Cap sur la souveraineté énergétique ! Le 24 juin 2025, Entech Smart Energies a officialisé la levée de 15 millions d’euros par émission d’obligations convertibles souscrites par Eiffel Investment Group et Vatel Capital. Décryptage détaillé d’une opération qui conjugue financement compétitif, ambition industrielle et cadre légal pointu.

Chronologie de l’opération et profil des souscripteurs

Le Conseil d’administration du 17 juin 2025 a voté l’émission de 1 428 573 obligations convertibles (OC) à valeur nominale de 10,50 €. Immédiatement après, un contrat a été signé pour deux tirages :

  • Tranche 1 (12 M€) libérée dès le 24 juin ;
  • Tranche 2 (3 M€) exigible d’ici le 31 juillet 2025.

Eiffel Investment Group, maison de gestion parisienne de plus de 5 milliards d’actifs, prend 8 M€. Vatel Capital, spécialiste du non‑côté et des dispositifs fiscaux (FCPI, FIP), investit 7 M€. Leur historique commun avec Entech date de l’IPO 2021 : les deux maisons figuraient déjà parmi les premiers actionnaires institutionnels.

Ingénierie financière : convertir la dette en levier de croissance

Pourquoi préférer une OC ? Coût et flexibilité. Le coupon fixe de 5 % se situe en dessous du taux moyen des prêts mezzanine (7‑9 %) observé chez les développeurs d’énergies renouvelables. Entech différera la dilution puisque la conversion n’est envisageable qu’à 10,50 €, soit +39,6 % au‑dessus du cours de clôture de 7,52 € le 24 juin 2025. Les actionnaires existants conservent donc, à court terme, l’intégralité de leur pouvoir de vote.

Une obligation convertible est un titre de créance rapportant des intérêts réguliers. À l’échéance, ou dans des fenêtres prédéfinies, elle peut être échangée contre des actions nouvelles selon une parité fixée à l’émission. Ainsi, le porteur cumule sécurité du coupon et droit d’accéder au capital s’il anticipe une hausse du cours.

Mécanique de la prime de non‑conversion : un garde‑fou rémunérateur

Si les détenteurs choisissent de rester créanciers jusqu’en décembre 2029, ils percevront une prime de non‑conversion capitalisée de 5,5 % l’an. Cette composante accroît le rendement interne brut à environ 6,3 % sur la durée de vie théorique, un niveau compétitif eu égard au rating non noté d’Entech et à l’absence de sûretés.

Chaque trimestre, la prime court sur le nominal non converti ; elle est ensuite capitalisée. En cas de remboursement anticipé ou à maturité, elle devient exigible in fine, s’ajoutant au coupon et à une pénalité de 4 % du principal lorsqu’Entech rembourse avant terme.

Répercussions sur la structure de capital

Le capital social actuel est divisé en 14 678 447 actions de 0,20 € de valeur nominale, soit un capital de 2 935 689,40 €. L’exercice intégral des OC créerait 1 428 573 actions nouvelles ; la participation d’un actionnaire détenant 1 % passerait à 0,91 %. Cependant, l’injection de 15 M€ fera grimper les capitaux propres avant même toute dilution, comme l’illustre la projection officielle :

Quote‑part des capitaux propres (25 619 197 € au 31/12/2024)

Valeur par action (€)

Avant émission

1,75

Après émission, avant conversion

2,77

Après conversion totale

2,52

La valeur comptable unitaire bondit donc de 45 % à la souscription, puis se stabilise 44 % plus haut que le niveau pré‑opération, même après dilution maximale.

Analyse économique : arbitrage entre dette, equity et OC

Dans un schéma classique, Entech pouvait :

  • Contracter un prêt corporate à 7 %, taux variable ;
  • Émettre immédiatement des actions nouvelles avec une décote de marché d’environ 20 % ;
  • Lancer une OC hybride, solution retenue.

En net, le coût moyen pondéré du capital (WACC) d’Entech chute de près de 90 pb selon nos estimations : déductibilité fiscale du coupon (taux IS 25 %) + absence de sûretés = 4 % après impôt. À long terme, si la conversion intervient, l’effet d’aubaine se portera sur la valeur d’entreprise plutôt que sur le résultat net, réduisant la pression sur le cash‑flow.

Plan stratégique 2029 : cap sur le modèle “battery as a service”

Energy & Services deviendra la troisième jambe du groupe, aux côtés de l’intégration de centrales solaires pour compte de tiers et de la fabrication de convertisseurs. Les fonds serviront à :

  1. Développer, détenir et exploiter des SPV photovoltaïques en France et dans quatre pays européens prioritaires.
  2. Installer des batteries intelligentes pilotées par un EMS propriétaire, optimisant la vente sur le marché de l’énergie et les services système.
  3. Cofinancer des acquisitions de parcs existants affichant un TRI cible > 11 %.

Entech table sur un effet de levier via dette senior bancaire (ratio dette projet/fonds propres : 65/35) pour maximiser la rentabilité des 15 M€ injectés.

Baromètre français du stockage

RTE recense 1,2 GW de capacités batteries installées fin 2024. La programmation pluriannuelle de l’énergie vise 6,5 GW en 2030. Le marché pourrait atteindre 4 milliards d’euros d’investissements cumulés.

Réglementation française : article L. 411‑2 et suppression du DPS

L’opération s’insère dans le cadre de la délégation conférée par la dixième résolution de l’Assemblée générale mixte du 17 juin 2025. L’offre est qualifiée d’« offre visée » au sens du 1° de l’article L. 411‑2 du Code monétaire et financier, ce qui dispense Entech de prospectus approuvé par l’AMF tant que la souscription reste réservée à des qualified investors.

La suppression du droit préférentiel de souscription (DPS) est autorisée si la dilution reste raisonnable ; ici, elle s’établit à 8,9 %. Le Haut Comité Juridique de la Place de Paris considère qu’en‑dessous de 20 %, la protection des actionnaires minoritaires demeure satisfaisante.

Paysage français des obligations convertibles en 2024‑2025

L’Association française des marchés financiers (AMAFI) note une progression de +34 % des volumes d’OC entre mai 2024 et mai 2025, pour atteindre 1,8 milliard d’euros. Les énergies renouvelables concentrent six transactions sur dix. Neoen (750 M€), Voltalia (100 M€) ou Albioma (200 M€ avant OPA) ont ouvert la voie. Entech innove toutefois par le premium de conversion élevé et par l’utilisation d’un ticket relativement modeste mais stratégique.

Tour d’horizon des investisseurs partenaires

Eiffel Investment Group : société de gestion fondée en 2008, elle opère un large éventail de fonds mezzanine et infrastructure. Son fonds Eiffel Essentiel financera partiellement Entech ; il est spécialisé dans la transition énergétique. Rendement recherché : 6‑8 % annualisé.

Vatel Capital : gestionnaire de 650 M€ d’encours, connu pour ses stratégies éligibles IR/IFI. Son FPCI Vatel Transition pourra conserver les OC jusqu’à conversion, faisant levier sur la fiscalité de la plus‑value non distribuée.

Risque crédit et garde‑fous contractuels

Les OC d’Entech ne comportent aucune sûreté ni covenant financier. Les porteurs se protègent via le coupon, la prime de non‑conversion et la pénalité de 4 % en cas de remboursement anticipé par la société à partir du 1er janvier 2027. En cas de défaut, la parité de conversion s’ajuste : nominal divisé par la moyenne pondérée des trois dernières séances, moins 30 % de décote, ce qui dote l’obligataire d’un mécanisme anti‑crash.

Retour d’expérience : comparaison avec Neoen et Voltalia

Neoen a levé 750 M€ d’OC en juin 2024, coupon zéro mais prime de conversion de 55 %. Voltalia, elle, a privilégié un coupon à 1 % pour 100 M€, conversion à +70 %. Le choix d’Entech, plus petite capitalisation, équilibre rendement sécurisant et prime raisonnable. L’historique montre que 80 % des OC du secteur se convertissent avant maturité dès lors que le sous‑jacent gagne plus de 25 %.

Perspectives boursières et valorisation potentielle

Au 30 juin 2025, Entech capitalise 110 M€. Si l’ensemble des OC sont converties, la capitalisation théorique (dilutive) grimpe à 125 M€, mais le cash net augmente parallèlement. En appliquant un multiple EV/EBITDA cible de 12× (moyenne des comparables solaires cotés en Europe), l’upside semble supérieur à 30 % à horizon 24 mois selon nos calculs internes, hors nouveaux projets.

Rappel comptable

Les obligations convertibles sont scindées en deux composantes lors de la comptabilisation IFRS : passif financier pour la valeur actualisée des flux de coupon ; capitaux propres pour l’option de conversion (méthode IAS 32).

L’histoire d’Entech : de la spin‑off universitaire à l’acteur industriel

Créée en 2016 à Quimper par Christopher Franquet (ingénieur ENIB) et Laurent Meyer, Entech s’est d’abord spécialisée dans l’électronique de puissance appliquée aux micro‑réseaux insulaires. Entre 2016 et 2020, elle enregistre 200 projets dans 14 pays. L’introduction en Bourse d’octobre 2021 (25 M€ levés) finance l’extension de l’usine bretonne pour porter la capacité annuelle à 1 GWh de systèmes de stockage.

En 2024, le chiffre d’affaires atteint 35,2 M€ (+27 %), marqué par l’installation de convertisseurs 1,5 MW sur l’île de La Réunion et par l’entrée sur les marchés polonais et australien. Désormais, le segment Energy & Services vise un EBITDA > 20 % à l’horizon 2029.

L’OC de 15 M€ offre à Entech le carburant pour déployer ses batteries intelligentes, tout en maintenant la confiance des investisseurs grâce à un montage équilibré entre rendement fixe et création de valeur future.