Alors qu’un grand nombre de maladies chroniques peinent encore à trouver des solutions de suivi à domicile, la jeune pousse Ensweet vient d’annoncer une levée de fonds de 3 millions d’euros destinée à faire émerger une nouvelle ère de “télémédecine active”. L’ambition de cette MedTech basée dans les Hauts-de-France ? Proposer un programme complet de réadaptation cardiaque à domicile, supervisé par des experts, pour toucher 60 000 patients par an d’ici cinq ans.

Quand l’hôpital ne peut plus tout faire : des enjeux de saturation et de coûts

Dans le paysage sanitaire français, les établissements hospitaliers se retrouvent face à un paradoxe préoccupant : ils assurent des soins très techniques, capables de traiter des accidents cardiovasculaires aigus, mais peinent à suivre les patients une fois la phase critique passée. Pour ces derniers, la rééducation cardiaque est pourtant cruciale pour diminuer le risque de rechute et faciliter un retour à une vie normale.

Chaque année, plus de 100 000 personnes en France subissent un infarctus ou un épisode cardiaque sévère, et plus de 70 % d’entre elles se retrouvent exclues de tout protocole de réadaptation. Les raisons sont multiples : trop peu de places disponibles, contraintes géographiques, absence de solutions flexibles adaptées au rythme de vie des actifs ou des personnes isolées. Résultat : on néglige un levier qui permettrait pourtant 26 % de réduction de la mortalité et 18 % de baisse des réhospitalisations selon plusieurs études nationales et internationales.

Dans ce contexte, la télémédecine s’est souvent limitée à des consultations à distance, or l’enjeu réside aussi dans l’accompagnement actif pour éviter que l’hôpital ne soit submergé par des suivis qu’il ne peut plus absorber. Sur le plan économique, la charge des affections de longue durée (ALD) cardio-vasculaires reste très lourde pour la Sécurité sociale. Les mutuelles tentent elles aussi d’innover en soutenant des solutions plus souples et moins coûteuses que l’hospitalisation prolongée. De ce point de vue, l’initiative d’Ensweet s’inscrit parfaitement dans la tendance actuelle : développer des modèles hybrides, où le patient bénéficie d’un accompagnement robuste sans nécessiter un hébergement en centre spécialisé.

Par “réadaptation cardiaque”, on désigne un programme complet associant réentraînement à l’effort, éducation thérapeutique et suivi diététique. L’objectif est de minimiser les risques de complications et de permettre à la personne de retrouver une autonomie optimale dans ses activités quotidiennes.

Un nouveau modèle de télémédecine : du passif à l’actif

La plupart des dispositifs de télémédecine existants prennent la forme de consultations vidéo ou d’échanges de données (télé-suivi). Or, la start-up Ensweet veut franchir un cap : combiner le diagnostic distant avec une véritable pratique encadrée d’activités physiques, de tests réguliers et d’accompagnement diététique, en partenariat avec les cardiologues.

L’idée n’est donc pas de se substituer totalement aux structures hospitalières, mais de leur offrir un prolongement cohérent en dehors de leurs murs. Ce passage du “passif” (échanges d’informations, surveillance) à l’“actif” (exercices, ajustement en temps réel, réévaluation de l’effort) est au cœur de la stratégie d’Ensweet. D’après les fondateurs, rendre le patient plus autonome dans sa rééducation est à la fois un gage d’efficacité thérapeutique et une manière de contenir la dépense publique de santé.

L’approche se veut hybride : au cas par cas, le patient peut débuter sa réadaptation directement chez lui s’il présente un faible risque, ou bien entamer un protocole à l’hôpital pour basculer ensuite en mode “domicile” si sa situation est jugée moins critique. Le tout est piloté par une application mobile, complété par une plateforme de coordination pour les soignants et un kit (capteurs, vélo d’appartement, etc.) que l’utilisateur peut installer chez lui.

Ensweet, l’émergence d’un acteur régional ambitieux

Créée en 2021 par Fabien Watrelot dans les Hauts-de-France, Ensweet occupe une place de plus en plus visible sur la scène des MedTech. À l’origine, la start-up s’est concentrée sur l’univers de la cardiologie, forte d’un constat : la majorité des patients post-infarctus ne bénéficie pas d’un accompagnement régulier. L’enjeu pour Ensweet était donc de proposer une méthodologie adaptée et validée médicalement, afin de garantir des résultats tangibles.

Ceux qui ont rejoint l’aventure au tout début évoquent la “colonne vertébrale” de la solution : une app intuitive pour le patient, une coordination soignante simple à prendre en main, le tout relié à des capteurs biométriques précis. Cette triple articulation vise une chose : personnaliser le parcours de soin et limiter les déplacements en établissement. L’essor du télétravail et le développement des consultations à distance ont offert un contexte favorable à cette initiative, mais Ensweet a souhaité aller plus loin en proposant un volet “rééducation” poussé, parfaitement planifié et traçable.

Bon à savoir : l’histoire d’Ensweet

Ensweet a été fondée dans les Hauts-de-France par des professionnels de santé et du numérique qui ont uni leurs forces pour proposer un service de téléréadaptation cardiaque “clés en main”. Leur conviction était que le recours à la technologie, associé à une supervision médicale active, pouvait démocratiser un programme souvent jugé trop lourd.

En l’espace de deux ans, la jeune pousse a multiplié les expérimentations pilotes avec plusieurs centres de réadaptation. L’accueil a été plutôt positif, notamment chez les patients qui ne pouvaient pas s’absenter plusieurs semaines de leur travail ou de leurs obligations personnelles. Selon les données internes d’Ensweet, 30 % des utilisateurs ayant testé le programme en cours de déploiement ont pu reprendre une activité professionnelle sans incident. Cette performance a intrigué des financeurs en quête de projets à impact.

Un tour de table à 3 millions d’euros : investisseurs et perspectives financières

Pour amorcer son changement d’échelle, Ensweet vient de finaliser un tour de financement de 3 millions d’euros auprès de plusieurs acteurs financiers tels que Mutuelles Impact (XAnge), AG2R LA MONDIALE, Angels Santé, Nord France Amorçage, 50 Partners, Finovam 2, makesense et des business angels spécialisés dans la santé. Cette levée “Seed” vise notamment à :

  • Renforcer les équipes technologiques et médicales,
  • Industrialiser la production de kits de suivi connectés,
  • Consolider la recherche clinique pour obtenir des validations reconnues.

En France, l’accès à la télémédecine se structure progressivement autour de plusieurs modèles de remboursement (téléconsultation, télé-expertise, etc.). Les MedTech, elles, ont plus de difficultés à obtenir des financements publics récurrents, car il leur faut prouver l’impact économique et social de leurs dispositifs. Grâce à ces 3 millions d’euros, Ensweet souhaite multiplier les partenariats avec les établissements hospitaliers, mais aussi convaincre la Haute Autorité de Santé (HAS) du bien-fondé de sa technologie, dans l’optique d’une prise en charge élargie.

Cette opération financière réaffirme l’intérêt croissant des fonds à impact pour des solutions de santé digitales et concrètes, capables de faire bouger les lignes du parcours de soins. Pour Ensweet, la prochaine étape cruciale sera d’obtenir l’adhésion de la communauté médicale, puis de négocier des modalités de remboursement qui rendent le service accessible à tous.

Une levée de fonds “Seed” correspond à la première phase de financement après la création d’une jeune entreprise. Elle permet de finaliser un produit, d’assembler une équipe robuste et d’établir une preuve de concept solide. C’est un moment décisif pour les start-up, car il conditionne leur crédibilité sur le marché.

De la flexibilité au quotidien : le kit de téléréadaptation

Le dispositif imaginé par Ensweet repose sur une logique modulaire. Chaque patient reçoit un ensemble d’équipements incluant un vélo d’appartement connecté et différents capteurs (cardiofréquencemètre, tensiomètre, etc.). L’application dédiée fournit un programme personnalisé d’exercices et un suivi des performances au jour le jour. Les données sont transmises à une plateforme de coordination où les professionnels peuvent adapter le protocole en direct.

Cette adaptabilité est particulièrement appréciée des personnes géographiquement éloignées des centres ou ayant des contraintes familiales et professionnelles. Elle ne dispense pas de contacts réguliers avec un cardiologue ou un médecin du sport, mais réduit considérablement le nombre de déplacements. Sur le plan financier, cela se traduit par des coûts moindres pour le patient et pour la collectivité (diminution des transports sanitaires, moins de mobilisation de lits hospitaliers).

Dans la pratique, l’utilisateur peut, par exemple, réaliser plusieurs séances d’exercices par semaine, se connecter à l’application pour signaler un ressenti inhabituel ou consulter un guide nutritionnel. Les soignants reçoivent en temps réel des alertes en cas de valeurs préoccupantes (ex. tension artérielle trop élevée). En cas de signe d’alerte, un bilan plus poussé peut être organisé au centre de réadaptation partenaire ou auprès d’un cardiologue en libéral.

Bon à savoir : une sécurité numérique

Les données de santé collectées par Ensweet sont soumises au RGPD et au cadre de l’hébergement agréé des données de santé en France. L’entreprise travaille en lien avec des hébergeurs certifiés HDS (Hébergement de Données de Santé) afin de garantir un niveau de protection maximal et de respecter les obligations légales en vigueur.

Le cadre juridique et l’attente des financeurs

En France, la télémédecine est reconnue depuis la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009 et intégrée au Code de la santé publique. Pourtant, la rééducation à distance, et plus spécifiquement la “téléréadaptation active”, soulève des questions de validation officielle et de prise en charge par l’Assurance Maladie. Pour s’implanter à grande échelle, Ensweet devra clarifier ces aspects réglementaires et convaincre les tutelles que son modèle est à la fois sécurisé et efficace.

Côté financeurs, l’objectif est de réduire la facture globale. Le maintien d’un patient en centre de soins de suite et de réadaptation coûte cher : frais de séjour, mobilisation du personnel, repas, etc. En délocalisant une partie de ce suivi vers le domicile, on économise potentiellement des milliers d’euros par prise en charge. Les mutuelles et les organismes de prévoyance y voient un intérêt majeur, tout comme la Sécurité sociale.

Selon les projections d’Ensweet, la moitié des personnes atteintes de cardiopathies nécessitant une réadaptation pourraient, dans les cinq prochaines années, opter pour un suivi à domicile. Cela pourrait non seulement soulager les structures hospitalières, mais aussi apporter une réponse de proximité aux zones rurales ou sous-dotées en spécialistes. Reste à franchir l’étape réglementaire pour que l’Assurance Maladie formalise un barème de remboursement ou une prise en charge forfaitaire.

Chaque année, l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) fixe la trajectoire des dépenses de santé. Les innovations médico-économiques doivent prouver leur impact positif pour être intégrées au dispositif de remboursement.

Industrialisation et extension européenne : les priorités stratégiques

Portée par ses nouveaux capitaux, Ensweet entend passer de quelques centaines de patients supervisés à 60 000 par an d’ici cinq ans. Pour y parvenir, la start-up mise sur :

  • L’industrialisation du kit de téléréadaptation (objectif : baisse des coûts de fabrication),
  • La multiplication des centres partenaires dans l’Hexagone,
  • La mise en place de protocoles standardisés reconnus par les autorités de santé,
  • Un déploiement graduel en Europe (d’abord pays francophones, puis marchés plus vastes).

Dans son plan de marche, Ensweet vise deux jalons majeurs en 2026 :

  1. Début 2026 : inscription du modèle hybride (hôpital + domicile) dans les protocoles de réadaptation des centres spécialisés,
  2. Fin 2026 : remboursement élargi par l’Assurance Maladie, intégration dans les dispositifs des cardiologues libéraux et possible extension aux médecins du sport.

Ce calendrier table sur la prochaine loi de financement de la Sécurité sociale 2026, où les initiatives numériques structurantes peuvent être soutenues. Les décideurs politiques montrent un intérêt pour des approches innovantes qui allient efficacité médicale et maîtrise des dépenses publiques. Si Ensweet parvient à démontrer sa valeur ajoutée, la généralisation sur le marché français pourrait aller très vite, ouvrant la voie à une normalisation des processus de téléréadaptation.

Le potentiel d’une redéfinition du parcours patient

Pour de nombreux observateurs, Ensweet contribue à dessiner un nouveau maillon dans la chaîne des soins : celui de la réadaptation active à domicile. Un domaine où, jusqu’ici, peu de solutions commerciales avaient fait leurs preuves.

Le potentiel de ce segment est énorme. En effet, la population française fait face à un vieillissement progressif et aux conséquences d’une sédentarité croissante, ce qui entraîne une hausse du nombre de maladies cardiovasculaires. Les récents épisodes pandémiques ont renforcé l’idée que l’hôpital devait se recentrer sur les patients aigus ou très fragiles, et que la technologie pouvait être mobilisée pour accompagner les formes plus légères ou stabilisées, mais nécessitant néanmoins un suivi rigoureux.

La clé du succès résidera dans la qualité des données remontées, l’engagement des patients (parfois difficiles à motiver sur la durée) et l’implication des professionnels de santé. D’un point de vue strictement économique, le plan d’Ensweet se calque sur des partenariats solides avec les établissements publics et privés, ainsi qu’une montée en puissance dans la formation des équipes soignantes à l’utilisation des outils numériques.

Bon à savoir : la téléréadaptation dans d’autres spécialités

Bien que la cardiologie soit le premier terrain d’expérimentation de la téléréadaptation active, d’autres champs médicaux s’y intéressent. Par exemple, la rééducation après un AVC ou la prise en charge de certains handicaps moteurs. À terme, Ensweet ou d’autres acteurs pourraient s’orienter vers ces populations pour élargir leur offre.

Analyses et enjeux pour les acteurs institutionnels

D’un point de vue légal et financier, le déploiement de la téléréadaptation active implique plusieurs enjeux :

  • Adaptation du cadre légal : comment distinguer légalement la téléréadaptation active d’autres formes de télémédecine ? De nouvelles dispositions réglementaires devront peut-être être prévues.
  • Évaluation médico-économique : les tutelles exigeront des preuves chiffrées de l’efficacité, tant sur l’aspect médical que sur la réduction des coûts. Les indicateurs (taux de rechute, % d’hospitalisations évitées) devront être transparents et validés par des études solides.
  • Harmonisation des pratiques : pour que les centres de soins acceptent le modèle Ensweet, il faudra des protocoles clairs, une formation des équipes et une interopérabilité des outils numériques (dossiers médicaux partagés, plateformes de télémédecine existantes, etc.).

Sur un plan plus macroéconomique, la volonté d’investir dans ce type de solution reflète l’accélération du vieillissement démographique et la nécessité pour la France de contenir les dépenses de santé. Les maladies cardiovasculaires figurant parmi les premières causes de mortalité, tout progrès dans leur prise en charge aura un impact notable sur le système dans son ensemble. Par ailleurs, le futur vote de la loi de financement de la Sécurité sociale pourrait définitivement ancrer ces nouvelles pratiques, permettant un déploiement massif d’ici la fin de la décennie.

En somme, si Ensweet atteint ses objectifs, son modèle pourrait servir de référence à d’autres pathologies. Les assureurs y verraient un moyen de mieux maîtriser les risques. Les patients, eux, gagneraient en flexibilité et en confort. Les hôpitaux réduiraient les saturations. Reste la question de la coordination sur le terrain : la réussite dépendra de la capacité de chaque acteur à coopérer.

Cap sur un nouveau paradigme pour la rééducation cardiaque ?

À travers son approche, Ensweet ambitionne de faire plus que fournir un simple service : la start-up veut impulser une nouvelle logique de parcours de soins, allant au-delà de la traditionnelle hospitalisation. Le concept de téléréadaptation active, s’il se généralise, pourrait révolutionner la manière dont on traite – et prévient – les complications cardiovasculaires, tout en offrant des débouchés économiques pour l’écosystème de la e-santé française.

Les résultats préliminaires sont encourageants, et la levée de 3 millions d’euros confirme l’attrait des investisseurs. Toutefois, le véritable test se jouera au niveau institutionnel, avec la reconnaissance par les autorités de santé et l’adoption par l’Assurance Maladie. L’échéance de 2026 sera décisive : en fonction des arbitrages budgétaires et politiques, la réadaptation à domicile pourrait devenir un pilier officiel de la lutte contre les maladies cardiovasculaires.

Au-delà des chiffres et des protocoles, c’est un changement culturel qui se dessine : offrir une liberté et une responsabilisation accrues aux patients, tout en maîtrisant les coûts pour le système de santé.