Enrise capte 8 M€ pour convertir les toits industriels à l’autoconsommation solaire
Financement record, modèle zéro CAPEX : Enrise veut couvrir les toitures françaises de panneaux solaires et réduire jusqu’à 30 % les factures d’électricité.

La jeune pousse montpelliéraine Enrise vient d’annoncer une levée de 8 millions € destinée à accélérer la solarisation de l’immobilier commercial et industriel français. À première vue, l’opération ressemble à bien d’autres tours de table ; pourtant, elle révèle plusieurs signaux faibles qui méritent l’attention des professionnels de la finance, du droit et de l’immobilier.
Un ticket d’entrée de 8 millions € qui redéfinit le tempo
Co‑menée par SET Ventures (Amsterdam) et Asterion Ventures (Paris), la levée rassemble également Ring Capital, AFI Ventures, Climate Club, ainsi que la banque publique Bpifrance. L’apport fait grimper la valorisation d’Enrise moins de deux ans après sa création et lui fournit la trésorerie nécessaire pour tripler son effectif d’ici fin 2025. Contrairement aux tours amorçage classiques, les investisseurs ont obtenu la signature en moins de huit semaines, illustrant la pression concurrentielle sur les actifs « transition énergétique ». La tendance confirme l’appétit grandissant pour les modèles d’autoconsommation C&I capables de délivrer un cash‑flow quasi immédiat, dans la foulée des baisses de rendement obligataire.
Répondre à la double norme : loi APER & décret tertiaire
Depuis la promulgation de la loi APER en mars 2023, tout nouvel actif tertiaire de plus de 500 m² est tenu d’intégrer une production renouvelable ou une solution d’ombrage. En parallèle, le décret tertiaire impose une réduction graduelle de la consommation énergétique (-40 % d’ici 2030, -50 % en 2040, -60 % en 2050). Les propriétaires C&I subissent donc une triple contrainte : obligation réglementaire, volatilité des prix de marché et risque de décote patrimoniale. Enrise capitalise sur cette urgence en promettant une mise en service photovoltaïque en moins de huit mois, là où la moyenne nationale dépasse encore 18 mois selon l’Observatoire ONES.
Modèle d’affaires : zéro CAPEX pour le bailleur, -30 % sur la facture locataire
La promesse clé repose sur un contrat Power Purchase Agreement interne : Enrise finance, construit, exploite et maintient la centrale ; le propriétaire loue sa toiture ou son parking sans débourser un centime ; le locataire achète l’électricité solaire à un prix fixe indexé sur l’inflation, en moyenne 30 % inférieur au tarif « vert » B2 (Base 2024). L’ajustement automatique protège les deux parties contre l’embrasement récent des prix spot observé sur EPEX (x4 en août 2022). Ce schéma contractuel, déjà éprouvé dans le résidentiel isolé, se diffuse désormais sur les surfaces >2 000 m² grâce à la baisse continue du LCOE photovoltaïque (‑82 % depuis 2010).
Un positionnement natif « multi‑sites »
À la différence des développeurs historiques qui négocient site par site, Enrise agrège les portefeuilles en une seule due‑diligence technico‑financière ; la plateforme propriétaire calcule l’irradiation, la capacité structurelle, les gains d’autoconsommation et la rentabilité consolidée. Résultat : un cycle projet moyen de sept mois. Cette vélocité séduit les foncières logistiques et alimentaires, dont les calendriers de rénovation ERP sont déjà contraints. En parallèle, la start‑up a tissé un réseau national d’installateurs certifiés RGE, ce qui fluidifie l’exécution locale et réduit les risques de pénurie de main‑d’œuvre qualifiée.
Bon à savoir — APD, APS, AO
Dans un projet C&I, les phases Avant‑projet définitif (APD), Avant‑projet sommaire (APS) et Appel d’offres (AO) représentent jusqu’à 12 % du coût total. Enrise intègre ces études dans son offre, mutualisant les frais sur l’ensemble du portefeuille multi‑sites.
Radiographie du tour de table
SET Ventures, pionnier néerlandais de la “smart energy”, a récemment closé un fonds III de 200 millions €. Asterion Ventures, spin‑off du fonds d’infrastructure Asterion Industrial Partners, cible quant à lui les solutions « asset‑light » à haute marge. Leur arrivée, aux côtés de Bpifrance via le dispositif Ecotech, témoigne de l’alignement stratégique : créer des champions européens du PV distribué capables de rivaliser avec les intégrateurs allemands et lituaniens.
Marché français du photovoltaïque C&I : grand gisement, faible taux d’équipement
La France compte plus de 680 000 toitures commerciales et industrielles ; moins de 5 % accueillent une installation solaire. À l’horizon 2030, le gouvernement vise 54‑60 GW photovoltaïques cumulés, contre ~29 GW fin 2024, soit un doublement en cinq ans. Si seulement un quart de ces nouveaux mégawatts provenaient du segment C&I, il faudrait équiper ~50 000 bâtiments supplémentaires, mobilisant près de 45 milliards € d’investissements selon l’Ademe. Le potentiel fiscal (taxe foncière, contribution CNPE) dépasse déjà 400 M €/an.
Depuis l’arrêté du 21 novembre 2019, plusieurs consommateurs peuvent partager l’électricité d’une même installation via une Personne Morale Organisatrice. Les kWh sont répartis virtuellement par Enedis selon une clé définie dans la convention de participation.
Impact sur la valeur d’actif et la liquidité immobilière
En ajoutant une centrale solaire, le propriétaire obtient un double effet : prolongation de la durée économique du bâtiment grâce à la réfection d’étanchéité, et rehausse de la notation ESG exigée par la taxonomie européenne. Selon CBRE, un entrepôt grade A passe d’un taux de capitalisation moyen de 5,40 % à 5,10 % lorsque le site produit plus de 20 % de ses besoins en énergie verte. La différence représente en valeur présente nette jusqu’à 17 €/m² supplémentaires — deux fois le coût d’une membrane bac acier.
Focus technique : stockage, pilotage et flexibilité
Enrise prépare déjà la phase 2 de son offre avec des batteries lithium‑fer‑phosphate 20 MWh destinées au tertiaire lourd. Objectif : valoriser les effacements sur le marché de capacité et proposer des services auxiliaires au RTE. Le modèle d’affaires pourrait ainsi migrer vers une logique de Solar‑plus‑Storage‑as‑a‑Service, captant un multiple EBITDA supérieur à x11, contre x7,5 en moyenne pour le pur solaire.
Chiffres clés du solaire français 2024
29 GW de capacités installées, 18,8 TWh injectés, 180 000 emplois directs et indirects, coût moyen pondéré du capital 4,2 %.
Qui sont Paul Astrup et Armand d’Ambrières ?
Les deux co‑fondateurs se connaissent depuis l’ESSEC. Paul a dirigé les opérations solaires d’APEX Energies, tandis qu’Armand œuvrait à la direction M&A d’un groupe CAC 40. Ils ont été rejoints début 2024 par Pascal Marguet, figure respectée du PV français, qui apporte son carnet d’adresses GRD et son expérience industrielle.
Le véhicule Enrise : originalités juridiques et financières
À l’inverse d’un SPV par centrale, Enrise structure ses projets dans une holding d’énergie verte notifiée à l’article L.227‑2 du Code de commerce. Cette mutualisation simplifie le refinancement bancaire et réduit les frais de notaire, lesquels pèsent entre 0,8 % et 1,1 % par opération lorsqu’ils sont portés individuellement. La banque dépositaire — Crédit Coopératif — a confirmé un premier green loan de 12 M € indexé sur le label TEEC.
Lecture macroéconomique : pourquoi ce timing est stratégique
La remontée rapide des taux directeurs BCE freine l’investissement immobilier traditionnel ; à l’inverse, le financement de la transition bénéficie d’aides (CII, amortissement fiscal dérogatoire) et de la garantie Bpifrance. En misant sur l’autoconsommation, Enrise s’inscrit également dans le projet gouvernemental de 54‑60 GW solaires en 2030, objectif révisé à la baisse mais toujours ambitieux . Les bailleurs trouvent là un relais de croissance non corrélé aux cycles locatifs.
Comparaison européenne : France vs Allemagne & Espagne
Alors que l’Allemagne a déjà dépassé les 78 GW PV et l’Espagne franchira les 58 GW d’ici fin 2025, la France fait figure de suiveur. Ce retard représente une opportunité : la pression sur la chaîne d’approvisionnement y est moins forte, et le gisement de toitures intactes plus vaste. Enrise table sur cet espace de marché pour devenir un consolidateur avant 2028.
Risques à surveiller : supply chain & régulation
Malgré une baisse de 42 % du polysilicium en 18 mois, la dépendance vis‑à‑vis de la Chine reste critique. En outre, les prochaines révisions de la CRE pourraient réduire le tarif d’achat de l’excédent (feed‑in premium) et rogner la marge. Enrise anticipe ces aléas en contractualisant des modules européens et en privilégiant l’autoconsommation intégrale.
Une fenêtre sociale : création nette d’emplois qualifiés
Le triplement d’effectif annoncé (de 10 à 30 collaborateurs) se concentrera sur la R&D solargis, la gestion de portefeuille et la maintenance prédictive. Chaque centrale déployée générant indirectement 4,6 ETP sur la chaîne de valeur, l’impact potentiel dépasse 2 700 emplois d’ici 2027.
Au‑delà du kilowatt : nouveaux services lucratifs
Enrise envisage la facturation à la donnée énergétique : grâce à des capteurs IoT, le bailleur peut facturer la flexibilité au locataire. Une source de revenus additionnelle estimée à 12‑15 €/MWh selon Artelys. L’étape suivante ? L’agrégation de certificats de capacité et la monétisation sur les marchés M10 et FCR.
Des signaux politiques encourageants
Le plan « Industrie Verte » adopté en août 2024 prévoit un crédit d’impôt jusqu’à 45 % pour les investissements PV ; la simplification des ZADER (zones d’accélération des énergies renouvelables) fluidifie encore l’octroi des permis. Si l’exécutif respecte son calendrier, les goulots d’étranglement administratifs pourraient se réduire de moitié d’ici 2026.
Une nouvelle norme énergétique dans l’immobilier
En somme, la levée de fonds d’Enrise confirme qu’autoconsommer devient la prochaine case ESG à cocher pour les propriétaires C&I. Les bénéfices économiques, réglementaires, sociétaux, créent un cercle vertueux qui transcende la simple réduction de facture. Reste maintenant à industrialiser le modèle sans diluer la promesse de rapidité qui a fait son succès.
Enrise illustre comment la finance climat, la réglementation et l’innovation peuvent converger pour transformer la toiture tertiaire en gisement d’actifs productifs, une révolution silencieuse aux retombées plus qu’énergétiques.