La directive 2023/970 transforme les politiques salariales des ESN
Découvrez comment la directive 2023/970 impacte les ESN en matière de transparence salariale et d'équité entre hommes et femmes.

+6,9 % chez les cadres : c’est l’écart moyen de rémunération entre femmes et hommes relevé en France, alors que les ESN vivent des négociations au TJM encore largement confidentielles. D’ici juin 2026, la directive 2023/970 va imposer la transparence salariale et rebattre les cartes des politiques RH, avec à la clé des impacts financiers, juridiques et sociaux pour tout le secteur numérique.
Directive 2023/970 : obligations clés pour les employeurs
Adoptée en 2023 et transposée en droit français, la directive sur la transparence salariale rend visibles les politiques de rémunération. Les ESN, qui opèrent avec des grilles internes souvent peu formalisées, deviennent des cibles prioritaires de cette réforme qui vise à objectiver les salaires et à réduire les écarts injustifiés.
Au plus tard en juin 2026, plusieurs obligations s’imposeront, dont les suivantes :
- Affichage d’une fourchette de rémunération dans chaque offre d’emploi ou transmission au plus tard lors du premier entretien.
- Transparence des critères d’évolution salariale, avec l’accès à des informations agrégées comme la rémunération moyenne par catégorie de poste.
- Interdiction de questionner les candidats sur leur salaire antérieur, pour neutraliser les effets de cliquet d’une rémunération historiquement basse.
- Publication des écarts de rémunération selon la taille de l’entreprise : annuelle au-delà de 250 salariés, tous les trois ans entre 100 et 249 salariés.
- Évaluation conjointe obligatoire avec les représentants du personnel dès qu’un écart non justifié dépasse 5 %, suivie de mesures correctrices.
- Sanctions possibles en cas de non-conformité, assorties d’un renforcement des droits d’accès à l’information pour les salariés.
Cette architecture impose un changement de culture. Les processus doivent basculer d’une logique de cas par cas à une logique documentée, auditable et traçable, en particulier dans les métiers IT où les différentiels sont encore élevés.
Calendrier de mise en conformité 2026
Au plus tard en juin 2026 : affichage des fourchettes salariales au recrutement, accès aux critères d’évolution, publication périodique des écarts, évaluation conjointe en cas de dépassement du seuil de 5 %. Les RH doivent anticiper l’adaptation des SIRH, la fiabilisation des données et l’outillage d’analyse statistique.
Les indicateurs portent sur les écarts moyens par catégorie de poste et par sexe. Les entreprises doivent pouvoir expliquer les écarts par des critères objectifs comme l'expérience, les compétences ou la localisation. En l’absence de justification ou au-delà du seuil de 5 %, une évaluation conjointe déclenche un plan d’action contraint.
Selon les informations publiées par l’administration, la transposition française conserve l’esprit du texte européen et renforce le droit à l’information des salariés et des candidats sur la rémunération. L’accent mis sur la normalisation des pratiques de recrutement constitue une rupture operative majeure pour les ESN, historiquement habituées à des négociations ad hoc (Service Public, octobre 2025).
ESN : un modèle TJM bousculé par la transparence
La plupart des ESN pilotent leur activité par le Tarif Journalier Moyen appliqué aux missions. Cette variable est négociée projet par projet, souvent sans référentiel de poste unifié ni grille publique. La directive force à expliciter ce qui relevait d’un compromis de marché : comment la rémunération individuelle se relie-t-elle aux compétences, aux niveaux de séniorité et au pricing côté client.
TJM et négociation individuelle, un couple fragilisé
Rendre visibles les fourchettes met fin à la dissymétrie d’information qui structure certaines négociations. Cela réduit l’avantage de l’employeur dans les discussions salariales et réduit les disparités non justifiées entre salariés à poste comparable. Les écarts hérités de négociations opportunistes devront être régularisés, soit par hausses ciblées, soit par refonte des grilles d’embauche.
Ajustements salariaux et marges sous tension
La correction des écarts peut mécaniquement accroître la masse salariale, alors que la répercussion immédiate dans les TJM reste incertaine. Le secteur des services numériques affiche des marges moyennes de 10 à 15 % selon des analyses publiées, des niveaux susceptibles d’être comprimés si les revalorisations ne sont pas compensées par une hausse des prix ou des gains de productivité.
Le TJM intègre le coût salarial, les charges, les jours non facturables, la structure commerciale et la marge. Une revalorisation de +3 % de la masse salariale peut réduire la marge d’un point si le prix de vente reste inchangé. Les ESN devront arbitrer entre réajustements salariaux, optimisation de l’intercontrat et mix de missions à plus forte valeur.
Points juridiques sensibles pour les ESN
- Traçabilité des critères de rémunération et des évolutions individuelles dans le temps.
- Risque de contentieux si l’accès à l’information est incomplet ou si les écarts ne sont pas justifiés.
- Dialogue social renforcé via les évaluations conjointes et la communication chiffrée aux représentants du personnel.
Impacts financiers et RH mesurables en 2025-2026
Au-delà de l’effet d’annonce, la mise en conformité comporte des coûts directs et indirects. Un rapport européen évoque des dépenses initiales pouvant atteindre jusqu’à 1 % de la masse salariale pour structurer les référentiels de postes, adapter les SIRH, auditer les écarts et former les équipes RH. Cette enveloppe peut varier selon la maturité initiale.
Coûts de mise en conformité : que prévoir
- Cartographie des familles de métiers et calibration des niveaux de séniorité lisibles par tous.
- Grilles de rémunération ventilées par postes, zones, séniorité et compétences clés.
- Outillage analytique pour simuler les impacts des hausses et suivre les écarts à 6, 12 et 24 mois.
- Processus de recrutement revus avec fourchettes salariales et scripts d’entretien conformes à l’interdiction des questions sur le salaire antérieur.
Rotation des talents : le double tranchant
Là où les écarts sont les plus flagrants, la période de transition peut aggraver les tensions. Une hausse du turnover a été observée dans les ESN en 2024, de l’ordre de +12 %, corrélée à des insatisfactions salariales. Une transparence assumée peut cependant jouer dans l’autre sens : recadrage des attentes, sentiment d’équité et ancrage des équipes.
Croissance de marché et pression sur les prix
Le secteur des services numériques en France a connu une dynamique estimée à +5 % par an sur 2024-2025. Mais la transparence salariale peut engendrer une recomposition de l’offre : montée en gamme des projets, renégociation de certains contrats fixes, meilleure sélectivité commerciale, réduction des missions à faible marge. Les ESN les plus avancées en pilotage de la marge brute par mission seront avantagées.
- Définir un référentiel de postes unique avec niveaux et critères d’accès.
- Arrêter des fourchettes cibles par poste et par zone géographique.
- Outiller une revue d’équité salariale trimestrielle avec indicateurs standardisés.
- Préparer le kit de recrutement avec fourchettes, scripts et mentions légales.
- Élaborer la procédure d’évaluation conjointe et la cartographie des responsabilités.
Études et données : où en est l’égalité salariale dans la tech
L’égalité salariale progresse mais reste incomplète. En 2023, l’écart global entre femmes et hommes ressort à 15,4 % en France, ramené à 6 % à poste et qualifications équivalents selon les données statistiques publiées en 2025.
Dans la population des cadres, l’APEC fait état d’un différentiel moyen de 6,9 %. Les métiers IT demeurent au-dessus de la moyenne, avec un écart d’environ 8 % pour les profils techniques.
Sur le plan de la mixité, les femmes ne représenteraient qu’environ 24 % des effectifs dans la tech en France, selon une étude récente, ce qui limite mécaniquement la vitesse de convergence. Des travaux soulignent toutefois les effets positifs des équipes mixtes sur la créativité et la réduction des biais, avec un gain d’environ 20 % sur des indicateurs d’innovation.
Des données récentes signalent un frémissement favorable : le Ministère de l’Économie mentionne une diminution de l’écart salarial dans la tech de 2 points entre 2023 et 2024, confirmée par des publications statistiques de 2025. La directive devrait amplifier ce mouvement en contraignant les organisations à formaliser leurs critères et à expliciter leur politique de rémunération aux salariés comme aux candidats (INSEE, mars 2025).
Chiffres à retenir pour la Tech
- 15,4 % d’écart global femmes-hommes en 2023, 6 % à poste comparable.
- 6,9 % d’écart pour les cadres.
- 8 % d’écart dans les métiers IT.
- 24 % de femmes dans la Tech.
- 20 % d’augmentation de créativité attribuée aux équipes mixtes.
Études de cas et stratégies d’ESN pour se mettre en règle
Plusieurs acteurs du marché français ont enclenché des travaux d’audit et de normalisation des pratiques salariales. Les annonces publiques et la communication corporate laissent entrevoir un socle commun d’actions à court terme : audit d’équité, cartographie des postes, publication d’indicateurs, formation des managers au nouveau cadre légal, et mise en place d’une gouvernance salariale associant RH, finance et juridique.
Sopra Steria : audits internes annoncés
Sopra Steria a signalé en 2025 le lancement d’audits pour anticiper la mise en œuvre des nouvelles obligations. L’enjeu est double : garantir la conformité au calendrier et sécuriser la compétitivité en consolidant des grilles suffisamment fines pour tenir compte des expertises, sans créer d’opacité sur les fourchettes d’embauche.
Capgemini : gouvernance salariale en préparation
Capgemini a, de son côté, communiqué en 2025 sur des travaux d’audit interne. La priorité affichée concerne l’alignement des référentiels métiers mondiaux avec l’exigence française de publication des écarts et l’encadrement des critères d’évolution. L’entreprise s’oriente vers un pilotage renforcé des écarts justifiés par la séniorité et les compétences certifiées.
Pionnières de la transparence : pratiques observées
Des entreprises tech hexagonales expérimentent déjà des dispositifs avancés : simulateurs de rémunération en ligne sur leurs portails carrières, fourchettes publiques par métier, ou encore marges fixes explicitées dans les packages, avec redistribution partielle au collectif. Ces pratiques, relayées récemment, montrent qu’une transparence lisible peut devenir un levier d’attraction sur des marchés pénuriques comme le cloud, la cybersécurité ou la data.
- Définir par poste un plancher lié aux prérequis et un plafond associé à des expertises rares.
- Intégrer un couloir géographique pour les écarts de coût de la vie et les contraintes de recrutement.
- Anticiper les points de passage d’augmentation via des critères objectivés et vérifiables.
- Prévoir un mécanisme dérogatoire documenté pour les profils exceptionnels, avec traçabilité de la décision.
Attractivité et marque employeur : des gains tangibles
La transparence salariale est aussi un actif stratégique. Dans le recrutement, des fourchettes claires réduisent les frictions et accélèrent les embauches. Près de 20 % des candidats se retirent d’un processus au moment de la négociation, d’après un baromètre sectoriel de 2024. En apportant de la visibilité dès l’annonce, les ESN diminuent ces abandons et sécurisent la promesse employeur.
Les bénéfices s’étendent à la réputation et à l’engagement. Les entreprises qui communiquent de façon transparente sur les salaires reçoivent davantage de candidatures, avec un gain mesuré d’environ +15 % dans certaines études. L’alignement avec les attentes des générations entrantes, qui plébiscitent l’équité et la lisibilité des règles du jeu, peut renforcer la fidélisation et stabiliser les équipes commerciales et projets.
Enfin, l’harmonisation des pratiques facilite la discussion avec les donneurs d’ordre. Des grilles salariales explicites permettent d’argumenter les TJM sur la base des compétences et de la rareté, plutôt que de devoir justifier a posteriori des écarts individuels. À moyen terme, la transparence salariale peut donc devenir un atout de négociation, au même titre que les certifications ou les SLA.
Indicateurs de succès à suivre
- Taux d’abandon en fin de process de recrutement et délai moyen de signature.
- % d’écarts > 5 % corrigés dans les 6 mois et volume d’évaluations conjointes ouvertes.
- Taux de mobilité interne sur des critères objectivés vs ajustements opportunistes.
- Évolution du NPS salarié post-publication des grilles et des indicateurs.
Un levier pour rendre la Tech plus inclusive
Le secteur numérique a longtemps creusé l’écart, alors même que l’histoire de l’informatique rappelle un rôle fondateur des femmes dans le software des années 1950. La hausse des rémunérations et la requalification des tâches dans les années 1970-1980 ont contribué à une éviction progressive. Réenclencher une dynamique vertueuse exige de rendre visibles les règles salariales, d’éclairer les critères d’évolution et de corriger les biais de négociation individuelle.
Des travaux académiques et européens insistent sur l’intérêt business : des équipes mixtes seraient 20 % plus créatives en moyenne. Combinée à la directive, l’action de fond sur la parité dans la tech française progresse : l’écart salarial y a reculé de 2 points entre 2023 et 2024 selon des chiffres publiés en 2025. L’enjeu est maintenant de passer de la conformité réglementaire à une stratégie de mixité corrélée aux objectifs commerciaux et d’innovation.
L’histoire de l’informatique montre que la féminisation du code a précédé son industrialisation. Lorsque les rémunérations ont augmenté, la composition des équipes s’est masculinée. La transparence salariale inverse la logique en rendant vérifiables les critères de progression et en limitant les effets des normes tacites qui pénalisent les talents sous-représentés.
Cap 2026 : quels arbitrages pour les ESN
À horizon 2026, les ESN doivent trancher trois questions structurantes : quelle profondeur de transparence au-delà du seuil légal, comment financer les rééquilibrages sans dégrader durablement les marges, et comment articuler TJM et grilles pour préserver la compétitivité. Plusieurs indices convergent : afficher les fourchettes au recrutement, muscler la gouvernance salariale et prioriser l’équité à poste comparable semblent devenir des standards opératoires. Des analyses évoquent même la fin progressive de l’individualisation intégrale des salaires au profit d’approches plus collectives.
Les données officielles laissent entrevoir une réduction des écarts d’ici 2026 si les plans d’action sont menés à terme. Pour les ESN, transformer l’obligation en avantage compétitif est la meilleure assurance contre une simple mise en conformité minimaliste.
La transparence salariale s’imposera de toute façon : l’avantage reviendra à celles qui en feront un moteur de performance, pas seulement un chantier réglementaire.