Comment Lyon lutte-t-elle contre la pénurie de médecins ?
Découvrez les enjeux de l'accès aux soins à Lyon et les initiatives pour soutenir l'installation de médecins.

Les loyers élevés et la rareté de locaux adaptés mettent à l’épreuve l’installation des médecins dans les métropoles. Lyon illustre ce basculement. Les bailleurs sociaux entrent désormais dans l’équation pour structurer une offre immobilière médicale crédible, tandis que la puissance publique affine ses outils. L’enjeu est sanitaire, mais aussi économique et juridique, avec des arbitrages rapides à opérer.
Tensions d’accès aux soins à lyon et coût d’opportunité pour le tissu urbain
Le retrait progressif des médecins généralistes dans la ville de Lyon crée un effet ciseau. D’un côté, la demande explose avec une démographie métropolitaine en hausse. De l’autre, l’offre peine à suivre, sous l’effet conjugué d’une démographie médicale en repli et d’un marché immobilier contraint.
La problématique ne se résume pas à la disponibilité de mètres carrés. Elle touche la viabilisation de cabinets pluridisciplinaires dans des quartiers où le modèle économique reste fragile, tandis que les normes d’accessibilité, d’acoustique et de sécurité alourdissent les coûts d’adaptation. Dans ce cadre, les bailleurs sociaux deviennent des partenaires stratégiques pour agréger des surfaces, garantir des loyers maîtrisés et sécuriser un calendrier de travaux.
Pour les habitants, la réponse immédiate se lit dans les files d’attente. Les difficultés pour trouver un médecin traitant allongent les délais et déplacent la demande vers les urgences et les maisons médicales de garde. Pour la collectivité, l’équation est budgétaire et sociale, avec un impact direct sur le parcours de soins, la prévention et la prise en charge des maladies chroniques.
Lyon face à un choc d’installation médicale
La tension vient de trois facteurs cumulés et documentés par la collectivité et les acteurs de santé :
- Un marché immobilier urbain onéreux qui allonge la phase d’installation et complique les montages pour de petits cabinets.
- Une démographie médicale en retrait à Lyon, malgré une région statistiquement mieux dotée.
- Des besoins concentrés dans les quartiers prioritaires où l’équilibre économique d’un cabinet est plus délicat à atteindre sans mutualisation d’espace.
Repères chiffrés de la démographie médicale: lyon décroche, la région amortit
Dans la ville de Lyon, le nombre de médecins généralistes a reculé de manière nette depuis la fin des années 2010. Selon la municipalité, on comptait 670 généralistes en 2020 contre 602 en 2024. La baisse excède 10 % et se concentre dans certains quartiers où les besoins sont les plus marqués.
Ce mouvement local s’inscrit dans une tendance nationale heurtée. La France recense au 1er janvier 2025 environ 101 000 médecins généralistes, pour une densité moyenne de 149 pour 100 000 habitants (DREES, 2025). Auvergne-Rhône-Alpes se situe légèrement au-dessus de cette densité, mais la capitale régionale reste affectée par des disparités intra-urbaines signalées par les services régionaux de santé.
La dynamique démographique, la pyramide des âges et les choix d’exercice influencent fortement la géographie de l’offre. Lyon attire des praticiens spécialistes et des structures hospitalo-universitaires, mais peine à conserver des généralistes en cabinets de proximité ou en maisons de santé lorsque le local fait défaut ou que le projet ne fédère pas plusieurs professionnels.
Pour les financeurs publics locaux, chaque pourcentage perdu en effectifs de médecine générale se traduit par des coûts différés. Le report vers les urgences crée un surcoût pour l’hôpital, tandis que le déficit de suivi augmente la probabilité d’hospitalisations évitables. Cette externalité négative renforce la nécessité d’un pilotage par l’offre immobilière de proximité.
En ville, la notion de désert médical ne s’analyse pas seulement à l’aune des kilomètres. Elle se mesure par le temps d’attente, la disponibilité de médecins traitants et la capacité de suivi dans la durée, notamment pour les patients chroniques. Une commune peut être statistiquement bien dotée, tout en connaissant des poches de sous-densité à l’échelle d’un quartier ou d’un groupe de rues.
Le quotidien des habitants: délais en hausse et recours aux solutions transitoires
La première conséquence pour les Lyonnais est la difficulté à accéder à un médecin de ville dans un délai raisonnable. Le retrait de praticiens et les ruptures d’installation conduisent à des délais d’attente prolongés, ou à une impossibilité d’être accepté comme nouveau patient.
Par effet ricochet, les habitants se tournent vers les urgences hospitalières ou les maisons médicales de garde. Ces solutions assurent les soins non programmés, mais elles ne remplacent pas un suivi médical structuré. La chaîne de prévention s’en trouve fragilisée, au détriment de la prise en charge des pathologies chroniques et du pilotage du médicament.
Des retours d’expérience recueillis par des bailleurs sociaux indiquent une demande soutenue dans les quartiers prioritaires. La notion de désert médical avancée par la Ville pointe ainsi une rupture d’accès par le temps d’attente plus que par la distance, ce qui rebat les cartes des politiques d’implantation en zone dense.
Sur les réseaux sociaux, l’engagement de bailleurs pour ouvrir des cabinets de groupe reçoit des commentaires globalement favorables. Ce ressenti alimente la pression citoyenne, sans constituer une preuve scientifique. Il n’en demeure pas moins un signal utile pour orienter les opérations immobilières vers les zones où la demande est la plus forte.
Un accord local ars-cpam-bailleurs étendu en 2025: passage à l’échelle et gouvernance
Au printemps 2024, Lyon Métropole Habitat a signé avec l’Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes et la CPAM du Rhône une convention de coordination. Objectif affiché: repérer les besoins, identifier des sites, calibrer des locaux pour accueillir médecins et auxiliaires médicaux, puis suivre les ouvertures.
Le 28 août 2025, la convention change de dimension. Douze nouveaux bailleurs de la Métropole de Lyon ont rejoint la démarche, pour atteindre treize signataires au total autour de LMH. Ce mouvement élargit le périmètre d’intervention à une grande partie du patrimoine social de la métropole et accélère la capacité d’offrir des surfaces adaptées.
L’extension a été confirmée par plusieurs publications de presse datées des 29 août, 1er et 2 septembre 2025. Les contours opérationnels demeurent identiques: une convention de moyens, fondée sur un pilotage par les informations de besoin plutôt que sur des objectifs chiffrés. Les parties prenantes mettent l’accent sur la consolidation d’équipes pluridisciplinaires et la voisine formule: produire des cabinets qui fonctionnent et répondent immédiatement aux besoins des patients.
Bailleurs impliqués au 28 août 2025
Liste des entités ayant rejoint la convention coordonnée par l’ARS AuRA et la CPAM du Rhône aux côtés de LMH:
- Aralis
- Batigère
- CDC Habitat
- Erilia
- Grand Lyon Habitat
- In'Li Aura
- Poste Habitat Rhône-Alpes
- Sahlmas
- Sacvl
- Vilogia
- 1001 Vies Habitat
- Hospices Civils de Lyon
Avec Lyon Métropole Habitat, le total atteint 13 bailleurs. Cela étend la capacité d’offres immobilières sur des quartiers variés de la métropole.
Cette montée en puissance s’inscrit dans le Pacte de lutte contre les déserts médicaux, qui a défini 151 zones prioritaires pour déployer une mission de solidarité obligatoire des médecins libéraux, avec des listes publiées fin juin 2025 (ministère de la Santé, 27 juin 2025). La convention lyonnaise agit comme un bras armé immobilier pour rendre possibles des installations rapides dans les quartiers repérés.
La mission de solidarité oblige les professionnels libéraux à contribuer, à la marge de leur activité, à la continuité des soins dans des zones identifiées. Cela peut se traduire par des vacations, des consultations avancées ou des astreintes sur des plages définies. La logique n’est pas punitive. Elle vise à rééquilibrer l’accès aux soins en s’appuyant sur un dispositif temporaire et piloté.
Modèle économique des bailleurs mobilisés: conditions d’équilibre et effets d’entraînement
Au cœur de l’approche lyonnaise, la question économique oriente tous les choix. Adapter un local à l’exercice médical suppose des investissements non négligeables et des délais de travaux, surtout en réhabilitation lourde. Pour limiter l’aléa, les bailleurs favorisent des implantations à plusieurs praticiens, qui stabilisent la fréquentation, mutualisent l’accueil, partagent des équipements et sécurisent la viabilité.
Le modèle d’affaires repose sur des loyers alignés sur le marché, sans subventions directes de l’État ou des collectivités, avec une discipline de coût assumée. Chez LMH, le financement passe par le budget propre et le fonds de dotation, un outil capable d’attirer des financements privés pour accélérer les opérations.
Lyon métropole habitat: stratégie et résultats
LMH se positionne comme un pionnier opérationnel à Lyon. En structurant des espaces adaptés dans ses immeubles neufs et en réhabilitation, le bailleur a permis l’émergence d’environ 70 cabinets médicaux ces dernières années. Sa méthode: partir de la demande exprimée, calibrer des surfaces flexibles, viser la cohabitation de médecins, infirmiers, kinés, psychologues et autres auxiliaires, puis sécuriser un point d’ancrage durable.
Cette approche répond à deux impératifs. D’abord un impératif sanitaire, en remaillant les quartiers populaires et les zones sous-dotées. Ensuite un impératif d’utilité sociale qui renforce l’attractivité du patrimoine locatif. Un point clé ressort: la rapidité de réponse aux signaux de besoin, afin d’éviter que des projets d’installation n’échouent faute de local ou d’alignement entre praticiens.
Bail professionnel ou bail commercial: implications pour un cabinet
Le choix de la forme juridique du bail est structurant pour un cabinet médical libéral.
- Bail professionnel durée de 6 ans, reconduction, loyer librement négocié, souplesse de résiliation avec préavis. Adapté aux professions libérales de santé.
- Bail commercial durée 9 ans, droit au renouvellement, plafonnement possible des loyers, réglementation spécifique. Plus protecteur mais moins flexible.
- Clé de lecture en pratique, le bail professionnel est fréquemment retenu pour les cabinets médicaux libéraux, avec des annexes techniques sur l’accessibilité et l’hygiène.
Dans la Métropole de Lyon, forte de 58 communes, l’effet réseau joué par treize bailleurs peut faire la différence. Il permet d’identifier des locaux en pied d’immeuble, d’articuler des phases de travaux, et d’amener des projets à maturité sans repousser les décisions à l’infini.
Processus d’installation: remontée des besoins, ciblage, réalisation
La convention fonctionne comme une chaîne de traitement organisée.
Étape 1. Les bailleurs remontent les demandes d’installation formulées par les praticiens. Ces demandes peuvent naître d’un projet de regroupement, d’une opportunité de local, ou d’un départ à la retraite dans un quartier donné.
Étape 2. L’ARS et la CPAM partagent des cartographies précises des besoins, avec les zones prioritaires, la typologie de surfaces recherchées, et un calendrier d’opportunités. Cette intelligence collective oriente l’affectation des ressources et évite de créer des doublons.
Étape 3. Des comités de pilotage arbitrent. Ils priorisent, valident l’adéquation des lieux, apportent un cadre au montage administratif et aux exigences techniques, puis suivent l’entrée en service.
Le dispositif reste volontairement sans objectifs chiffrés. Il mise sur la fluidité et la capacité à débloquer des opérations concrètes, en assumant que la qualité des projets primera sur leur quantité immédiate. Les retours terrain montrent que les patients répondent rapidement aux ouvertures de cabinets proches et lisibles, notamment en secteur de soins primaires.
Trois familles d’indicateurs sont mobilisées pour flécher les implantations: densité de praticiens et enrôlement de médecins traitants, délais d’obtention de rendez-vous sur des actes courants, et profil socio-démographique des quartiers. Les listes de zones prioritaires servent de boussole, mais les arbitrages tiennent aussi compte des opportunités immobilières et des équipes prêtes à s’installer.
Dans les quartiers prioritaires, les professionnels recherchent des lieux avec une visibilité accrue, des accès PMR optimisés et des volumes capables de soutenir des équipes pluridisciplinaires. Le facteur temps est décisif. Les praticiens disposent d’une fenêtre courte entre la décision d’installation et l’ouverture effective. La convention vise précisément à réduire l’attrition des projets.
Interaction avec le pacte national et limites du modèle: des garde-fous nécessaires
Le Pacte national de lutte contre les déserts médicaux fournit un cadre stratégique. En identifiant des zones prioritaires et en activant une mission de solidarité, il rend plus lisibles les territoires où l’intervention doit être renforcée. L’approche lyonnaise, à dominante immobilière et partenariale, joue une fonction d’assemblage pour concrétiser l’ouverture de cabinets sur ces territoires.
Deux limites doivent cependant être rappelées. Première limite, la tension de ressources humaines reste réelle. Le nombre de médecins disponibles demeure un goulot d’étranglement. La convention ne crée pas de médecins. Elle améliore les conditions d’installation et de maintien.
Seconde limite, le risque de dispersion existe si trop de projets émergent sans atteindre le seuil critique d’équipe. La réussite passe par des cabinets de groupe, assortis de plages de soins non programmés et d’une gouvernance partagée. Des indicateurs de suivi seront utiles pour objectiver les résultats et réallouer les moyens si nécessaire.
Les publications officielles de l’été 2025 insistent sur l’urgence d’agir face à la baisse démographique médicale. L’approche retenue à Lyon peut donc servir de pilote pour d’autres métropoles. Mais elle devra composer avec des calendriers de travaux, des normes techniques et des arbitrages budgétaires qui ne se règlent ni en quelques semaines ni à coût nul.
Clés de réussite observées dans les projets lyonnais
Quatre leviers se dégagent des retours opérationnels:
- Pluridisciplinarité pour répartir les coûts fixes et élargir l’offre de soins primaires.
- Localisation lisible en pied d’immeuble avec proximité transports et pharmacies.
- Calendrier sécurisé de travaux et livraison pour capter les fenêtres d’installation des praticiens.
- Échanges de données fluides entre ARS, CPAM et bailleurs pour prioriser où l’impact sera immédiat.
Sur le plan financier, la question des loyers conditionne la pérennité. Des loyers trop bas fragiliseraient les bailleurs et limiteraient l’entretien. Des loyers trop élevés rendraient les projets inatteignables. La ligne choisie, alignement sur le marché, suppose une sélection fine des projets et un ancrage dans des bassins de patientèle suffisants.
L’expérience lyonnaise illustre enfin la manière dont la politique de la Ville et la politique de santé peuvent converger. En priorisant les quartiers sous-dotés, le partenariat couplé à la mission de solidarité maximise les chances de capter des professionnels prêts à s’engager dès qu’un local idoine est identifié.
Une dynamique territoriale susceptible d’essaimer dans la métropole lyonnaise
L’élargissement à treize bailleurs accroît considérablement la surface d’opportunités. Il permet d’envisager des projets dans des communes diverses de la Métropole de Lyon, en reconfigurant des locaux commerciaux vacants, en mobilisant des rez-de-chaussée d’immeubles neufs ou en transformant des espaces tertiaires devenus obsolètes.
La Ville de Lyon accompagne cette trajectoire, en cohérence avec le Contrat Local de Santé, tout en restant en dehors de la signature pour des motifs de transparence. Cette posture donne de la visibilité aux équipes sans empiéter sur la gouvernance opérationnelle de la convention.
À moyen terme, l’ARS AuRA entend monitorer les ouvertures effectives et l’atteinte des zones prioritaires. L’objectif n’est pas de multiplier les annonces mais de mesurer l’impact sur le temps d’accès aux soins et sur l’enrôlement de nouveaux patients par médecin traitant.
La DREES anticipe une stabilisation relative des effectifs à l’horizon 2030, à condition de réformes efficaces. Le pari lyonnais est d’éviter un décrochage prolongé en misant sur la qualité des implantations.
Les entreprises locales, notamment dans les services de proximité, sont aussi concernées. Une meilleure couverture en soins primaires améliore l’attractivité résidentielle et la qualité de vie au travail des salariés. À l’échelle des quartiers, la présence d’un cabinet de groupe génère un trafic utile pour le commerce de pied d’immeuble, ce qui renforce l’animation économique.
Reste la question de l’équilibre territorial. Les zones prioritaires fixent une direction claire. Mais l’affinage des périmètres, d’une rue à l’autre, suppose une lecture en temps réel du terrain. C’est là que les bailleurs, par leur connaissance fine de leurs résidences et de leurs vacants, apportent une valeur irremplaçable au pilotage de l’installation médicale.
En misant sur un triptyque clair immobilier, coordination et ciblage, Lyon tente de reconstruire un maillage de soins primaires à l’échelle des quartiers. Cette politique par la preuve, alignée sur les priorités nationales, pourrait servir de méthode aux autres métropoles si elle confirme ses effets sur les délais d’accès et l’installation durable de cabinets de proximité.