À Lille, la justice administrative vient de trancher : le plan de sauvegarde de l’emploi d’Auchan est annulé. En jeu, 2 389 suppressions de postes et une procédure jugée défaillante sur des points clés. L’arrêt, rendu le 23 septembre 2025, redistribue les cartes pour le distributeur nordiste et interroge la gouvernance d’un groupe structuré en plusieurs entités opérationnelles.

Jugement du tribunal administratif de Lille : vices de procédure retenus

Le tribunal administratif de Lille a invalidé le plan social annoncé par Auchan en novembre 2024, estimant que la procédure n’avait pas respecté les exigences légales en matière de consultation des instances représentatives et de validité de l’accord collectif. Au cœur du contentieux, deux points sont mis en évidence par les juges : la question de la signature au bon niveau de l’accord et l’exhaustivité des informations transmises aux comités sociaux et économiques.

Sur le premier point, la juridiction a retenu que les modalités de signature de l’accord portant PSE ne pouvaient pas se satisfaire d’une validation centralisée. L’accord aurait dû être endossé par des représentants syndicaux habilités dans chacune des cinq composantes en cause. Sur le second point, les CSE n’auraient pas disposé de tous les éléments utiles à une consultation éclairée relatives aux impacts et au périmètre du projet.

Cette annulation est qualifiée d’inédite par de nombreux observateurs car elle cible non pas les motifs économiques, mais la conformité procédurale d’un PSE porté par un groupe à l’architecture complexe. L’organisation interne d’Auchan, au sein de la galaxie Mulliez, apparaît ainsi comme un facteur de vulnérabilité juridique lorsque la répartition des signatures et des responsabilités n’est pas rigoureusement alignée avec les textes.

Signature de l’accord collectif : périmètre contesté

Le tribunal rappelle que, dans un groupe aux contours multi-entreprises, le champ de validité d’un accord collectif doit coïncider avec les périmètres juridiques où s’opèrent les suppressions d’emploi. En pratique, si plusieurs entités sont concernées, il est attendu que la signature engage les syndicats représentatifs au niveau de chaque entité, et non sur un seul niveau consolidé.

Cette exigence, souvent sous-estimée dans les configurations de groupes, devient déterminante lorsque les restructurations touchent des périmètres hétérogènes. Elle vise à garantir que la représentation des salariés est bien exercée au niveau approprié et que la négociation reflète la réalité des employeurs impliqués.

Information des CSE : obligations rappelées

L’autre manquement pointé concerne l’information fournie aux CSE. Les juges ont considéré que les comités n’avaient pas reçu tous les éléments pertinents pour évaluer pleinement le projet, ses justifications et ses conséquences. Dans une structure composite, la transparence documentaire est essentielle pour que les élus puissent émettre un avis en toute connaissance de cause.

Ainsi, l’annulation porte sur la forme, pas sur les motifs économiques. En d’autres termes, le tribunal n’a pas censuré les raisons avancées pour réduire les effectifs, mais a sanctionné une procédure jugée insuffisamment encadrée. Ce distinguo est central pour la suite des opérations.

Un PSE est soumis à une validation ou homologation administrative. L’annulation par un tribunal administratif vise la décision administrative, non l’entreprise elle-même. Elle n’emporte pas automatiquement la réintégration des salariés, mais ouvre des voies de recours individuelles pour obtenir des réparations si des licenciements ont été notifiés sur la base d’une procédure annulée.

Salariés concernés : effets immédiats et voies de recours

La décision ne réintègre pas d’office les salariés dont le poste a été supprimé. En revanche, elle crée un espace contentieux : des actions prud’homales individuelles peuvent être introduites afin de solliciter des indemnités. Les juges prud’homaux apprécieront au cas par cas l’existence d’un préjudice lié à la mise en œuvre d’un PSE invalidé sur la forme.

Cette perspective change l’équilibre entre les parties. Pour les salariés, elle constitue une opportunité d’obtenir réparation. Pour l’employeur, elle renforce l’intérêt de sécuriser en amont l’intégralité des étapes de consultation, de communication et de signature.

Conseils de prud’hommes : quels dommages envisageables

Les conseils de prud’hommes peuvent évaluer l’impact de l’irrégularité procédurale sur le licenciement. La logique est de vérifier si le vice a privé le salarié de garanties substantielles ou d’un processus équitable. En présence d’un PSE annulé, le risque pour l’employeur est d’assumer des réparations financières qui, cumulées, peuvent devenir significatives.

Calendrier et articulation avec l’appel

L’entreprise a indiqué faire appel de la décision. L’issue de la procédure d’appel n’empêche pas, à ce stade, des salariés d’engager ou de poursuivre leurs actions individuelles. En pratique, les contentieux prud’homaux peuvent être influencés par la décision à intervenir, mais le temps juridictionnel joue ici un rôle structurant, notamment pour les dossiers déjà en phase de saisine.

Recours individuels possibles après l’invalidation

Les salariés concernés peuvent, à titre individuel, envisager des actions devant les conseils de prud’hommes. Les demandes portent généralement sur :

  • La réparation d’un préjudice lié à la procédure de licenciement viciée.
  • La contestation de la rupture en raison d’un PSE invalidé sur la forme.
  • La sollicitation d’indemnités, déterminées au cas par cas par la juridiction.

Position d’Auchan et stratégie juridique annoncée

Aussitôt le jugement rendu, Auchan a communiqué son intention de faire appel. L’entreprise souligne que l’annulation repose sur une interprétation des procédures qu’elle conteste, et non sur la qualité intrinsèque du plan de sauvegarde de l’emploi. Dans sa communication, la société indique que le débat porte sur deux points spécifiques : le niveau de signature de l’accord collectif et la production d’informations utiles à la consultation des CSE.

En filigrane, la stratégie consiste à obtenir une lecture moins restrictive des obligations dans un contexte multi-entités, en soutenant que la démarche suivie reflétait la réalité organisationnelle du groupe. L’enjeu, pour la direction, est de défendre la robustesse de son processus tout en montrant qu’elle reste mobilisée pour accompagner la transformation de l’entreprise.

Cour administrative d’appel de Douai : issue attendue d’ici fin 2025

L’appel sera examiné par la Cour administrative d’appel de Douai, avec une décision attendue dans un horizon de trois mois, soit d’ici fin décembre 2025. Cette échéance devient un pivot pour toutes les parties prenantes, car elle conditionnera la relance éventuelle d’une procédure corrigée ou, au contraire, la consolidation des droits ouverts pour les salariés (Le Journal des Entreprises).

Le périmètre de l’appel est ciblé : la direction souhaite faire dire que la procédure suivie s’inscrivait dans le cadre légal applicable, et que l’information des CSE, aussi structurée que possible à l’échelle d’un groupe, était suffisante pour éclairer les avis rendus.

Communication d’entreprise : cadrage du risque

Auchan met l’accent sur la distinction entre la forme et le fond du PSE. C’est une ligne de défense stratégique, car elle maintient la légitimité des objectifs économiques de la réorganisation tout en contestant la lecture stricte des exigences procédurales. Pour les investisseurs et partenaires, le message est clair : la transformation reste la boussole, l’enjeu juridique est circonscrit à la méthode.

Classiquement, les CSE doivent disposer d’éléments permettant d’apprécier l’économie générale du projet, ses conséquences sociales, les critères d’ordre, le calendrier prévisionnel, ainsi que la cartographie des postes et entités impactés. Dans les groupes, la consolidation et la ventilation par entité sont des zones à risque si elles sont incomplètes.

Architecture du groupe et lecture sociale : la galaxie Mulliez mise à nu

Le jugement éclaire la façon dont une configuration multi-entreprises peut compliquer la lisibilité des décisions sociales. La galaxie Mulliez agrège des entreprises familiales, juridiquement distinctes et opérationnellement imbriquées. Ce type d’architecture rend la circulation d’information et la représentation des salariés plus délicates à coordonner lorsque plusieurs employeurs sont impliqués dans un même projet de réorganisation.

Cette complexité n’est pas en soi illégale, mais elle impose des exigences de traçabilité et de cohérence accrues pour que chaque entité, chaque CSE et chaque syndicat représentatif dispose de la bonne information et des bons leviers de signature.

Périmètres d’entités et représentation syndicale

L’argument central retenu par les juges tient à la nécessité d’une signature syndicale au bon niveau. Plus l’environnement est composite, plus la nécessaire correspondance entre la portée de l’accord et le périmètre juridique des suppressions d’emplois devient cardinale. Pour les directions, cela suppose un travail préparatoire fin sur les périmètres, la représentativité et la gouvernance de projet.

Les restructurations antérieures chez Auchan

Ce PSE ne surgit pas de nulle part. Le distributeur a déjà mené d’autres ajustements, notamment en 2021, avec des suppressions de postes significatives. L’annonce de novembre 2024 marquait une étape supplémentaire, focalisée sur des fonctions support et la logistique, pour adapter l’organisation à une économie plus digitalisée et à une concurrence accrue, notamment celle des plateformes en ligne.

Le tribunal ne remet pas en cause ces déterminants économiques. Il rappelle plutôt que, dans un groupe, la mécanique juridique doit être alignée millimétriquement avec les périmètres opérationnels, faute de quoi la procédure encourt la censure.

Pourquoi la signature multi-entités devient un enjeu

Lorsque plusieurs sociétés sont impliquées, l’accord collectif doit être signé au bon niveau. À défaut :

  • La validité de l’accord peut être contestée pour absence de représentativité adaptée.
  • La procédure de PSE risque l’annulation pour vice de forme.
  • Les recours individuels se multiplient, avec un risque financier cumulé.

Conséquences économiques sectorielles et jalons pour la distribution

Dans la grande distribution, les réorganisations traduisent une équation économique mouvante. L’évolution des usages d’achat, la montée des ventes en ligne et la nécessité de moderniser les systèmes d’information alimentent la pression sur les fonctions support et la logistique.

Auchan n’échappe pas à cette dynamique. L’ambition du plan annoncé en 2024 était précisément d’adapter la structure de coûts et l’organisation à une économie de plus en plus digitalisée.

Le revers judiciaire change toutefois la trajectoire. Une procédure à relancer implique un calendrier allongé, des coûts additionnels potentiels, et une vigilance accrue des partenaires sociaux sur la transparence des impacts. Pour un groupe du poids d’Auchan, chaque mois compte dans la conduite de projet, à la fois pour aligner les équipes et sécuriser les process internes.

E-commerce et fonctions support : l’équation RH

La bascule numérique impose de revoir les métiers, les compétences et les densités d’effectifs. La suppression de 2 389 postes visait des domaines administratifs et logistiques, avec l’objectif de redistribuer les ressources vers des activités jugées plus stratégiques. Un PSE n’a pas vocation à traiter l’ensemble de la transformation, mais il est l’outil juridique qui accompagne des fermetures de postes en parallèle d’évolutions de métiers.

La requalification des compétences devient un chantier parallèle inévitable. Même si ce volet n’est pas au cœur du jugement, il conditionne la réussite industrielle du plan et, in fine, la perception sociale du projet.

Enseignes de la galaxie Mulliez : exposition possible

Les syndicats voient dans ce jugement une « onde de choc » susceptible d’influencer d’autres opérations de restructuration au sein de la galaxie Mulliez. Sans anticiper d’autres contentieux, il est clair que l’argumentaire retenu par les juges nourrit une exigence de traçabilité sur les signatures et l’information des CSE. Cette vigilance déborde le seul cas Auchan et invite les groupes à architecture similaire à tester la solidité de leurs procédures.

Dans les groupes multi-activités, un PSE suppose de clarifier :

  • Les entités juridiques effectivement impactées.
  • Les périmètres de représentativité syndicale par entité.
  • La granularité de l’information délivrée aux CSE.
  • Le circuit de signature et d’habilitation côté employeur et côté organisations syndicales.

Ces contrôles réduisent le risque d’annulation pour vice de forme.

Cadre légal rappelé par les autorités

Le Code du travail organise les PSE autour de garanties procédurales fortes : consultation des CSE, négociation d’un accord collectif ou, à défaut, élaboration d’un document unilatéral, et validation administrative. Les autorités rappellent régulièrement ces principes et les bonnes pratiques associées.

Les publications institutionnelles récentes abordent les évolutions du dialogue social et l’adaptation du droit aux transformations du travail. Les documents relatifs à la transposition d’accords nationaux interprofessionnels, notamment en faveur de l’emploi des salariés expérimentés et de l’évolution du dialogue social, s’inscrivent dans cette logique de clarification et de sécurisation des processus. Ces textes, qui relèvent d’un projet de loi au stade référencé, témoignent d’un effort de mise à jour des cadres de négociation et d’information, sans trancher le cas Auchan en particulier.

Pour les entreprises, l’enjeu n’est pas seulement de démontrer la réalité économique d’une réorganisation. Il s’agit de garantir que chaque étape procédurale est documentée, traçable et exhaustive, à l’échelle fine des entités et des périmètres de représentation. À défaut, la contestation peut prospérer et renverser l’édifice, même si les motifs économiques ne sont pas contestés sur le fond.

Points de vigilance pour les directions RH et juridiques

  1. Vérifier l’adéquation stricte entre périmètre des suppressions et niveaux de signature syndicale.
  2. Fournir aux CSE une information exhaustive, ventilée par entité lorsque nécessaire.
  3. Tracer l’ensemble des versions, échanges et validations utiles à la consultation.
  4. Anticiper la contentieux prud’homal en cas d’annulation administrative.

Qui est Auchan : ancrage, modèle et transformation

Distributeur d’origine nordiste, Auchan est un acteur historique de la grande distribution en France. L’entreprise appartient à l’Association Familiale Mulliez et regroupe des activités couvrant l’hypermarché, le supermarché et les formats de proximité, ainsi qu’une logistique étoffée. Son empreinte sociale en France est significative, avec plusieurs dizaines de milliers de collaborateurs.

Le plan annoncé en 2024 se fixait pour objectif de réaligner la structure avec un marché où la concurrence s’intensifie, y compris de la part d’acteurs numériques. Dans cette perspective, la qualité de la procédure n’est pas un détail administratif : c’est un facteur de réussite du projet et de stabilité sociale dans la durée.

Auchan : gouvernance et périmètres

Le cas examiné met en lumière l’importance des périmètres juridiques et sociaux. La structuration du groupe en plusieurs entités, au sein d’une galaxie entrepreneuriale plus vaste, suppose un calibrage spécifique des accords et de l’information des instances. Les juges ont estimé que ces exigences n’étaient pas suffisamment respectées dans la procédure d’origine, d’où l’annulation prononcée.

Pour la direction, la priorité désormais est double : défendre sa lecture devant la Cour administrative d’appel et, dans le même temps, sécuriser d’éventuels ajustements procéduraux afin de réduire l’exposition contentieuse.

Un PSE peut résulter d’un accord collectif majoritaire ou d’un document unilatéral soumis à homologation. L’accord collectif présente l’avantage d’une co-construction avec les syndicats, mais suppose une représentativité et un périmètre impeccablement définis. Le document unilatéral transfère davantage de responsabilité à l’employeur, avec un contrôle administratif souvent perçu comme plus rigoureux.

Ce que change la décision pour 2 389 emplois et pour les syndicats

Le volume d’emplois visé, 2 389 postes, illustre l’ampleur du projet initial. L’annulation rebat les cartes. Les organisations syndicales y voient une victoire procédurale et un signal fort envoyé aux groupes multi-entités. Leur diagnostic est clair : l’exigence de transparence et de signatures au bon niveau devient un standard incontournable, renforçant la balance du dialogue social sur les grands projets d’adaptation.

Cette décision ouvre la voie à des contentieux individuels et redonne un rôle central aux échanges d’informations. En pratique, elle incite aussi les entreprises à rehausser le niveau de preuve documentaire à chaque étape de la procédure, y compris sur des éléments auparavant considérés comme des données de pilotage interne.

Les salariés : une fenêtre contentieuse, pas une réintégration automatique

Le rappel opéré par la justice est net : une annulation administrative ne se traduit pas par une réintégration automatique. Les intérêts des salariés se joueront devant les conseils de prud’hommes, avec des dossiers appréciés au cas par cas. Cette granularité judiciaire, si elle peut étendre la durée globale du contentieux, change souvent la nature du rapport de force.

Syndicats et stratégie de négociation

Les syndicats évoquent une « onde de choc » et entendent capitaliser sur ce précédent. Pour eux, l’exigence de signature multi-entités et la densité d’information aux CSE constituent désormais des socles non négociables. Ils peuvent aussi revendiquer une méthodologie plus fine pour les critères d’ordre, la mobilité interne et les mesures d’accompagnement, même si ces points n’ont pas été au centre du jugement.

Chiffre clé et source

2 389 suppressions de postes étaient prévues par le PSE d’Auchan invalidé par la justice administrative (Le Monde, 23 septembre 2025).

Après Douai, quelles marges de manœuvre pour Auchan

L’arrêt attendu de la Cour administrative d’appel de Douai conditionnera la suite. Si la décision de première instance est confirmée, Auchan devra probablement reprendre sa procédure, ajuster le périmètre des signatures et renforcer la documentation transmise aux CSE. Un tel recalibrage repousserait l’échéancier initial et alourdirait le coût global du projet.

Si, à l’inverse, la cour valide la lecture d’Auchan, le groupe récupérerait une capacité d’exécution plus rapide, tout en gardant à l’esprit que la vigilance procédurale est devenue un impératif. Quel que soit le scénario, une constante s’impose : la qualité de la forme devient un instrument de sécurité juridique au même titre que la solidité du fond.

À ce stade, la transformation d’Auchan se jouera autant devant les juges que dans les organigrammes.