Arago lève 26 millions de dollars pour sa puce photonique JEF
La startup française Arago a levé 26M$ pour développer JEF, une puce photonique visant à réduire de 10× la consommation électrique des data centers IA.
Depuis quelques mois, l'essor fulgurant de l’intelligence artificielle suscite autant d’optimisme que de questions concernant sa dépense énergétique. Entrer en compétition avec les géants du secteur semble téméraire, mais Arago, jeune pousse francilienne fondée en avril 2024, veut prouver que l’on peut renverser la vapeur en misant sur une puce photonique générant moins de chaleur, et donc moins de consommation.
Une dynamique aiguillonnée par la soif de performances IA
Depuis l’émergence fulgurante de ChatGPT à la fin de l’année 2022, la demande en puissance de calcul a atteint des sommets, soulevant de nombreuses inquiétudes liées à l’alimentation électrique. Les infrastructures, qu’elles soient dans de grands data centers hyperscale ou dans des clusters de moindre envergure, se retrouvent confrontées à une exigence de performances colossales, doublée d’un enjeu environnemental. Des GPU consommant toujours plus d’énergie, comme ceux de Nvidia ou AMD, se sont imposés, tout en laissant planer un doute sur la viabilité à long terme de la course à la performance.
Dans ce contexte, Arago propose une solution atypique : un processeur photonique surnommé «JEF». L’idée ? Exploiter la lumière pour transférer et traiter les données, dans le but de réduire drastiquement la chaleur dégagée par rapport à des systèmes fondés sur l’électronique traditionnelle. De fait, l’entreprise assure que sa technologie consomme dix fois moins d’électricité qu’une puce graphique classique, un argument de poids pour les acteurs soucieux de maîtriser leur bilan énergétique tout en gagnant en capacité de calcul.
La photonique repose sur la manipulation des photons, c'est-à-dire des particules de lumière, là où l’électronique traditionnelle use des électrons. Les photoniques peuvent transmettre des données sur la base de la lumière, restant ainsi moins sujettes à la dissipation thermique, ce qui améliore potentiellement le rendement énergétique et la vitesse de traitement.
Cette avancée technologique prend place à un moment crucial : le récent boom de l’IA suscite de grands espoirs dans de nombreux secteurs (santé, industrie, finance, cybersécurité...), tout en entraînant une facture énergétique qui se chiffre en gigawattheures. Les gouvernements européens commencent à mettre la pression sur les entreprises afin qu’elles se conforment aux exigences des plans «Green IT» et autres réglementations visant à réduire l’empreinte carbone.
L’essor d’Arago et sa levée de 26 millions de dollars
En promettant une économie d’énergie d’un facteur 10, la société Arago, établie en Île-de-France, vise désormais un rôle-clé dans la transformation du marché matériel pour l’intelligence artificielle. Son tour de table s’élève à 26 millions de dollars, une somme colossale pour une startup qui en est encore au stade de prototype. Menée par Earlybird, Protagoniste et Visionaries Tomorrow, cette opération a également séduit Generative IQ et C4 Ventures, sans oublier quelques figures notables de la tech, à l’instar d’Olivier Pomel (Datadog) ou encore Bertrand Serlet (ex-Apple, co-fondateur de Fungible).
Le financement devrait permettre à Arago d’approcher, sinon d’atteindre, le stade de commercialisation de sa puce «JEF». Pour la jeune firme, c’est la promesse d’une accélération technologique et d’investissements massifs dans la R&D, ainsi que dans la construction d’un réseau de partenaires stratégiques. Selon Nicolas Muller, co-fondateur et CEO d’Arago, la compatibilité de la future puce avec l’ensemble de l’écosystème IA (en matière de logiciels, d’outils de développement, de chaînes d’approvisionnement, etc.) est un atout fondamental pour favoriser une adoption rapide.
Bon à savoir sur les investisseurs
Les fonds Earlybird, Protagoniste et Visionaries Tomorrow soutiennent déjà plusieurs jeunes pousses spécialisées dans les semi-conducteurs, la mise à l’échelle de l’IA et la photonique. Leurs investissements ciblent des projets aux ambitions globales, qui souhaitent s’imposer sur les marchés internationaux. Leur présence offre une crédibilité supplémentaire auprès des acteurs industriels et financiers.
Certains investisseurs affirment qu’Arago représente un «moment DeepSeek» pour les puces d’IA. Cette formule, utilisée par Hendrik Brandis (co-fondateur d’Earlybird), souligne l’impact transformateur qu’une telle innovation pourrait avoir sur le secteur : s’il suffisait de n’utiliser qu’une fraction des ressources habituelles, les barrières à l’entrée sur l’IA de pointe s’en trouveraient renversées.
Qui sont les fondateurs et quelles sont leurs motivations ?
L’entreprise Arago a été officialisée en avril 2024 par trois co-fondateurs : Nicolas Muller, Ambroise Müller et Eliott Sarrey. Ces entrepreneurs, dont les parcours mêlent expertise en génie optique, en microélectronique et en intelligence artificielle, ont été particulièrement sensibles à l’explosion de la demande en puissance de calcul lors du virage IA de ces dernières années. Leur ambition est double :
- Concevoir un nouveau paradigme de puce qui bouleverse la hiérarchie actuelle
- Allier performances, rendement énergétique et simplicité d’intégration au sein des infrastructures existantes
Dans un entretien récent, Nicolas Muller a souligné que la transition vers un composant basé sur la photonique impose un écosystème complet. De la chaîne d’approvisionnement jusqu’aux frameworks logiciels d’IA, tout doit être pensé pour que la puce ne reste pas cantonnée à quelques centres de recherche, mais soit adoptée massivement par des géants du cloud, des laboratoires pharmaceutiques, ou encore des entreprises en quête de calcul intensif (HPC).
Avant de devenir «Arago», l’équipe dirigeante se penchait déjà sur la photonique dans divers laboratoires de recherche. Certains prototypes confus, développés dans l’ombre, ont servi de socle pour la conception d’un processeur initial fonctionnant avec un laser pilote. Leur approche partait déjà du postulat suivant : la chaleur, grand ennemi des composants électroniques, doit être combattue à la racine, c’est-à-dire au niveau de la physique-même (photon vs électron).
Bien entendu, toute la difficulté réside dans la miniaturisation et l’intégration de ces éléments photoniques sur des supports tenant compte des contraintes industrielles : robustesse, coût de production, compatibilité avec des procédés de gravure, support logiciel... Un ensemble de défis sur lesquels Arago et ses équipes, renforcées par de nouveaux recrutements, doivent encore travailler pour franchir les dernières étapes avant le déploiement chez les clients.
Le marché des semi-conducteurs en mutation : un terrain fertile ?
La conquête de l’IA n’aurait sans doute pas été aussi fulgurante sans l’émergence des GPU, traditionnellement employés pour les calculs graphiques dans l’univers du jeu vidéo, puis mis à profit pour le deep learning. Cependant, la concentration du marché autour de Nvidia, AMD et Intel, pose la question de la diversification technologique. Le secteur se montre de plus en plus friand d’alternatives capables de réduire la dépendance énergétique et d’optimiser les performances de calcul.
Selon diverses estimations, la part des centres de données dans la consommation électrique mondiale pourrait largement dépasser les 5 % dans la décennie à venir. Or, avec l'accélération des algorithmes de machine learning et l’essor d’applications «grand public» (chatbots avancés, générateurs de contenus…), l’empreinte carbone pourrait s’avérer insoutenable. Les gouvernements, notamment en Europe, mettent déjà en place des cadres réglementaires pour encourager la sobriété numérique.
1. Fabrication et supply chain : l’extrême sophistication des puces, devant être gravées à des échelles nanométriques, exige des investissements massifs en R&D.
2. Réduction de la chaleur : la chaleur ralentit les performances et accroît la consommation en refroidissement.
3. Intégration logicielle : pour s’imposer, tout nouveau composant doit être compatible avec les kits de développement IA existants (PyTorch, TensorFlow, etc.).
Au milieu de ce paysage, Arago se positionne comme un précurseur. Le fait de mobiliser la photonique est déjà exploré par certains laboratoires, toutefois la startup souhaite passer à la vitesse industrielle et commerciale avec un produit finalisable. Si le pari se concrétise, la jeune pousse française pourrait devenir l’une des figures de proue de l’innovation matérielle pour l’IA.
Stratégies d’implantation et partenariats en vue
L’investissement de 26 millions de dollars, obtenu via ce tour de table, permettra à Arago d’allonger la liste de ses implantations. La société souhaite renforcer sa présence non seulement en France, mais également en Amérique du Nord et en Israël. Cette expansion géographique répond à deux impératifs :
- La nécessité d’attirer des talents internationaux spécialisés dans la photonique et l’IA.
- L’importance de se rapprocher de grands acteurs industriels ou institutionnels.
Bon à savoir : l’écosystème IA en Israël
Israël est devenu l’un des pôles d’innovation IA et cybertech les plus dynamiques ces dernières années. Plusieurs entreprises israéliennes explorent déjà la relation entre photonique et machine learning, ce qui crée un environnement favorable pour de futurs partenariats orientés vers la R&D.
Cette ouverture à l’échelle planétaire démontre la volonté d’Arago de se hisser rapidement dans la cour des grands. En parallèle, la jeune pousse entend nouer des alliances stratégiques avec des éditeurs de logiciels, des sociétés spécialisées dans l’intégration de solutions de calcul intensif ou encore de grands acteurs du cloud. Le but poursuivi est évidemment de lever tous les freins à l’adoption de la photonique.
De la station F au Future 40 : la reconnaissance de l’écosystème français
Avant sa récente levée de fonds, Arago avait déjà été remarquée dans l’écosystème de l’innovation française en figurant dans la promotion Future 40 de Station F, un programme qui met en avant quarante jeunes entreprises promis à un fort développement. Station F, situé à Paris, se veut le plus grand campus de startups au monde, rassemblant diverses initiatives et soutiens. Être distinguée dans ce cadre confère au lauréat :
- Une visibilité accrue auprès des investisseurs et médias
- Un accès privilégié aux réseaux entrepreneuriaux et institutionnels
- Un label valorisant le potentiel de croissance de la startup
Pour Arago, cette reconnaissance a permis d’initialiser des contacts avec des fonds d’investissement de renom et de conforter sa légitimité sur la scène tech tricolore. Symboliquement, faire partie du Future 40 reflète l’idée que la France demeure un terreau fertile pour des projets technologiques ambitieux cherchant à rayonner à l’international.
Nvidia et AMD, historiquement orientés vers l’électronique pure, demeurent les leaders incontestés du marché. Leur puissance financière, leur maîtrise des chaînes d’approvisionnement et leur écosystème logiciel (CUDA, ROCm) leur confèrent un avantage considérable. Cependant, Arago espère se distinguer par :
• Un modèle énergétique «10 fois moins gourmand».
• Une intégration logicielle facilitée, malgré la nature photonique.
• Une approche éco-responsable en ligne avec les attentes des pouvoirs publics et des entreprises soucieuses de leur image et de leurs coûts.
D’autres challengers, comme Graphcore (Royaume-Uni) ou Cerebras Systems (États-Unis), se positionnent sur des puces spécialisées dans l’IA, quoique basées sur des approches électroniques. Le créneau précis d’Arago — l’exploitation de la photonique — représente une véritable différenciation. Son succès dépendra néanmoins de la concrétisation industrielle et de la capacité d’établir un positionnement solide face à ces géants.
Focus sur la puce «JEF» et ses promesses en matière d’efficacité
Le processeur photonique conçu par Arago, baptisé «JEF», se présente comme une rupture dans l’architecture traditionnelle des semi-conducteurs. À la place des conducteurs métalliques classiques, des lasers miniatures et des modules d’interactions optiques auraient pour mission de calculer et de communiquer des informations via des photons. Cet agencement diminue la perte énergétique due à l’effet Joule (quand un courant électrique traverse un composant, il y a chauffe, on appelle ça l’effet Joule).
Concrètement, cette innovation demande un contrôle précis de la luminosité, de la direction, de la cohérence et de la synchronisation des signaux lumineux. Pour autant, ces défis technologiques ne sont pas insurmontables, selon les ingénieurs d’Arago :
• Les semi-conducteurs photoniques, déjà utilisés dans les communications par fibre optique, prouvent qu’ils peuvent opérer à grande échelle.
• Les progrès dans les sources laser à faible coût et à faible consommation rendent la photonique plus abordable.
• L’IA bénéficie d’une architecture massivement parallèle, dans laquelle la photonique trouve un terrain idéal (traitement simultané de nombreuses données).
Bon à savoir : l’effet Joule
L’effet Joule désigne la dissipation d’énergie électrique en chaleur lorsqu’un courant traverse un conducteur. Dans le domaine des semi-conducteurs électroniques, ce phénomène engendre un gaspillage énergétique et exige un système de refroidissement coûteux en énergie. En photonique, ce problème est considérablement atténué, d’où le gain théorique en efficacité.
En réduisant drastiquement la perte de chaleur, «JEF» pourrait améliorer le rapport performance/énergie, voire permettre de nouveaux gains en densité d’opérations. Cependant, l’étape de rodage, la vérification de l’intégration logicielle et l’obtention d’éventuelles certifications ou validations par des organisations publiques resteront nécessaires avant la mise sur le marché.
Un écosystème IA exigeant et en pleine émulation
Transformer l’IA en un levier énergétiquement soutenable n’est pas l’unique préoccupation d’Arago. Avec la multiplication des frameworks open source, des bibliothèques dédiées au deep learning, des applications de traitement du langage naturel ou de reconnaissance d’images, l'intégration matérielle doit être fluide. La puce «JEF» devra donc être rapidement compatible avec des environnements comme PyTorch, TensorFlow et JAX, afin d’attirer un large panel de développeurs sans leur imposer de réécrire leurs algorithmes.
Par ailleurs, au-delà des considérations techniques, les entreprises se soucient de la sécurité et de la fiabilité des puces, particulièrement dans des secteurs sensibles (banque, santé, défense). Arago s’efforce donc de se constituer un réseau solide de partenaires qui agiront probablement comme «beta-testeurs», avant un déploiement plus vaste. L’écosystème pourra ainsi vérifier la robustesse des dispositifs photoniques sur le terrain, avec de premiers clients pilotes avant une commercialisation globale.
Même si la voie n’est pas libre d’obstacles — la photonique nécessite des procédés de fabrication onéreux, et les ingénieurs spécialisés dans ce domaine sont encore rares — Arago mise sur une forte émulation dans la communauté scientifique pour enchaîner les itérations R&D, et sur un soutien financier solide pour franchir le gouffre entre la phase prototype et la production industrielle.
Analyses et enjeux économiques à long terme
Le pari d’Arago intervient à l’heure où les politiques publiques, en France comme au niveau européen, s’orientent vers la transition énergétique et la souveraineté technologique. Plusieurs plans de relance ou de soutien à l’industrie du futur (Plan France 2030, stratégie européenne sur les semi-conducteurs…) ambitionnent de soutenir la recherche et la production de nouveaux composants critiques, capables de renforcer la compétitivité européenne.
L’impact potentiel de «JEF» dépasse donc la simple conquête d’un marché de niche. Si Arago parvient à concrétiser sa vision, on pourrait imaginer, à moyen ou long terme, une reconfiguration des grands équilibres du marché des puces pour l’IA. Cela dit, les défis réglementaires, la concurrence féroce et la nécessité d’une adoption massive constituent des obstacles de taille.
Entre-temps, l’entreprise veut adresser un «pain point» spécifique : la hausse exponentielle de la demande en calcul. Les big data, le machine learning intensif, les calculs distribués, tout cela exige des ressources matérielles capables de soutenir un volume colossal de requêtes en continu, sans saturation excessive des réseaux électriques. L’argument photovoltaïque rapproche d’autres acteurs souhaitant miser sur la sobriété numérique et sur l’optimisation des ressources, parfaitement en phase avec le concept d’économie durable.
Le concept d’IA sobre et responsable : une nouvelle donne ?
Il est de plus en plus question d’IA responsable et «green AI» : comment entraîner des modèles puissants sans épuiser la planète ? Certains observateurs estiment que l’empreinte écologique de l’IA pourrait devenir l’un des freins majeurs à son expansion, si aucune solution n’est trouvée pour abaisser le coût énergétique. C’est ici qu’intervient l’innovation d’Arago : si l’efficacité énergétique est décuplée, la croissance de l’IA pourrait se poursuivre sans crainte de se heurter à un plafond technologique.
Titre du bloc encadré, à définir selon le contexte
Changement de paradigme ? Les acteurs de l’IA revisitent désormais leurs priorités, avec en tête la diminution de l’empreinte environnementale. Certaines méthodes alternatives, comme les réseaux de neurones économes ou le edge computing, se développent elles aussi pour réduire le trafic et la consommation d’énergie.
Parallèlement, les entreprises qui utilisent massivement l’IA (banques, services internet, plateformes de streaming, etc.) devront bientôt produire des rapports détaillant leur impact carbone. Une architecture photonique pourrait devenir un atout concurrentiel : un moindre coût sur la facture énergétique et une image de marque green. C’est cette convergence d’intérêts qui alimente l’engouement autour d’Arago.
Principales perspectives d’évolution pour Arago
Avec la récente levée de 26 millions de dollars, la firme tricolore jouit d’une plus grande latitude pour financer des postes de recherche et développer une chaîne de production adaptée. Elle espère ainsi entrer dans une phase de test à grande échelle avant la fin de l’année 2024, en collaboration avec un panel restreint de clients et de partenaires. Viendra ensuite le temps d’une production plus significative, et d’une commercialisation ciblant les grandes entreprises spécialisées dans l’hébergement de serveurs et l’IA.
De plus, face à la vivacité de la concurrence, la startup pourrait être amenée à conclure des alliances stratégiques, ou même à envisager un rapprochement plus étroit avec l’un des acteurs historiques du secteur des semi-conducteurs. Dans la mesure où la photonique suscite de plus en plus d’intérêt (on pense notamment au potentiel de l’informatique quantique à base de photons), Arago devra tracer une voie claire pour ne pas disperser ses ressources dans trop de domaines. Le focus reste, pour l’instant, la réduction de la consommation énergétique dans l’IA.
Enfin, le regard attentif des législateurs se fait sentir : dans un contexte où l’UE envisage d’imposer des règles plus strictes pour garantir la responsabilité et la fiabilité de l’IA, il est probable que des critères de performance énergétique émergent progressivement comme un standard. Bien sûr, le rôle joué par la France dans la régulation européenne pourrait constituer un avantage pour Arago, à condition de démontrer rapidement l’efficacité et la sécurité de ses puces.
Une ambition plus large que l’intelligence artificielle
Si le marché de l’IA demeure la priorité numéro un, la photonique pourrait être adaptée à d’autres domaines. Les calculs scientifiques — comme la modélisation climatique, la recherche pharmaceutique, la simulation financière — exigent une puissance de calcul considérable qui se fait souvent au prix d’une facture énergétique monstrueuse. Dans ces secteurs, tout bénéfice thermique ou électrique obtient immédiatement des soutiens, sans compter l’investissement potentiel de multinationales soucieuses de réduire leurs coûts et de verdir leur image.
Enfin, il faut rappeler que la photonique est déjà utilisée dans des domaines aussi variés que les télécommunications (fibre optique), la spectroscopie, les capteurs biomédicaux et même certains systèmes de détection avancée. Combiner cette expertise à celle de l’IA ouvre la voie à des solutions hybrides de cybersécurité, de vision industrielle ou de traitement d’images médicales extrêmement rapides. Arago pourrait, ainsi, à plus long terme, participer à la convergence de plusieurs champs d’innovation.
Une porte d’entrée vers la souveraineté technologique européenne ?
La crise récente autour des semi-conducteurs, couplée à l’éclatement des chaînes de production en Asie, a mis en lumière la vulnérabilité de l’Europe face à ce type de ressources stratégiques. La Commission européenne a présenté un plan visant à soutenir la production locale de puces avancées afin d’assurer une certaine souveraineté numérique. Dans ce cadre, des projets comme celui d’Arago nourrissent l’ambition de remettre le Vieux Continent dans la course à la haute technologie.
Certes, Nvidia, AMD et Intel demeurent des mastodontes. Mais la France espère développer un écosystème d’innovations centrées sur le hardware de nouvelle génération. Ainsi, l’avènement d’une startup comme Arago dans la photonique IA pourrait inspirer d’autres initiatives, lancer des pôles de compétitivité et consolider la filière de la recherche en optique, en microélectronique et en calcul intensif (HPC). L’investissement massif de fonds français et européens dans ce type de projets pourrait être vu comme un acte de foi dans l’émergence d’une «puissance technologique souveraine».
Le chemin restant à parcourir : potentialités et inconnues
Penchons-nous sur les incertitudes qui entourent encore la démarche d’Arago. D’une part, la photonique en est encore, dans le domaine du calcul massif, à un stade précoce. D’autre part, adaptons-nous aux délais de commercialisation: il ne suffit pas de valider un prototype en laboratoire, il faut ensuite industrialiser le procédé, négocier avec des fondeurs, tester la robustesse et la fiabilité à grande échelle, et certifier l’ensemble. Chaque étape est longue et coûteuse.
Au-delà de la dimension technique, le défi marketing n’est pas négligeable. Les décideurs IT ont besoin de garanties quant à la compatibilité de la puce avec leurs infrastructures existantes. Ils exigent par ailleurs de la stabilité dans l’approvisionnement et de l’accompagnement dans l’intégration logicielle. Si Arago parvient à rassurer et à déployer des pilotes concluants sur de gros volumes de données, la startup pourra prétendre concurrencer les leaders. Sinon, la route vers le succès restera semée d’embûches.
Néanmoins, la détermination des fondateurs, soutenue par un conseil d’investisseurs largement expérimentés, offre un terreau propice à l’audace. On observe aussi, en France et en Europe, une volonté publique de réorienter le secteur industriel vers des projets durables et moins gourmands en énergie, ce qui conforte indirectement la vision d’Arago.
Un retour attendu sur investissent : quitter l’étape prototype
Animée par une levée de 26 millions de dollars, la startup dispose désormais d’assez de moyens pour perfectionner sa R&D et valider des «proofs of concept» de grande envergure. Parallèlement, la recherche de nouveaux profils de compétences (ingénieurs optiques, experts en systèmes embarqués, spécialistes de la supply chain…) va s’intensifier, notamment dans un marché du travail hautement concurrentiel.
En prenant en compte les propos d’Arago, l’objectif est de démarrer la phase d’industrialisation d’ici 2025. Les opportunités commerciales se situent surtout chez des acteurs prêts à tester une architecture de rupture pour résoudre des problèmes complexes, tout en limitant leurs coûts énergétiques. Les entreprises opérant dans la recherche scientifique, la modélisation à grande échelle ou le traitement de données sensibles sont le cœur de cible initial. Par la suite, des alliances avec des constructeurs de serveurs pourraient faire passer la puce JEF de l’ombre à la lumière.
Les investisseurs misent déjà sur un retour important à horizon de quelques années. Ils parient sur la combinaison unique de l’expertise photonique et des besoins exponentiels de l’IA, ainsi que sur la tendance mondiale à réduire l’empreinte carbone. Une éventuelle introduction en bourse ou un rachat majeur à plus long terme ne sont pas exclus, si le marché devait valider à grande échelle l’efficacité de la puce.
Derniers encouragements et perspectives d’ouverture
Alors que l’IA s’impose comme un pilier de la transformation numérique, la question de sa consommation électrique demeure plus que jamais d’actualité. Dans ce contexte, Arago promet une solution photonique radicalement plus économe, ce qui pourrait soulager les data centers confrontés à un risque de saturation. Il reste toutefois à confirmer la maturité technologique et la fiabilité en conditions opérationnelles réelles. Malgré tous les défis, la quête d’une IA plus verte et moins inflammatoire sur le plan énergétique devient une urgence à l’échelle mondiale.
Avec une levée de 26 millions de dollars et un prototype photonique ambitieux, Arago cristallise à la fois l’espoir d’une IA durable et le pari d’une nouvelle ère industrielle où la lumière pourrait bien supplanter l’électron pour façonner un futur responsable.