La France vise une électrification maîtrisée d'ici 2035
Découvrez comment la France ajuste ses objectifs d'électrification des véhicules à l'horizon 2035 pour protéger l'emploi et l'industrie.
2035 en ligne de mire, Paris défend une trajectoire ajustable. La France soutient l’objectif européen d’extinction des ventes de véhicules thermiques neufs, tout en conditionnant des assouplissements à une préférence européenne assumée. Derrière cette ligne, un double impératif revendiqué par l’exécutif : protéger l’appareil productif et l’emploi industriel, sans diluer l’ambition climatique.
2035 maintenu, cap aménagé : la ligne française
Le 23 octobre 2025, Emmanuel Macron a confirmé l’objectif d’interdiction des ventes de véhicules thermiques neufs à l’horizon 2035, en rappelant la nécessité de flexibilités pour préserver les usines et les savoir-faire. Selon lui, cette échéance est utile car elle « incite à changer les pratiques » et « crédibilise les investissements », à condition d’arrimer ces ajustements à une préférence européenne claire.
Côté Bercy, le message est explicite : l’enjeu est de produire en Europe, avec des composants européens, les véhicules vendus sur le marché de l’UE. L’objectif affiché est d’éviter qu’un basculement trop rapide vers l’électrique ne se traduise par une dépendance accrue aux importations et une érosion des parts de marché des constructeurs installés sur le continent. Cette grille de lecture commande une politique d’aides qui discrimine positivement les chaînes de valeur localisées en Europe.
Dans cette architecture, la flexibilité n’équivaut pas à un recul mais à un calibrage fin des trajectoires, notamment pour tenir compte de la réalité industrielle, des volumes de ventes et de la compétitivité face aux véhicules importés. L’exécutif cherche ainsi à articuler signal prix, critères d’éligibilité aux aides et exigences de production locale afin de faire émerger des champions européens de l’électromobilité.
Préférence européenne version Bercy : principes clés
La doctrine défendue par le ministère de l’Économie valorise les ancrages de production européens pour les modèles subventionnés. Points d’attention, tels qu’exprimés par les autorités :
- Origine de production et localisation de composants déterminants sur le territoire européen.
- Conditionnalité des aides sur des critères alignés avec l’objectif de réindustrialisation.
- Protection du tissu industriel pour limiter la pression concurrentielle des importations extra-européennes.
Incitations sous contrôle : bonus, prime et critères d’éligibilité
La France ajuste sa politique d’incitation dans un sens plus stratégique. Mise à jour en juillet 2025, la grille du bonus écologique peut atteindre 6 000 euros pour l’achat d’un véhicule électrique neuf, avec des conditions de production ancrées en Europe. À cette enveloppe s’ajoute une prime « coup de pouce » annoncée en septembre 2025, ciblant les ménages modestes, jusqu’à 4 000 euros.
En parallèle, le Conseil national de l’Industrie a rendu en juin 2025 un avis invitant à faire de la préférence européenne un véritable levier de réindustrialisation. Cette position recommande des critères stricts pour conditionner les aides publiques, avec un accent sur les chaînes d’approvisionnement locales et la montée en puissance de la production de batteries et de composants électroniques sur le continent.
L’ambition est double : soutenir le pouvoir d’achat des ménages et piloter les flux d’investissements vers des capacités européennes. Autrement dit, l’incitation n’est pas qu’un amortisseur de prix, elle devient un instrument de politique industrielle visant à réorienter les décisions d’implantation, d’achats et de sourcing.
Les dispositifs 2025 introduisent des marqueurs à surveiller par les consommateurs et les entreprises :
- Critères de production en Europe, essentiels pour l’éligibilité au bonus maximal.
- Ciblage de revenus pour la prime additionnelle dédiée aux ménages modestes.
- Effet de levier attendu sur la structuration d’une chaîne de valeur batterie et composants sur le sol européen.
Ces paramètres, détaillés par le ministère de l’Économie, structurent la hiérarchisation des aides et orientent la demande vers des véhicules répondant aux exigences d’origine et de contenu local.
Clause de revoyure à Bruxelles : fenêtre de recalibrage
À l’échelle de l’UE, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, s’est engagée à anticiper l’examen de la clause de revoyure du règlement prévoyant la fin des ventes thermiques en 2035. Cette clause offre une marge d’ajustement en fonction des progrès technologiques, de la dynamique du marché et de la compétitivité des filières.
Cette réouverture anticipée répond aux signaux remontés par l’industrie. Les constructeurs, dont Stellantis et Renault, interrogent la faisabilité du calendrier actuel au regard de la tension sur la demande et des défis de compétitivité. La Commission a indiqué qu’elle examinerait des propositions portées par la France, pouvant inclure des ajustements pour les carburants synthétiques ou des dérogations pour des hybrides avancés, en cohérence avec l’objectif climatique.
Pour les directions financières et les équipes de conformité des groupes, cet horizon de révision compte. Il conditionne le rythme d’investissements, l’arbitrage entre plates-formes électriques et hybrides, et la planification des capacités. Il agit aussi comme un signal au marché, avec un impact sur le coût du capital des projets.
La clause de revoyure inscrite dans le cadre réglementaire européen permet une réévaluation du dispositif 2035 au vu :
- des performances technologiques et de la disponibilité des solutions bas carbone;
- de la réalité du marché en matière d’adoption des véhicules électriques;
- des impacts socio-économiques sur les emplois et la compétitivité.
Son activation anticipée ouvre un espace pour ajuster le rythme, sans renier l’objectif final. Les modalités concrètes seront cadrées par la Commission après analyse des données et contributions des États membres et des industriels.
Signaux de marché en 2024-2025 : volumes, mix et importations
Du côté des ventes, les dernières données agrégées pointent un coup de frein. L’ACEA recense un recul de 5 % des immatriculations de véhicules neufs en Europe au premier semestre 2025, tandis que la part des véhicules électriques atteint environ 14 %, contre 12 % en 2024, sur une base annuelle comparable (ACEA, 2025). En 2024, l’ACEA évalue la part de marché des électriques à 13,9 %.
En France, l’INSEE fait état d’une baisse de 3,2 % des ventes de véhicules neufs en 2024, avec un repli accentué en 2025 selon les éléments disponibles. Cette dynamique pèse sur les projections d’utilisation des capacités et nourrit l’argumentaire des acteurs plaidant pour des flexibilités.
La pression concurrentielle est également mise en évidence par la hausse des importations. D’après la Commission européenne, les importations de véhicules électriques en provenance de Chine auraient progressé de 20 % en 2024. Ce flux renforce l’enjeu d’une politique d’aide conditionnée à la production européenne, telle que portée par Bercy, pour éviter un désavantage compétitif pour les constructeurs produisant en Europe.
Au total, le triptyque volumes en retrait, mix électrique encore en construction et intensification des importations pose un défi de court terme à la rentabilité des projets. Les directions financières se retrouvent face à des équations d’amortissement complexifiées par l’incertitude de la demande et la concurrence-prix des modèles importés.
Emploi et souveraineté industrielle : arbitrages difficiles
L’automobile pèse lourd dans l’économie européenne. Le secteur emploie environ 13 millions de personnes sur le continent, dont près de 200 000 en France. Une étude de la Commission européenne en 2024 met en garde : en l’absence de flexibilités, jusqu’à 500 000 emplois pourraient être menacés par la transformation accélérée vers l’électrique.
Le ministère de l’Économie avertit qu’une électrification subie peut se traduire par une désindustrialisation au profit de concurrents étrangers. D’où la stratégie française qui couple incitations conditionnées et investissements ciblés.
Dans le cadre de France 2030, 4 milliards d’euros sont consacrés à la filière batterie, avec notamment le partenariat entre Renault et Verkor pour une gigafactory implantée en France. Ces projets doivent solidifier un écosystème capable de fournir cellules, modules et composants clés à l’échelle industrielle.
Enfin, Paris plaide pour des normes européennes plus strictes sur les émissions, tout en négociant des dérogations calibrées pour des technologies hybrides avancées. L’idée directrice : décréter l’objectif, organiser la transition. Autrement dit, découpler la cible 2035 de la pente de descente des émissions, afin de lisser l’impact sur l’emploi et d’absorber les chocs concurrentiels.
Au sein de l’enveloppe prévue pour l’électromobilité :
- Renforcement des capacités industrielles dans la batterie et ses composants stratégiques.
- Effet d’entraînement sur l’amont et l’aval de la chaîne de valeur, de la R&D au recyclage.
- Partenariats industriels structurants, comme l’alliance Renault-Verkor pour une gigafactory en France.
Ces leviers sont conçus pour créer un socle de souveraineté sur les segments où l’Europe est encore dépendante de l’externe, tout en soutenant la transition des sites existants.
La voix des industriels : attentes et lignes rouges
Les constructeurs réclament une trajectoire plus pragmatique, dans le respect du climat mais avec une visibilité accrue. Le discours converge autour de trois priorités : visibilité réglementaire, compétitivité face aux importations et conditionnalité des aides pour soutenir la production locale. Les échanges publics ont été nourris en 2025, y compris sur les réseaux sociaux, où des dirigeants de groupes ont relayé leurs préoccupations.
Renault : Luca de Meo appelle à la flexibilité
Le PDG de Renault, Luca de Meo, a alerté en 2025 sur le risque de perte de souveraineté industrielle sans flexibilité. Cette position s’inscrit dans la ligne défendue par la France : tenir l’objectif climatique, ajuster le chemin. Pour Renault, l’enjeu est de sécuriser l’équation économique de l’électrique, tout en consolidant la base industrielle française et européenne.
Stellantis : calendrier jugé inatteignable
Chez Stellantis, la critique se concentre sur la faisabilité du calendrier 2035 dans un marché en ralentissement. Le groupe met en avant le décalage entre cadences industrielles, demande solvable et niveau de prix des modèles. Le signal envoyé par la clause de revoyure est perçu comme une opportunité de mieux phaser la trajectoire.
Commission européenne : ouverture au dialogue
La présidence de la Commission a indiqué en 2025 être disposée à étudier les propositions françaises. Des pistes telles que des ajustements ciblés pour les carburants synthétiques ou certaines configurations hybrides sont mentionnées, sans préjuger d’un arbitrage final. Les industriels y voient une fenêtre pour calibrer la transition au plus près des capacités de production et des signaux de demande.
Les chantiers opérationnels suivis par les entreprises
Pour les directions générales et financières, trois chantiers structurent le pilotage de la transition :
- Planification industrielle des plates-formes électriques et hybrides, avec options de flexibilité selon l’issue de la clause de revoyure.
- Stratégie d’approvisionnement en composants et batteries à contenu européen, afin d’optimiser l’accès aux aides.
- Politique prix et financement client pour soutenir l’accessibilité, en corrélation avec le bonus et la prime « coup de pouce ».
Infrastructures et contraintes système : la boucle de rétroaction
La montée en puissance de la demande électrique dépend aussi du maillage en bornes de recharge. Le gouvernement, via Bercy, a annoncé de nouvelles mesures en 2026 pour accélérer le déploiement, avec un objectif de 100 000 points publics d’ici fin 2025. Cet objectif, posé comme jalon, illustre l’importance d’une infrastructure crédible pour soutenir l’appétence des ménages et des gestionnaires de flottes.
Pour les constructeurs et financeurs, le déficit d’infrastructures peut renchérir le coût d’acquisition perçu, ralentir la rotation de flotte et allonger la durée d’amortissement des investissements. La congruence entre aides à l’achat, production locale et infrastructures conditionne la réalisation des volumes cibles à horizon 2030 puis 2035.
Au-delà des bornes, les coûts de batterie et la disponibilité des composants restent des variables sensibles. Le ciblage des aides sur les produits à forte teneur européenne est perçu comme un moyen de stabiliser des chaînes d’approvisionnement encore volatiles, tout en consolidant la compétitivité-coût des sites européens.
Points de vigilance macro et régulation : pilotage fin requis
La politique française articule ambition climatique et défense de l’outil industriel. Trois lignes de vigilance se dessinent pour les prochains mois :
- Conjoncture et élasticité de la demande EV : les reculs d’immatriculations en 2024-2025 exigent un calibrage précis des incitations pour maintenir l’attractivité des modèles éligibles.
- Concurrence extra-UE : la progression des importations nécessite des garde-fous alignés avec les règles européennes et un ciblage fin des aides à la production.
- Temporalité réglementaire : la clause de revoyure doit donner une visibilité rapide aux industriels pour sécuriser leurs arbitrages d’investissement.
Le chemin d’équilibre passe par une conditionnalité assumée des aides, un dialogue étroit avec Bruxelles et une trajectoire de normes lisible. Les annonces françaises vont dans ce sens, tout en laissant la porte ouverte à des ajustements techniques pour les hybrides avancés et, sur périmètre limité, les carburants synthétiques.
Pour les équipes stratégiques et FP&A :
- Intégrer le recul des immatriculations (−5 % au S1 2025 en Europe) comme hypothèse prudente de base pour la demande EV à court terme.
- Modéliser l’effet des incitations françaises selon l’éligibilité des modèles, avec des scénarios de sensibilité sur la localisation de production.
- Suivre l’échéance de la clause de revoyure pour déclencher ou décaler les CAPEX liés aux nouvelles plates-formes.
Objectif : aligner les décisions d’investissement et de pricing avec le rythme réel d’adoption et les bornes réglementaires en cours de réexamen.
Quel équilibre pour la filière automobile européenne
La France soutient une transition aérée par des flexibilités conditionnées, afin de ne pas sacrifier la compétitivité sur l’autel de la vitesse. Les données de ventes et la montée des importations plaident pour un pilotage fin, adossé à des incitations ciblées et à une préférence européenne assumée. Si la clause de revoyure aboutit à des ajustements, ils devront rester compatibles avec la cible 2035 et la trajectoire de décarbonation.
Reste à trancher le curseur. Un calibrage réussi peut consolider l’outil industriel, lisser l’impact sur l’emploi et sécuriser des volumes. À défaut, le risque est une transition subie. Les prochains arbitrages entre Paris et Bruxelles diront si l’UE parvient à conjuguer neutralité carbone et souveraineté industrielle.
La trajectoire est posée, c’est désormais la qualité de l’exécution et du dialogue régulateur qui fera la différence.