Le 12 juin 2025, Expliseat a levé 36 millions d’euros pour franchir un cap industriel et accélérer sa conquête de l’Amérique du Nord.

Une injection de capital synonyme de changement de dimension

36 M€ : un palier rarissime pour une PME aéro française. Le tour de table réunit Crédit Mutuel Innovation, le fonds SPI de Bpifrance, Supernova Invest, Swen Capital, ainsi que les acteurs historiques BNP Paribas Développement, GO Capital et NCI. Outre l’accélération de la cadence angevine, le financement servira à l’industrialisation d’une gamme premium, à la constitution d’un réseau mondial MRO et à l’implantation durable aux États‑Unis.

Chiffres clés de la levée

  • 36 M€ injectés
  • 90 % du CA déjà réalisés à l’export
  • 32 000 sièges/an de capacité
  • 100+ brevets
  • 50 M€ de carnet de commandes

Genèse d’une success‑story : de la start‑up de 2011 à la PME 4.0

Lancée en 2011 par trois ingénieurs aéronautiques, Expliseat a fait sensation avec le TiSeat 1, premier siège 100 % composite titane‑carbone pesant à peine 4,6 kg par passager. Les jalons suivants, certification EASA/FAA, première commande Air France (2015), usine pilote d’Avrillé (2020), ont consolidé l’expertise interne et le portefeuille brevets. Aujourd’hui l’entreprise emploie 150 salariés entre Paris et Angers et revendique des clients sur quatre continents.

• 2011 : création • 2014 : premier vol commercial • 2018 : 50ᵉ brevet • 2020 : ouverture ligne pré‑série • 2023 : entrée du fonds SPI • 2024 : usine 4.0 d’Angers • 2025 : levée record de 36 M€.

Un marché mondial de 11 milliards $ à l’horizon 2030

Le segment des sièges d’avion connaît une croissance annuelle moyenne estimée à 6,5 % entre 2024 et 2030, pour atteindre 11,44 milliards USD en fin de période, tiré par le renouvellement des monocouloirs et la montée en gamme des classes intermédiaires. Les low‑cost privilégient la densité, tandis que les majors misent sur le confort : le poids reste, dans les deux cas, l’arbitre du coût‑siège‑kilomètre.

Tendance marché 2024‑2030

D’après Grand View Research, le marché sièges croît de 6,5 %/an : Europe 22 %, Amérique du Nord 30 %, Asie‑Pacifique 35 % de la demande d’ici 2030.

Ingénierie du TiSeat : quand la R&D française mise sur la légèreté

Carbone tissé, inserts titane imprimés 3D et mousses modifiées polyéther‑imide composent l’architecture du TiSeat 2X. Chaque siège économise jusqu’à 1,8 t de CO₂ sur la durée de vie d’un ATR 72. La fiabilité est garantie par des tests feu‑fumée 12 secondes et des essais de crash 16 g, dépassant les normes FAR 25.562.

Pré‑imprégné : tissu carbone + résine époxy pré‑dosée.
RTM : moulage par transfert de résine, cycle 45 min.
PEEK : polymère haute perf, remplace l’aluminium sur les ferrures.

Angers : la « smart factory » au cœur de l’industrialisation

Le site angevin de 6 000 m², inauguré en 2024, intègre robots de perçage collaboratifs, AGV pour la logistique interne et jumeau numérique pour la traçabilité pièce‑à‑pièce. L’objectif 2026 : un takt time de 11 minutes par triple‑shipset, soit 24 000 sièges/an sur deux lignes parallèles. Les flux sont pilotés par un MES relié en temps réel à l’ERP SAP S/4HANA, garantissant un taux de rebut inférieur à 0,2 %.

Offensive nord‑américaine : hub montréalais et vitrine MRO

90 % du chiffre d’affaires provient déjà de l’export. Montréal sert de tête de pont commerciale : proximité d’Air Canada, écosystème Aéro‑Montréal, accès à une main‑d’œuvre bilingue et subventions Investissement Québec. La présence locale facilite aussi la certification Transport Canada et les partenariats MRO (StandardAero, KF Aerospace).

• Flotte régionale : 3 650 appareils • Âge moyen : 12 ans • Cycle de retrofit siège : 6‑7 ans • Potentiel : 155 000 sièges/an.

Environnement réglementaire : Fit for 55, SAF et efficacité énergétique

Depuis janvier 2025, le règlement ReFuelEU impose 2 % de SAF dans tout kérosène vendu dans l’UE, quota porté à 6 % en 2030 et 70 % en 2050. Alléger la cabine reste la mesure la plus immédiate pour compenser le surcoût du SAF, trois à cinq fois plus cher que le kérosène. Les sièges ultralégers d’Expliseat répondent donc à la double exigence économique et environnementale.

ReFuelEU Aviation en bref

  • 2 % de SAF dès 2025
  • 6 % en 2030 • 63 % visé en 2050
  • Subvention e‑fuel : jusqu’à 6 €/l.

Investisseurs publics & privés : un cas d’école France 2030

Le fonds SPI (1,8 Md€) ne finance que des actifs industriels situés en France et brevetés localement, condition respectée par Expliseat. Crédit Mutuel Innovation, déjà au capital de startups comme Ynsect ou Devialet, apporte son expertise scale‑up. Ce mix capitaux publics/privés illustre la stratégie France 2030 : créer des ETI industrielles souveraines et exportatrices.

• Ticket moyen : 15‑60 M€ • Durée d’investissement : 7 ans • Exits : IPO ou cession industrielle • Sociétés cibles : deep‑tech à forte intensité capitalistique.

Diversification : rail, bus électriques et intermodalité verte

Expliseat transpose sa coque carbone au rail grande vitesse (TGV 2028) et aux bus interurbains électriques. Selon la SNCF Voyageurs, le parc français compte 600 000 sièges à renouveler d’ici 2030 : même 3 % de parts suffiraient à générer 12 M€ annuels. Le fauteuil SITaeris, développé avec Gen Phoenix, promet un gain de masse de 20 kg par rangée.

Concurrence : la bataille du gramme face à Recaro et Safran Seats

Recaro a dévoilé en novembre 2024 le modèle R3 (économie long‑courrier) à 2 kg de moins que la génération précédente, misant sur un dosseret composite et une tablette 17 po. Safran Seats expérimente de son côté un concept « Signature » sans inclinaison pour réduire les mécanismes. Face à ces mastodontes (chiffre d’affaires > 2 Md€), Expliseat se différencie par une structure intégralement composite, quand ses concurrents restent sur du métal hybride.

Risques, défis et plans de mitigation

Deux points noirs persistent : la dépendance aux résines époxy asiatiques (40 % du coût matière) et l’exposition au taux EUR/USD sur les ventes nord‑américaines. Pour y répondre, Expliseat négocie des contrats long‑terme avec Hexcel (Utah) et envisage de couvrir 70 % de son flux dollar via forwards trois ans. Autre défi : la montée en cadence (ramp‑up). L’entreprise prévoit une seconde ligne d’assemblage semi‑automatisée mi‑2026 afin de sécuriser un TRL9 avant l’arrivée de nouveaux clients US.

Ce que l’essor d’Expliseat signifie pour l’aéronautique française

En intégrant des matériaux composites en série dans la cabine, la PME démontre la capacité de l’industrie française à maîtriser la chaîne carbone de bout en bout : recherche, production, services. Elle dynamise le tissu local (sous‑traitance Carbone Savoie, outillages Dedienne Aerospace) et sert de vitrine à l’international, influençant la perception de la French Tech comme hard‑tech nation. À terme, son succès pourrait inspirer un cluster « Lightweight Valley » dans le Grand Ouest.

Au croisement de la décarbonation, de l’innovation matérielle et d’une politique industrielle affirmée, Expliseat incarne la renaissance d’un savoir‑faire français compétitif sur le marché aéronautique mondial.