+100 % à l’horizon annoncé et des contrôles dès le 9 octobre 2025 : la rivalité États-Unis–Chine se durcit et bouscule les chaînes industrielles. Au centre du jeu, les terres rares et des droits portuaires réciproques. Pour les entreprises françaises, la facture des composants et le risque de délais s’annoncent plus tangibles que théoriques.

Terres rares sous contrôle à Pékin : l’effet immédiat sur l’électronique et la défense

Le 9 octobre 2025, la Chine a élargi son régime de licences à l’exportation visant les terres rares et d’autres matériaux stratégiques. Pékin présente ces contrôles comme un instrument de sécurité nationale et de sécurité internationale commune. Dans les faits, l’impact touche des chaînes critiques : batteries, aimants permanents pour moteurs et éoliennes, et semi-conducteurs.

La position dominante de la Chine rend cette décision déterminante pour les industriels. Elle compte environ 60 % de l’extraction et près de 90 % du raffinage mondiaux de terres rares (USGS, 2024). D’autres estimations soulignent que la Chine contrôle près de 70 % du marché des terres rares au sens large, toutes applications confondues, ce qui illustre la dépendance des filières énergétiques et numériques.

Conséquence opérationnelle : chaque lot de matériaux stratégiques sortant de Chine est désormais soumis à un contrôle plus strict, avec un risque de délais, d’allocations contingentées et de hausses de prix chez les intermédiaires. Les acheteurs européens orientés vers l’automobile, l’aéronautique, l’électronique et le militaire doivent ajuster leurs plans d’approvisionnement et de stocks.

Terres rares : ce que recouvre réellement la catégorie

Les terres rares regroupent 17 éléments chimiques, essentiels pour la fabrication d’aimants permanents (néodyme, praséodyme, dysprosium), de catalyseurs, d’alliages haute performance et de circuits électroniques. Le maillon décisif est le raffinage et la séparation, fortement concentrés en Chine, levier clé des contrôles à l’exportation.

Les contrôles à l’exportation typiquement exigent des licences, peuvent inclure des listes de produits et applications sensibles et s’appliquent aux transactions transfrontières. Leur effet économique tient autant à la visibilité réduite sur les délais qu’à la négociation d’allocations entre fournisseurs et clients finaux. Les modalités précises non publiées ne doivent pas être extrapolées.

Washington hausse le ton : droits de douane jusqu’à 100 % et messages calibrés

Le 10 octobre 2025, Washington a signalé sa volonté d’augmenter jusqu’à 100 % les droits de douane sur des produits chinois en riposte aux contrôles chinois. Cette menace complète un arsenal de restrictions technologiques renforcées depuis 2022 et 2024, que la partie chinoise dénonce comme discriminatoires.

Le 14 octobre, le secrétaire au Trésor américain Scott Bessent a toutefois indiqué à Fox Business que cette escalade tarifaire « ne se concrétisera pas nécessairement », rappelant que des canaux de dialogue bilatéraux ont été rouverts. Le 15 octobre, dans le Financial Times, il a durci le diagnostic sur l’économie chinoise en qualifiant ces contrôles d’indice de « faiblesse ». Bessent a même lâché : « Ils veulent entraîner tout le monde dans leur chute », estimant que Pékin cherche des réponses par les exportations, au risque d’aggraver sa position internationale.

Des responsables américains appellent à une mobilisation d’alliés contre ces restrictions, en invoquant des enjeux de défense et de technologie. Les autorités chinoises, elles, affirment que leurs mesures sont conformes aux règles de l’OMC, tout en accusant Washington d’user lui-même abusivement de l’argument de la sécurité nationale. Des experts anticipent des risques de litiges dans les enceintes multilatérales.

Scott Bessent : cap politique ferme, fenêtre de négociation ouverte

La séquence médiatique de Scott Bessent concentre deux registres : un discours de fermeté sur la vulnérabilité de la croissance chinoise et, en parallèle, un signal de désescalade conditionnelle sur la trajectoire tarifaire. Ce double message laisse ouverte la porte à des arrangements ciblés ou à un cadrage sectoriel qui préserverait certaines chaînes d’approvisionnement, notamment pour l’électronique et l’énergie.

Diplomatie économique : vers une rencontre Trump–Xi

Selon plusieurs responsables, une rencontre entre Donald Trump et Xi Jinping est à l’étude afin de stabiliser le front commercial. Côté américain, le cap affiché reste la diversification des sources et le renforcement des capacités nationales, appuyé par des financements publics sur les technologies clés. Les autorités américaines poussent en outre à une coordination internationale face aux restrictions sur les terres rares.

Un droit additionnel ad valorem majore le prix CAF à l’entrée, puis alimente la base taxable pour la TVA à l’import. Effets à anticiper :

  • Trésorerie : pic de TVA et droits au dédouanement.
  • Prix de revient : hausse immédiate transférée au coût standard.
  • Clauses de prix : révision, indexation, ou surcharge tarifaire dans les contrats.

Ces mécanismes sont génériques. L’assiette, les exemptions et les codes TARIC déterminent le calcul précis au cas par cas.

Droits portuaires réciproques : un surcoût durable pour le shipping

Nouvel étage de la fusée : à compter du 15 octobre 2025, la Chine applique des frais de 56 dollars par tonne nette aux navires américains faisant escale dans ses ports. Cette tarification montera par paliers jusqu’à 157 dollars en avril 2028. Pékin relie explicitement cette mesure à une disposition américaine instaurée plus tôt en 2025.

Aux États-Unis, un prélèvement de 50 dollars par tonne nette pour les navires chinois a été décidé en début d’année via le décret Restoring America’s Maritime Dominance. Le barème atteindra 140 dollars en 2028.

Les autorités américaines évoquent un objectif combinant protection d’infrastructures portuaires et relance de l’industrie navale. Un impact est estimé sur 10 % du commerce bilatéral.

En Europe, les tensions rejaillissent sur des flux indirects et des règles de cumul d’origine. La Direction Générale des Douanes et Droits Indirects a actualisé au 1er octobre 2025 ses fiches relatives aux droits américains et aux contre-mesures de l’UE, un rappel utile aux importateurs sur les hausses de droits susceptibles d’affecter des biens circulant via l’Asie (DGDDI, 1er octobre 2025).

Conséquences opérationnelles pour armateurs et chargeurs

Les shipping lines et les chargeurs devront ajuster leurs calculs de route et de coût. Les frais par tonne nette peuvent être répercutés via des surcharges dans les connaissements. Les entreprises avec des hubs en Chine ou aux États-Unis pourraient être tentées de reconfigurer leurs schémas d’escale, sans garantie d’une optimisation durable si de nouvelles taxes s’ajustent en miroir.

Pour les importateurs français, ces prélèvements ne sont pas des droits de douane, mais ils influent sur le coût total de transport, puis sur les prix de vente. À la clé : des arbitrages logistiques entre ports de transbordement, type de navire, fréquence des rotations et stocks de sécurité.

Chronologie des prélèvements portuaires 2025-2028

  1. Début 2025 : mise en place aux États-Unis d’un droit de 50 dollars par tonne nette pour les navires chinois, trajectoire vers 140 dollars en 2028.
  2. 15 octobre 2025 : entrée en vigueur en Chine d’un droit de 56 dollars par tonne nette pour les navires américains, progression vers 157 dollars en avril 2028.

Ces barèmes s’appliquent aux escales des navires concernés et s’ajoutent aux coûts maritimes usuels.

Entreprises françaises exposées : électronique, automobile et défense sous tension

La dépendance aux terres rares rend l’écosystème industriel français particulièrement attentif à cette séquence. Les aimants permanents entrent aussi bien dans les moteurs électriques et l’automobile que dans des composants de guidage et d’électronique de puissance. La déstabilisation de l’offre se répercute vite sur les délais et les prix fournisseurs.

Les directions achats relancent des chantiers connus mais rarement menés à grande échelle : double sourçage, audits de tierce dépendance (niveau N-2 et N-3), renégociation des clauses de prix et d’indexation. Les trésoreries se préparent à des contraintes de dédouanement et d’acompte, avec un recours accru aux lignes de crédit court terme pour absorber les pics de TVA et de droits éventuels.

STMicroelectronics : sécurisation des matériaux critiques

Pour un acteur des semi-conducteurs, les tensions se traduisent par une priorité à la garantie d’approvisionnement sur les intrants sensibles et à l’anticipation d’éventuelles listes de contrôle additionnelles. Les stratégies incluent le renforcement des accords-cadres, la cartographie fine par référence et la constitution de stocks tampons pour stabiliser l’exécution des commandes clients. L’objectif est d’amortir la volatilité sans figer trop de cash dans des inventaires coûteux.

Renault : aimants permanents et dépendance asiatique

Dans l’automobile, l’impact se lit à travers les moteurs électriques et certains sous-ensembles mécatroniques. Les contraintes sur les terres rares suspectent des allongements de lead time et une remontée des coûts à l’aval. Le constructeur peut jouer sur trois leviers : substitution matière lorsque techniquement possible, reconfiguration de la supply chain en Europe et escalade contractuelle avec des partenaires asiatiques pour lissage des volumes.

  • Force majeure et événements gouvernementaux : périmètre et procédures de notification.
  • Hardship et renégociation de prix : déclencheurs et mécanismes de partage des surcoûts.
  • Incoterms et point de transfert des risques : impact sur droits et taxes.
  • Sanctions, contrôles à l’export et compliance : garanties, audit et résiliation.

La lecture coordonnée de ces clauses conditionne la capacité à répercuter ou contenir les hausses, sans inventer d’engagements non prévus au contrat.

L’UE et la France à l’épreuve : douanes, conformité et arbitrage OMC

Les autorités chinoises défendent la légalité de leurs contrôles en invoquant la sécurité nationale et la conformité OMC. Des analyses anticipent néanmoins des contentieux. Washington, de son côté, plaide pour une réponse multilatérale et une diversification active des chaînes d’approvisionnement, soutenue par des investissements publics dans l’industrie des puces à hauteur de 52 milliards de dollars au titre du CHIPS Act de 2022, élargi en 2025.

À Bruxelles et à Paris, les administrations rappellent les règles de dédouanement et les sensibilités liées aux flux indirects. Les services douaniers français insistent sur l’anticipation des frais supplémentaires, y compris pour des achats en ligne, afin d’éviter des mauvaises surprises lors des livraisons. La documentation publique a été actualisée à plusieurs reprises en 2025, notamment sur les conséquences des hausses américaines et des contre-mesures européennes.

À Paris, lecture des autorités douanières

La DGDDI a mis à jour début octobre ses pages d’information sur les barrières tarifaires américaines et la réponse de l’UE. Au-delà des grands groupes, les PME sont appelées à vérifier l’origine préférentielle et la classification tarifaire pour limiter les surcoûts. Les fiches pratiques rappellent aussi la nécessité d’anticiper les coûts de dédouanement lors des périodes commerciales intenses et de soigner la documentation fournie aux transporteurs et commissionnaires.

Points clés à vérifier au dédouanement

  • Code TARIC et description exacte du produit.
  • Origine (préférentielle et non préférentielle) et règles de cumul.
  • Base taxable : prix, fret, assurance, droits antérieurs.
  • Preuves d’origine et de valeur : certificats, factures, nomenclatures.
  • Traitements préférentiels ou mesures de sauvegarde applicables.

Ces contrôles limitent les coûts cachés et les retards, particulièrement en période de tensions commerciales.

Lecture côté Pékin : sécurité nationale et appel à la coopération

Un porte-parole du ministère chinois du Commerce a défendu, le 15 octobre 2025, des mesures présentées comme légitimes et proportionnées. Pékin dénonce les restrictions américaines sur les semi-conducteurs, renforcées en 2024 et maintenues ensuite, et affirme que ses propres contrôles ne constituent pas une escalade gratuite mais la réponse à des actions unilatérales.

Les autorités chinoises soulignent que l’économie reste robuste sur les exportations, tout en admettant un rythme plus lent de croissance. Pour 2025, la prévision de PIB s’établit à 4,8 % selon le FMI, tandis que les douanes chinoises ont recensé des exportations de 3,4 billions de dollars en 2024. Dans le même temps, des appels sont lancés en faveur d’une coopération mutuelle, refusant l’étiquette de faiblesse économique associée aux contrôles.

OMC et arbitrages : ce que peuvent changer les discussions de novembre 2025

Les discussions prévues à l’OMC en novembre 2025 peuvent ouvrir un espace de clarification sur l’articulation entre sécurité nationale et libre-échange. Les entreprises ne doivent pas attendre un jugement immédiat : les procédures sont longues. En revanche, l’effet signal d’un agenda OMC agit sur les anticipations contractuelles et la transparence demandée aux fournisseurs, notamment sur l’origine, la transformation et les licences d’exportation.

  1. Licences et délais : quels produits nécessitent une licence et quelles sont les files d’attente actuelles.
  2. Origine et transformation : où sont réalisées extraction, raffinage et fabrication finale des sous-composants.
  3. Alternatives : quelles substitutions techniques et quels sites de production hors Chine sont disponibles à six mois.

Ces réponses structurent la cartographie de risque et orientent les arbitrages d’achats et d’industrialisation.

Ce que les conseils d’administration doivent anticiper d’ici fin 2025

La combinaison contrôles à l’exportation sur les terres rares, menace tarifaire jusqu’à 100 % et droits portuaires réciproques crée une courbe de coûts à la hausse et une visibilité diminuée. Les priorités à brève échéance : sécuriser l’accès aux matériaux critiques, réviser les clauses contractuelles sensibles et prépositionner des stocks sur les références à risque, tout en surveillant l’agenda OMC et les signaux d’un possible tête-à-tête Trump–Xi.

La période à venir ne promet pas la simplicité, mais elle peut récompenser les entreprises qui traitent l’approvisionnement comme un actif stratégique au même titre que la trésorerie et la technologie.