Nouvelle turbulence pour les banques américaines après SVB
Les banques régionales américaines subissent un choc avec une chute de l'indice KBW de 6,3 %, relançant le stress sur les marchés européens.

−6,3 % sur l’indice KBW jeudi 16 octobre 2025. La statistique a suffi à rallumer la mémoire de la chute de SVB. En quelques heures, des annonces ciblées chez trois acteurs américains ont pesé sur tout le compartiment bancaire et fait vaciller l’ouverture européenne le lendemain.
Banques régionales américaines : nouveau choc de marché après SVB
Deux ans et demi après l’effondrement de Silicon Valley Bank, le compartiment des banques régionales américaines connaît un nouvel accès de volatilité. La séance du jeudi 16 octobre 2025 a été marquée par des publications défavorables ou des litiges qui ont déclenché des ventes rapides sur plusieurs titres financiers à Wall Street. L’onde de choc a gagné l’Europe à l’ouverture du vendredi 17 octobre 2025, où les valeurs bancaires françaises ont démarré nettement dans le rouge.
Au cœur du mouvement, l’indice KBW des banques régionales a perdu 6,3 %. L’indice bancaire KBW plus large a cédé 3,6 %, tandis que le S&P 500 a fini en recul de 0,6 %. À Paris, en début de séance, Société Générale a reflué de 4,3 %, BNP Paribas de 3,5 % et Crédit Agricole de 2,4 %.
Lecture consolidée des mouvements mentionnés les 16 et 17 octobre 2025 (Boursorama).
Signal de marché à haute fréquence
Les chocs sectoriels bancaires agissent comme des tests de liquidité. Trois marqueurs à surveiller dès l’ouverture des places européennes :
- Amplitude et diffusion de la baisse intra-sectorielle au-delà des dossiers concernés.
- Rotation vers les valeurs de qualité et aux bilans peu sensibles à la hausse des défauts.
- Réaction des CDS bancaires et du marché du financement de gros à court terme.
Zions, Western Alliance, Jefferies : révélations et impacts chiffrés
La séance américaine a été catalysée par trois informations distinctes, mais interprétées par les investisseurs comme des signaux convergents de fragilité sur la qualité du crédit et la gouvernance des risques.
Zions Bancorporation : perte liée à deux prêts C&I
Zions Bancorporation a fait état d’une perte de 50 millions de dollars au troisième trimestre 2025, imputée à deux prêts commerciaux et industriels gérés par sa division californienne. La communication ne détaille pas les contreparties ni la nature des sûretés, mais le marché y a vu un rappel que les portefeuilles C&I restent exposés à des événements idiosyncratiques lorsque les conditions financières se tendent.
La sanction a été immédiate en Bourse avec un repli de 13 %. Pour les banques régionales, ce type de choc emprunte souvent le canal de la confiance. Même limité à quelques prêts, il questionne l’appétit de risque, la granularité des portefeuilles et la discipline des covenants.
Un défaut C&I isolé peut être absorbé par les provisions si les concentrations sectorielles et géographiques sont maîtrisées. Les expositions indirectes, les garanties réelles, le niveau de provisionnement spécifique et l’évolution du ratio de couverture sont les quatre pivots à décoder lors des publications trimestrielles. L’enjeu n’est pas l’événement lui-même, mais sa récurrence.
Western Alliance : action pour fraude contre Cantor Group
Western Alliance a engagé une procédure pour fraude à l’encontre de l’un de ses clients, Cantor Group. Les éléments précis du dossier ne sont pas publics. Ce type de contentieux rappelle que le risque opérationnel et le risque de fraude prospèrent lorsque les conditions de financement se durcissent et que les lignes de crédit sont intensivement utilisées.
La valeur a reculé de 10,8 %, le marché extrapolant une incertitude sur la vitesse de recouvrement et le périmètre des engagements. Sans préjuger de l’issue, ce litige souligne la sensibilité du secteur aux chocs de réputation et aux coûts juridiques potentiels.
Jefferies : exposition au dossier First Brands
Jefferies a divulgué une exposition au fabricant de pièces automobiles First Brands, placé en faillite récemment. L’annonce a déclenché une baisse de 10,6 % du titre. La transparence sur la nature des expositions a été saluée, mais elle interroge, au-delà de ce cas, la cartographie du risque crédit chez les intermédiaires actifs sur le non coté et le financement structuré.
Pourquoi ces trois annonces ont fait système
Les pertes C&I, la fraude présumée et l’exposition à un débiteur en faillite sont trois facettes différentes d’un même sujet : la qualité du crédit et la qualité des contrôles. Le cumul, sur une même séance, a servi de déclencheur à une remise de prime de risque sectorielle.
Marchés mondiaux et fuite vers la qualité : obligations et or en soutien
La réaction ne s’est pas limitée aux actions. Le rendement des obligations souveraines américaines à dix ans a reflué de plusieurs points de base, retombant sur un plus bas depuis mars 2025. Les flux acheteurs sur les Treasuries traduisent un appétit accru pour les actifs liquides et réputés sûrs lorsque la visibilité sur les pertes de crédit diminue.
Dans le même temps, l’or a poursuivi son mouvement haussier, signe d’un positionnement de couverture. L’enchaînement baisse des bancaires, détente des rendements et appétit pour les valeurs refuges est classique dans les épisodes de stress financiers où prévaut la prudence sur les bilans.
Comme souvent, l’Europe a servi de caisse de résonance lors de l’ouverture du vendredi 17 octobre 2025. Les bancaires tricolores ont accusé le coup avant de chercher des points d’équilibre en séance. Pour les investisseurs français, la question n’est pas tant l’exposition directe aux dossiers américains que l’impact sur le coût du capital et sur la perception du risque du secteur dans son ensemble.
- Réallocation tactique depuis le bêta bancaire vers la duration publique pour amortir la volatilité.
- Anticipation d’un durcissement des conditions de crédit bancaires, pesant à terme sur la croissance.
- Recherche de protection face aux risques d’événements idiosyncratiques qui deviennent plus fréquents en fin de cycle.
Le cas First Brands et les signaux du crédit privé
Le dossier First Brands fait office de révélateur. La faillite du fabricant de pièces automobiles, intervenue en septembre 2025, a touché plusieurs créanciers, dont Jefferies qui a reconnu une exposition. Les analystes y voient un test de transparence pour le marché du crédit privé, un univers en croissance rapide et parfois moins lisible que le segment investment grade coté.
Qui est First Brands Group ?
Actif dans l’équipement automobile, First Brands était en difficulté depuis le début de l’année 2025 avant son dépôt de bilan. Les éléments disponibles mettent en cause la résistance de certains modèles d’affaires aux chocs cumulés sur la demande, les coûts de financement et la gestion des stocks. La faillite interroge la coordination entre arrangeurs, prêteurs et détenteurs de sûretés dans les structures non cotées.
Tricolor : défaut dans l’automobile subprime et effets chez JPMorgan
Dans les jours précédant les annonces bancaires, des courtiers ont rappelé les alertes de Jamie Dimon, PDG de JPMorgan Chase, lors d’une conférence le 14 octobre 2025, à propos de la montée de l’anxiété sur le marché du crédit après les faillites de First Brands et du prêteur subprime Tricolor. Cette dernière, spécialisée dans les prêts automobiles à risque, a fait faillite en juillet 2025, laissant des créances non garanties estimées à plus de 500 millions de dollars.
JPMorgan a provisionné 170 millions de dollars de pertes au troisième trimestre 2025 liées à Tricolor, tout en engageant un réexamen de ses contrôles internes. Jamie Dimon a averti : « Quand on voit un cafard, il y en a probablement d’autres, donc tout le monde doit être prévenu. » Ces propos soulignent le risque de contagion au sein d’écosystèmes de crédit interconnectés, notamment sur des lignes de financement adossées à des actifs.
Dans les transactions de crédit privé, les covenants peuvent être plus souples que dans l’investissement coté. Trois points à éclairer pour les comités de risques :
- Qualité et actualisation des sûretés, notamment sur les stocks et créances.
- Mécanismes de springing covenants et seuils de déclenchement.
- Clauses de transfert et droits de vote lors des restructurations rapides.
Risque de contagion ou incidents isolés
Des stratèges considèrent ces déboires comme circonscrits à des emprunteurs spécifiques. Une note en date du 16 octobre 2025 souligne toutefois que la séquence ravive le souvenir des tensions post-SVB et ramène la qualité du crédit au premier plan après une longue période de taux élevés.
Fraude et contrôle interne : quels risques pour la stabilité
Au-delà du cycle du crédit, la fraude s’impose comme un thème de risque. L’action engagée par Western Alliance contre Cantor Group, dont les détails ne sont pas publics, interroge la robustesse des procédures KYC, la gouvernance des délégations de signature et la surveillance des flux atypiques.
Mike Mayo, analyste chez Wells Fargo, résume la logique historique des cycles de crédit : « En période de crédit facile, les cas de fraude se multiplient. Pour l’instant, le crédit en général va bien, mais il faut surveiller de près les problèmes récents. »
Pour les investisseurs, la question clef est celle de la récurrence. Des affaires isolées n’impliquent pas de risque systémique, mais elles peuvent accroître le coût de la conformité, peser sur les marges et, surtout, retarder la normalisation des multiples de valorisation bancaire. À court terme, l’effet réputationnel prime. À moyen terme, la révision des politiques d’octroi et de contrôle interne détermine la trajectoire du coût du risque.
- Nature des allégations et périmètre exact des engagements concernés.
- Calendrier procédural, probabilité de règlements et provisions déjà passées.
- Incidence sur les notations internes, les limites de concentration et le cadre KYC.
Checklist d’alerte pour comités d’audit bancaires
- Suivi des pertes exceptionnelles et granularité des portefeuilles C&I par secteur.
- Stress tests dédiés au crédit privé et à l’affacturage en période de tensions.
- Audit des processus anti-fraude sur les prêts commerciaux et les canaux digitaux.
- Cartographie des expositions indirectes via des partenariats, syndications et SPV.
France : LCB-FT renforcée et expositions limitées des banques
Les turbulences américaines trouvent un écho en France sur le terrain de la LCB-FT. Le rapport d’activité 2024 de Tracfin, publié le 13 juin 2025, fait état de plus de 200 000 déclarations de soupçon reçues pour la première fois, reflet d’une mobilisation des professions déclarantes, dont les banques, et d’un rehaussement continu des exigences de conformité (économie.gouv.fr, 13 juin 2025).
Pour les établissements français, l’exposition directe aux dossiers américains cités apparaît limitée. Les groupes systémiques, à l’image de BNP Paribas ou de Société Générale, ont indiqué dans leurs rapports trimestriels 2025 une présence dans le crédit privé américain sous contrôle et calibrée au regard de leurs appétits de risque. La vigilance porte davantage sur les effets de second tour : conditions de marché plus volatiles, coûts de refinancement, resserrement des covenants et hausse de la charge opérationnelle liée à la conformité.
BNP Paribas et Société Générale : exposition au crédit privé américain
Les deux banques françaises signalent une exposition au crédit privé aux États-Unis, avec une approche sélective et des limites définies par activité. L’environnement actuel incite à un dialogue plus serré entre métiers, risques et conformité sur les filières sectorielles les plus sensibles, notamment l’automobile et les services financiers spécialisés.
À court terme, la question qui se pose aux directions financières tricolores est double. D’une part, la nécessité d’intégrer un surcroît de volatilité actions et spreads dans les plans de financement. D’autre part, l’alignement entre les politiques d’octroi, les scénarios macro internes et le pilotage de la liquidité, alors que la hiérarchie des taux reste élevée par rapport à la moyenne des dix dernières années.
- Actualiser la cartographie des risques pays et contreparties en cohérence avec les banques partenaires.
- Vérifier les modalités de contrôle sur l’affacturage et les financements de stocks dans les chaînes internationales.
- Renforcer la traçabilité documentaire pour fluidifier les échanges avec les services conformité des banques.
Point marché utile aux directions financières
- Les bancaires européennes réagissent rapidement aux signaux venus des États-Unis, avec un effet d’entraînement sur le coût du capital sectoriel.
- La détente des rendements longs américains indique une recherche de sécurité, mais traduit aussi un scénario de ralentissement des conditions de crédit.
- Les mécanismes de contagion passent moins par l’exposition directe que par la prime de risque exigée par les investisseurs.
Feuille de route pour 2025 : vigilance sélective plutôt que retrait
L’épisode des 16 et 17 octobre 2025 ne réécrit pas à lui seul le cycle bancaire. Il rappelle toutefois que la fin de cycle se lit dans la fréquence des incidents de crédit, la résurgence de cas de fraude et la réactivité des marchés à la transparence des établissements. Le message est clair pour les dirigeants et investisseurs français : privilégier la sélectivité, documenter les risques et garder un coup d’avance sur les scénarios de liquidité.
À mesure que les banques américaines détaillent leurs positions et que les autorités ajustent leurs attentes prudentielles, la courbe d’apprentissage se poursuit. Le marché arbitrera en faveur des acteurs capables de prouver, chiffres à l’appui, la maîtrise de leur risque de crédit et la qualité de leurs contrôles.
L’alerte a sonné, pas l’alarme générale.