Comment ELTIF 2 transforme l'accès aux marchés non cotés ?
Découvrez les avantages et les risques des fonds evergreen sous ELTIF 2 pour les épargnants en France. Informez-vous sur la liquidité périodique.

Les fonds evergreen arrivent au premier plan de l’épargne longue en France. Avec ELTIF 2, entré en application en janvier 2024, les gérants structurent des véhicules semi‑liquides qui promettent des fenêtres de rachat régulières tout en finançant des actifs non cotés de long terme. L’attrait est réel, mais la mécanique du risque et de la liquidité demande une lecture fine, loin des apparences lissées.
Accès retail aux marchés privés : ce que change réellement eltif 2
Le nouveau cadre ELTIF 2 ouvre plus grand la porte des actifs non cotés aux épargnants. Les fonds dits evergreen, à capital variable et à durée indéterminée, peuvent désormais offrir une liquidité périodique tout en investissant dans la dette privée, le capital-investissement et les infrastructures.
La combinaison est inédite pour le retail : fenêtres de rachat programmées, au minimum trimestrielles, parfois hebdomadaires, et allocation vers des actifs structurellement illiquides, avec des horizons de portage souvent supérieurs à cinq ans. L’analyse de L’Agefi en juillet 2024 souligne que le texte européen favorise des architectures semi‑liquides à la fois plus souples et plus inclusives (L’Agefi, juillet 2024).
Pour les réseaux de distribution français, l’intérêt est double : relancer l’épargne longue avec un couple rendement‑risque potentiellement attractif et diversifier au-delà des actifs cotés. L’enjeu est cependant de documenter explicitement la promesse de liquidité afin d’éviter toute confusion avec celle d’un OPCVM quotidiennement rachetable.
Ce que la réforme ELTIF 2 rend possible
Univers d’investissement élargi à davantage d’actifs réels et de titres non cotés. Assouplissement de la structure avec une liquidité périodique encadrée. Accès élargi aux particuliers via des modalités de commercialisation clarifiées et un cadre d’information renforcé. Ces évolutions ne dispensent pas de traitements de risque plus fins et d’une pédagogie robuste auprès des investisseurs.
Un fonds evergreen n’a pas d’échéance prédéfinie et recycle ses flux pour investir de manière continue. Un fonds semi‑liquide propose des fenêtres de rachat périodiques, sous conditions de quota de liquidité et de mécanismes de gestion (files d’attente, décotes de rachat, plafonnements). Cette liquidité est promise mais non garantie en toute circonstance, notamment en marché stressé.
Liquidité périodique, bilans illiquides : une équation à gérer dans le temps
La promesse de rachat périodique repose sur la capacité du gérant à arbitrer et céder des lignes en portefeuille, à mobiliser des lignes de trésorerie ou à piloter des mécanismes de plafonnement. Dans des marchés secondaires peu profonds, ce pilotage devient un art d’équilibriste.
Les « gates » et périodes de préavis cadrent l’outil, mais ne suppriment pas le risque d’illiquidité. En cas de chocs macroéconomiques, la priorité revient à la stabilité du fonds et à l’équité entre porteurs. Un message clé à intégrer dans la documentation commerciale, au même titre que l’indicateur réglementaire de risque.
Le succès d’un dispositif semi‑liquide tient à trois piliers : une politique de valorisation rigoureuse des actifs non cotés, un coussin de liquidité crédible aligné sur les comportements de rachat, et une gouvernance d’escalade en cas de tensions (comités de liquidité, reporting ad hoc, scénarios d’activation des mécanismes).
Pourquoi la « promesse de rachat » est un compromis
La liquidité périodique est conditionnée par la réalisation de cessions, la disponibilité de cash et la profondeur du marché secondaire. En cas d’afflux de demandes, des mécanismes de plafonnement peuvent s’appliquer afin de protéger l’égalité de traitement et le portefeuille sous-jacent. La liquidité n’est pas une assurance contre des marchés fermés.
L’indicateur sri face aux actifs non cotés : utilité, biais et angles morts
Le synthetic risk indicator positionne un produit de 1 à 7 selon son profil de risque, à partir principalement du Market Risk Measure quand aucun risque de crédit direct d’un émetteur n’est pertinent. Sur des fonds evergreen non cotés, dépourvus d’historique fiable, la réglementation autorise l’usage de proxies tirés d’indices cotés.
En pratique, la dette LBO peut être proxifiée par des indices de prêts syndiqués et le private equity par des paniers d’actions de sociétés d’investissement cotées. Ces séries offrent souvent des volatilités annualisées de l’ordre de 6 à 9 pour cent pour la dette LBO, amenant mécaniquement des SRI autour de 3. L’information est pédagogique, mais ne reflète pas toujours la dispersion potentielle d’un portefeuille concentré.
Deux limites dominent. D’abord, l’effet de lissage des indices bien diversifiés, qui écrase les extrêmes. Ensuite, la déconnexion entre volatilité observée et probabilité de pertes permanentes lorsque les lignes sous‑jacentes sont peu revalorisées et fortement levierisées.
Le MRM s’appuie sur la volatilité d’un proxy ou sur une série de prix/valeurs liquidatives pour estimer une perte maximale plausible sur un horizon donné, avant de la classer dans une échelle 1 à 7. Avec des séries lissées ou peu fréquentes, la perte simulée paraît plus faible. C’est pourquoi la qualité du proxy et son adéquation au portefeuille sont décisives.
Levier, concentration et illiquidité : ce que les métriques standard ne capturent pas
Les portefeuilles de dette privée et de private equity comportent souvent quelques dizaines de lignes, parfois corrélées sectoriellement, avec des niveaux de levier financier élevés. Les sociétés sont non notées ou faiblement notées. La dispersion des résultats est donc structurelle.
La littérature académique, via des approches de type Merton, rappelle que la combinaison « volatilité des actifs + levier » pilote le risque de défaut. Or, le SRI ne distingue pas toujours fluidement une exposition en dette senior notée BB d’une exposition en mezzanine ou quasi‑equity, pour lesquelles la perte en cas de défaut et la probabilité de réalisation diffèrent nettement.
À cela s’ajoute le risque d’illiquidité, absent de l’indicateur. Tant que la série de prix reste régulière et peu volatile, l’indicateur reste bas. Pourtant, en situation de stress, la liquidité peut être suspendue, la revente décotée ou séquencée, entraînant un décalage entre perception réglementaire et réalité opérationnelle.
- Signaux d’alerte à surveiller : hausse du levier sur les deals récents, concentration sectorielle, baisse des multiples de sortie, remontée des défauts sur comparables cotés, allongement des délais de cession.
- Artefacts de volatilité : valeurs liquidatives peu fréquentes, modèles de valorisation stables en apparence, manque de transactions comparables récentes.
Aether financial services : un maillon technique du private debt
Co‑fondée par Henri‑Pierre Jeancard, Aether Financial Services s’est spécialisée dans l’agence et la valorisation de dettes privées. Ce rôle, souvent discret, est crucial pour documenter les covenants, consolider les flux et fiabiliser les données de valorisation. L’expertise de marché nourrit l’objectivation du risque au sein des comités d’investissement et de liquidité.
Angles morts typiques dans les portefeuilles semi‑liquides
Levier implicite non retracé dans les indicateurs, concentration économique masquée par des proxys larges, retards de valorisation en période de stress et liquidité conditionnelle dépendante des marchés secondaires. Une politique de transparence proactive est indispensable pour éviter les malentendus.
Cas de marché en france : premières concrétisations depuis début 2025
La dynamique s’accélère en France avec des premiers lancements ciblant une clientèle élargie. L’intérêt est manifestement soutenu par les réseaux bancaires et de conseillers, qui voient dans les structures evergreen ELTIF 2 un complément aux solutions patrimoniales traditionnelles.
Natixis investment managers : architecture multi‑actifs non cotés
En mai 2025, Natixis Investment Managers a lancé un fonds semi‑liquide ELTIF 2, Natixis Multi Private Assets, destiné à proposer une exposition diversifiée aux marchés privés avec une liquidité périodique, illustrant l’appétit des grands acteurs pour ces nouvelles structures (CFNEWS, mai 2025).
La démarche traduit une volonté d’industrialiser l’accès aux actifs illiquides, avec des contraintes de liquidité pilotées par des quotas, des poches de cash et des mécanismes de plafonnement. La force de frappe de la plateforme, côté sourcing et distribution, est un avantage compétitif évident sur un marché en phase d’appropriation.
Cic private debt : la dette privée au format eltif 2
En février 2025, CIC Private Debt, en partenariat avec les Assurances du Crédit Mutuel, a structuré son premier ELTIF dédié à la dette privée, CIC Private Debt Opportunité, positionné pour l’épargne retail (Citywire, février 2025).
Cette initiative illustre la déclinaison la plus attendue côté crédit : financer des entreprises via des prêts structurés tout en offrant des fenêtres de rachat périodiques. La discipline d’origination et de suivi devient la clef de voûte du modèle, autant que la transparence des métriques de risque.
Au-delà de ces cas, d’autres maisons se positionnent, avec une variété d’approches en termes de thématiques sectorielles et de mécanismes de rachat. Le paysage français se structure ainsi autour d’architectures semi‑liquides qui ambitionnent de mobiliser plusieurs milliards d’euros d’ici fin 2025, selon les estimations de place.
La commercialisation auprès d’épargnants multiplie les exigences de pédagogie et de régularité d’information. Les mécanismes de rachat, les plafonnements et la gouvernance de valorisation doivent être détaillés. Les réseaux ont intérêt à aligner script commercial et dispositifs de protection pour éviter toute ambiguïté avec des fonds ouverts à liquidité quotidienne.
Finance durable : des flux qui peuvent soutenir la transition
Les fonds evergreen ELTIF 2 offrent un canal potentiel vers des projets d’infrastructures bas‑carbone et des actifs réels contribuant à la transition écologique. Le cadre français de la finance durable et des labels, à commencer par Greenfin, donne une grille de lecture des investissements compatibles avec une économie décarbonée.
La Stratégie nationale bas‑carbone vise la neutralité en 2050 et appelle des capitaux privés pour compléter l’effort public. Les fonds européens 2021‑2027 soutiennent des projets locaux et européens, créant des opportunités de cofinancement avec des véhicules d’épargne longue (Europe en France, mai 2023).
Le label Greenfin en bref
Greenfin oriente l’épargne vers la transition énergétique et l’économie verte. Il impose des critères de sélection stricts et une transparence accrue sur l’impact environnemental. Pour un ELTIF 2, viser un tel label suppose une traçabilité fine des projets financés, des exclusions sectorielles et une mesure robuste des indicateurs d’impact.
Les ELTIF 2 peuvent être catégorisés au titre du SFDR (Articles 6, 8 ou 9) selon leurs engagements ESG. La cohérence entre la promesse marketing, la construction de portefeuille et les indicateurs de durabilité déclarés est essentielle. Les contrôles de conformité et la documentation précontractuelle doivent être alignés pour éviter tout risque de greenwashing.
Mesurer le risque autrement : une boîte à outils pour fonds semi‑liquides
Pour rapprocher l’indicateur réglementaire de la réalité économique, plusieurs approches complémentaires peuvent être déployées par les sociétés de gestion et leurs commissaires aux comptes.
- Volatilité issue d’échantillons réels : construire des séries sur des portefeuilles comparables d’actifs non cotés, de taille et de mix similaires, afin d’estimer une dispersion plus fidèle que des indices très diversifiés.
- Ajustement par le levier : intégrer un facteur dépendant du loan‑to‑value ou du levier de transaction pour repondérer la volatilité et la perte simulée.
- Stress de liquidité : modéliser des scénarios de cessions partielles avec décote, rationnement des rachats et activation des mécanismes de plafonnement, puis en déduire des pertes de convenance pour l’investisseur.
- Concentration sectorielle : introduire une prime de risque additive liée à la corrélation intra‑secteur et au poids des premières lignes du portefeuille.
- Qualité de la donnée : mettre en place des revues indépendantes de valorisation et des contrôles périodiques des modèles, avec journalisation des hypothèses clés.
Ces compléments ne remplacent pas le SRI, qui reste un référentiel de base utile, mais ils permettent de documenter les zones grises qui comptent vraiment pour la stabilité du fonds et l’équité entre porteurs. Ils renforcent la crédibilité commerciale du produit auprès d’une clientèle non professionnelle.
- Gouvernance : comité de liquidité doté de seuils d’alerte et d’un plan d’action.
- Transparence : reporting élargi sur levier agrégé, concentration des dix premières lignes, maturité moyenne des actifs, délais de cession observés.
- Discipline : limites internes sur les rachats nets cumulés, calibrage des poches de trésorerie, documentation publique des mécanismes de plafonnement.
La doctrine nationale évolue. L’AMF appelle dans ses publications récentes à une information PRIIPs fidèle et à une vigilance accrue dans la commercialisation de produits innovants auprès des particuliers. Les acteurs ont donc intérêt à aller au‑delà du minimum réglementaire pour sécuriser l’expérience des porteurs et la réputation du marché.
Sur le terrain, certaines maisons testent des modèles internes de risque adossés à des bases de données de transactions privées, des courbes de défaut observées et des proxys de décotes en marché secondaire. À mesure que s’étoffe l’historique, ces modèles devraient affiner la lecture des pertes maximales plausibles.
Checklist pour comités de risques
1 Cartographier le levier et la maturité des lignes. 2 Simuler des vagues de rachat et l’usage des « gates ». 3 Backtester la valorisation sur des périodes de stress. 4 Tester les conséquences de cessions avec décote. 5 Évaluer l’adéquation du proxy choisit pour le SRI et documenter ses limites.
Ce que les dirigeants doivent surveiller en 2025
ELTIF 2 permet d’amplifier l’épargne longue vers l’économie réelle tout en offrant une expérience d’investissement plus fluide. L’accélération des lancements en 2025, de Natixis IM à CIC Private Debt, le confirme, avec un intérêt croissant des réseaux de distribution français pour ces formats semi‑liquides (CFNEWS, mai 2025 et Citywire, février 2025).
La clé du succès repose désormais sur une mesure du risque plus incarnée que le seul SRI et sur une transparence sans ambiguïté autour de la liquidité. Dans un environnement de taux élevés et de refinancements plus exigeants, cette rigueur n’est pas un luxe mais la condition d’un marché durablement crédible au service des particuliers.
ELTIF 2 consacre l’essor des fonds evergreen mais rappelle une réalité simple : pour démocratiser les marchés privés, il faut rendre la liquidité conditionnelle compréhensible et le risque d’illiquidité mesurable, afin d’aligner la promesse avec la mécanique bilancielle des actifs non cotés.