Limiter les meublés touristiques suffit-il à détendre le marché du logement, ou détourne-t-on le regard du cœur du problème que sont les résidences secondaires inoccupées et la sous-occupation des logements ? Alors que plusieurs métropoles européennes resserrent la vis, l’enjeu économique, fiscal et urbain en France appelle une grille de lecture plus fine, orientée efficacité et sobriété foncière.

Restrictions en europe : un signal fort, des effets collatéraux à mesurer

Plusieurs villes européennes emblématiques du tourisme ont durci l’encadrement des locations meublées de courte durée, en ciblant en priorité les hyper-centres et les quartiers historiques. Le message est clair : limiter la spéculation, ménager le voisinage, reconquérir du logement pour les résidents.

Ce mouvement, s’il répond à des tensions réelles, produit toutefois des effets de bord économiques et sociaux. Il pèse sur les acteurs locaux spécialisés dans la gestion d’hébergements, renchérit les coûts de conformité, et peut déplacer la pression vers la construction neuve. Le débat se structure donc autour d’une question simple mais structurante : quelle cible réguler en priorité pour rééquilibrer le marché sans affaiblir l’écosystème touristique local ?

Barcelone : extinction programmée des appartements touristiques

La capitale catalane a annoncé l’extinction progressive des licences d’appartements touristiques d’ici 2028, avec la volonté de restituer des milliers de biens au marché résidentiel. L’orientation est assumée : réduire le stock de logements dédiés aux séjours de courte durée dans les zones les plus denses et les plus tendues.

Pour les opérateurs, cela signifie un repositionnement rapide vers d’autres formats d’hébergement ou vers des localisations moins contraintes. Pour les commerçants, l’enjeu est le maintien d’un flux de visiteurs suffisant hors haute saison. La décision illustre un arbitrage politique explicite, mais qui doit être suivi de mesures d’accompagnement ciblées pour éviter des friches administratives et un effet domino sur l’emploi local.

Lisbonne et florence : gels et périmètres restreints

À Lisbonne, les pouvoirs publics ont successivement resserré l’octroi de nouvelles autorisations dans des périmètres prioritaires, afin d’encadrer l’Alojamento Local dans les quartiers les plus fragilisés par le surtourisme. Florence a, de son côté, gelé les nouvelles autorisations dans son centre historique classé, où les habitants permanents se raréfient.

Ces stratégies convergent : agir d’abord là où l’impact social est le plus net. Elles rappellent également la nécessité de calibrer finement la régulation à l’échelle du quartier, et pas seulement à l’échelle communale. L’outillage numérique et l’échange de données entre plateformes et municipalités seront ici déterminants pour une application équitable.

Bon à savoir : ce que change l’échelle de régulation

Quand la régulation s’applique au niveau du quartier plutôt que de la commune entière, l’impact économique et social est plus précis : on protège les zones saturées sans pénaliser les secteurs moins touristiques. Cela suppose toutefois un suivi chiffré, une transparence des données et des contrôles ciblés, sinon le risque est de créer des inégalités de traitement difficiles à soutenir politiquement.

Le grand angle oublié : l’inoccupation et la sous-utilisation du parc existant

Opposer frontalement rentabilité et responsabilité occulte une réalité tangible : une part considérable du parc de logements est peu ou pas utilisée une grande partie de l’année. C’est le cas des résidences secondaires, mais aussi des résidences principales en sous-occupation, notamment après les départs d’enfants ou les séparations.

Selon les données publiques les plus récentes, la France compte près de 3,7 millions de résidences secondaires ou logements occasionnels, soit environ 10 % du parc, un ratio parmi les plus élevés d’Europe. Dans plusieurs communes littorales et de montagne, la proportion dépasse la moitié des logements, avec des centres-villes très actifs l’été et des rues quasi vides hors saison.

Ce constat invite à une autre logique de correction : activer l’existant. Il ne s’agit pas d’ériger la location de courte durée en solution miracle, mais de l’inscrire comme un levier parmi d’autres, capable de redonner de la vie à des logements durablement inoccupés, tout en évitant une surconstruction coûteuse et émettrice de carbone.

Vacance prolongée : logement vide sur une longue période, sans occupant ni usage touristique. Cible prioritaire des politiques anti-friches.

Résidence secondaire : logement occupé saisonnièrement par son propriétaire. Potentiel de mise en circulation partielle via des séjours courts encadrés.

Sous-occupation marquée : résidence principale disproportionnée au regard de la taille du ménage. Des solutions existent comme la cohabitation intergénérationnelle, la division légère ou la location ponctuelle de partie de logement, chacune avec ses règles.

Dans ce prisme, l’interdiction générale des locations courtes ressemble à un traitement des symptômes. Cibler l’inoccupation structurelle, mieux répartir l’usage dans l’année et mobiliser la sous-occupation constituent une politique plus efficiente pour réduire les tensions, tout en respirant l’économie locale.

Ce que pèsent les hébergements touristiques dans l’économie locale

Le meublé de tourisme n’est pas un simple produit d’hébergement. C’est un point de contact dense avec l’économie territoriale : ménages qui monétisent leur bien, conciergeries, artisans, blanchisseries, commerces de proximité, mobilités locales et services culturels.

Pour les communes, la taxe de séjour est une recette fléchée vers l’attractivité touristique, l’entretien des espaces publics et la promotion des destinations. Au-delà, la collecte et le partage de données avec les plateformes permettent d’affiner les politiques locales, en identifiant précisément les zones saturées ou au contraire sous-fréquentées.

À l’échelle de l’Union européenne, l’essor des plateformes numériques a attiré une clientèle diversifiée, plus diffuse géographiquement que l’hôtellerie classique. Eurostat a enregistré un niveau record de nuitées en 2023 via les grandes plateformes, signe d’un phénomène désormais structurel et complémentaire de l’offre traditionnelle (Eurostat, 2024).

  • Effet panier moyen : la dépense touristique irrigue la restauration, l’alimentation, les activités sportives et culturelles, avec un impact multiplicateur local notable.
  • Emploi : les services associés à la location courte créent des emplois non délocalisables dans l’entretien, l’accueil, la maintenance, la sécurité.
  • Fiscalité : entre taxe de séjour, fiscalité sur les revenus locatifs et taxes d’urbanisme, les retombées sont multicanales.

Pour autant, la création de valeur n’exonère pas des coûts d’externalités : nuisances, densification de certains micro-secteurs, fragilisation du logement permanent dans les hyper-centres. C’est ici que l’ajustement fin, quartier par quartier, trouve sa pertinence, en calibrant des planchers d’occupation résidentielle et des plafonds de nuitées.

Métriques Valeur Évolution
Parc de logements en France 37,8 millions (01/01/2023) +0,8 % par an entre 2018 et 2023
Résidences secondaires et logements occasionnels 3,7 millions 9,8 % du parc
Part des ménages propriétaires de leur résidence principale ≈ 57 % Légère baisse depuis 2013
Nuitées via plateformes dans l’UE en 2023 678 millions Record annuel

Lecture économique : ces ordres de grandeur confirment que le gisement d’optimisation réside d’abord dans l’activation de logements existants peu utilisés. Mieux réguler les meublés de tourisme est utile, mais la véritable réserve d’offre se situe du côté de l’inoccupation et de la sous-occupation.

Régulation française : où se situe la ligne d’équilibre juridique

Le cadre national s’est densifié ces dernières années pour donner des marges de manœuvre aux maires tout en stabilisant les règles pour les acteurs économiques. Trois piliers structurent l’architecture actuelle.

  • Usage du logement : dans de nombreuses villes tendues, transformer un logement en meublé touristique de type commerce nécessite une autorisation de changement d’usage, parfois avec compensation. Les grandes métropoles disposent d’outils spécifiques et de barèmes territorialisés.
  • Résidence principale : la location est possible dans la limite de 120 nuits par an, sous réserve de déclaration et, le cas échéant, d’un enregistrement municipal. Le plafond cible la rotation anormale qui priverait durablement le marché résidentiel.
  • Fiscalité locale : taxe de séjour collectée par les plateformes, majoration possible de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires dans de nombreuses communes, et taxe sur les logements vacants sur les territoires éligibles.

Déclaration et enregistrement : nombre de communes exigent un numéro d’enregistrement à afficher sur les annonces, facilitant le contrôle des seuils de nuitées.

Collecte fiscale : les plateformes collectent la taxe de séjour pour le compte des hôtes et transmettent des données agrégées à la collectivité.

DAC7 : depuis 2023, les plateformes déclarent aux administrations fiscales européennes les revenus des vendeurs et loueurs actifs, renforçant la transparence et la conformité.

À l’échelle européenne, un règlement spécifique sur la collecte et le partage de données des locations de courte durée harmonise progressivement les pratiques. Il facilitera l’alignement des systèmes d’information des villes et des plateformes, un prérequis pour une régulation crédible et contestable juridiquement.

Point juridique : la proportionnalité, clé de voûte des restrictions

Dans un État de droit, toute restriction à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété doit être nécessaire, adaptée et proportionnée. Concrètement, un gel indifférencié sur l’ensemble d’une commune est plus fragile juridiquement qu’une mesure calibrée par micro-secteurs, s’appuyant sur des indicateurs objectivés et régulièrement réévalués.

Cibler mieux : une boîte à outils pour activer l’existant sans surconstruire

Si l’objectif est de libérer des logements pour les actifs locaux, la méthode la plus efficiente consiste à traiter la sous-utilisation. Plusieurs instruments complémentaires, d’inspiration économique, peuvent être mobilisés par les collectivités et l’État.

  • Modulation fiscale intelligente : bonus-malus sur la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, indexé sur la durée d’occupation effective attestée. Objectif : inciter à ouvrir le bien quelques semaines au marché, de façon encadrée.
  • Contrats territoriaux d’occupation : conventions entre communes et propriétaires de résidences secondaires, fixant un nombre minimal de semaines louées à des publics cibles hors haute saison, contre avantages fiscaux locaux ou services.
  • Baux hybrides : favoriser les formats mixtes combinant location moyenne durée et location touristique très encadrée, dans des périmètres définis, afin de maintenir une base résidentielle tout en soutenant le tissu économique.
  • Activation de la sous-occupation : cohabitation intergénérationnelle et location d’une partie du logement, via guichets municipaux facilitant l’assurance, la mise en conformité et l’intermédiation.
  • Cadre de quotas localisés : plafonds de nuitées par îlot ou par copropriété, avec barèmes évolutifs selon les périodes, plutôt qu’une interdiction uniforme à l’échelle d’une ville entière.

L’enjeu n’est pas d’opposer les modèles d’hébergement, mais de répartir les usages dans le temps et dans l’espace, à partir d’un diagnostic objectivé. Un tel design de politique publique offre une meilleure acceptabilité et limite les contentieux.

1. Définir la cible résidentielle : part minimale de résidences principales à maintenir par îlot, établie en fonction de la démographie et du parc social.

2. Fixer un plafond dynamique : nombre total de nuitées touristiques annuel autorisé par îlot, révisable chaque année selon les indicateurs de tension.

3. Allouer les droits de nuitées : priorité aux résidences secondaires aujourd’hui inoccupées, sous réserve de règles de qualité et de nuisances, puis ouverture aux nouveaux entrants par tirage ou enchères locales.

4. Contrôler et ajuster : data partagée, contrôles ciblés, et révision publique des barèmes pour assurer transparence et efficacité.

Impacts business : coûts de conformité, montée en gamme et data comme avantage comparatif

Pour les entreprises de la chaîne de valeur des meublés touristiques, la bascule réglementaire impose une professionnalisation accrue. Les gagnants seront ceux qui combinent conformité exemplaire, performance opérationnelle et ancrage territorial.

  • Coûts de conformité : procédures d’enregistrement, reporting fiscal, suivi des plafonds de nuitées. Les gestionnaires devront outiller le pilotage, automatiser la collecte des pièces et proposer des garanties aux copropriétés.
  • Montée en gamme : la rareté induite par les quotas justifie un positionnement qualité, avec des standards de maintenance, de confort acoustique et de respect de l’immeuble.
  • Data et cartographie : la capacité à lire finement la demande, à éviter les zones saturées et à lisser l’occupation hors saison deviendra un différenciateur clé.
  • Partenariats locaux : coopérations avec offices de tourisme, mairies, commerces de proximité pour sécuriser l’acceptabilité sociale et optimiser les flux.

Guestadom : stratégie d’ancrage local et démarche sectorielle

Fondée par Théo Deniau, Guestadom se positionne sur une gestion opérationnelle des locations de vacances qui privilégie la qualité de service, la conformité et l’intégration territoriale. Le dirigeant est également vice-président du SPLM, réseau professionnel de la location meublée, engagé dans le dialogue réglementaire.

Le modèle met l’accent sur des circuit courts entre propriétaires et voyageurs, une standardisation des process, des indicateurs de nuisance maîtrisés et un accompagnement des copropriétés. Une stratégie qui épouse la tendance de fond : moins de volume, plus de qualité et davantage de redevabilité.

Indicateurs à suivre pour les opérateurs

Flux de nuitées par quartier, taux de sous-occupation des résidences principales, cartographie de la vacance, seuils réglementaires locaux, plaintes de voisinage, retombées de taxe de séjour, temps de traitement des autorisations de changement d’usage.

Le prisme résidentiel : ménages, pouvoir d’achat et équilibre saisonnier

Au-delà de la mécanique réglementaire, il faut regarder la réalité des ménages. La progression récente du niveau de vie médian, malgré l’inflation, reflète l’effet de mesures de soutien et pourrait soutenir une pratique touristique de proximité, notamment via les locations indépendantes de courte durée, généralement accessibles et modulables selon les budgets.

Le marché locatif de longue durée reste cependant tendu, en particulier sur les petites surfaces recherchées par les étudiants, jeunes actifs et travailleurs de la saison. Cela milite pour des dispositifs hybrides qui facilitent la mise en circulation temporaire des résidences secondaires et la mobilisation de la sous-occupation, sans détourner l’offre structurelle du marché résidentiel.

  • Hors saison : inciter l’ouverture des résidences secondaires pour des séjours courts ou moyens, ciblés sur des publics en mobilité professionnelle temporaire ou en formation.
  • Étudiants et saisonniers : baux mobilité, logement chez l’habitant, et intermédiation par des opérateurs labellisés pour sécuriser l’expérience et limiter les frictions.
  • Cohabitation choisie : solutions locales accompagnées, avec sécurisation juridique et assurances, afin d’activer la sous-occupation des résidences principales.

Dans la plupart des territoires, la solution ne viendra ni d’un bannissement général des locations courtes ni d’une dérégulation totale, mais d’un assemblage pragmatique d’outils, centré sur l’usage réel du parc.

Mesurer la sous-occupation très accentuée permet d’identifier des volumes activables sans construire : chambres libres, parties de maison, logements trop grands pour la taille du ménage. En déployant des incitations ciblées et un accompagnement de proximité, le gisement est mobilisable rapidement, à faible coût public et sans artificialiser de nouveaux sols.

Partage de données et transparence : conditions d’une régulation crédible

Une régulation fine suppose des données fiables et partageables. C’est tout l’objet des évolutions en cours : échange sécurisé entre plateformes et collectivités, normalisation des formats, identifiants uniques, traçabilité des nuitées, et publication d’indicateurs par quartier.

La France dispose d’un socle de statistiques solides. Le parc de logements atteint 37,8 millions au 1er janvier 2023, avec une croissance ralentie à 0,8 % par an depuis 2018. Les résidences secondaires et logements occasionnels représentent près de 3,7 millions d’unités, soit environ 9,8 % du parc national (Insee). À l’échelle de l’Union, les nuitées via plateformes ont atteint 678 millions en 2023, record historique (Eurostat, 2024).

Ces quelques chiffres de cadrage montrent que le levier central n’est pas tant la construction massive que la réallocation d’usage du parc existant. Les entreprises qui sauront lier leur développement à cet objectif de sobriété foncière s’installeront durablement au cœur de la chaîne de valeur.

  • Accords de partage de données : conventions standardisées avec les communes sur l’échange d’informations, permettant un contrôle mesuré, intelligible et opposable.
  • Reporting extra-financier : publication d’indicateurs d’acceptabilité sociale et environnementale, y compris nuisances, efficacité énergétique des logements gérés et contribution à l’économie locale.
  • Co-construction avec les copropriétés : chartes internes sur les créneaux horaires, les modalités d’accueil et les seuils de tolérance, avec sanctions en cas de manquement.

La crédibilité de la régulation dépend enfin de sa capacité à évaluer publiquement les résultats et à ajuster les paramètres. Les villes qui réussissent fixent une trajectoire, publient des tableaux de bord accessibles et révisent les quotas en transparence.

Cap sur une stratégie d’usage : faire respirer le parc sans le fracturer

Encadrer la location de courte durée est légitime dans les micro-secteurs saturés. Mais l’efficacité globale passe par un cap clair : activer les logements peu ou pas utilisés, étaler la fréquentation, et laisser les entreprises s’aligner sur un référentiel de qualité et de responsabilité.

Le chemin est tracé : prioriser la lutte contre l’inoccupation, soutenir les formats hybrides, renforcer le partage de données, encourager la montée en gamme, et stabiliser des règles lisibles quartier par quartier. Une stratégie d’usage, plutôt qu’une guerre de modèles, fera davantage pour le logement des actifs, l’animation des territoires et la cohérence écologique du pays.

Rendre le logement plus disponible sans construire davantage implique de mieux utiliser ce que nous avons déjà, en régulant avec précision et en alignant les incitations des ménages, des villes et des entreprises.