+2,4 milliards d’euros au compteur au premier semestre 2025 : Bpifrance hisse son activité d’investissement à un record, tout en opérant un basculement stratégique vers les scale-up et les grandes entreprises technologiques. Un signal fort pour l’écosystème, alors que le capital-risque hexagonal se contracte nettement.

2,4 milliards d’euros investis : Bpifrance amortit le choc du capital-risque

Au premier semestre 2025, Bpifrance a déployé 2,4 milliards d’euros, un volume historique qui confirme le rôle d’amortisseur public de l’établissement face à la frilosité des investisseurs privés. Cette intensité n’est pas neutre : elle s’oriente prioritairement vers les entreprises déjà avancées dans leur trajectoire, au détriment de l’amorçage.

L’écosystème français subit en parallèle une forte dégradation des volumes en capital-risque, avec un recul de 35 % en valeur sur la période, accentuant l’effet d’entraînement des capitaux publics sur les dossiers stratégiques. Dans ce cadre, Bpifrance endosse une fonction stabilisatrice : maintien d’un flux d’investissements et recentrage sur des acteurs clés, pour limiter les ruptures de financement en chaîne (source chiffrée sur les 2,4 milliards d’euros : abcbourse.com, 29 septembre 2025).

Chiffres-clés S1 2025 côté Bpifrance

Ce qu’il faut retenir :

  • 2,4 milliards d’euros investis sur le semestre.
  • 1,8 milliard d’euros en capital-développement, dont 1,6 milliard en segment Large Cap.
  • 282 millions d’euros injectés dans 89 startups en capital innovation, avec un repli d’environ 20 % sur un an.
  • En deeptech : une vingtaine d’opérations cumulant 51 millions d’euros.
  • Marché du capital-risque en France : -35 % en valeur sur le semestre (source chiffrée : FrenchWeb).

Cette sélectivité assumée répond à un objectif de souveraineté industrielle et numérique. Elle privilégie la consolidation de champions nationaux, un levier de masse critique dans un cycle d’aversion au risque. Mais elle pose la question de la continuité de financement pour les projets les plus disruptifs.

France 2030 et deeptech : une cadence de financement ralentie

Du côté des budgets d’innovation relevant de France 2030, le premier semestre 2025 traduit une inflexion notable. Les projets IPCEI H2 enregistrent une baisse de 68 %, à 571 millions d’euros, tandis que les Stratégies nationales d’accélération reculent de 58 %, à 238 millions d’euros.

Les concours i-Nov et i-Démo cèdent environ 53 %. Ces ajustements touchent des filières structurantes, dont le quantique, l’électronique et la santé, et pèsent sur le pipeline de projets.

Dans ce paysage, la deeptech financée par les véhicules de Bpifrance avance à un rythme plus modeste : environ vingt opérations pour 51 millions d’euros sur le semestre. Un niveau en retrait par rapport à 2024, alors même que la compétition technologique mondiale s’intensifie. Le programme French Tech 2030, lancé pour faire émerger une nouvelle génération d’entreprises d’innovation, demeure un accélérateur pour 120 lauréats annoncés en 2023, avec une sélection fondée sur le potentiel de croissance et la pertinence sectorielle.

Parallèlement, l’intérêt pour la deeptech s’élargit au-delà des seuls profils d’ingénierie. Des formations dédiées dans de grandes écoles de commerce affichent complet, un signe que l’écosystème attire désormais des compétences business indispensables à l’industrialisation des innovations et à la structuration de filières.

Les IPCEI désignent des Projets importants d’intérêt européen commun. Sur l’hydrogène (IPCEI H2), ils fédèrent des acteurs publics et privés autour de briques technologiques et industrielles destinées à bâtir des chaînes de valeur en Europe. Leur recul au S1 2025 reflète un ajustement de rythme dans l’allocation des enveloppes, sans préjuger des calendriers ultérieurs.

French Tech 2030 : périmètre et sélectivité

Le programme regroupe 120 lauréats annoncés en 2023, retenus sur des critères de potentiel de croissance et d’impact. Les informations disponibles indiquent une sélectivité renforcée en 2025, avec un filtrage accru des dossiers pour prioriser les trajectoires les plus prometteuses et les secteurs stratégiques identifiés.

Capital innovation : priorité aux réinvestissements et protection des actifs stratégiques

Sur la poche capital innovation, Bpifrance a engagé 282 millions d’euros dans 89 startups au S1 2025, en baisse d’environ 20 % sur un an, mais à un niveau qui contraste avec la contraction du marché global. La majorité des tickets restent des réinvestissements dans des entreprises déjà accompagnées. L’approche protège la valeur des portefeuilles et sécurise les tours de table des sociétés les plus avancées, au risque de limiter la capacité d’amorçage de nouveaux entrants.

Une exception notable tient aux sciences de la vie, où des investissements ont été fléchés vers EG427, Inotrem, Ambos et Fizimed. Le ciblage par filières renforce l’alignement de Bpifrance avec des enjeux de souveraineté technologique et sanitaire, tout en répondant à des plans publics d’accélération sectorielle.

Qonto : soutien prolongé pour la consolidation

Qonto fait partie des entreprises déjà soutenues qui bénéficient d’un réinvestissement. L’objectif est de consolider le modèle, d’ancrer la trajectoire de croissance et de tenir la distance dans une phase de marché plus sélective. Cette logique illustre l’arbitrage opéré en 2025 : sécuriser les leaders pour préserver des effets d’entraînement.

Dalma, Veesion, Genesis AI : continuité de financement

Dalma, Veesion et Genesis AI figurent parmi les sociétés soutenues à nouveau. Le fil conducteur reste la préservation des positions acquises et la densification des moyens pour franchir des étapes critiques d’industrialisation, de commercialisation ou de conformité, sans créer de risques de rupture liés à la conjoncture.

EG427 et Inotrem : cap sur les sciences de la vie

Au sein des sciences de la vie, EG427 et Inotrem illustrent la priorité donnée à des projets à fort contenu technologique. La logique d’intervention vise la robustesse scientifique, le potentiel d’impact médical et la consolidation de chaînes de valeur nationales et européennes.

Dans un cycle de marché en repli, les tours de table de suivi limitent le risque de perte de valeur des participations existantes et réduisent l’aléa d’exécution. Pour un investisseur public, la priorité peut consister à protéger les chaînes d’innovation déjà engagées, plutôt que d’initier un grand nombre de nouveaux paris d’amorçage. En corollaire, l’amorçage nécessite des enveloppes dédiées et des décisions rapides pour éviter une raréfaction des primo-financements.

Logiciels souverains et industries stratégiques : montée en puissance du Large Cap

Le renforcement des tickets en capital-développement se traduit par 1,8 milliard d’euros investis dans 84 entreprises, dont 1,6 milliard sur le segment Large Cap. Les opérations marquantes incluent l’entrée au capital de Septeo, éditeur de logiciels présent à l’échelle européenne, et un renforcement dans Exosens, acteur rattaché aux besoins de défense.

Cette orientation est cohérente avec la volonté de consolider des champions nationaux et de soutenir des actifs critiques, notamment en logiciels souverains et en technologies à haute intensité industrielle. Des communications publiques ont souligné que l’allocation répond à un impératif de souveraineté et à la compétition internationale sur les technologies critiques. À date, les mises à jour gouvernementales indiquent que France 2030 a dépassé 20 milliards d’euros d’investissements cumulés depuis son lancement, contribuant à ces dynamiques.

Septeo : consolidation d’un éditeur de logiciels français

L’entrée au capital de Septeo illustre la priorité donnée aux logiciels d’entreprise et à la construction d’acteurs à échelle européenne. L’enjeu : sécuriser des solutions critiques, renforcer les capacités R&D et accélérer les positions commerciales sur des marchés réglementés et à forte barrière à l’entrée.

Exosens : ancrage dans les technologies liées à la défense

Le renforcement dans Exosens confirme le ciblage de filières stratégiques. L’objectif de politique industrielle est d’asseoir des positions sur des actifs critiques, d’assurer la continuité d’approvisionnement technologique et d’aligner la chaîne d’investissement sur les priorités de souveraineté.

Souveraineté logicielle : points d’attention pour les directions juridiques et DSI

Pourquoi le sujet progresse dans les plans d’investissement :

  • Cybersécurité : réduction de la surface d’attaque et maîtrise des dépendances critiques.
  • Contrôle des données : localisation, gouvernance, conformité aux cadres européens.
  • Interopérabilité : réduction des coûts d’intégration et pérennité des architectures.
  • Trajectoire R&D : maintien des compétences clés et accélération des roadmaps produits.

Un écosystème à deux vitesses : impacts opérationnels pour les dirigeants

Le premier semestre 2025 dessine une fracture entre des scale-up alimentées en capital pour consolider leur position et des jeunes pousses qui voient s’étioler les tickets d’entrée. Les données publiées font état d’une hausse de 15 % des créations d’entreprises tech, en parallèle d’une baisse des financements initiaux. Le décalage risque d’allonger les délais de mise sur le marché et de raréfier les trajectoires deeptech les plus ambitieuses.

La mise à jour 2025 du programme French Tech Next40/120 met en lumière 160 entreprises sélectionnées selon des critères objectifs de croissance. Ce cadre donne un cap pour l’écosystème, mais son effet est surtout visible au stade scale-up. Les sociétés nouvellement créées doivent à l’inverse composer avec une sélectivité accrue des guichets publics d’innovation et des investisseurs privés.

Un recul agrégé du capital-risque de 35 % peut refléter plusieurs phénomènes simultanés : raréfaction des tours tardifs, normalisation des valorisations et allongement des due diligences. Pour les entreprises, l’impact se traduit par des calendriers de levée plus longs, des exigences de performance accrues et une pression renforcée sur les coûts d’acquisition versus monétisation.

French Tech Next40/120 : ce que recouvre l’édition 2025

La 6e promotion, publiée en juin 2025, agrège 40 entreprises au potentiel unicorn et 120 scale-up prometteuses, sur la base de critères de croissance et de chiffre d’affaires. Cet étalon public conforte la visibilité des trajectoires les plus avancées et attire les capitaux vers des dossiers à exécution éprouvée.

Le rôle de Bpifrance se révèle ici ambivalent mais stratégique : à la fois catalyseur de consolidation pour les grands acteurs et gardien de la continuité de financement sur les filières prioritaires. La question de l’amorçage demeure cependant une ligne de crête, que les ajustements à venir de France 2030 pourraient contribuer à clarifier.

(Le recul de 35 % du capital-risque sur le semestre est documenté par des sources sectorielles, dont FrenchWeb ; la hausse à 2,4 milliards d’euros investis par Bpifrance a été communiquée publiquement fin septembre 2025.)

2025, ligne de crête pour l’innovation en France

Le semestre consacre un basculement : consolidation des leaders d’un côté, sélectivité accrue à l’amorçage de l’autre. Bpifrance maintient un niveau d’engagement élevé, tout en orientant ses moyens vers des actifs technologiques considérés comme critiques. Le succès de cette stratégie dépendra de la capacité à préserver un flux d’innovations émergentes, en particulier deeptech, malgré la tension sur les enveloppes précoces.

Les prochaines étapes de France 2030 seront observées de près. Un rééquilibrage en faveur des projets disruptifs permettrait de réaligner la chaîne de financement, de l’idée à l’industrialisation, et de sécuriser la place des entreprises françaises dans la compétition technologique européenne.

Cap consolidé, trajectoire sous surveillance : 2025 teste la résilience et l’agilité de toute la chaîne d’innovation française.