La consolidation des startups françaises s'accélère en 2025
En 2025, face à la contraction des financements, les startups françaises misent sur les fusions-acquisitions pour renforcer leur compétitivité.

La société française Spendesk a pris une longueur d’avance en 2024 en rachetant Okko, une startup positionnée sur la gestion d’achats.
Cette opération illustre plusieurs choix stratégiques de la French Tech en 2025, à l’heure où les financements privés se contractent et où les fusions-acquisitions gagnent du terrain pour assurer la pérennité des jeunes pousses.
Un climat d’incertitudes qui renforce la quête de stabilité
L’année 2025 marque un tournant décisif pour l’écosystème français des startups. Après les belles performances enregistrées lors de la décennie précédente, les entrepreneurs constatent une raréfaction marquée des financements, notamment sur les tours de table de plus grande ampleur. Selon plusieurs indicateurs, dont ceux compilés par In Extenso Innovation Croissance et confirmés par 75secondes.fr, les montants levés au premier semestre 2025 ont diminué de 34 % par rapport à 2023, tandis que le segment growth equity accuse une chute vertigineuse de 87 % (passant de 1,5 milliard d’euros à 200 millions seulement).
Face à ce climat, la plupart des investisseurs observent une prudence renforcée, causée par une croissance macroéconomique projetée en dessous de 1 % et un environnement fiscal parfois incertain. Si la France demeure la deuxième place européenne en matière de levées de fonds – se situant derrière le Royaume-Uni –, aucun acteur français n’apparaît dans le top 10 des plus grosses opérations du premier semestre 2025. Plusieurs observateurs y voient un signal alarmant, tandis que d’autres y discernent une opportunité pour les structures adaptatives qui misent sur la consolidation.
Cette faiblesse conjoncturelle s’est déjà fait sentir durant l’année 2024, où l’on enregistrait une baisse de 35 % des financements par rapport à l’exercice précédent, d’après divers rapports sectoriels. Le coup de frein s’est prolongé en 2025, conduisant un nombre croissant de startups à envisager ou même à concrétiser des rapprochements entre elles, de manière à constituer des ensembles plus solides et susceptibles d’intéresser des partenaires ou acheteurs potentiels.
La fusion-acquisition : d’un aveu de faiblesse à la stratégie d’avenir
Longtemps perçue comme un repli ou une trajectoire secondaire, la consolidation dans l’univers des jeunes pousses françaises prend aujourd’hui une autre dimension. La dynamique de fusions et acquisitions (M&A) ne se limite plus à l’idée que des grands groupes rachètent des startups pour compléter un portefeuille de services. On assiste désormais à un mouvement endogène : des startups d’envergure intermédiaire absorbent des structures plus petites mais complémentaires, dans le but de mutualiser leurs compétences et d’élargir leur offre.
Spendesk illustre de manière concrète cette tendance. Dès avril 2024, la licorne tricolore, spécialisée dans la gestion des dépenses en entreprise, a racheté Okko, une jeune pousse focalisée sur la gestion des achats. Grâce à cette acquisition, Spendesk a pu élargir ses fonctionnalités vers une approche globale “procure-to-pay”. Cette avancée consiste à couvrir aussi bien la saisie que le traitement et la validation des commandes. Selon la direction de Spendesk, l’intégration rapide des services d’Okko permet de se démarquer dans un marché particulièrement disputé.
Boston Consulting Group (BCG) rapportait en 2023 que les acquisitions de startups françaises avaient plus que doublé entre 2021 et 2022, franchissant même la barre des 600 opérations réalisées depuis 2013. Malgré un léger ralentissement en 2024, l’ensemble du secteur mise sur une accélération pour 2025, comme l’illustre l’exemple de la cybersécurité : Wavestone dénombre déjà 8 acquisitions dans ce domaine au cours de l’année 2025, dont une majorité réalisées par des acteurs français. Entre l’optimisme d’un marché en réinvention et la nécessité de s’adapter, la fusion-acquisition semble se positionner comme l’une des voies de salut pour préserver l’innovation tricolore.
Le growth equity renvoie à des investissements en capital dans des entreprises déjà matures mais en forte croissance. Il s’agit de leur injecter des ressources pour poursuivre leur développement, sans recourir à une introduction en Bourse. Lorsqu’il se raréfie, cela touche durement la capacité des jeunes sociétés à lever de gros montants pour consolider leur position sur le marché.
Ces mouvements de rapprochement ne sont toutefois pas dénués de difficultés. D’une part, l’alignement des équipes est primordial. Les différences de culture d’entreprise, d’outils ou encore de gouvernance peuvent engendrer des tensions. D’autre part, les synergies attendues ne se matérialisent pas toujours facilement, réclamant du temps pour harmoniser les process et garantir une intégration efficace. Malgré tout, nombreux sont désormais les dirigeants pour qui cette stratégie est moins un plan B qu’une opportunité d’élargir leurs horizons.
Zoom sur l’évolution des montants levés : panorama et chiffres-clés
Les données quantitatives aident à comprendre l’ampleur de la baisse de financements en 2025. Plusieurs indicateurs, disponibles notamment via J’❤️ les startups ou 75secondes.fr, soulignent une chute globale de 34 % au premier semestre 2025, comparativement à 2023. Auparavant, en 2023, les startups françaises avaient levé près de 9 milliards d’euros, désignant alors une baisse de 34 % par rapport à 2022 (où l’enveloppe totalisait 13,6 milliards d’euros). Le ticket moyen tombe pour sa part de 15 millions à 10 millions d’euros. À cela s’ajoute un contexte macroéconomique peu favorable, ce qui suscite plus de prudence chez les fonds de capital-risque.
L’effet immédiat est l’assèchement des ressources pour les jeunes pousses en phase d’amorçage. Chez nombre d’entre elles, on constate un effort accru pour reporter ou réduire les embauches et pour se concentrer sur le cœur de métier. Les marges de manœuvre se resserrent, poussant certains dirigeants à se rapprocher de concurrents ou de partenaires afin de limiter les risques.
Par ailleurs, certains secteurs semblent moins affectés. L’intelligence artificielle et la cybersécurité tirent en partie leur épingle du jeu, grâce à un intérêt toujours soutenu de la part d’investisseurs internationaux. Cela n’empêche pas ces verticales d’envisager, elles aussi, des opérations de consolidation, comme en témoignent les multiples rachats effectués sur la scène de la protection numérique.
Bon à savoir sur les IPO
Les introductions en Bourse (IPO) constituaient jusqu’à récemment un rêve pour de nombreuses startups visant la reconnaissance publique et des fonds massifs. Or, la volatilité boursière ambiante et les prévisions économiques difficiles rendent désormais cette voie moins attrayante. Plusieurs observateurs estiment que, pour les 2 ou 3 prochaines années, la consolidation apparaîtra comme une solution plus réaliste.
Au-delà des financements, la scène française connaît un autre phénomène : la difficulté à se hisser au rang de licorne, c’est-à-dire à dépasser le milliard d’euros de valorisation. Hormis quelques réussites emblématiques (dont Doctolib, Contentsquare ou encore Back Market), beaucoup de candidats peinent à attirer les gérants de fonds internationaux. Dans ce contexte, l’enjeu pour les startups de taille moyenne est de parvenir à grossir rapidement, parfois en se mariant entre elles.
Pour donner un aperçu plus global de la santé économique moyenne des sociétés en pleine expansion, voici un tableau retraçant quelques ratios financiers pouvant concerner les startups en croissance :
Les tours de financement en série A et B ont particulièrement pâti de la contraction. De nombreux fonds préfèrent sécuriser leurs investissements existants plutôt que de prendre le risque de se lancer dans de nouveaux projets, surtout lorsque l’environnement économique est jugé trop incertain.
Les startup studios au cœur de la consolidation
Lorsque l’on évoque la consolidation, on pointe souvent les grandes structures acquérant des pépites plus petites. Mais les startup studios occupent aussi une place de choix pour stimuler ces opérations. Dès 2011, Thibaud Elzière et Quentin Nickmans ont fondé eFounders, devenu Hexa en 2022, avec une logique de création en série de sociétés dédiées au SaaS, à la fintech et au web3.
Ce modèle repose sur la mutualisation de ressources (mentorat, financement initial, expertise technique), la mise en commun de retours d’expérience, et la proximité entre entrepreneurs. Ainsi, lorsque l’environnement se prête aux regroupements, Hexa peut aisément organiser la fusion d’une entité prometteuse avec une autre, afin d’accélérer leur croissance combinée. L’exemple de Spendesk et Okko, tous deux liés à Hexa, constitue l’illustration la plus récente de cette démarche.
Repère historique : eFounders devient Hexa
En 2022, le célèbre studio eFounders a réuni plusieurs de ses branches sous une seule entité nommée Hexa. L’objectif était de faciliter la coordination entre les projets et de conforter son modèle d’incubation. À terme, Hexa entend lancer 30 startups par an d’ici 2030, un objectif ambitieux qui mise sur la capacité du studio à détecter des synergies et à encourager les fusions internes.
Avec plus de 40 startups créées, Hexa s’est engagé depuis plus d’une décennie dans l’accompagnement de licornes comme Aircall ou Front. Sur la seule année 2022, la valorisation globale de ses entreprises lancées a dépassé 5 milliards de dollars. Les fondateurs du studio estiment que la consolidation, loin d’être un phénomène de mode, offre aux jeunes pousses une robustesse accrue dans un marché qui se mondialise accélérément.
Une telle logique s’inscrit parfaitement dans la stratégie de la French Tech, qui mise depuis 2013 sur l’émergence de championnes nationales aptes à concurrencer les poids lourds internationaux. Dans un contexte où les fusions-acquisitions ont doublé entre 2021 et 2022, l’idée de consolider par la voie des studios apparaît comme un prolongement naturel de l’écosystème.
Exemple représentatif : Spendesk et Okko, l’alliance gagnante
En avril 2024, Spendesk franchit une nouvelle étape en annonçant le rachat d’Okko. Bien établie sur le segment de la gestion des dépenses et valorisée à plus d’un milliard d’euros après une levée significative en 2022 (100 millions d’euros), Spendesk renforce ainsi son arsenal fonctionnel. Okko, pour sa part, se spécialisait dans la gestion des achats (ou procurement), un complément naturel à l’offre de Spendesk.
L’objectif affiché : proposer aux entreprises une solution globale couvrant tout le parcours achat et dépense. Les deux équipes bénéficient déjà d’une vision commune en matière de gouvernance et de culture d’entreprise, facilitant un alignement de leurs process internes. À long terme, la direction de Spendesk espère se différencier nettement sur un marché européen où la concurrence est vive.
Cette transaction, orchestrée en partie par Hexa, illustre la force d’un écosystème connecté. Plusieurs observateurs y voient un signal fort : la French Tech est capable de créer de la valeur rapidement, tout en suscitant un intérêt auprès d’investisseurs internationaux à la recherche de solutions unifiées. Reste maintenant à mesurer l’impact concret de cette union sur les comptes de la nouvelle entité et sur sa capacité à s’étendre vers d’autres pays.
Intégrer une structure nouvellement acquise nécessite un travail méthodique. Il faut harmoniser les systèmes d’information, revisiter les contrats commerciaux, fusionner ou redéfinir les politiques RH, etc. Souvent, cette phase d’intégration est perçue comme critique : elle peut soit maximiser les synergies, soit entraîner la désillusion si les équipes ne parviennent pas à travailler de concert.
Le soutien gouvernemental : un coup de pouce crucial
Au-delà de l’initiative privée, l’État français tente également de soutenir l’innovation. Le programme French Tech, lancé initialement en 2013, s’est progressivement élargi. Des dispositifs comme la Bourse French Tech (de 10 à 30 000 euros pour les jeunes pousses) ou le French Tech Accélération (capitalisé à hauteur de 200 millions d’euros) ont émergé. À cet arsenal se sont ajoutés des labels prestigieux comme le French Tech 120 ou le Next 40, qui offrent une visibilité renforcée aux startups les plus prometteuses.
Toutefois, ces mesures ne compensent pas totalement l’essoufflement du marché privé. Plusieurs acteurs rappellent que l’État ne peut pas tout, surtout si certains investisseurs étrangers privilégient d’autres zones géographiques jugées plus attractives ou stables. Malgré tout, le gouvernement cherche à encourager des partenariats et des rapprochements, notamment via l’initiative “Je Choisis la French Tech”, invitant les grandes entreprises françaises et administrations à miser en priorité sur des solutions nationales.
Initiatives pour soutenir la consolidation
Dans le cadre du plan France 2030, le gouvernement mobilise 30 milliards d’euros pour encourager la recherche et le développement dans plusieurs secteurs stratégiques : santé, numérique, écologie, etc. Bien que ce plan vise globalement l’innovation, il peut indirectement contribuer à financer ou sécuriser certains projets de fusion entre startups complémentaires, notamment dans les technologies vertes et l’intelligence artificielle.
Selon des analystes, l’intervention publique reste utile pour préserver l’attractivité de l’écosystème, mais elle doit être accompagnée d’investissements privés durables. Sans cela, la French Tech risque de s’exposer à des rachats étrangers, voire de perdre une partie de sa capacité à innover.
Défis culturels et organisationnels
La consolidation n’est pas juste un levier financier. Elle suppose aussi un questionnement sur l’identité et la culture des structures qui décident de former un nouvel ensemble. Il n’est pas rare que les équipes de la startup absorbée peinent à trouver leur place ou que les fondateurs historiques craignent une dilution de leur vision initiale. Sur ce point, la réussite du rapprochement repose souvent sur la capacité managériale à donner du sens, à expliquer la stratégie et à fédérer les salariés autour d’objectifs communs.
Ces difficultés sont d’autant plus sensibles quand la société acquérante et la société acquise n’ont pas le même positionnement. Parfois, la première est très orientée B2B, alors que la seconde a l’habitude de s’adresser au grand public. Parfois encore, l’une est habituée à des cycles de décision très rapides, tandis que l’autre fonctionne de manière plus itérative. Chaque écosystème de travail apporte son lot de pratiques et de réflexes, qu’il faut harmoniser.
Au plan juridique, la consolidation implique également un travail de fond sur le partage d’actifs, la protection de la propriété intellectuelle et l’unification des contrats. Les cabinets d’avocats spécialisés en M&A (fusions-acquisitions) recensent régulièrement des écueils dans la rédaction des pactes d’actionnaires ou dans la définition des droits réels. C’est pourquoi beaucoup de fonds insistent sur la nécessité de préparer en amont la fusion, plutôt que de la réaliser à la hâte pour combler un manque de liquidités.
Qui est Okko ?
Créée en 2023, Okko est une plateforme facilitant la gestion des achats pour les entreprises. En traitant numériquement chaque étape du parcours achat, la société a rapidement suscité l’intérêt de partenaires, dont Spendesk. Son intégration au sein de l’écosystème d’Hexa prouve que même les acteurs très récents peuvent se faire racheter s’ils innovent sur un marché en plein essor.
Regards d’experts sur la dynamique à venir
Pour nombre d’experts, la consolidation fait partie des consolidations de marchés normales lors des phases de maturité. Les premières années d’un boom technologique sont souvent caractérisées par une forte fragmentation : des dizaines ou centaines de startups se créent dans un domaine d’avenir. Ensuite, un tri s’impose, et certaines d’entre elles se rapprochent ou disparaissent. À ce stade, les rapprochements visent à créer des poids lourds capables de rivaliser à l’international.
Un investisseur anonyme déclarait déjà, en 2023 : « Il est peu probable de voir un Uber ou un Airbnb made in France, mais nous pouvons bâtir des champions sectoriels grâce à la consolidation. » L’idée est de s’appuyer sur la complémentarité des solutions, plutôt que de chercher la croissance organique à tout prix. Ni tout le monde n’a les épaules pour soulever un nouveau marché, ni ne peut se payer le luxe d’attendre que l’écosystème se redresse.
Cependant, la réussite n’est pas garantie. Le chantier de la consolidation exige vigilance, capitaux et compétences multiples (juridiques, RH, technologiques). D’où l’importance majeure de la planification. Les échecs passés, tels que certaines fusions ratées par manque de préparation, rappellent que l’euphorie initiale peut vite se transformer en déception si les aspects opérationnels sont négligés.
Des perspectives réalistes pour la French Tech de 2025
En 2025, l’ambition affichée par les acteurs de la French Tech ne se limite pas à sauvegarder leurs positions. Les startups aspirent à continuer d’innover et à décrocher des parts de marché à l’échelle mondiale. Or, dans un contexte où les levées de fonds ont diminué de 34 % depuis 2023, beaucoup estiment que les regroupements sont la meilleure voie pour y parvenir. On assiste presque à un nouveau paradigme : celui d’une French Tech fédérée, bâtie sur la coopération entre entités spécialisées.
Reste à savoir si cette dynamique se prolongera au-delà de la crise conjoncturelle actuelle. Plusieurs experts estiment que la consolidation pourrait s’inscrire dans la durée, car elle permet de catalyser la R&D, d’atténuer la concurrence interne et de convaincre plus facilement des investisseurs internationaux attirés par des “guichets uniques”. La cybersécurité, l’IA, la finance décentralisée (DeFi) et la Green Tech figurent parmi les segments les mieux placés pour profiter de ces arbitrages.
Au final, la French Tech 2025 ne se définit plus seulement par ses licornes, ses licornes potentielles et ses grands tours de table, mais par sa capacité à coopérer pour partager les risques et accélérer sa compétitivité collective. Bien sûr, le pari exige un pilotage fin et une aptitude à surmonter les conflits d’intégration ou de gouvernance, mais la promesse de créer de véritables champions sectoriels est devenue plus crédible grâce à l’essor de la consolidation.
Aujourd’hui, la consolidation semble moins être une simple réaction à la baisse des financements qu’une volonté commune de bâtir un paysage technologique français fort et résilient.