Depuis début octobre 2025, les conseils d’administration de plusieurs grands groupes français se sont succédé pour acter des passations express. La séquence est marquante: des géants technologiques aux industriels, la succession des dirigeants s’est imposée en haut de l’agenda, avec des décisions parfois immédiates et des impacts boursiers visibles. La question n’est plus de savoir si, mais comment préparer et exécuter ces transitions.

Vague de nominations dans le SBF 120 : un quart des groupes en mouvement

Le ton est donné par une série d’annonces rapprochées. OVHCloud, Nexans, Alstom, Sodexo, Soitec, Sopra Steria et Unibail ont officialisé des évolutions à leur tête ou dans leur gouvernance, la plupart en octobre 2025.

Depuis le début de l’année, environ un quart des sociétés du SBF 120 ont opéré des changements similaires. La dynamique reflète un environnement moins lisible, marqué par de nouvelles incertitudes géopolitiques et économiques, et par une exigence accrue des marchés quant à la continuité stratégique.

La séquence actuelle confirme une réalité peu visible en temps normal: la succession d’un dirigeant n’est pas un événement isolé mais un processus, dont la qualité se mesure à l’instant critique. Les décisions interviennent parfois en urgence, parfois dans un cadre planifié, avec un dénominateur commun: la nécessité d’une trajectoire claire pour conserver la confiance des salariés, des investisseurs et des partenaires.

Chiffres-clés de la séquence 2025

Les transitions de dirigeants se concentrent sur quelques semaines, avec:

  • Environ 25 % du SBF 120 ayant engagé un changement de tête depuis janvier 2025.
  • Une rafale d’annonces en octobre chez plusieurs industriels et technologiques.
  • Une attention accrue des investisseurs aux modalités de transition et à la lisibilité stratégique.

Gouvernance : un cadre légal lacunaire mais des codes exigeants

La succession des dirigeants reste un angle mort du droit dur. Le droit des sociétés français ne précise pas les modalités d’organisation d’une succession.

Cette lacune a été soulignée par Jean-Guillaume Meunier, avocat associé chez White & Case, lors du Forum Gouvernance de L’Agefi du 16 octobre 2025. Pour les sociétés cotées, l’exigence vient des codes de gouvernance qui recommandent d’anticiper ces situations et d’en confier la supervision au comité des nominations et des rémunérations.

L’Autorité des marchés financiers se saisit du sujet à un moment de forte rotation managériale: l’AMF prévoit d’y consacrer un chapitre dédié dans son prochain rapport sur le gouvernement d’entreprise, attendu d’ici fin 2025. Ce signal réglementaire renforce une tendance de fond: la culture d’anticipation devient un standard, non une option. Les mises à jour des codes Afep-Medef en 2024 ont, de leur côté, consolidé les attentes en matière de gouvernance pour les émetteurs.

Les codes de place insistent sur trois points: 1) le conseil identifie régulièrement les enjeux de succession pour les fonctions clés; 2) le comité des nominations et des rémunérations pilote la préparation et met à jour les scénarios; 3) la communication externe reste maîtrisée afin d’éviter un signalement précipité qui déstabiliserait le marché. Ces lignes guident les pratiques sans imposer de modalités figées.

Plans de succession : méthode, horizon et rôle du comité

Anticiper, c’est réduire l’aléa. Les sociétés bien préparées conjuguent un plan d’urgence et un plan de moyen terme. Le plan dit autobus permet d’assurer la continuité en cas d’indisponibilité soudaine du dirigeant. En parallèle, un chantier de 18 à 24 mois permet de sélectionner, évaluer et faire monter en puissance des profils internes et externes.

Marc Sanglé-Ferrière, managing director chez Russell Reynolds Associates, recommande une approche très structurée. Le comité des nominations pilote la démarche.

Elle débute par un cadrage stratégique: vision, positionnement, défis sectoriels et enjeux opérationnels. Ce cadrage précède toute short-list, afin d’éviter un recrutement de personne avant un recrutement de mission. L’entretien de routines régulières entre le CEO et le conseil, formalisées et mesurables, contribue à neutraliser les dimensions émotionnelles d’une passation.

Au-delà du profil, la réussite tient au tempo et à la mise en main. C’est le domaine de l’onboarding, à calibrer selon la situation: si la stratégie est établie, un accompagnement ponctuel et limité peut suffire; s’il faut un virage, l’exécutif entrant devra être aligné avec le conseil sur le cadre et la vitesse de l’inflexion.

Base opérationnelle d’un plan de succession

  1. Cartographier les fonctions critiques et leurs relais immédiats.
  2. Définir le mandat cible à partir des enjeux de l’entreprise sur 18 à 24 mois.
  3. Évaluer les candidats internes et ouvrir, si nécessaire, un canal externe.
  4. Tester les scénarios en comité puis en conseil, y compris la communication au marché.
  5. Organiser l’onboarding et le reporting du dirigeant entrant avec l’administrateur référent.

Plan autobus: dispositif de continuité immédiate en cas d’indisponibilité soudaine d’un dirigeant clé. Administrateur référent: pivot de la relation entre le conseil, le président et le directeur général, il fixe les règles du jeu, particulièrement en tandem dissocié. Onboarding: processus d’intégration structuré du dirigeant entrant, avec objectifs, jalons et feedbacks prédéfinis.

Familles, start-up et private equity : déclinaisons opérationnelles

La succession n’est pas l’apanage des sociétés cotées. Dans les entreprises familiales, la dissociation des fonctions de président et de directeur général peut faciliter le passage de relais intergénérationnel, surtout lorsque le fondateur reste une figure forte. Du côté des start-up, ce choix peut équilibrer le tandem entre un visionnaire et un manager exécutif, notamment lors des crises de croissance.

Pour les fonds de private equity, l’enjeu est asymétrique: la valeur d’un actif dépend souvent de la capacité à réduire le risque de dépendance au dirigeant en place. Dès l’entrée au capital, les équipes d’investissement cherchent à collégialiser la direction et à établir des alternatives crédibles à horizon revente, comme l’explique Jean-Guillaume Meunier. Cette préparation offre un meilleur profil de sortie au moment de présenter l’entreprise à un acquéreur.

  • Entreprises familiales: dissociation pour préserver l’ADN tout en déléguant l’exécution.
  • Start-up: arbitrage entre la vision produit et l’exigence de process.
  • Private equity: mise en place de key people multiples pour limiter le risque de personne clé.

Pourquoi les fonds préparent la relève dès J1

Trois raisons dominent:

  1. Prévisibilité du cash-flow en cas de départ imprévu.
  2. Crédibilité à la revente avec une équipe dirigeante élargie.
  3. Réduction du coût de transition grâce à des scénarios éprouvés.

Cas récents dans le SBF 120 : chronologie des décisions

Plusieurs annonces ont rythmé octobre 2025, avec des profils de gouvernance variés. Les exemples ci-dessous illustrent les pistes suivies et leurs effets immédiats, y compris sur le marché.

Nexans : un nouveau directeur général et une sanction immédiate en Bourse

Le 13 octobre 2025, Nexans a nommé Julien Hueber directeur général en remplacement de Christopher Guérin. La décision, prise par le conseil d’administration avec effet immédiat, a été suivie d’une baisse de 9,26 % du titre à la clôture, à 114,70 euros selon les données publiées par Boursorama. Le signal envoyé par le marché est net: l’explicitation du mandat du dirigeant entrant et la stabilité de la trajectoire stratégique sont scrutées dès J1.

Alstom : prise de fonctions de Martin Sion

Alstom a vu Martin Sion prendre les rênes, un mouvement relevé par L’Usine Nouvelle le 17 octobre 2025. Ce passage de témoin illustre la volonté d’affermir le pilotage exécutif dans une période d’ajustements industriels. Les éléments complémentaires de calendrier et de périmètre n’ont pas été détaillés publiquement dans la matière fournie.

Sodexo : dissociation au sommet et présidence non exécutive

En octobre 2025, Sodexo a dissocié les fonctions de président et de directeur général. Sophie Bellon est devenue présidente non exécutive, configuration pensée pour fluidifier la passation et encadrer l’onboarding du dirigeant opérationnel. Ce choix illustre l’usage d’un tandem de gouvernance pour sécuriser la continuité tout en affirmant le rôle du conseil.

OVHCloud : retour à l’unification des pouvoirs exécutifs

Le 21 octobre 2025, OVHCloud a réuni les fonctions de PDG entre les mains de son fondateur Octave Klaba, après seulement un an de dissociation. L’entreprise a officialisé ce choix dans un communiqué. Cette reconfiguration démontre qu’un modèle dissocié n’est pas immuable et qu’une réunification peut s’imposer si elle est jugée plus efficace face aux enjeux opérationnels du moment.

Unibail : nouvelle direction actée

Unibail a annoncé un changement de patron le 23 octobre 2025. Les éléments détaillés n’ont pas été communiqués dans la matière fournie, mais l’annonce s’inscrit dans le mouvement général d’ajustement des gouvernances observé dans le SBF 120 sur la période.

Soitec : annonces concentrées en octobre

Soitec fait partie des groupes ayant communiqué en octobre 2025 sur leur gouvernance ou leur direction, dans la lignée des ajustements constatés chez d’autres émetteurs. Aucune précision additionnelle n’est apportée ici au-delà de cette chronologie.

Sopra Steria : trajectoire alignée avec la tendance de place

Sopra Steria s’inscrit également dans la séquence d’octobre 2025 marquée par des annonces de gouvernance. Les détails publics n’ont pas été fournis dans la matière, au-delà du rattachement temporel à ce mouvement.

Dissocier présidence et direction générale : outil de transmission ou fausse bonne idée

La dissociation des fonctions est un levier souvent mobilisé pour sécuriser la passation. Chez Sodexo, l’option a été choisie pour organiser un accompagnement du dirigeant opérationnel par une présidente non exécutive. Dans d’autres cas, l’entreprise peut juger qu’une réunification est plus adaptée, comme l’a montré OVHCloud en octobre 2025.

Cette configuration n’est pas un remède universel. Elle exige une définition stricte des rôles, une discipline relationnelle et l’arbitrage vigilant de l’administrateur référent. Comme le rappelle l’exemple de Schneider Electric, où Peter Herweck a quitté ses fonctions fin 2024 après 18 mois malgré de bonnes performances et l’appui de Jean-Pascal Tricoire, la réussite d’une dissociation dépend autant de l’alignement stratégique que des résultats.

À retenir sur la dissociation

  • Utile lorsque la stratégie est stabilisée et que l’onboarding doit être balisé.
  • Plus délicat en cas de virage stratégique majeur, source potentielle de friction.
  • Indispensable: des règles claires fixées par l’administrateur référent et validées en conseil.

Capacité de résilience et données Insee : ce que disent les chiffres

Les données Insee éclairent l’ampleur du sujet managérial. Fin 2022, 3,9 millions de personnes dirigeaient une entreprise en France hors agriculture, dont 91 % affiliées à un régime de protection sociale non salariée.

Cette cartographie souligne la diversité des statuts des dirigeants et l’ampleur des enjeux de transmission au-delà des seuls émetteurs cotés. Les chiffres font aussi apparaître des hybridités de parcours, avec par exemple 19 000 dirigeants principalement salariés, signe de gouvernances ajustées à des réalités de terrain.

Sur la durée, la solidité des structures juridiques joue. Parmi les entreprises créées en 2018, 69 % étaient encore actives cinq ans plus tard, une proportion plus élevée pour les sociétés que pour les entreprises individuelles, un indicateur de pérennité lié à la structuration des équipes et des organes de gouvernance (Insee, 2025). La préparation des successions n’explique pas tout, mais elle contribue à cette résilience observable.

L’Insee distingue les dirigeants selon leur statut et les secteurs. Le périmètre mentionné concerne la France hors agriculture et comprend des dirigeants affiliés à des régimes non salariés, mais aussi des cas particuliers de dirigeants ayant une activité principalement salariée. Cette granularité statistique rappelle la variété des configurations de gouvernance dans les TPE, PME et sociétés.

Gouvernance et marché : comment une passation se gagne

Les récentes décisions dans le SBF 120 confirment que les marchés arbitrent moins sur le principe d’un changement que sur la cohérence de la trajectoire, la qualité de l’explication donnée et le tempo d’exécution. L’AMF apportera d’ici fin 2025 un éclairage attendu sur les bonnes pratiques. Pour les entreprises, l’équation est claire: expliciter le mandat, préparer les scénarios et maîtriser la communication.

À mesure que les cycles stratégiques se raccourcissent, les plans de succession deviennent un actif de gouvernance à part entière. Leur qualité se lit dans la stabilité opérationnelle et la confiance des actionnaires. À défaut de formule magique, c’est la somme de détails bien exécutés qui fait la différence.

Une transition réussie est moins une nomination qu’un projet d’entreprise bien orchestré.