et rentable.

Une dynamique marquée par l’efficience opérationnelle

Depuis sa fondation en 2019, Fabriq se présente comme un partenaire clé des industries en quête de plus de performance. L’entreprise a placé au cœur de son dispositif une plateforme collaborative : chaque utilisateur peut identifier, résoudre et documenter des obstacles quotidiens dans le flux de production. Cette approche, qui se rattache à des méthodologies inspirées du « lean », outille déjà plus de 600 sites dans 43 pays et compte, parmi ses références, des groupes français et internationaux tels que Safran, Renault, LVMH, Merck et Airbus.

Derrière ce succès, on retrouve une vision : faire gagner en réactivité des chaînes de production à grande échelle, sans pour autant s’engager dans une course à la massification des moyens. C’est d’ailleurs dans cette perspective que Fabriq a toujours mis l’accent sur l’optimisation de ses ressources, atteignant la rentabilité en 2024. Son expansion internationale s’est jusque-là opérée de manière organique, tirée par la force de ses clients multinationaux. Aujourd’hui, la société ambitionne de structurer davantage cette croissance à l’étranger.

Pour autant, ce nouveau financement de 22 millions d’euros ne doit pas être perçu comme un traditionnel tour de série B, comme le souligne l’équipe dirigeante. Fabriq a choisi un modèle qui flirte avec le capital-développement, tout en préservant une logique d’efficience et un ADN que l’on pourrait qualifier de « frugal ». Expedition Capital, de son côté, s’est spécialisé dans l’accompagnement de sociétés qui privilégient la robustesse opérationnelle, loin des stratégies visant l’hypercroissance à court terme. Dans la pratique, le soutien d’Expedition Capital vient donc compléter celui de OSS Ventures, déjà engagé auprès de Fabriq lors d’une précédente levée de fonds de 4 millions d’euros en 2022.

Le marché industriel, encore relativement en retard sur sa digitalisation, offre des marges de progression considérables. Pour Fabriq, répondre à la demande locale s’avère stratégique, tant les besoins de détection et de résolution d’anomalies sont immenses, que ce soit dans le secteur de l’aéronautique, de la chimie ou de l’agroalimentaire.

Bon à savoir sur Fabriq

Année de création : 2019
Rentabilité : exercice 2024 atteinte
Présence géographique : plus de 600 sites industriels dans 43 pays
Clients notables : Airbus, Renault, Merck, Safran, etc.
Levée de fonds : 22 millions d’euros en 2025
Objectif : renforcer la conquête internationale, notamment aux États-Unis.

Choix de financement : private equity plutôt que venture capital

Dans le paysage financier français, il est relativement courant d’associer la croissance des startups à des levées de capital-risque en série (Série A, Série B, etc.). Or, Fabriq a opté pour une voie différente. Selon les cofondateurs, ce tour n’est pas un « round » de venture capital tel qu’on l’entend classiquement. La logique diffère : l’orientation « private equity » ou « growth equity » consiste à parier sur une société déjà validée par le marché, capable de générer du profit et cherchant à accélérer sur certains axes clés (comme l’expansion géographique).

Ce type de financement correspond donc à un stade plus avancé où l’entreprise a fait preuve de sa solidité. L’enjeu n’est plus seulement d’innover, mais de renforcer la structure commerciale et d’augmenter son empreinte internationale. Dans le cas de Fabriq, Expedition Capital répond à cette exigence : apporter l’expérience et les capitaux nécessaires pour déployer des recrutements ciblés, ouvrir un bureau américain et adapter le produit aux spécificités du marché étranger.

Au fond, la philosophie de Fabriq se marie bien avec cette approche. Alors que d’autres entreprises privilégient des tours de table classiques afin de croître à un rythme effréné, la jeune pousse française dit clairement vouloir éviter « l’hypercroissance » à tout prix. Elle préfère miser sur une croissance maîtrisée, garante d’une certaine stabilité financière et d’une évolution organique. Cet esprit, souvent résumé par les termes « bootstrapping » ou « frugalité », a permis à Fabriq de ne pas multiplier les tours de table avant d’en arriver à cette levée. Les dirigeants soulignent d’ailleurs que le montant obtenu (22 millions d’euros) est assez proche de la trésorerie déjà disponible, ce qui témoigne du niveau de préparation financière en interne.

Le growth equity consiste à prendre des participations dans des entreprises déjà matures mais encore en phase de croissance. Les investisseurs ciblent des sociétés ayant fait la preuve de la pertinence de leur offre, cherchant à se renforcer sur des marchés internationaux ou de nouveaux segments.

Si cette stratégie était autrefois moins répandue en France, elle se développe de plus en plus dans l’Hexagone, particulièrement pour soutenir des pépites technologiques ou industrielles déjà rentables. Fabriq illustre cette tendance : un ADN d’efficacité, des bases solides et un ambitionnel plan d’expansion, autant d’éléments qui séduisent Expedition Capital.

L’histoire de Fabriq : de l’usine 4.0 à la digitalisation du quotidien

Pour comprendre la pertinence de cette levée, un détour par les origines de la startup s’impose. Créée en 2019, Fabriq s’est appuyée sur une conviction : la digitalisation industrielle ne doit pas se limiter aux seuls équipements ou machines à la pointe. L’enjeu réside plutôt dans l’adoption d’outils collaboratifs destinés à fluidifier le travail d’équipes opérationnelles en usine. L’idée première a donc été de numériser les méthodes issues du « lean management » : identifier rapidement les dysfonctionnements, consigner les plans d’action et suivre les résolutions en temps réel.

Rapidement, l’entreprise a perçu que tous les secteurs de l’industrie étaient concernés. Les lignes de production de l’agroalimentaire (Andros), de l’aéronautique (Safran, Airbus), de la parfumerie ou des cosmétiques (LVMH) et même de la pharmaceutique (Merck) partageaient le même besoin : optimiser l’exécution quotidienne. Le soutien d’OSS Ventures est venu accélérer la structuration de la solution et appuyer un premier déploiement à l’étranger.

Grâce à cette feuille de route, Fabriq est parvenue à se faire un nom non seulement en France mais aussi au-delà. Le fait que les entreprises clientes soient multinationales a facilité la propagation : une ligne de production à l’étranger, gérée par la maison-mère française, adoptait à son tour la plateforme. Pas à pas, la jeune pousse a démontré sa capacité à s’adapter aux contraintes locales et à atteindre la rentabilité, condition sine qua non pour aborder des objectifs d’expansion plus ambitieux.

Le lean management est une méthode née dans l’industrie automobile japonaise, visant à réduire tout gaspillage et à améliorer continuellement la production. On parle souvent de résoudre les "irritants" pour fluidifier les processus. La digitalisation proposée par Fabriq ambitionne de rendre ces outils plus accessibles et plus réactifs.

Parallèlement, Fabriq a su mettre en avant une forme de transparence opérationnelle, en offrant des indicateurs en temps réel. Les managers peuvent, par exemple, suivre les incidents survenus dans une chaîne de production à l’autre bout du globe. Cette visibilité facilite la prise de décision, rend les retours d’expérience plus rapides et, in fine, améliore la production.

Les raisons d’un marché industriel encore peu digitalisé

Malgré l’apparente effervescence autour de l’industrie 4.0, nombre de sites industriels français et étrangers demeurent sous-équipés en outils numériques. Le cofondateur de Fabriq rappelle qu’environ 20% seulement des chaînes de production sont dotées de solutions digitales pour gérer leur quotidien opérationnel. Les raisons sont multiples :

Culture managériale : dans beaucoup d’usines, les méthodes de résolution de problèmes reposent encore sur des supports papier et sur l’expérience orale transmise d’équipe en équipe.
Réticence au changement : certains opérateurs perçoivent l’informatisation comme une contrainte, craignant de perdre leur savoir-faire ou de devoir se plier à de nouveaux outils complexes.
Diversité des environnements : chaque usine a ses spécificités (taille, secteur, niveau d’automatisation), rendant parfois difficile la standardisation des solutions.
Ressources limitées : dans les PME industrielles, le budget alloué aux logiciels est restreint, surtout si la compétitivité se joue sur des marchés mondiaux.

Dans ce contexte, Fabriq a voulu proposer un outil qui s’intègre aisément dans le quotidien : une interface intuitive, accessible sur tablette ou smartphone, permettant aux équipes de consigner rapidement un souci, d’envoyer une alerte et de communiquer sur les actions correctrices. Cette simplicité d’usage se révèle être un facteur clé d’adoption.

Bon à savoir : l'industrie 4.0 en France

Enjeux majeurs : compétitivité, montée en gamme, réindustrialisation partielle
Freins : manque de personnel formé au numérique, coûts d’investissement
Opportunités : croissance de la "smart factory", réduction des coûts d’exploitation grâce au digital
État des lieux : la France souhaite combler son retard dans l’adoption des technologies 4.0.

Le grand pari de Fabriq est donc de s’attaquer à un segment à fort potentiel d’amélioration, où les gains de productivité peuvent se révéler considérables pour chaque ligne de production. Le fait de couvrir déjà plus de 600 sites démontre l’attractivité de la solution et la capacité à convaincre des entreprises de taille variée. De plus, l’appui des investisseurs permet de rassurer sur la viabilité financière à long terme.

Accélération aux États-Unis : une étape décisive

Parmi les objectifs majeurs de la levée de fonds, l’implantation aux États-Unis occupe une place prépondérante. Fabriq évoque notamment l’ouverture d’un bureau à Boston, un choix stratégique compte tenu de l’importance de la région du Nord-Est dans l’industrie pharmaceutique, mais aussi dans l’aéronautique et l’agroalimentaire. L’entreprise ambitionne d’y recruter des équipes commerciales et techniques, capables d’accompagner rapidement les clients locaux.

Les États-Unis représentent déjà le deuxième marché de Fabriq, derrière la France. Cet ancrage n’est pas le fruit du hasard. Les multinationales clientes de Fabriq disposent souvent d’implantations sur le sol américain. Lorsque le headquarter est satisfait de la solution, il peut décider de la déployer au niveau mondial. À l’inverse, si les filiales locales sont convaincues, elles peuvent promouvoir l’outil auprès de la maison-mère.

L’enjeu consiste à adapter le discours et la solution aux spécificités américaines. En effet, les process industriels aux États-Unis peuvent différer de ceux en vigueur en Europe, tant sur le plan réglementaire que culturel. Fabriq devra aussi composer avec la vive concurrence d’autres outils. Toutefois, le potentiel est immense : l’industrie américaine demeure l’une des plus grandes au monde, et de nombreux sites hésitent encore à franchir le pas de la transformation digitale.

Boston est réputée pour son écosystème innovant dans la high-tech et la biotech. La proximité de grandes universités (Harvard, MIT) favorise la R&D, et la région attire des talents internationaux. Pour une société comme Fabriq, s’y implanter signifie disposer d’un vivier de compétences et d’opportunités commerciales sur la côte Est américaine.

Sur le plan financier, ouvrir des bureaux aux États-Unis implique des coûts salariaux plus élevés et un besoin d’adaptation aux normes locales (juridiques, fiscales). Le tour de financement actuel doit donc couvrir une partie de ces dépenses, tout en laissant un « matelas de sécurité » pour faire face à d’éventuelles fluctuations de marché. Les dirigeants de Fabriq insistent toutefois sur leur volonté de retrouver l’équilibre rapidement, sans se précipiter dans une hypercroissance dictée par la seule injection de capital.

Ce positionnement reflète un équilibre recherché : devenir un acteur majeur aux États-Unis, mais en conservant l’ADN d’une structure orientée vers la rentabilité. En clair, pas question de multiplier les effectifs uniquement pour gagner des parts de marché. Fabriq compte s’appuyer sur les retours concrets de ses partenaires sur place pour affiner sa stratégie de déploiement, quitte à avancer par étapes.

Les coulisses de la levée de 22 millions d’euros

Pour réunir une telle somme, Fabriq a pu compter sur son investisseur historique OSS Ventures, engagé dès les débuts de l’aventure. Ce partenaire, focalisé sur l’essor de projets industriels, a réitéré sa confiance dans la startup. À ses côtés, Expedition Capital fait son entrée en tant que principal nouvel actionnaire. L’opération a été pensée pour allier capacité financière et alignement de valeurs.

Les contours de cette levée sont révélateurs : Fabriq souhaitait un fonds apte à accompagner une société qui n’a pas fait le choix des tours de tables successifs. C’est là qu’Expedition Capital se distingue. Son profil d’investisseur, plus proche du « growth equity » que du « venture capital », convenait parfaitement à Fabriq, qui se positionne désormais entre la PME rentable et la scale-up ambitieuse.

D’autres paramètres ont influé sur la décision : la valorisation de l’entreprise (restée confidentielle), la flexibilité quant au calendrier de sortie des investisseurs et la volonté de préserver la culture interne. En effet, Fabriq tient à conserver un management proche de ses équipes, tout en injectant suffisamment de moyens pour soutenir la R&D. La somme obtenue offrira également plus de latitude pour conclure des partenariats stratégiques avec des intégrateurs ou d’autres éditeurs de logiciels industriels.

La startup avait levé, en 2022, un montant de 4 millions d’euros. Même si cette précédente opération reste modeste par rapport aux standards du secteur, elle avait suffi à lancer le déploiement de Fabriq et à faire ses preuves auprès des industriels. Ce nouveau financement est donc d’une ampleur nettement supérieure et doit contribuer à faire grandir la notoriété de la solution à l’échelle internationale.

En interne, l’équipe prévoit de presque doubler ses effectifs, passant d’une centaine de collaborateurs à plus de 200 d’ici deux ans. Plusieurs départements seront concernés : le service commercial, le support client et le développement produit. Malgré cette montée en puissance, Fabriq entend maintenir un équilibre financier, en visant un retour à la rentabilité à l’horizon 2027-2028. Les fluctuations du marché international, la variation des coûts salariaux aux États-Unis et l’évolution du taux de change euro-dollar comptent parmi les principaux facteurs à surveiller.

Nouvelles perspectives pour l’industrie et pour Fabriq

Au-delà de la simple levée de fonds, Fabriq offre une perspective plus large sur la transformation de l’industrie française et internationale. Pendant longtemps, la priorité a été d’automatiser les lignes de production, d’investir dans des robots et des capteurs connectés. Or, la dimension humaine demeure fondamentale. Les opérateurs et les managers doivent encore gérer des problèmes quotidiens, coordonner les équipes et tracer les incidents. La digitalisation de ces aspects managériaux est souvent reléguée au second plan, alors qu’elle représente une source considérable d’amélioration continue.

Le modèle de financement choisi par Fabriq illustre aussi la diversification des outils financiers accessibles aux jeunes pousses françaises. Plutôt que de recourir à des fonds de venture capital, où la pression pour un rapide retour sur investissement est parfois élevée, certains entrepreneurs préfèrent s’associer à des structures de growth equity. Cette approche les incite à bâtir une entreprise plus solide et moins dépendante d’investisseurs successifs.

En termes de perspectives, si Fabriq parvient à s’imposer aux États-Unis, elle pourrait devenir un exemple d’entreprise française passant du statut de simple pépite nationale à celui d’acteur global. L’écosystème industriel américain est souvent perçu comme difficile à conquérir, mais les avantages en cas de succès sont énormes. De plus, la crédibilité acquise sur ce marché peut favoriser un rayonnement plus large en Europe et en Asie.

La jeune pousse devra néanmoins veiller à ne pas diluer son identité. Les retours d’expérience montrent que les entreprises à succès ont su trouver le bon dosage entre investissement en R&D, croissance des effectifs et attention portée aux clients historiques. Dans cette optique, la décision de boucler une levée de fonds axée sur la croissance mais pragmatique fait sens. Le plan d’action se veut progressif : renforcer la plateforme existante, ajouter de nouvelles fonctionnalités orientées vers les opérateurs, et entamer l’aventure américaine sur des bases solides.

En somme, Fabriq symbolise une voie singulière dans l’industrie 4.0, celle d’une expansion maîtrisée, soutenue par un private equity ciblé, au service d’une digitalisation pragmatique et rentable.