Les 20 et 21 octobre 2025, la commission des finances de l’Assemblée nationale a retouché en profondeur le PLF 2026. Au menu: ajustements de l’impôt sur le revenu, pérennisation d’un prélèvement minimum pour les hauts revenus, remise sur pied de l’exit tax et nouveau tour de vis sur l’épargne retraite. Le tout sans dévier de l’objectif affiché de redresser le solde public.

Commission des finances 20-21 octobre 2025 : cap budgétaire et lignes rouges

Au terme de deux journées d’examen intensif, les députés de la commission des finances ont passé au crible plus de 1 521 amendements recevables. Plusieurs d’entre eux reconfigurent les équilibres du PLF 2026 tel que déposé par le gouvernement, en ciblant trois leviers majeurs: la progressivité de l’impôt sur le revenu, la contribution des hauts revenus et la fiscalité de la mobilité des capitaux.

D’après les documents gouvernementaux, le PLF 2026 reste construit autour d’un cadre macroéconomique qui combine croissance du PIB à 1,1 %, inflation à 1,8 % et une trajectoire de déficit visant -4,7 % du PIB en 2026, en amélioration par rapport à 2025. Cette boussole macro justifie la calibrage fin de plusieurs mesures fiscales, tout en cherchant à préserver le modèle social.

Calendrier politique et périmètre des modifications

Avant l’entrée dans l’hémicycle, la commission a opéré un tri sélectif: certaines dispositions gouvernementales ont été assouplies, d’autres annulées, quand des propositions portées par des groupes d’opposition, notamment La France insoumise, ont été intégrées. Le résultat: un compromis encore instable, qui sera rééprouvé en séance publique.

Hypothèses macro et solde public

Les ministères économiques maintiennent un cap de consolidation budgétaire, en affichant une cible de déficit nominal à 148 milliards d’euros et un effort d’économies de 60 milliards d’euros. Selon les éléments résumés par l’exécutif, les votes en commission pourraient amputer ces économies de 5 à 10 milliards d’euros, ce qui nécessitera des arbitrages complémentaires en débats parlementaires (économie.gouv.fr).

Ce que la commission a priorisé

Les votes ont privilégié: 1) une revalorisation partielle du barème de l’impôt sur le revenu pour amortir l’inflation; 2) la pérennisation d’un taux effectif minimal via la CDHR pour les revenus très élevés; 3) la remise en place de l’exit tax afin de taxer les plus-values latentes en cas de départ; 4) des ajustements ciblés sur les niches et les pensions alimentaires; 5) un recentrage de l’épargne retraite sur sa finalité de sortie à la retraite.

Impôt sur le revenu : revalorisation partielle et calibrage anti-gel

Le gel initial de la première tranche a été corrigé. La borne d’entrée dans l’impôt passe de 11 497 euros à 11 611 euros. Cette revalorisation limiterait l’extension mécanique de l’assiette due à l’inflation et éviterait l’entrée dans l’impôt d’environ 200 000 foyers en 2026, chiffre cité par plusieurs acteurs du débat parlementaire.

Nouveau seuil et effet ciblé

La mesure, rapportée par des médias économiques et confirmée en commission, répond à un mécanisme bien identifié: en l’absence d’indexation, les gains nominaux de salaires se traduisent par des basculements de tranches, accroissant la pression fiscale réelle pour les ménages modestes et les classes moyennes. Le relèvement de 114 euros sur la première tranche ne constitue pas une indexation intégrale, mais agit comme un pare-chocs minimal.

Quand l’inflation progresse et que les seuils restent constants, la charge d’impôt augmente à revenu réel constant: c’est l’effet de dérive fiscale. L’INSEE a documenté une inflation sensible depuis 2024, ce qui plaide pour un ajustement des bornes du barème afin de préserver, au moins partiellement, le pouvoir d’achat et la progressivité.

Pour les directions RH et les employeurs, cette revalorisation contribue à lisser les effets de seuil sur les politiques salariales de début 2026. Elle limite les effets pervers de l’augmentation nominale des salaires qui pousseraient des salariés en tout début d’imposition.

Fiscalité des hauts revenus : CDHR pérennisée et contribution expatriés

Deux mouvements simultanés redessinent la fiscalité au sommet de la distribution des revenus: la CDHR, instaurée en 2025, devient durable, et une contribution sur les expatriés fiscaux cible les départs vers des juridictions significativement moins imposées.

CDHR à 20 % au-delà de 250 000 euros: une ancre durable

La contribution différentielle sur les hauts revenus assure un taux minimal de 20 % sur les revenus au-delà de 250 000 euros. Porté par le député Nicolas Ray, l’amendement prévoit que cette contribution restera en vigueur jusqu’à ce que le déficit public repasse durablement sous 3 % du PIB, horizon que l’exécutif assortit de la cible 2029. Les chiffrages avancent un rendement potentiel jusqu’à 2 milliards d’euros par an.

Par rapport à l’architecture initiale du PLF, qui envisageait une application temporaire, cette pérennisation modifie la perspective des hauts revenus et des contribuables aux revenus volatils. Elle répond à un objectif affiché par le gouvernement: contribuer à la réduction du déficit structurel.

Contribution sur les expatriés fiscaux: ciblage des départs à forte économie d’impôt

La commission a adopté une contribution spécifique visant les personnes transférant leur domicile fiscal vers des pays dont la fiscalité est inférieure de plus de 40 % à celle de la France. Le prélèvement s’applique aux revenus dépassant cinq fois le plafond de la Sécurité sociale, soit un ordre de grandeur d’environ 230 000 euros par an.

L’impôt payé à l’étranger est déductible, afin d’éviter la double imposition. L’estimation de rendement évoquée en séance atteint 500 millions d’euros.

La philosophie de cette contribution s’inscrit dans une réflexion internationale sur la taxation des hauts revenus. Des mécanismes analogues existent dans d’autres pays, cités par des sources gouvernementales, ce qui nourrit la légitimité de cette orientation en France.

Points de vigilance pour dirigeants et cadres dirigeants

  • Effet de plancher CDHR: sécurise un niveau minimal de taxation sur les revenus très élevés, quelle que soit l’ingénierie fiscale.
  • Mobilité internationale: la contribution sur les expatriés limite l’intérêt des relocations vers des juridictions peu taxées, avec mécanisme de déduction de l’impôt étranger.
  • Temporalité: la CDHR s’éteindrait lorsque le déficit passerait durablement sous 3 % du PIB; les calendriers d’optimisation doivent intégrer cette condition.

Mobilité du capital : retour de l’exit tax et lutte contre l’érosion de la base

Par un amendement emblématique, la commission rétablit une version antérieure à 2019 de l’exit tax. Ce dispositif vise les plus-values latentes en cas de transfert du domicile fiscal hors de France, avec un seuil de 800 000 euros de plus-values pour entrer dans le champ. L’administration évoque un rendement annuel estimé à 300 millions d’euros.

Seuils et rendement: message adressé aux détenteurs d’actifs significatifs

La réactivation du dispositif intervient après la réduction intervenue en 2019 au nom de l’attractivité. La commission fait donc le choix inverse: sécuriser l’assiette à la sortie pour contrer les stratégies de transfert d’actifs hors territoire. Elle s’inscrit dans une logique d’harmonisation prônée par l’OCDE, au moins sur le plan des principes.

Pour les fondateurs, investisseurs et dirigeants actionnaires, le signal est clair: la planification patrimoniale de long terme doit intégrer le coût potentiel d’une expatriation, notamment dans les phases préalables à une cession, une introduction en Bourse ou un refinancement majeur.

Une plus-value dite latente correspond à l’écart entre la valeur de marché d’un actif et son prix d’acquisition, avant toute cession. L’exit tax taxe ce gain potentiel au moment du transfert de domicile fiscal, selon des modalités défendues comme anti-abus. Le discours public met en avant l’objectif de neutraliser les stratégies d’arbitrage territorial de la base imposable.

La portée de cette mesure est acquise à l’étape de la commission, mais sa mise en musique technique devra être scrutée au fil des débats: étalement, sursis de paiement, garanties, et cas de retour en France figurent parmi les sujets opérationnels à clarifier lors de l’examen en séance.

Ménages et transmission : pensions alimentaires, niches et retraites

Au-delà des hauts revenus et de la mobilité internationale, la commission s’est penchée sur la fiscalité des familles et l’architecture de l’épargne retraite. Plusieurs ajustements concrets affecteront, dès 2026, les déclarations et arbitrages des ménages.

Pensions alimentaires: exonération côté receveur, fin de la déduction côté payeur

Les pensions alimentaires perçues deviennent exonérées d’impôt sur le revenu, dans la limite de 4 000 euros par enfant et 12 000 euros par foyer. En contrepartie, le parent qui verse la pension ne pourra plus la déduire de son revenu imposable. Cette bascule vise à soulager les familles monoparentales.

Le nombre de bénéficiaires potentiels est évalué à plus de 1,5 million de foyers, pour un coût budgétaire d’environ 400 millions d’euros. Ce ciblage social est mis en regard d’un constat démographique: près de 22 % des enfants vivent dans des familles monoparentales, selon les données les plus récentes disponibles.

Niches fiscales rétablies: entre ciblage social et signaux sectoriels

Plusieurs niches initialement supprimées sont réintroduites: exonération des indemnités journalières en cas d’affections de longue durée, crédits d’impôt pour frais de scolarité, et avantages pour les carburants alternatifs tels que le superéthanol E85 ou le B100. S’y ajoutent des exonérations symboliques, comme celles relatives aux traitements de la Légion d’honneur, à la Médaille militaire et aux prix Nobel.

D’après un décompte publié à la suite des débats, ces rétablissements ont été obtenus grâce à environ 150 amendements transpartisans. Le coût total de ce paquet de niches est évalué à 1,2 milliard d’euros par an. Il s’agit d’un arbitrage assumé: préserver certaines incitations et certains marqueurs républicains, tout en ciblant mieux les dépenses fiscales.

Épargne retraite et pensions: maintien des abattements et encadrement des sorties

La commission conserve l’abattement de 10 % sur les pensions de retraite, rejetant l’idée d’une déduction forfaitaire de 2 000 euros. S’agissant des journalistes, l’abattement de 7 650 euros est désormais plafonné aux revenus inférieurs à 75 675 euros annuels, ce qui recentre le dispositif sur les revenus intermédiaires.

Sur l’épargne retraite, un amendement impose la liquidation obligatoire des PER à l’âge légal de départ en retraite. L’objectif affiché est de réaffirmer la finalité du produit, en évitant l’exonération définitive des capitaux en cas de décès.

Les concepteurs de la mesure avancent un rendement budgétaire d’environ 200 millions d’euros par an. Pour mémoire, les encours des PER atteignaient 50 milliards d’euros fin 2024 selon l’AMF, ce qui confère un enjeu d’ampleur à cette décision.

PER: impacts à anticiper pour les ménages et la gestion de patrimoine

  • Temporalité de liquidation: la sortie à l’âge légal resserre l’horizon de placement et limite l’usage patrimonial hors retraite.
  • Transmission: la contrainte de liquidation réduit les scénarios d’exonération définitive en cas de décès; réviser les clauses bénéficiaires et les équilibres entre enveloppes.
  • Arbitrages fiscaux: revalidation des allocations entre PER, assurance-vie et PEA à la lumière des nouvelles contraintes et des horizons de sortie.

Compteur budgétaire 2026 : trajectoire de déficit et impacts à calibrer

Dans leur ensemble, les votes de la commission redistribuent partiellement les équilibres budgétaires du PLF 2026. Pour l’exécutif, le défi consiste à préserver la ligne des économies structurelles tout en intégrant des mesures à fort contenu social et des signaux de lutte contre l’érosion de la base imposable. Les montants affichés ramènent la discussion à quelques repères simples.

Métriques Valeur Évolution
Solde public 2026 -4,7 % du PIB Amélioration vs 2025 (budget.gouv.fr)
Croissance du PIB 2026 1,1 % Hypothèse PLF
Inflation 2026 1,8 % Hypothèse PLF
Déficit nominal 148 Md€ Projection 2026
Économies visées 60 Md€ Objectif
Impact des amendements en commission -5 à -10 Md€ Révision des économies
CDHR Jusqu’à 2 Md€ Pérennisée
Contribution expatriés fiscaux 500 M€ Nouveau prélèvement
Exit tax 300 M€ Rétablie
Pensions alimentaires 400 M€ de coût Exonération côté percepteur
Niches rétablies 1,2 Md€ Paquet transpartisan
PER: liquidation à l’âge légal 200 M€ Rendement attendu
  1. Ordres de grandeur: plusieurs rendements sont « jusqu’à » ou « estimés ». Ils varient avec les comportements et l’activité.
  2. Temporalité: les flux 2026 ne captent pas toujours un effet en année pleine, surtout pour des mesures anti-optimisation.
  3. Interactions: les dispositifs se neutralisent parfois partiellement. L’effet net diffère de la somme des effets bruts.

Effets entreprises-finance: signaux adressés aux dirigeants et aux investisseurs

Sans bouleverser la fiscalité des sociétés, les choix opérés en commission visent à stabiliser l’assiette et à réduire les arbitrages d’optimisation les plus agressifs. Plusieurs messages ressortent pour le monde économique.

Pour les entreprises et leurs dirigeants: régime personnel à surveiller

La pérennisation de la CDHR et le ciblage des expatriations rehaussent le coût fiscal de l’extraction de revenus très élevés hors de France. Les packages de rémunération des cadres dirigeants devront intégrer l’existence d’un plancher effectif et le moindre attrait des relocalisations vers des pays faiblement taxés. Les opérations de management packages gagneront à être calibrées au regard de ces garde-fous, y compris sur l’horizon de liquidité.

Pour les actionnaires, fondateurs et investisseurs: coût de la mobilité du capital

Le retour de l’exit tax incite à planifier en amont les décisions de mobilité et de cession. Pour les actionnaires de sociétés non cotées comme pour les fondateurs d’entreprises à forte valorisation, la cartographie des plus-values latentes redevient un enjeu central, tout comme les modalités de sursis et de garanties éventuelles. Les fonds d’investissement devront factoriser l’incertitude réglementaire associée au texte définitif.

Pour les politiques de rémunération et l’épargne salariale

L’encadrement des PER, avec la liquidation obligatoire à l’âge légal, rebat les cartes des stratégies de long terme. Les entreprises qui promeuvent l’épargne retraite devront ajuster leurs communications et recalibrer les architectures d’épargne salariale pour maintenir l’attractivité des dispositifs face à cette contrainte de sortie.

  • Ménages: seuil IR relevé à 11 611 euros; abattement retraite à 10 % conservé; pensions alimentaires exonérées pour le receveur dans les limites fixées.
  • Hauts revenus: CDHR à 20 % au-delà de 250 000 euros; contribution expatriés au-delà de 5 PSS avec déduction de l’impôt étranger.
  • Investisseurs mobiles: exit tax rétablie pré-2019 avec seuil de 800 000 euros de plus-values latentes.
  • Contribuables ciblant des niches: rétablissement de plusieurs dispositifs sectoriels et sociaux; coût agrégé de 1,2 Md€.

Au total, ces mesures projettent une trajectoire fiscale où la progressivité et la lutte contre l’érosion de la base sont renforcées, tandis que l’exécutif tente de préserver son objectif macro de réduction du déficit public. La cohérence d’ensemble sera testée en séance publique, là où s’opèrent les ultimes arbitrages.

Avant l’hémicycle : arbitrages encore ouverts

Le texte issu de la commission fixe un jalon important: revalorisation pensée pour le pouvoir d’achat, verrouillage au sommet de la distribution, filet anti-évasion sur le capital et recentrage des incitations fiscales. Reste une équation à résoudre: sauvegarder les économies attendues tout en assumant un paquet de mesures à coût budgétaire non négligeable.

Les prochains échanges en séance permettront de mesurer l’adhésion transpartisane à cette ligne de crête. Les acteurs économiques, eux, peuvent d’ores et déjà préparer leurs arbitrages 2026 sur la base d’un cadre plus lisible, en gardant à l’esprit que l’atterrissage dépendra des derniers votes.

Dernière ligne droite avant le débat en plénière: la cohérence macro et l’acceptabilité sociale seront les deux juges de paix.