+2026 au compteur, les directions RH françaises passent à l’action. Avec la directive européenne 2023/970 sur la transparence des rémunérations, les pratiques salariales changent d’échelle et de méthode. Le gouvernement prépare un texte pour l’automne 2025, et les entreprises doivent déjà cadrer leurs référentiels, leurs données et leurs procédures de réponse aux salariés. Le temps des fourchettes implicites s’achève.

Calendrier resserré, obligations étagées et première visibilité dès 2027

Le cap réglementaire est clair. La directive 2023/970, adoptée par l’Union européenne le 10 mai 2023, doit être transposée en droit français au plus tard en juin 2026. Un projet de loi est annoncé pour l’automne 2025, après consultation des partenaires sociaux. Les premières publications seront attendues dès 2027 pour les entreprises dépassant les seuils européens, avec une montée en charge progressive selon l’effectif.

La grille européenne prévoit un reporting périodique des écarts de rémunération entre femmes et hommes pour les employeurs d’au moins 100 salariés. Les entreprises de 250 salariés et plus publieront chaque année.

Les organisations entre 150 et 249 salariés publieront tous les trois ans à partir de 2027, puis le régime pourra évoluer. Les entreprises entre 100 et 149 salariés seront également concernées, avec une entrée en vigueur et une fréquence précisées au niveau européen et lors de la transposition nationale. Le gouvernement pourrait choisir d’aligner ou de renforcer cette cadence dans le cadre français.

Selon des informations de presse du 9 septembre 2025, l’exécutif souhaite accélérer l’adaptation des règles françaises afin d’amplifier la réduction des écarts de rémunération et de consolider l’articulation avec l’Index de l’égalité professionnelle déjà en vigueur. L’intention officielle est de rendre la donnée plus comparable, plus exploitable et plus opposable.

Feuille de route réglementaire, jalons clés

Dates à préparer dès maintenant pour les entreprises de 100 salariés et plus.

  1. Automne 2025: dépôt du projet de loi de transposition et débats parlementaires.
  2. Juin 2026: échéance européenne de transposition en droit français.
  3. 2027: premières publications pour les entreprises 250+ annuelle et 150-249 triennale, modalités nationales à confirmer pour 100-149.

Trois leviers structurants qui redéfinissent la transparence salariale

La directive installe une transparence de bout en bout. Elle s’applique dès l’embauche, tout au long de la relation de travail et jusqu’à la publication agrégée des écarts. Les entreprises devront concilier confidentialité nécessaire et droit à l’information renforcé.

Transparence à l’embauche et fin des négociations opaques

Désormais, les offres d’emploi devront indiquer le niveau de rémunération ou une fourchette alignée sur des critères objectifs. L’objectif est double: donner une information fiable aux candidats et réduire les écarts qui se créent souvent lors des négociations individuelles initiales. Les pratiques de “salary benchmarking” devront être documentées, traçables et justifiables, notamment par l’expérience, les compétences et les responsabilités du poste.

Droit individuel à l’information, un nouveau standard de dialogue

Chaque salarié pourra demander des éléments comparatifs sur sa rémunération, par rapport à des postes équivalents. Ce droit n’implique pas la communication des salaires nominativement, mais des informations explicites sur les niveaux et les critères utilisés. Les processus RH de réponse devront être standardisés, avec des délais et des formats homogènes, pour éviter l’arbitraire et limiter les litiges.

Publication périodique des écarts et déclenchement d’actions correctives

Au-dessus des seuils d’effectif, les employeurs publieront des écarts agrégés. Un écart supérieur à 5 pour cent non justifié par des critères objectifs déclenchera des mesures correctives et un dialogue renforcé avec les représentants du personnel. La granularité des analyses devra couvrir les catégories pertinentes, pour refléter la réalité des métiers et éviter les moyennes trompeuses.

La notion de valeur égale repose sur un faisceau d’indices: compétences, qualifications, effort, responsabilités et conditions de travail. L’évaluation doit être objectivée via une grille de classification et des critères publiés. Une simple différence d’intitulé ne suffit pas à écarter la comparabilité, si la valeur globale des postes est similaire.

Égalité femmes hommes, seuils d’alerte et articulation avec l’index français

La directive entend réduire des écarts persistants. Les entreprises devront justifier toute divergence significative par des facteurs rationnels et documentés. Les pratiques françaises s’en trouvent consolidées, avec une convergence attendue entre reporting européen et Index de l’égalité professionnelle déjà obligatoire pour les entreprises d’au moins 50 salariés.

Justifier un écart supérieur à 5 pour cent: preuves à fournir

Lorsque l’écart dépasse 5 pour cent, l’employeur doit produire une justification étayée: différences d’ancienneté, de compétences, de performance selon des critères sobres et vérifiables. Sans explication objective, un plan de correction est exigé. Les contrôles internes devront documenter la chaîne de décision, en incluant la traçabilité des revues salariales et promotions.

Index de l’égalité et nouveau reporting, comment faire converger

Le Code du travail français impose déjà la publication de l’Index avec une échéance annuelle au 1er mars. Le nouveau reporting européen ajoute une lecture transnationale et des formats homogènes.

Les entreprises gagneront à harmoniser les référentiels métiers, les libellés de primes, la structure des variables et la méthode de pondération. L’important sera de garantir la cohérence entre l’Index et le reporting européen, sans multiplier des versions contradictoires.

Ce que peut demander un salarié au titre du droit d’information

Contenu minimal à préparer par les RH pour répondre de manière sécurisée et homogène.

  • Définition du poste de référence et de la famille d’emplois.
  • Fourchette de rémunération pratiquée pour les postes équivalents.
  • Critères objectifs: compétences, ancienneté, responsabilités, performance.
  • Modalités d’évolution: pas de dévoilement nominatif, mais des niveaux explicites et des critères clairs.

L’Index mesure plusieurs sous-indicateurs et produit une note sur 100. Le reporting de la directive vise plutôt des écarts agrégés et des déclencheurs d’actions correctives. La compatibilité passe par une nomenclature commune des métiers, la consolidation des variables et l’alignement des périodes de référence. Un même socle de données peut alimenter les deux obligations.

Rh, data et gouvernance: ce qu’il faut mettre en place d’ici 2026

La conformité ne se joue pas qu’au niveau juridique. C’est un chantier de données, de processus et de conduite du changement. Les fonctions RH, Finance, Juridique et IT doivent travailler ensemble pour fiabiliser la donnée salariale et sécuriser les communications internes et externes.

Cartographier les emplois et fiabiliser les critères

Premier pilier: un référentiel de postes robuste et à jour. Il doit décrire missions, compétences attendues, niveau de responsabilité et conditions de travail. Viennent ensuite les grilles de rémunération associées, avec une documentation explicite des fourchettes et des critères d’attribution. L’objectif est d’éviter les zones grises où se nichent les biais, notamment au moment des recrutements et des promotions.

Outillage et chaîne de données: du sirh au rapport public

Deuxième pilier: l’outillage. Les SIRH doivent être capables de produire des extractions stables, avec un dictionnaire de données partagé.

Les écarts seront calculés selon des méthodes transparentes, réplicables et auditables. Les entreprises cotées devront aussi articuler ces informations avec leur communication financière et extra-financière, dans le sillage des normes de durabilité. Les autorités de marché insistent sur une information claire, sincère et comparable d’un exercice à l’autre.

Formation des managers et protocole de réponse

Troisième pilier: l’exécution au quotidien. À partir de 2026, les demandes individuelles vont augmenter. Les managers doivent disposer de trames d’explication, adossées à la politique de rémunération et aux critères objectifs. Les RH définiront un protocole de réponse avec délais et référents, pour concilier transparence et confidentialité.

Des réponses hétérogènes créent des vulnérabilités. La standardisation des formats, la conservation des justificatifs et la traçabilité des décisions constituent un rempart. L’expérience montre qu’un dossier bien documenté limite les litiges et raccourcit les délais de résolution, notamment en cas de contrôle de l’inspection du travail ou de contentieux prud’homal.

Le paysage salarial français sous la loupe: écarts, secteurs et seuils de vigilance

Les écarts de rémunération ne sont pas uniformes. Les données publiques indiquent des contrastes entre secteurs, catégories professionnelles et volumes de travail. La publication progressive des écarts exigée par la directive s’inscrira dans ce paysage et devra l’éclairer sans le caricaturer.

Dans les branches industrielles et certains services, les écarts varient sensiblement selon les métiers et les zones géographiques. Les portraits statistiques de branches confirment des différences significatives liées à la composition des emplois, à la structure de qualification et à l’organisation du travail. D’où l’importance d’une analyse par familles de métiers plutôt qu’une moyenne globale qui dilue l’information utile.

Les revenus salariaux annuels et salaires nets moyens présentent aussi des écarts privés-publics. À volume de travail comparable, le salaire net moyen dans la fonction publique est inférieur de 3,7 pour cent à celui du privé, alors que le revenu salarial annuel moyen y est plus élevé en raison d’une structure différente d’emplois et de statuts (Insee Première). Ces contrastes rappellent que la mesure des écarts dépend fortement de la définition des populations et des volumes travaillés.

Au niveau agrégé, l’écart salarial entre femmes et hommes en France demeure marqué, même si la trajectoire est à l’amélioration. Eurostat estime l’écart non ajusté à 16,5 pour cent en 2024 (Eurostat 2024). La directive vise précisément à agir sur les mécanismes d’origine, en agissant sur la transparence au moment clef que sont l’embauche, les augmentations et les promotions.

Sanctions et leviers incitatifs en France

Le régime précis des sanctions issues de la directive sera fixé lors de la transposition. En parallèle, les règles françaises existantes demeurent applicables.

  • Index de l’égalité: obligation de publier la note annuelle pour les entreprises d’au moins 50 salariés. En cas de note insuffisante persistante, la pénalité peut atteindre jusqu’à 1 pour cent de la masse salariale.
  • Plan d’action correctif: déclenché en cas d’écarts non justifiés, avec suivi et mesures ciblées.
  • Transparence renforcée: risque réputationnel et enjeux d’attractivité si les écarts sont durables et non traités.

Ce que les directions peuvent gagner: productivité, marque employeur et coût du risque

La transparence salariale n’est pas qu’une contrainte. Elle devient un levier d’organisation. Des grilles claires réduisent les biais, améliorent la motivation et stabilisent le dialogue social. Les entreprises qui structurent leurs données et professionnalisent leurs évaluations bénéficient d’un avantage compétitif sur un marché de l’emploi tendu.

À l’échelle collective, les gains d’efficacité sont mesurables: une politique d’égalité bien outillée s’accompagne souvent d’une hausse de productivité. Cette amélioration s’explique par une meilleure rétention des talents, une allocation salariale plus fine et une baisse des contentieux. À l’inverse, la non-conformité renchérit le coût du risque, entre pénalités, audits réactifs et impact réputationnel.

Check-list actionnable pour 2025-2026

  • Cartographier les familles d’emplois et aligner les intitulés.
  • Documenter les critères d’accès aux fourchettes salariales et les modalités de progression.
  • Industrialiser la production de données: dictionnaire de données, contrôles qualité, versioning.
  • Coordonner RH, Juridique et Communication pour maîtriser les réponses internes et externes.
  • Former managers et recruteurs à l’usage des grilles et à la réponse aux demandes d’information.

Préciser une fourchette ne signifie pas figer. Les entreprises peuvent indiquer un niveau d’entrée et des paliers selon des critères transparents. La marge de négociation subsiste, mais elle doit être justifiée par des facteurs objectivés et vérifiables. L’enjeu est d’éviter les écarts arbitraires difficilement défendables ex post.

Cap sur 2027, une opportunité de gouvernance salariale

La transposition attendue en 2026 va formaliser des pratiques que beaucoup d’entreprises ont déjà amorcées. L’exercice de 2027 marquera un premier référentiel public, avec des comparaisons intra-sectorielles et un dialogue social mieux informé. Les organisations qui auront investi dans leur socle de données, leurs grilles et leurs protocoles y trouveront un avantage tangible.

Au-delà du cadre légal, l’enjeu est de bâtir une politique salariale lisible qui soutienne la stratégie d’emploi et la performance. La transparence devient un atout si elle s’appuie sur des critères stables, compris de tous et alignés sur la réalité des métiers.

La transformation est enclenchée: mieux vaut écrire la partition maintenant que la jouer en urgence demain.